« A certains, l’enfance est donnée, elle reste là, à portée de main. Pour les autres, elle se conquiert, dans la mesure d’une distance, par-delà tout ce que d’elle on a préféré oublier, tout ce qu’en vous elle a menacé. Saint Phalle est, bien sûr, l’une des reines de la tribu de l’enfance : « Children should be seen and not heard, Les enfants doivent être vus, et pas entendus », lui répétait sa mère quand elle ne la frappait pas au visage avec sa brosse à cheveux. Elle a obéi, transformé l’interdit en règle du jeu : de l’enfance, elle a tout donné à voir, tout offert au regard, candeur et démesure, appétit d’ogre et terreurs enfouies, insolence, joie, cruauté. Je crois pourtant qu’il lui a fallu, pour la retrouver, accomplir un long trajet. On dit « tomber en enfance » comme « tomber amoureux » : mais Saint Phalle n’est pas tombée, elle est montée en enfance. Son lourd legs, elle l’a, comme on souffle un métal, transmué en légèreté. »
Gwenaëlle Aubry, Saint Phalle, Monter en enfance