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Belgique

  • Veuves

    A l’arrière de l’église de Meensel, on découvre une grande photo sur le mur extérieur du chœur (du côté du musée), celle des 27 veuves de guerre et/ou mères de victimes des raids des 1er et 11 août 1944, une photo prise en 1947 ou 1948 (il manque une dizaine d’entre elles). Leur souffrance a inspiré le monument érigé à Neuengamme, une sculpture créée par l’artiste May Claerhout et que Linda Van der Meeren a interprétée en peinture pour le Museum44.

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    © Linda Van der Meeren, Wanhoop (Désespoir)

    « Le désespoir de Meensel-Kiezegem » érigé dans le bosquet commémoratif du mémorial de Neuengamme est dédié aux habitants assassinés, à leurs mères et à leurs veuves. Il représente une femme en deuil. En août 1944, les SS ont déporté 71 hommes des villages de Meensel et Kiezegem vers Neuengamme. Seuls huit d’entre eux ont survécu à l’emprisonnement dans les camps de concentration.

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    © Linda Van der Meeren, Weduwe (Veuve)

    A l’Art Expo Buchenwald & Neuengamme, j’ai admiré cette autre toile émouvante de Linda Van der Meeren, intense et déchirante. Voici ce qu’elle a écrit en légende :

    WEDUWE          Veuve
    LEEGTE             Vide
    VERLOREN       Perdue
    CHAOS               Chaos
    OVERLEVEN     Survivre
    LEVEN                Vivre
    LIEFDE               Amour

    La Linda - HOME (lindavandermeeren.com)

  • 1944 - 2024 Art Expo

    Il y a presque quatre-vingts ans, en août 1944, le village de Meensel-Kiezegem vivait un drame dont le Museum44 porte mémoire ; je vous l’avais présenté lors de notre première visite il y a cinq ans. Depuis le début du mois, une double exposition est présentée à l’église Saint-Matthieu de Meensel, juste à côté du musée : Art Expo Buchenwald & Neuengamme.

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    Oscar Lauwens (organisateur), Linda Van der Meeren (artiste) et Rik Vanmolkot jr. (Legs Despaux) photo Museum44

    L’expo évoque deux des nombreux camps de concentration nazis à travers les œuvres de Georges Despaux et de Linda Van der Meeren. Le lien entre eux : Buchenwald. Despaux, un prisonnier politique originaire du sud de la France, s’est lié d’amitié dans ce camp de concentration avec un jeune Belge étudiant en médecine de Louvain, Rik Vanmolkot, à qui il a légué de nombreux dessins. Une cinquantaine sont exposés.

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    Linda Van der Meeren est la petite-fille de Charel Gemoets, prisonnier politique et survivant de Buchenwald ; il avait été arrêté en juillet 1944 par représailles, les Allemands n’ayant pas trouvé chez lui son fils Hilaire Gemoets, très engagé dans la Résistance (fusillé en septembre 1944). Linda a réalisé de nombreuses œuvres d’art autour des deux guerres mondiales, elle est artiste résidente du Museum44.

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    Peintures de Linda Van der Meeren accrochées à l'entrée du chœur, photo Museum44

    Une cinquantaine de dessins de Georges Despaux prêtés par le fils du Dr Vanmolkot sont exposés du côté droit de l’église : beaucoup de portraits de prisonniers et des scènes de la vie au camp. Ces portraits très fins, qui rendent bien la physionomie, il les dessinait dans la clandestinité, durant les seuls moments de repos, le dimanche après-midi. Comment s’est-il procuré papier et crayon, en principe interdits, et comment a-t-il réussi à les ramener ? Mystère.

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    Vue partielle de l'exposition : dessins de Georges Despaux

    Sous chacun des dessins, une légende ; on peut y lire le nom du prisonnier, les circonstances et les raisons de son arrestation. Comme Despaux et Vanmolkot, ce sont des détenus du « petit camp » de Buchenwald où « séjournaient » les déportés mis en quarantaine et  les prisonniers politiques en mauvaise santé (Despaux avait gardé des séquelles de la poliomyélite, Vanmolkot était arrivé très malade.)

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    Deux portraits par G. Despaux : Henri Pepin Bollens et Louis Govers

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    Rik Vanmolkot d'après Despaux, Homme priant

    Un texte manuscrit attire mon attention, sa copie dactylographiée permet de lire cette « biographie » rimée écrite à Buchenwald par un prisonnier belge, le 8 février 1945 : « Georges Despaux ? Un nom qu’il vous faut retenir ; / Un peintre, et des meilleurs, du plus bel avenir. […] » Un témoignage sensible d’un codétenu. Emouvant aussi, le dessin par Despaux d’un homme priant (photo 2), exposé près de sa version sculptée. Celle-ci est de son ami Vanmolkot qui en a fait, à la fin de sa vie en 1968, une sculpture en bois, inachevée.

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    Vue partielle des peintures de Linda Van der Meeren

    Du côté gauche de l’église, les toiles de Linda Van der Meeren sont présentées dans de grandes caisses en bois (celles qu’on utilise pour la récolte des fruits dans cette région où les vergers sont nombreux) qui les mettent particulièrement en valeur et rappellent les châlits aux couchettes superposées du camp de Neuengamme qui ont été reconstitués dans une pièce du Museum44.

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    Linda Van der Meeren : "Wie zijn ogen sluit voor het verleden is blind voor de toekomst"
    (
    Celui qui ferme les yeux sur le passé est aveugle à l’avenir.)

    Ses peintures et ses dessins alternent entre l’évocation de la Seconde guerre mondiale, des combattants, des prisonniers, des camps (qu’elle visite régulièrement avec des groupes) et des compositions abstraites aux couleurs fortes, lyriques, expressions de la tragédie, de l’espoir ou du deuil. Le sceau posé sur chaque légende manuscrite est d’elle aussi, à l’effigie de la femme en deuil du monument mémorial de Neuengamme. Linda Van der Meeren est aussi céramiste. Pour elle, le devoir de mémoire est une véritable « mission ».

    Art Expo Buchenwald & Neuengamme, Meensel-Kiezegem, Museum44 > 26.05.2024

  • 365, peinture

    Encore Vincent Solheid.jpg« Un film de famille. Mon grand-père et mon grand frère
    remontent en courant, main dans la main, la petite
    route devant chez nous. Tout est blanc, enneigé.
    J’aime ce moment d’un autre temps.
    J’aime les voir se tirer l’un l’autre, presque dansant.
    […]
    365 est un recueil de peintures de cette première année
    passée sans lui, mon frère, l’aîné. »

    Vincent Solheid (°1968)

    ©  Vincent Solheid, '365', peinture (détail), 2015, acrylique sur toile

    Encore et encore. Rituels d’artistes, Maison des Arts, Schaerbeek
    > 05.05.2024

     

  • Encore et encore

    A la Maison des Arts de Schaerbeek, l’exposition Encore et encore. Rituels d’artistes, interroge leurs pratiques et aussi les nôtres, par ricochet. Certaines personnes ont plus de rituels que d’autres, nous en avons tous : des gestes, mouvements, actions qu’on répète quasi obsessionnellement. Ils font partie du jour après jour de l’existence. Quel sens leur donner ? Pourquoi continuer ? A travers les rituels d’une douzaine d’artistes, l’exposition montre à la fois les protocoles qu’ils se sont donnés et les œuvres ainsi créées au fil des jours, voire des années.

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    ©  Sahar Saâdaoui, Le rituel du bonheur & Alphabet (vue partielle)

    Dans le hall d’entrée, Just My Luck, une fresque de billets à gratter de la Loterie nationale interroge le rituel du jeu. Au centre, on le voit mieux en prenant du recul, on lit les les lettres de « BINGO ! ». Depuis six ans, Katherine Longly (°1980) & Cécile Hupin (°1987) collectent des tickets grattés et y observent les traces des joueurs et joueuses « comme les empreintes d’un rituel intime ». Certains grattent avec frénésie, d’autres patiemment ou ne s’intéressent qu’au code QR. Elles y ont vu des profils individuels, des écritures, des gestuelles répétées. Leur analyse de ce rituel, une manière de tenter sa chance, est racontée dans un livre publié en 2023.

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    © Katherine Longly & Cécile Hupin, Just My Luck, 2017-2023, fresque installée in situ

    « Le rituel du bonheur » de Sahar Saâdaoui (°1986) est tout différent. Au centre de la pièce, dans une table-vitrine, une partie de son « dictionnaire » donne la clé d’un travail basé sur la « translation », minutieux, rigoureux, raffiné, subtil. Sur un quadrillage tracé à la main, elle a conçu ce « dictionnaire » où l’alphabet se change en chiffres (sa passion) : chaque lettre s’inscrit dans un carré de 4 sur 4, les intersections sont marquées d’un point, ce qui donne un nombre de points fixe par lettre. Ce code lui sert à agencer ses compositions sur papier (photo ci-dessus) ou sur soie, en jouant sur les couleurs, les matières.

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    ©  Sahar Saâdaoui, Alphabet x 26 code, 2015,
    Collage, acrylique, papier, 63,5 x 46,5 cm

    Les vidéos des dix écrans installés dans la salle à manger nous font entrer dans un rituel beaucoup plus intime. Laurent Quillet (°1989) filme depuis 2015 le moment où il dit « au revoir » à ses proches, un projet intitulé Détachement. J’ai eu la chance de suivre une visite guidée en présence des artistes et je n’imaginais pas à quel point l’émotion allait me gagner en l’écoutant raconter comment son projet était né et l’aidait à vivre. Dans cette embrassade rituelle se nichent un contact fugace, un nombre de bises qui varie, la présence avant l’absence, l’espérance de se revoir, la crainte de la mort. C’est personnel et universel, bouleversant.

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    ©  Laurent Quillet, Détachement, 10 vidéos

    Les rituels sont un recommencement pour apprivoiser le temps, l’espace, ou les deux. Juan d’Oultremont (°1954) « pratique la collection » d’objets improbables ; ce qui l’intéresse, c’est de « ramener sur le terrain de l’art des choses qui ne sont pas de l’art ». Claude Viallat (°1936) décline une « forme » peinte sur toutes sortes de tissus. Katherine Longly se photographie tous les jours à la même heure depuis juin 2009, « un pied de nez à l’oubli ». A l’affiche de l’exposition, des photographies d’objets de Barbara Iweins (°1974) : pendant quatre ans, à la suite d’un divorce et d’un déménagement, elle a photographié « pièce par pièce, tiroir par tiroir » tout le contenu de sa maison, 12795 objets, d’où Katalog 2017-2022.

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    ©  Barbara Iweins, Katalog (détail)

    Une fois de plus, la Maison des Arts réussit à transformer un thème a priori mystérieux en parcours étonnant et passionnant, à la rencontre d’artistes contemporains. Allez-y, vous verrez le travail entrepris par Côme Lequin (°1989) avec ses chaussures, ce que peint Yves Gobart (°1973) chaque matin en arrivant à l’atelier, l’Ode à la souche (d’arbre) de Marie Van Elder (°1965), une série née sur la côte sauvage en Californie du Nord, un autre artiste avec un ensemble de peintures qui fera l’objet d’un billet complémentaire. C’est à découvrir en prenant le temps de lire l’affichette de présentation ou le petit catalogue illustré (5 €).

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    ©  Roman Opalka, détail OPALKA 1965/1 - ∞, 50 photographies offset en bichromie, 32 x 26 cm. Collection privée

    En fin de parcours, les cinquante autoportraits en noir et blanc de Roman Opalka (1931-2011) prêtés par un collectionneur privé révèlent un protocole immuable : visage neutre, col de chemise blanche, cadrage identique. Photo imprimée sur une double page en regard avec un nombre auquel elle correspond. A partir de 1965 (ici la période, de1972 à 2008), il a peint des suites de nombres pour « manifester le temps, son changement dans la durée, celui que montre la nature, mais d’une manière propre à l’homme ». Un portfolio impressionnant.

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    (Textes & prétextes, 4 x 4 ans)

  • Pays natal

    Rolin Dulle Griet 1977.jpg« J’étais enfin en mesure de m’arracher à eux par un serment solennel. A partir d’aujourd’hui je ne me servirais plus d’eux, je les détacherais de mon écriture, de mon cerveau, des rognons douillets de ma mémoire. Il ne serait plus question d’eux nulle part. Je n’évoquerais plus mon enfance : frère et sœur, maison, forêt, champs de betteraves et de choux, lac et bois seraient engloutis. Tout cela filait à toute allure et sans ordre d’entre mes lèvres dévorées par les sanglots. Cependant un singulier phénomène se produisait à mesure : Papa et maman – qui étouffaient des bâillements discrets – grandissaient, s’allégeaient. Quand je me suis tue, il était trop tard. Ils avaient profité de ma colère glacée pour me réinvestir. Lubriques, apaisés, ennuyés, ils reposaient de nouveau en moi.
    Je me suis levée avec difficulté. Pas de doute : j’étais une fois de plus enceinte de mon pays natal. »

    Dominique Rolin, Dulle Griet