Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

extrait

  • Attachement

    le jeu des ombres,roman,littérature anglaise,etats-unis,couple,famille,peinture,culture,louise erdrich,extrait« Gil nourrissait pour sa famille une sorte d’attachement désespéré, car il savait que sur un plan fondamental tous se dérobaient à lui. Leurs sourires câlins, leurs compliments, leur rire forcé. Parfois il les croyait sincères. Parfois il savait qu’ils avaient peur de lui. Il leur avait à tous fait du mal, mais pas vraiment de façon durable. Il avait porté la main sur chacun d’eux, sans pourtant jamais laisser de marque physique. Ce n’était pas rien. Il était taciturne, déprimé, sarcastique, charmant. Il souriait quand Irène s’attendait à ce qu’il hurle, devenait affectueux en un éclair. Et il n’avait pas toujours été tellement en colère. En vérité, il avait besoin de toute l’attention d’Irène. Il l’avait eue, avant l’arrivée des enfants. Ceux-ci la lui avaient prise, et il avait été jaloux dès le début. »

    Louise Erdrich, Le jeu des ombres

  • Soleil en négatif

    jean-baptiste andrea,cent millions d'années et un jour,roman,littérature française,paléontologie,montagne,aventure,culture,extrait« Difficile d’imaginer que quatre hommes armés de pics et de leur rage puissent n’entamer que trente centimètres de glace sur un mètre de diamètre en trois jours. Cette glace est d’une densité exceptionnelle, remontée des entrailles du glacier par un hoquet tellurique. Elle cède atome par atome  à la morsure des piolets, elle se pulvérise sans jamais se fissurer. On aurait tort de se figurer cette lutte comme un combat entre deux matériaux, le métal et l’eau. Les forces à l’œuvre sont bien plus puissantes. L’haleine du glacier entier, profond de deux cents mètres à cet endroit, contre la volonté de quelques fous. Une onde de froid nous repousse, nous gèle le souffle, les membres et l’esprit. Si nous ne déblayons pas aussitôt la poussière que nous arrachons à la glace, elle se resolidifie presque instantanément. Ce glacier irradie comme un soleil en négatif. »

    Jean-Baptiste Andrea, Cent millions d’années et un jour

  • Encore là

    Desarthe Le Château des Rentiers.jpg« A regarder mes grands-parents et leurs amis, on ne craignait pas de devenir vieux. Car vieux ne signifiait pas « bientôt mort ». Vieux signifiait « encore là ». Vieux, au Château des Rentiers, était synonyme de temps. Non pas du peu de temps qu’il reste, mais du temps dont on dispose pour faire exactement ce que l’on a envie de faire. Le temps était celui, délicieux et coupable, du sursis. Ils avaient survécu. Ils sur-vivaient et conjuguaient ce verbe au pied de la lettre : vivant supérieurement, et discrètement aussi, à la façon des superhéros, dont les superpouvoirs sont enivrants et doivent demeurer secrets. »

    Agnès Desarthe, Le Château des Rentiers

  • A proprement parler

    muriel cerf,la femme au chat,roman,littérature française,couple,chat,chien,culture,extrait« William donc, at five, prenait le thé, et si ce n’était pas du thé, oubliant tout alibi anglomane, du café, du chocolat, de la brioche, des tartines, une glace, solides et liquides censés réparer des forces mises à l’épreuve par une énième prouesse domestique. Et lorsque Willy exerçait, la bonne âme, ses talents de pâtissier, c’était face à une épouse que renvoyaient à l’anorexie la seule perspective de collationner au beau milieu de l’après-midi, et le bloc compact de ce cake fauve aux tranches grenues, et les rectangles dodus, liserés d’or brun, de ces financiers aux amandes qui étaient à proprement parler la madeleine de William, sa mère lui ayant appris la recette, entre V. et Saint-Brévin-les-Pins, de cette douceur du même ordre que l’illustre proustienne – d’un petit gâteau à pâte molle que William trempait, lui, dans un café viennois houppé de crème Chantilly, plus volontiers que dans la sobre transparence d’un thé… »

    Muriel Cerf, La femme au chat

  • Marie-Louise

    william trevor,en lisant tourgueniev,roman,littérature anglaise,mariage,famille,asile,amour,solitude,culture,irlande,extrait« Marie-Louise », murmure-t-elle en cette matinée qui suit l’arrivée inopinée de son visiteur. « Marie-Louise Dallon. Madame Querry, en fait. » C’est un homme âgé maintenant, et ses sœurs encore plus. Il a devant lui quoi ? une douzaine d’années, mettons quatorze ou quinze, mais les sœurs, elles, sont inusables. Il prend toujours en charge sa pension dans l’établissement de Miss Foye, comme depuis le premier jour. Il y a des années, les sœurs ont essayé de faire adresser la note à Culleen, mais son père n’avait pas les moyens. « Quel brave homme, votre mari ! » lui répète Miss Foye. Il faut dire qu’elles sont un certain nombre à n’avoir personne pour subvenir à leur pension : celles qui occupent les dortoirs collectifs dépourvus de tout confort, celles qui n’ont droit qu’à la vaisselle de tôle émaillée. Un brave homme, oui, qui s’est adonné à la boisson. Il n’y est pour rien, s’ils ont décidé de fermer ce genre d’institution. On regroupera les plus agitées, on leur trouvera un autre asile. Elle n’a jamais fait partie des agitées.
    Une silhouette émerge de la pénombre et vient s’asseoir sur le bord de son lit, emmitouflée dans une couverture. C’est Mme Leavy, de Youghal, qui est venue lui raconter ses rêves.
    Elle l’écoute, et puis c’est à son tour de raconter les siens. »

    William Trevor, En lisant Tourgueniev

    © Nikolaas Eekman (1889 - 1973), Femme lisant