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  • Bonnard et le Japon

    Jusqu’au 6 octobre, l’Hôtel de Caumont présente Bonnard et le Japon, un excellent aperçu des rapports de Bonnard avec le japonisme, dans une présentation à la fois didactique et esthétique. Autour des œuvres issues de collections particulières ou de musées, le décor est particulièrement soigné : couleurs, motifs, citations… De très belles estampes de la collection Leskowicz, signées Hiroshige, Kuniyoshi…, accompagnent les œuvres de Bonnard de salle en salle.

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    Au centre : Pierre Bonnard, La promenade des nourrices, frise des fiacres, 1897, Le Cannet, Musée Bonnard

    Dans le premier des salons historiques qu’on traverse avant d’entrer à l’exposition, j’ai remarqué une petite commode marquetée sous le buste de Pauline de Caumont. Si le motif central évoque un salon de musique, la marqueterie sous le marbre illustre le thème du thé : sucrier, théière, tasse, crémier – de quoi plaire aux amateurs et peut-être une allusion discrète au Japon.

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    Petite commode marquetée dans le premier salon de l'Hôtel de Caumont

    Le paravent de La promenade des nourrices dans la salle titre (première photo) vient du musée Bonnard (Le Cannet). Il représente une scène de rue, place de la Concorde à Paris, « une composition audacieuse où les trois quarts de la surface sont occupés par le fond vierge du support ». Personnages traités en aplats comme dans les estampes (nourrices, enfants, petits chiens), équilibre des vides et des pleins, l’influence japonaise est visible dans cette suite de quatre feuilles lithographiées en cinq couleurs.

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    Pierre Bonnard, Femmes au jardin (Femme à la robe à pois blancs, Femme assise au chat,
    Femme à la pèlerine, Femme à la robe quadrillée)
    , 1890-1891, détrempe à la colle sur toile, panneaux décoratifs, Paris, musée d’Orsay

    Dans le groupe des Nabis, Bonnard (1867-1947) fut surnommé « le Nabi très japonard ». Conçus au départ pour un paravent, les quatre panneaux des Femmes au jardin du musée d’Orsay représentent des silhouettes élancées, « accentuées par les lignes en arabesque et par le format allongé inspiré des kakémonos japonais. » Autour d’elles, la végétation est stylisée, les animaux en mouvement.

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    Pierre Bonnard, Femmes et fleurs, projet d’éventail, 1895, aquarelle, gouache et encre de Chine,
    Amsterdam, musée Van Gogh.

    Plus loin, on verra Deux jeunes femmes dans un pré, une encre de Chine et aquarelle (1890) où un massif de roses domine devant deux figures féminines, toute en tons de rose et de vert. Sur ce thème des femmes et des fleurs, j’ai aimé ce projet d’éventail (ci-dessus) dont je vous invite à apprécier la composition et les détails en agrandissant la photo.

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    Pierre Bonnard, couverture de l'Album d'estampes originales de la galerie Vollard (détail), 1897

    Parmi les illustrations de Pierre Bonnard, outre « France-Champagne » et « La Revue Blanche », voici un détail de la couverture conçue pour un Album d’estampes originales de la Galerie Vollard (1897) – j’aime son graphisme et le chat, bien sûr.

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    Pierre Bonnard, Paris, Intérieur, A la lumière de la lampe, vers 1912, huile sur toile, Milan, Galleria d'Arte Moderna
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    Pierre Bonnard, Femme tenant un chien sur ses genoux, 1914, huile sur toile, 68 x 50,2 cm, Musée de Grenoble

    Les petits félins nombreux dans l’œuvre de Bonnard n’étaient pas les siens, mais ceux des voisins. Lui avait des chiens, comme le teckel d’une petite toile en vitrine accrochée au-dessus d’une édition des Histoires naturelles de Jules Renard qu’il a illustrées, ou ceux de Femme tenant un chien sur ses genoux à côté de Paris, Intérieur, A la lumière de la lampe.

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    Pierre Bonnard, L’omnibus, vers 1895, huile sur toile, collection particulière.

    Chez ce coloriste formidable, le jaune était le bienvenu, comme on peut l’observer déjà dans une petite toile, Au bar : une femme assise dont la robe, au premier plan, se détache à peine sur le décor du même ton, à la différence des silhouettes en noir à l’arrière-plan. A l’inverse, dans L’omnibus, une passante en noir semble entraînée dans le mouvement de l’énorme roue jaune vif de l’omnibus derrière elle. Le brun et le jaune étaient les couleurs des omnibus dans le quartier des Batignolles où Bonnard avait son atelier.

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    Pierre Bonnard, Le jardin de Paris, 1896-1902. Huile sur toile. Collection particulière, Paris

    A Paris, la place Clichy près de laquelle il habite et le boulevard lui inspirent des scènes animées par le mouvement des passants, la circulation, des gens aux terrasses. Sur une grande toile, Le jardin de Paris, on voit les chapeaux extraordinaires que portaient les dames en soirée – comme celui couvert de roses de la dame en blanc au premier plan.

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    Pierre Bonnard, Terrasse dans le Midi, vers 1925, huile sur toile, Grenoble, Fondation Glénat

    C’est si gai de découvrir d’un artiste qu’on aime des œuvres qu’on ne connaît pas. Ainsi La charmille, une petite huile où la verdure domine mais où l’on devine deux silhouettes en robe gris perle, comme décrit ici, dans un parallèle avec La cueillette de Vuillard. Espace ouvert, en contraste, pour Terrasse dans le Midi, un rare format carré. Bonnard n’aimait pas les formats tout faits, les dimensions données d’avance et peignait sur des toiles sans châssis, punaisées au mur, surtout pour les paysages comme celui de cette Conversation provençale (Galerie nationale, Prague).

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    Pierre Bonnard, Conversation provençale, huile sur toile, retravaillée en 1927, 129 × 201cm, Prague, Galerie nationale

    Scènes familiales, tables, bouquets, et bien sûr Marthe (au crayon, à l’encre de Chine, à l’huile) à l’intérieur, dans l’intimité, au jardin... Des nus (très beau Nu accroupi (Dina Vierny)Bonnard et le Japon permet de découvrir le parcours du peintre sans le réduire aux toiles chatoyantes les plus célèbres. Surprise de découvrir L’amandier en fleurs moucheté de rouge : ce n’est pas la dernière toile retouchée par Bonnard avant sa mort, si lumineuse et émouvante, mais une première version de 1930.

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    Pierre Bonnard, Le jardin au Cannet (détail), 1945. Huile sur toile 63,5 x 53 cm
    Musée de l’Abbaye / donation Guy Bardone – René Genis, Saint-Claude

    Pour terminer ce billet, j’hésite entre deux coups de cœur : La petite fenêtre (la vue depuis la chambre à coucher de sa maison) et Le jardin au Cannet. Voici cette « symphonie joyeuse et estivale où la nature est magnifiée » (Saint-Claude, Musée de l’abbaye).

  • Suspense au Louvre

    Conserver, restaurer, montrer… Dans L’allègement des vernis, son premier roman, Paul Saint Bris fait mouche : dans « le plus beau musée du monde », il confronte Aurélien, directeur du département des peintures, à la nouvelle présidente-directrice du Louvre. Daphné Léon-Delville est la première nommée par l’Etat à cette fonction sans être issue du « corps des conservateurs du patrimoine ». A cette femme au « pragmatisme désinhibé » qui a « considérablement amélioré la visibilité » du musée dans les médias et sur les réseaux sociaux, Aurélien trouve « un air de ressemblance avec le Portrait d’une jeune femme de Lübeck tenant un œillet de Jacob van Utrecht ».

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    Source : La Joconde en réalité virtuelle chez vous (louvre.fr)

    Directeur artistique dans la publicité et photographe, le romancier confie dans un entretien sur Lecteurs.com « une forme de désenchantement » vécue parfois dans son métier, comme c’est le cas ici pour Aurélien. Ce quasi thriller esthétique soulève des questions fondamentales qui se posent aujourd’hui aux musées. D’abord la question devenue première à notre époque, celle des moyens financiers : comment diminuer la part des fonds publics dans le budget du musée ? (En Belgique, les Musées royaux des Beaux-Arts ont depuis peu un nouveau directeur peut-être choisi pour son profil plus gestionnaire que les précédents. Qui vivra verra.)

    A l’ordre du jour de la réunion mensuelle des directeurs des huit départements du Louvre et des onze directions de service, un audit sur la fréquentation du musée. Les chiffres sont devenus « data » ou « metrics » entre autres termes mercatiques dans la présentation des données. « Pour résumer, la situation était bonne, mais pas optimale. » Dix millions de visiteurs annuels en 2018, puis une stabilisation à neuf millions, c’était une limite acceptée jusque-là, un bon compromis entre circulation des visiteurs et respect des collections.

    Mais un million d’entrées en plus n’était pas à dédaigner ; il serait possible d’améliorer les « flux » à l’aide de technologies discrètes. La pandémie avait diminué le nombre de touristes, la préoccupation de l’empreinte carbone ralenti les intentions de voyage, aussi fallait-il déployer de nouvelles stratégies pour attirer plus de visiteurs au Louvre. C’est ainsi qu’apparaît le thème majeur du roman : La Joconde étant l’œuvre la plus connue, la plus désirée du public, il serait bon de procéder à « l’allègement des vernis » pour lui rendre son « éclat originel » et « capter chaque année onze à douze millions de visiteurs avides de voir et revoir le chef-d’œuvre ».

    En contrepoint de ce duo à la tête du Louvre, on suit le personnage de Homéro, employé par une société chargée de l’entretien du musée. Affecté d’abord au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, il s’épanouit dans ce travail qu’il exécute en musique sur son autolaveuse : danser de temps en temps avec les statues devient « une des grandes joies de son existence ». Lorsqu’une vidéo de surveillance est montrée à la responsable des salles, Hélène, celle-ci le convoque pour l’appeler à la prudence ; il lui propose alors de mettre son casque audio sur les oreilles et le spectacle vidéo devient quasi poétique. Hélène y sera sensible.

    Aurélien espérait que la restauration de La Joconde n’était qu’une suggestion audacieuse, mais malgré ses mises en garde, la présidente du Louvre tient à ce qu’il réunisse discrètement des experts pour examiner la proposition. Leur vote final sera favorable. Eduqué dans le culte de la beauté, heureux dans la compagnie des œuvres au musée, Aurélien se rend compte du décalage de plus en plus marqué entre ses conceptions esthétiques et l’air du temps. Pour Claire, sa compagne, c’est tout l’inverse et ils s’éloignent l’un de l’autre.

    L’allègement des vernis raconte cette improbable entreprise de restauration en nous promenant dans le monde de l’art, en France et en Italie. Placée en épigraphe de la première partie, la citation de Vincent Delieuvin, conservateur en chef au musée du Louvre, va prendre corps dans un formidable suspense : « La Joconde est condamnée à ne plus jamais être observée comme elle devrait être observée, c’est-à-dire dans un tête-à-tête. » Voilà exactement ce que va vivre le restaurateur du tableau.

    J’ai été captivée par ce roman érudit mais jamais pesant, souvent drôle même, pour tout ce qu’il nous apprend et pour sa charge ironique. Paul Saint Bris rencontre les préoccupations des amateurs d’art inquiets des dérives d’un monde de plus en plus livré à la consommation des images et à la gestion des musées, au prix parfois d’une certaine perte de sens.

  • Astrale

    Zweig Le roi Jean par William Blake.jpg« Il est révélateur que de tous les grands personnages anglais, celui qui fascinait le plus Zweig était le roi Jean, un homme instable, entreprenant, qui fut non seulement dessiné par William Blake mais mis en scène par Shakespeare. Zweig était fasciné par Blake qu’il décrivait comme « une de ces natures magiques qui, sans voir clairement leur chemin, sont portées par leurs visions, comme par des ailes d’ange, à travers les espaces vierges de l’imaginaire. » Nous sommes loin des goûts simples des Anglais qu’il vantait, « les chats, le football et le whisky ». Stefan Zweig avait acheté le portrait du roi Jean par Blake au début de sa vie de collectionneur et il le conservait jalousement, comme Freud la petite statuette d’Athéna qu’il avait emportée en exil à Londres. « Entre tous mes livres et tous mes tableaux, ce dessin m’a accompagné plus de trente ans ; que de fois depuis le mur, le regard magiquement éclairé de ce roi fou est tombé sur moi ! De tous les biens que j’ai perdus ou qui sont loin de moi, écrit Zweig, c’est ce dessin que je regrette le plus dans mes pérégrinations. Le génie de l’Angleterre que je m’étais efforcé de saisir dans les rues et les villes, s’était brusquement révélé à moi dans la figure véritablement astrale de Blake. »

    George Prochnik, L’impossible exil. Stefan Zweig et la fin du monde

    William Blake, Le roi Jean (source)

  • Un précurseur

    Ensor Autoportrait à la lampe.jpg« Un homme blessé par la vie, l’incompétence des êtres, peut, soit être détruit, soit devenir un génie, et c’est cette seconde voie qu’il avait choisie. Son humour caustique, son ironie, son goût pour l’observation ont dominé son envie de revanche sur tous ceux qui l’avaient couvert de leurs sarcasmes, sur leurs outrages et leur dédain vis-à-vis de son œuvre. Ce qui était inévitable, car la population n’admettait pas encore que les peintres puissent avoir une autre vision que celle des représentants du monde académique. Ensor était un précurseur dans son art, où il a ouvert une nouvelle voie, tant dans la recherche chromatique que dans sa vision très personnelle du monde. »

    Juliette Daveluy, James Ensor in Catalogue de la rétrospective Ensor, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 1999-2000

    James Ensor, Autoportrait à la lampe, 1886, Crayon Conté et fusain sur papier collé sur carton,
    Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

  • D'Ensor et Balzac

    « Ensor, l’artiste qui a trouvé le monde entier en Belgique » : un article très intéressant d’Helen Lyons dans The Brussels Times (signalé par Colo, merci), m’a incitée à lire Jésus-Christ en Flandre, court récit de Balzac intégré dans ses Etudes philosophiques, dédié à Marceline Desbordes-Valmore : « A vous, fille de la Flandre et qui en êtes une des gloires modernes, cette naïve tradition des Flandres. » C’était l’une des histoires préférées de James Ensor que lui racontait son père, selon laquelle Jésus-Christ a fait ses derniers pas sur terre à Ostende, en Belgique.

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    James Ensor, Le Christ apaisant la tempête, 1906, huile sur toile, Bruxelles, musée d’Ixelles

    Quand en dernière minute, un voyageur monte à bord d’une barque qui reliait l’île de Cadzant aux côtes de la Flandre, à une époque où « la riche Ostende était un havre inconnu », il y a déjà sept personnes à l’arrière, « séparées de l’avant par le banc des rameurs » : des nobles, un bourgeois avec son domestique, un docteur en science avec son clerc. Le dernier venu cherche alors une place à l’avant, parmi « de pauvres gens » (un vieux soldat, une jeune mère, un paysan et son fils, une « pauvresse ») qui le voyant « tête nue », habillé simplement, le prennent pour « un bourgmestre bon homme et doux comme quelques-uns de ces vieux Flamands dont la nature et le caractère ingénus ont été si bien conservés par les peintres du pays. »

    Balzac décrit l’embarquement, les attitudes des uns et des autres, puis le spectacle de la mer et du ciel qui changent soudain, à l’approche d’Ostende. La tempête éclate. « Nous périssons ! » s’écrient les gens de l’arrière, quand une lueur éclaire le dernier passager : « Ses cheveux d’or, partagés en deux bandeaux sur son front tranquille et serein, retombaient en boucles sur ses épaules, en découpant sur la grise atmosphère une figure sublime de douceur et où rayonnait l’amour divin. » A la vieille femme pauvre qui craint de mourir sans absolution, il dit : « Ayez la foi, et vous serez sauvée. »

    Le pilote mène adroitement la chaloupe à cinquante pas du rivage quand « une convulsion de la tempête » la fait soudain chavirer. « L’étranger au lumineux visage » les invite alors à le suivre et à marcher sur les flots. Les passagers de l’avant lui font confiance et le suivent, ceux de l’arrière se noient, l’un voulant emporter son or, les autres victimes de leur incrédulité. Sauvés, les naufragés se réfugient dans la cabane d’un pêcheur, « puis le Sauveur disparut ». On bâtit là « le couvent de la Merci, où se vit longtemps l’empreinte que les pieds de Jésus Christ avaient, dit-on, laissée sur le sable. En 1793, lors de l’entrée des Français en Belgique, des moines emportèrent cette précieuse relique, l’attestation de la dernière visite que Jésus ait faite à la terre. »

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    James Ensor, La Cathédrale, 1886, eau-forte, collection KBR

    C’est dans l’église de ce couvent que se trouve le narrateur après la révolution de 1830, « fatigué de vivre »se mettre à, dans la seconde partie du récit. En regardant les piliers, les roses, les galeries, les colonnes, les vitraux, les arcs, soudain illuminés par le soleil, il les voit vibrer, danser même, « sans changer de place ». Les orgues font entendre une « harmonie divine » et lui-même se sent entraîné dans ce « sabbat étrange », sous la « malicieuse bienveillance » du Christ de l’autel. Une voix criarde le sort de cette « extase molle et douce » : une vieille femme desséchée l’entraîne hors de l’église, porteuse d’une révélation. A la fin de Jésus-Christ en Flandre, la vieille (qui incarne une Eglise usée par les compromissions) sera transfigurée en éblouissante jeune fille (l’Eglise peut retrouver son rayonnement).

    Pour le peintre ostendais, qui critique les prêtres, médecins, gouvernants…, « La figure mythique du Christ correspond au moi idéal ensorien. » (Encyclopedia universalis) Comme son père (britannique) qui n’a jamais trouvé sa place en Belgique, James Ensor a passé une grande partie de sa vie à se sentir incompris et rejeté par des gens dont il n’était pas tout à fait sûr de vouloir l’approbation. Comme tant d’artistes qui osent perturber, provoquer, séduire, voire repousser, l’appréciation de ses compatriotes est venue tard et lui a apporté peu de joie. Il trouvait certainement un certain réconfort et une justification dans cette histoire dans laquelle le Christ lui-même est venu en Flandre sans être reconnu de tous.

    Selon Xavier Tricot, spécialiste d’Ensor, l’artiste aimait Ostende, mais pas les Ostendais. Dans la bibliothèque de sa maison d’enfance, dans la boutique de curiosités de sa mère et au carnaval annuel d’Ostende, Ensor trouvait le monde entier, même si ses deux pieds étaient plantés sur les plages grises et humides de Belgique. « En fin de compte, on s’habitue à la vie à Ostende et aux maux qui affectent sa famille », écrivait-il dans une lettre à des amis en 1896 (traduction de l’article en anglais). « Mais quelle solitude ! Comme il est difficile d’être coupé de tout après avoir eu tant de succès ! Je me réconforte un peu en travaillant – je peins constamment des masques. Ils se regardent furieusement, reflétant ce que je ressens. »