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D’autres choses vues en chemin. D’abord cette fenêtre dans une avenue du quartier. La première fois que nous y avons vu un couple de mandarins sur la tringle du rideau, nous avons pensé qu’ils s’étaient échappés de leur cage. En repassant devant la fenêtre au joli éléphant, nous avons observé qu’ils y revenaient parfois. Et un jour, la gardienne des lieux, devant sa porte, nous a appris qu’elle avait bien plus de deux oiseaux, plus de dix même, et qu’elle les laissait voler en liberté à l’intérieur !
Pour revenir de notre balade au parc Walckiers, nous avons pris l’avenue qui mène au square Riga, où se dresse le clocher de l’église de la Sainte Famille, déjà montrée ici. C’est une de ces agréables artères de Schaerbeek où les maisons ont conservé les grilles devant leur jardinet. Des asters, plus clairs que ceux de mon jardin suspendu, s’en échappent vers le trottoir – c’est si gai, ces feuillages, ces fleurs.
Les arbres du square Riga et leur survie (menacée par le projet du métro) me tiennent à cœur, je vous en ai déjà parlé. Presque chaque jour, quand je passe par là, je me réjouis de les voir vivre une année de plus. Comme d’autres vieux troncs du square, celui de ce vieux et majestueux marronnier porte des signes cabalistiques à la peinture rouge, je n’en ai pas l’explication. Mais je suis reconnaissante envers la personne qui prend fidèlement sa défense. Cette fois, elle y a posé une main amicale avec un slogan bien détourné : Touche pas à mon arbre.
Quand nous allions vers le Moeraske en descendant la rue Walckiers, juste à côté de l’Institut de la Sainte Famille d’Helmet, nous jetions toujours un œil à notre gauche vers le parc bien clôturé derrière l’école, son actuel propriétaire. L’an dernier, le remplacement d’un portail annonçait des aménagements dans le bas du parc et bingo, après soixante ans de fermeture au public, revoilà le parc Walckiers accessible depuis ce mois d’octobre 2024.
En remarquant, dans le bas de l’avenue Zénobe Gramme, de l’autre côté du parc, la belle clôture qui le borde à présent, nous espérions trouver un portail ouvert et c’était bien le cas. Bruxelles environnement, qui gère l’endroit, affiche les heures d’ouverture : de 9h45 à 16h30 jusqu’en mars, puis de 8h15 à 18h15 en avril, etc.
Ce nouveau chemin balisé « situé à quelques coups de pédales de la gare de Schaerbeek » constitue « le dernier tronçon de la promenade verte, dernière pièce manquante de cette promenade très appréciée des flâneurs, flâneuses mais aussi d’un public actif en route vers le travail ou l’école ». Seuls deux des quatre hectares et demi sont ouverts au public, de manière à préserver la biodiversité dans le parc Walckiers, un parc classé (un des premiers jardins à l’anglaise d’Europe au XVIIIe siècle).
On y trouve des arbres remarquables, mais aussi, comme il est resté longtemps à l’abandon, des arbres fragiles. « Les zones à haute valeur biologique ont été clôturées afin de préserver la faune et la flore. Le lérot, ce petit rongeur masqué protégé en Région bruxelloise, y a notamment élu domicile depuis une douzaine d’années. » (Bruxelles environnement).
Cette première traversée nous a beaucoup plu. Nous aurons l’occasion de mieux découvrir les lieux à l’avenir, notamment près du chemin de fer. Ici de vieux troncs encore vigoureux, là des monticules de paille sans doute destinés à la faune locale… D’indécrottables tagueurs ont déjà laissé des traces sur le portail d’accès de l’autre côté – « des perles aux pourceaux », aurait dit une ancienne riveraine des lieux.
Cornouillers sanguins et aubépines colorent l’allée le long des potagers, bien jolie en automne ! Au bout, le marais complètement dégagé et la nouvelle clôture de châtaignier donnent une belle vue renouvelée du Moeraske dès l’entrée.
Les couleurs fauves de l’automne ne s’affichent pas encore franchement en ce début du mois d’octobre, un mois qui offre souvent une si belle lumière, mais elles s’annoncent.
Certains feuillages en dentelle préparent déjà le festival : jaune or, rouge, vert déploieront bientôt toute leur gamme. L’eau verdie de l’étang joue sa note dans ce tableau de saison.
Verticales, horizontales, droites et courbes, lignes, formes, couleurs – même guidée par les jardiniers, la nature est artiste à sa manière. Voilà une photo qui ferait un bon puzzle, pour les amateurs.
Peut-être aussi cet îlot avec ses abris pour la faune locale, qui n’y sera pas dérangée. Les feuillages et les reflets dans l’eau seraient ici les parties les moins faciles à assembler.
En haut de la pelouse qui longe l’avenue des Azalées, leurs oreilles signalent les lapins qui grignotent l’herbe sans se soucier des promeneurs – pourvu qu’ils ne s’approchent pas. S’arrêter, regarder tout ce que la lumière du jour nous montre, par une après-midi d’octobre.
Longtemps dans l’ombre de Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp est à présent redécouverte comme une artiste à part entière.
La journaliste et réalisatrice Safia Kessas propose sur le site de Bozar une série de podcasts passionnants en six épisodes, dont le premier s’intitule « l’ange muet se révèle près de 80 ans après sa mort ».
Sophie T. a exécuté des danses modernes au Cabaret Voltaire de Zurich devant les dadaïstes. Formée aux arts appliqués, notamment à la technique du bois tourné, elle a fait sensation avec ses marionnettes « dada » traitées de manière abstraite.
Entre 1925 et 1942, Sophie Taeuber-Arp a participé à plus de quarante expositions en Europe, aux Etats-Unis et au Japon. Son activité d’enseignante à l’École des arts appliqués de Zurich a souvent permis au couple de vivre et de créer librement.
L’exposition Arp à Bozar met bien son œuvre en valeur. Depuis la publication de la correspondance de Sophie Taeuber en 2021, on connaît mieux la vie qu’elle a menée : elle s’occupait de tout, maison et administration.
Dans le magazine Bozar de la saison ’24-’25 (en ligne), je vous recommande l’article de Safia Kessas, « Sophie Taeuber, une voix retrouvée, aux côtés de Jean Arp » (pp. 13-18), une réflexion sur son rôle de femme artiste et de femme d’artiste.
Sophie rêvait Sophie peignait Sophie dansait, poème écrit par Jean Arp après sa mort, est repris dans les Morceaux choisis (pp. 26-27).
Sophie Taeuber-Arp, Sienne, maisons, animaux, 1921, gouache et crayon sur papier brun, Etienne Bréton / Saint-Honoré Art Consulting
Sophie Taeuber-Arp, Equilibre, 1932, huile sur toile, Stiftung Arp e.V., Berlin / Rolandswerth
Sophie Taeuber-Arp, Forme bleue, 1935, gouache et crayon sur papier, collection privée
Les couples d’artistes ne sont pas très nombreux dans l’histoire de l’art. Celui de Hans/Jean Arp & Sophie Taeuber-Arp, « Friends, Lovers, Partners », fait l’objet d’une formidable exposition au Palais des Beaux-Arts (Bozar), qui m’a beaucoup appris. Je ne connaissais pas grand-chose du premier en dehors de ses sculptures organiques, et je méconnaissais la seconde qui a joué un rôle moteur dans ce couple créatif, depuis leur rencontre à Zurich en 1915 jusqu’à sa mort accidentelle en 1943.
Entrée de l'exposition : Hans/Jean Arp avec Monocle-nombril, 1926 & Sophie Taeuber avec la Tête Dada par Nic Aluf, 1920 Stiftung Arp e.V., Berlin / Rolandswerth
Jean Arp (1886-1966) et Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) s’intéressent tous deux à l’art textile – broderies et tapisseries – comme support de leurs compositions abstraites. Dès la première salle, en découvrant d’un côté des œuvres de Jean A. et de l’autre, de Sophie T., on voit tout de suite que celle-ci explore davantage la couleur.
Sophie Taeuber-Arp, Sans titre, vers 1918, broderie, soie sur toile, Hilti Art Foundation, Schaan
Beaucoup d’artistes se sont réfugiés en Suisse durant la première guerre mondiale, notamment à Zurich où naît le mouvement dada (au Cabaret Voltaire). L’influence de Sophie T. apparaît dans les collages géométriques de Jean A. (papiers colorés sur carton). Dada rompt avec la tradition, Arp décrit ses œuvres comme « des constructions de lignes, de surfaces, de formes, de couleurs. »
Sophie Taeuber-Arp, Composition verticale-horizontale, 1916, Crayon de couleur, gouache et crayon sur papier, Stiftung Arp e.V., Berlin / Rolandswerth
En 1916, Sophie T. est connue comme une artiste textile. Ses créations de perles et de fils (coussins, couvertures, sacs et colliers) sont des objets traditionnels, mais elle innove par les formes et les couleurs. Sa maîtrise est telle qu’un critique écrit : « elle aime tant le rouge qu’il faut l’en remercier. » Ses compositions picturales jouent sur la verticale et l’horizontale, les courbes et les droites.
Sophie Taeuber-Arp, Formes géométriques : sac en perles, vers 1917 / collier, vers 1918, Musée du Design, Collection des Arts décoratifs, Zurich, ZHdK
Sophie Taeuber-Arp, Marionnettes pour Le roi cerf, 1918
Les deux artistes rejoignent un groupe suisse qui cherche à renouveler l’art et à l’intégrer dans la vie quotidienne, en abolissant la frontière entre art et arts appliqués. C’est ainsi que Sophie T. expose pour la première fois des têtes peintes et des marionnettes avant-gardistes pour la pièce de Carlo Gozzi, Le roi cerf. Les dadaïstes sont enthousiastes. C’est sa Tête Dadaen bois tourné de 1920 qui dissimule une partie de son visage sur la photo à l’entrée de l’exposition.
Vidéo : Marionnettes en mouvement par Marina Rumjanz (YouTube)
A cette époque, Arp développe à l’encre « un vocabulaire formel biomorphe aux « ovales mouvants » caractéristiques de son œuvre ». On les retrouve dans cette peinture en relief sur bois présentée comme un portrait de Tristan Tzara et intitulée « La mise au tombeau des oiseaux et papillons ». En 1922, les deux artistes se marient en Suisse. Sophie reçoit la nationalité allemande et prend le nom de Sophie Arp-Taeuber puis de Sophie Taeuber-Arp qu’on lui donne aujourd’hui. Ce qui m’a frappée, c’est comment avec des moyens très simples (lignes, formes, couleurs), ils n’ont cessé de créer du nouveau, et à quel point, un siècle plus tard, cela reste d’une étonnante modernité.
Sophie Taeuber-Arp, Eléments divers en composition verticale-horizontale, 1917, gouache et crayon sur papier, Mark Kelman, New York
Tous deux explorent à leur manière le motif de l’oiseau. Dans la Composition à motifs d’oiseaux de Sophie T. (ci-dessous), j’ai particulièrement aimé les lignes légèrement concaves qui font penser à une toile, un voile soulevé par la brise, ce qui accentue l’aspect aérien de l’œuvre. Lion – Oiseau, ce sont des encres de Hans Arp pour illustrer un recueil de Tristan Tzara.
Sophie Taeuber-Arp, Composition à motifs d'oiseaux, 1928, gouache et crayon sur papier, collection privée
Prenons la figure humaine, par exemple, qu’ils ont parfois approchée, toujours de façon abstraite. Sophie T. suggère un groupe de personnages rien qu’à l’aide de taches quadrangulaires ou par une déclinaison de rectangles pour des corps étendus. Hans A. montre deux têtes avec une ficelle sur une toile. Homme et femme (ci-dessous) est l’œuvre qui figure à l’affiche de l’exposition.
Sophie Taeuber-Arp, Taches quadrangulaires évoquant un groupe de personnages, 1920, gouache et crayon sur papier, Collection privée
Les formes circulaires ont été pour le couple un domaine d’exploration fécond : Hans privilégie l’ovale ou l’anneau nombril (voir le monocle sur sa photo). Sophie agence des cercles et d’autres formes géométriques. J’avoue avoir souvent préféré son travail – l’exposition révèle une femme artiste méconnue. Hans & Sophie ont aussi réalisé des œuvres ensemble, réunies dans une salle : Sculpture conjugale (en bois), Duo-peinture, Duo-dessins…
« Textile, peinture, dessin, design, sculpture, poésie : l’exposition que Bozar consacre à Hans/Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp permet de découvrir toutes les facettes du dialogue artistique permanent entre ces deux personnalités majeures de l’art abstrait au XXe siècle », écrit Jean-Marie Wynants dans Le Soir. Le petit Guide offert aux visiteurs propose des « Morceaux choisis » (correspondance, journaux, poèmes) très intéressants à lire pour prolonger la visite. Le catalogue magnifiquement illustré publié par le Fonds Mercator n’est disponible qu’en anglais. Compter deux heures au moins pour découvrir cette exposition très riche et variée, jusqu’au 19 janvier 2025.