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Belgique - Page 2

  • Anna de Noailles

    colette,anna de noailles,littérature française,réception à l’académie royale de langue et de littérature frança,4 avril 1936,colette à l’académie,discours de madame colette,extrait« Quand je revenais d’un été de campagne, hâlée, ayant travaillé au jardin, bêché, écaillé ma peau au soleil, à la mer et même au fourneau, je m’amusais à prendre dans ma main une des mains d’Anna de Noailles. Ses doigts et sa paume brillaient au creux de ma main comme la chair blanche d’une noix dans son écale sèche… C’est au gré de cette petite main lumineuse, levée au-dessus des draps dans un geste d’appel, que je m’approchai parfois, les deux ou trois dernières années de sa vie, du lit où gisait Madame de Noailles. Il était onze heures, ou midi, dehors. Dans la chambre, il était l’heure noire de dormir, de souffrir. Sauf l’appel de la petite main, je n’y voyais goutte, d’abord. Aussi blancs que le drap, son visage et son corps subtils pesaient peu, ne creusaient guère l’oreiller, et ses yeux ne pouvaient livrer leur rare couleur d’eau montagnarde dormant dans une coupe de granit. Mais un grand ruisseau de cheveux sombres, empiétant sur le front renversé, coulait au long d’une seule joue, et tarissait, effilé, sur une seule épaule. Doux cheveux fins, que Madame de Noailles ne sacrifia jamais à la mode ! Couchée, elle leur donnait une liberté relative, ramenés toujours sur une seule épaule, et elle les caressait tout en parlant. »

    Extrait du Discours de Madame Colette, Réception à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 4 avril 1936 in Colette à l’Académie

    Portrait de la comtesse Anna de Noailles, née princesse Anna Bibesco-Bassaraba de Brancovan
    par Philip Alexius de László, 1913 (collection Musée d’Orsay) (Wikimedia)

  • Colette à l'Académie

    Colette à l’Académie a été publié en 2023 par l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (Arllfb), à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Colette (1873-1954). Lors de la séance publique du 8 avril 2023, André Guyaux a rappelé qu’elle avait été élue « dans notre Académie » le 9 mars 1935 – dix ans avant de devenir membre de l’Académie Goncourt.

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    Ce petit recueil académique et sympathique ravive cet événement et permet de ressentir, presque un siècle plus tard, comment la personnalité et l’œuvre de Colette étaient perçues lors de sa réception à Bruxelles. La séance avait dû être reportée deux fois et se tint le 4 avril 1936 : Colette succédait à Anna de Noailles, première académicienne à y avoir été élue en 1921. Après Colette, Jean Cocteau prendra sa place de « membre littéraire étranger » au fauteuil 33.

    Le recueil reprend les deux discours prononcés pour ce 150e anniversaire : « Les heures longues : Colette et les guerres » par Bénédicte Vergez-Chaignon (c’est surtout dans les journaux qu’elle a écrit sur la guerre, puis dans ses textes de réflexions et souvenirs) et « Je suis devenue écrivain sans m’en apercevoir » par Antoine Compagnon (ce qu’avait déclaré Colette à l’Académie en 1936).

    Dans ce beau texte, Compagnon cite un conseil qu’elle aurait donné à Simenon recruté au Matin de Paris : « Vous êtes trop littéraire, il ne faut pas faire de littérature. Pas de littérature ! Supprimez toute la littérature et ça ira. » Colette disait aussi « Il y a trois parures qui me vont très mal : les chapeaux empanachés, les idées générales et les boucles d’oreille. » Dans un article de 1953, un an avant sa mort, elle qui pensait toujours avoir écrit son dernier livre a fini par reconnaître la difficulté de « finir » et son « besoin » d’écrire.

    Un bref article de Laurence Boudart, directrice des Archives & Musée de la Littérature, présente le contenu du dossier d’archives à propos de Colette, de ses contacts avec l’Académie, une relation qui a duré « quelque dix-huit ans ». Trois photos l’illustrent, de lettres adressées par Colette à Luc Hommel, alors Secrétaire perpétuel, dont l’une évoque un épanchement de synovie au genou dû à une chute sur le verglas – d’où le report de la séance de réception au  4 avril.

    La suite du recueil reprend les discours : celui du poète Valère Gille qui accueillit Colette et la réponse de celle-ci. Le premier rappelle un déjeuner où l’Académie française avait invité « notre jeune Académie » et où « le plus spirituel des Quarante – je ne le nommerai pas, afin que chacun des autres, puisse croire qu’il s’agit de lui – s’écria : « Des femmes à l’Académie ! mais le dictionnaire ne pourrait plus placer un mot ! » Son discours présente Colette, rend hommage à sa mère Sido, et cite tout au long de sa présentation des œuvres la belle prose de Colette, la jugeant pour conclure « si audacieusement romantique et si foncièrement classique ».

    Dans sa réponse (photo de couverture), Colette, qui s’étonne encore de ce qu’on l’appelle « écrivain » – « N’allez pas me plaindre de ce que la soixantaine me trouve encore étonnée. S’étonner est un des plus sûrs moyens de ne pas vieillir trop vite » – évoque d’abord la nostalgie que sa mère avait gardée « d’une adolescence qui s’écoula à Gand et à Bruxelles » et sa propre fierté de ne pas dire « Bruqcelles » à la française, ses souvenirs de visites familiales dans la capitale belge et le goût des « délicats poissons de la mer du Nord, waterzoï [sic], longues écrevisses de la Meuse ».

    Elle prononce surtout l’éloge d’Anna de Noailles et raconte leur amitié qui « se forma assez tard » : « A cette époque où sa beauté était celle d’une adolescente, le monde déjà accourait à elle : elle accueillait l’hommage avec la majesté et la gravité des enfants, et ne semblait ni profondément heureuse, ni enivrée, car rien ne guérit la mélancolie des élus. Son aurore couvait déjà le sombre vers que je lui donne comme devise : « Solitaire, nomade et toujours étonnée… » ».

    Dans son portrait émouvant d’Anna de Noailles, j’ai retrouvé cette phrase : « Le voyage n’est nécessaire qu’aux imaginations courtes. » Elle précède le récit d’une visite que la poétesse lui avait rendue dans son « petit jardin d’Auteuil, favorisé en mai et en juin d’une glycine torrentueuse, d’une tonnelle de roses, de rhododendrons à grands candélabres de fleurs, et d’un buisson d’essences odoriférantes ». La poétesse avait été enchantée de découvrir la mélisse, qu’elle ne connaissait que de nom.

    Le dernier texte de Colette à l’Académie est le discours de Jean Cocteau lors de sa réception à l’Arllfb le premier octobre 1955 : un éloge de Colette, qu’il rencontrait dans sa chambre parisienne au Palais-Royal. En voici un passage : « Ce n’est pas le lit de Léa qui compte [dans Chéri], c’est que Colette en soit le peintre et le jette hors de la mode, de l’espace et du temps, c’est qu’elle ramasse notre pauvre boue humaine et qu’elle en fasse des bulles de savon irisées, c’est que sa baguette transforme une vieille poule en chatte blanche de conte de fées et un gigolo, un rayé de gouttière en ce terrible petit fauve que les Anglais des Indes appellent golden-cat. »

  • A la Réserve

    Au début du mois, c’est le jaune des champs de colza qui m’avait enchantée près des bois de Monstreux. A la mi-mai, c’est le jaune des boutons d’or qui accueille les promeneurs près de la Lasne à Rixensart. Cette commune du Brabant wallon veille sur ses espaces naturels et en particulier sur les « derniers témoins des vastes ensembles de prairies marécageuses qui occupaient jadis les vallées brabançonnes » (site de Rixensart). 

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    Depuis notre dernière balade à cet endroit, le paysage a bien changé : à présent une Réserve gérée par Natagora, « organisation non gouvernementale qui défend et protège les espèces et les paysages menacés en Wallonie et à Bruxelles », ce site accueille des castors qui remodèlent les lieux et rendent à l’eau sa place naturelle.

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    Des passerelles en bois permettent de se promener au-dessus du sol marécageux et d’observer comment la faune et la flore en profitent, avec le coassement des grenouilles en bande sonore. Enfant ou adulte, c’est toujours gai de les repérer et de les voir sauter ici et là.

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    Plus loin, des tiges des roseaux secs se dressent entre les plantes et arbustes aquatiques, certaines sont dépouillées, d’autres encore plumeuses. Leur beige doré contraste avec le vert des feuillages au printemps et les épis flottants agrémentent le tableau.

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    De jour, on a peu de chance d’observer le castor, qui joue un rôle important dans la protection d’autres espèces. A défaut, on photographie les arbres et tout ce qui se reflète dans l’eau. On aperçoit des branches qui y sont tombées, des troncs entamés durant l’hiver. « Les saules peuvent représenter jusqu’à 90% de son alimentation, mais il s’adapte aussi aux ressources de son territoire » (Dossier Natagora).

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    « Grâce à lui et ses ingénieuses constructions de barrages et de chenaux, le castor fait apparaître des milieux aquatiques et humides, permettant ainsi l’apparition d’une végétation variée. Ce qui entraîne alors la venue de toutes sortes de batraciens, d’insectes, d’oiseaux, de poissons… qui peuvent trouver des zones de quiétude pour se reproduire, nicher ou tout simplement se nourrir. » (site de Rixensart)

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    Une cane juchée sur un piquet semble elle aussi absorbée par ce riche environnement tout de vert et d’or. En remontant vers les maisons, j’observe avec plaisir près du sentier l’eau vive qui se fraie un chemin dans tout ce jaune printanier et y ajoute son glouglou et sa clarté. Merci aux Rixensartois qui nous ont emmenés à la Réserve.

  • Qui je suis

    Bary Isabelle.jpg« Allongée sur le dos, les bras repliés sur le ventre, je fixe le plafond de ma petite chambre dans le noir. Qu’est-ce que j’ai dans la tête, après trente ans d’amour vivace avec un seul homme, à fantasmer sur une aventure avec le premier éphèbe venu, en pleine possession de ses moyens et dépossession de ses vêtements. Je joue à cache-cache avec le sommeil, m’assoupis dans les bras d’un inconnu pour me réveiller quelques minutes plus tard en sursaut au creux de Julien.
    Je pourrais cesser cette folie, rentrer dès demain à Bruxelles et ne plus jamais faire allusion à cette escapade. Imaginer qu’il ne s’agissait que d’un égarement né de ma perturbation hormonale. Un dérèglement que tous me pardonneraient. Julien le premier. Après quelques semaines de réarrimage, tout rentrerait dans l’ordre. Leur ordre.
    Et je ne saurais jamais qui je suis vraiment, isolée de mon clan.
    Les yeux à nouveau collés au plafond, je me promets solennellement de persévérer sur cette voie étrange où mon corps ressemble à un messager et les gens à des miroirs. »

    Isabelle Bary, Le second printemps

    Photo : Isabelle Bary / Séance de dédicace à Schaerbook ce samedi 17 mai (16.30-18h)

  • Le second printemps

    D’Isabelle Bary, j’ai beaucoup aimé lire Zebraska et j’ai apprécié qu’on m’offre Le second printemps, son dernier roman, gentiment dédicacé : « Puisse Le second printemps vous emporter sur le chemin d’Adèle et d’Emma. » Leur histoire est dédiée « aux femmes de Kaboul ».

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    Adèle Carlier, cinquante-deux ans, ressent soudain « une fatigue immense », celle des rôles qu’elle a joués jusqu’alors, « la femme, la mère, l’épouse » : « sur le fil tendu de ma vie, le curseur a laissé plus de place à hier qu’à demain. » Sa vie ressemblait au « perpétuel printemps » d’une femme « forte et courageuse, jolie, bien dans sa peau et dans son temps ».

    Libre, mais « sous influence ». Attirée par la littérature, elle avait choisi des études de biologie comme en rêvait son père, puis elle était « tombée dans les bras de Julien » et avait laissé sa vie tourner autour de cet amour. En plus de leurs deux fils, Jules et Sacha, elle « appartenait » à son mari, à ses parents, à ses amis, à son travail en laboratoire. Comme elle tenait un blog sur ses « enthousiasmes littéraires », un directeur de radio, Jean, l’avait contactée : il lui donnait carte blanche pour animer une émission littéraire trois fois par semaine. Elle avait quitté le labo. Elle écrivait aussi, sans arriver pour autant à écrire un roman digne d’être publié.

    Adèle se considérait comme une femme libre. Mais le conseil d’administration venait de décider l’arrêt de son émission et lui proposait de gérer un nouveau service culturel de la chaîne. Privée d’antenne, elle se sent désormais appartenir au passé. Dans un entretien à la RTBF, la romancière explique qu’au Japon, la ménopause est appelée « le second printemps ». Adèle : « Je suis alors loin d’imaginer qu’à Paris, au même moment exactement, une jeune femme chavire, elle aussi. Je ne connais pas son nom et j’ignore qu’un jour nos destins seront liés. Je ne sais même pas qu’elle existe. »

    C’est ainsi qu’Isabelle Bary introduit le personnage d’Emma, une jeune prof de philo qui vient d’apprendre le suicide d’une de ses élèves après avoir partagé un défi collectif risqué. Révoltée, Emma se décide alors à faire quelque chose à quoi elle pense depuis tout un temps : elle sort d’un tiroir un tissu bleu azur et s’en couvre la tête en le pliant dans les règles, « comme s’il exhalait un goût de liberté. » Le second printemps raconte comment ces deux femmes se révoltent, chacune à leur manière.

    Emma, née en Ouganda, adoptée par des parents américains, a grandi à New York puis à Paris. A quinze ans, elle avait été choquée d’apprendre le démantèlement d’un réseau d’escroquerie à l’adoption en Ouganda et s’était rebellée contre son éducation catholique en se jetant dans la lecture du Coran. A trente ans, elle accomplit un rituel secret pour se retrouver. Un personnage surprenant.

    Le récit passe de l’une à l’autre : à la première personne pour Adèle, à la troisième pour Emma. Le chemin qu’empruntera la première en prenant des vacances en solo pour la première fois de sa vie lui vaudra plusieurs rencontres importantes, celle de Jeanne, une femme plus âgée, indépendante et sereine, puis celle d’Emma. Le second printemps a pour thème la recherche d’un second souffle, dans une démarche plutôt féministe mais sans rupture avec les hommes pour autant. Ils ont leur place dans leur vie. Comment la vivre plus librement, c’est ce qu’Adèle et Emma cherchent à réaliser à un moment de bascule dans leur existence.

    Isabelle Bary brasse dans ce dernier roman des thèmes actuels, avec une grande curiosité pour les autres, abordés sans jugement a priori. Où la recherche d’une nouvelle façon d’être soi va mener ses personnages, c’est ce qui m’a poussée à lire le récit jusqu’au bout. La traversée de la cinquantaine par Adèle est assez banale, j’ai été davantage surprise par sa fascination pour Emma, aux réactions souvent inattendues. Jeanne incarne une autre façon de vieillir.

    Il me semble qu’un trop-plein d’explications alourdit le style, plutôt prosaïque. Montrer les situations, les rencontres, les gestes, sans pour autant tous les commenter, laisserait plus de place à l’imagination des lectrices et lecteurs. Fallait-il ajouter un épilogue ? Si vous lisez Le second printemps d’Isabelle Bary, n’hésitez pas à donner votre avis.