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art

  • Un précurseur

    Ensor Autoportrait à la lampe.jpg« Un homme blessé par la vie, l’incompétence des êtres, peut, soit être détruit, soit devenir un génie, et c’est cette seconde voie qu’il avait choisie. Son humour caustique, son ironie, son goût pour l’observation ont dominé son envie de revanche sur tous ceux qui l’avaient couvert de leurs sarcasmes, sur leurs outrages et leur dédain vis-à-vis de son œuvre. Ce qui était inévitable, car la population n’admettait pas encore que les peintres puissent avoir une autre vision que celle des représentants du monde académique. Ensor était un précurseur dans son art, où il a ouvert une nouvelle voie, tant dans la recherche chromatique que dans sa vision très personnelle du monde. »

    Juliette Daveluy, James Ensor in Catalogue de la rétrospective Ensor, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 1999-2000

    James Ensor, Autoportrait à la lampe, 1886, Crayon Conté et fusain sur papier collé sur carton,
    Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

  • D'Ensor et Balzac

    « Ensor, l’artiste qui a trouvé le monde entier en Belgique » : un article très intéressant d’Helen Lyons dans The Brussels Times (signalé par Colo, merci), m’a incitée à lire Jésus-Christ en Flandre, court récit de Balzac intégré dans ses Etudes philosophiques, dédié à Marceline Desbordes-Valmore : « A vous, fille de la Flandre et qui en êtes une des gloires modernes, cette naïve tradition des Flandres. » C’était l’une des histoires préférées de James Ensor que lui racontait son père, selon laquelle Jésus-Christ a fait ses derniers pas sur terre à Ostende, en Belgique.

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    James Ensor, Le Christ apaisant la tempête, 1906, huile sur toile, Bruxelles, musée d’Ixelles

    Quand en dernière minute, un voyageur monte à bord d’une barque qui reliait l’île de Cadzant aux côtes de la Flandre, à une époque où « la riche Ostende était un havre inconnu », il y a déjà sept personnes à l’arrière, « séparées de l’avant par le banc des rameurs » : des nobles, un bourgeois avec son domestique, un docteur en science avec son clerc. Le dernier venu cherche alors une place à l’avant, parmi « de pauvres gens » (un vieux soldat, une jeune mère, un paysan et son fils, une « pauvresse ») qui le voyant « tête nue », habillé simplement, le prennent pour « un bourgmestre bon homme et doux comme quelques-uns de ces vieux Flamands dont la nature et le caractère ingénus ont été si bien conservés par les peintres du pays. »

    Balzac décrit l’embarquement, les attitudes des uns et des autres, puis le spectacle de la mer et du ciel qui changent soudain, à l’approche d’Ostende. La tempête éclate. « Nous périssons ! » s’écrient les gens de l’arrière, quand une lueur éclaire le dernier passager : « Ses cheveux d’or, partagés en deux bandeaux sur son front tranquille et serein, retombaient en boucles sur ses épaules, en découpant sur la grise atmosphère une figure sublime de douceur et où rayonnait l’amour divin. » A la vieille femme pauvre qui craint de mourir sans absolution, il dit : « Ayez la foi, et vous serez sauvée. »

    Le pilote mène adroitement la chaloupe à cinquante pas du rivage quand « une convulsion de la tempête » la fait soudain chavirer. « L’étranger au lumineux visage » les invite alors à le suivre et à marcher sur les flots. Les passagers de l’avant lui font confiance et le suivent, ceux de l’arrière se noient, l’un voulant emporter son or, les autres victimes de leur incrédulité. Sauvés, les naufragés se réfugient dans la cabane d’un pêcheur, « puis le Sauveur disparut ». On bâtit là « le couvent de la Merci, où se vit longtemps l’empreinte que les pieds de Jésus Christ avaient, dit-on, laissée sur le sable. En 1793, lors de l’entrée des Français en Belgique, des moines emportèrent cette précieuse relique, l’attestation de la dernière visite que Jésus ait faite à la terre. »

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    James Ensor, La Cathédrale, 1886, eau-forte, collection KBR

    C’est dans l’église de ce couvent que se trouve le narrateur après la révolution de 1830, « fatigué de vivre »se mettre à, dans la seconde partie du récit. En regardant les piliers, les roses, les galeries, les colonnes, les vitraux, les arcs, soudain illuminés par le soleil, il les voit vibrer, danser même, « sans changer de place ». Les orgues font entendre une « harmonie divine » et lui-même se sent entraîné dans ce « sabbat étrange », sous la « malicieuse bienveillance » du Christ de l’autel. Une voix criarde le sort de cette « extase molle et douce » : une vieille femme desséchée l’entraîne hors de l’église, porteuse d’une révélation. A la fin de Jésus-Christ en Flandre, la vieille (qui incarne une Eglise usée par les compromissions) sera transfigurée en éblouissante jeune fille (l’Eglise peut retrouver son rayonnement).

    Pour le peintre ostendais, qui critique les prêtres, médecins, gouvernants…, « La figure mythique du Christ correspond au moi idéal ensorien. » (Encyclopedia universalis) Comme son père (britannique) qui n’a jamais trouvé sa place en Belgique, James Ensor a passé une grande partie de sa vie à se sentir incompris et rejeté par des gens dont il n’était pas tout à fait sûr de vouloir l’approbation. Comme tant d’artistes qui osent perturber, provoquer, séduire, voire repousser, l’appréciation de ses compatriotes est venue tard et lui a apporté peu de joie. Il trouvait certainement un certain réconfort et une justification dans cette histoire dans laquelle le Christ lui-même est venu en Flandre sans être reconnu de tous.

    Selon Xavier Tricot, spécialiste d’Ensor, l’artiste aimait Ostende, mais pas les Ostendais. Dans la bibliothèque de sa maison d’enfance, dans la boutique de curiosités de sa mère et au carnaval annuel d’Ostende, Ensor trouvait le monde entier, même si ses deux pieds étaient plantés sur les plages grises et humides de Belgique. « En fin de compte, on s’habitue à la vie à Ostende et aux maux qui affectent sa famille », écrivait-il dans une lettre à des amis en 1896 (traduction de l’article en anglais). « Mais quelle solitude ! Comme il est difficile d’être coupé de tout après avoir eu tant de succès ! Je me réconforte un peu en travaillant – je peins constamment des masques. Ils se regardent furieusement, reflétant ce que je ressens. »

  • Antica Brussels 2024

    C’est un grand plaisir de retrouver Antica Brussels (ex-Eurantica) sur le site de Tour & Taxis, cadre de la Brafa autrefois. Environ 70 exposants, plus de peintures que de sculptures et peu de mobilier, des vases, beaucoup de bijoux scintillant sous les spots, de la très belle vaisselle – il y en a pour tous les goûts.

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    Hans Wilt, Sous un ciel d'argent, Tempera sur carton, 1916, 78,5 x 93,5 cm

    Connaissez-vous Hans Wilt (1867-1917) ? Sous un ciel d’argent est le premier tableau qui me retient. Un peintre autrichien connu « pour ses marines et ses paysages, mais également pour ses scènes de ville, représentant des marchés, des places viennoises, des parcs […] », peut-on lire sur le site de la galerie Ary Jan. Elle montre entre autres de très belles vues nocturnes de Paris par Edouard Cortès et des élégantes de Toussaint (1873-1956) au charme suranné.

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    Franz Unterberger, Castellamare – Golfe de Naples, s.d., huile sur toile, 75,5 x 144,5 cm

    Une grande toile, Castellamare – Golfe de Naples, est signée d’un autre Autrichien, Franz Unterberger (1838-1902). Presque deux fois plus large que haute, elle représente un bord de mer lumineux et très animé : près des barques de pêche, sur la plage, de nombreux personnages composent une scène très vivante, formidablement fouillée.

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    Paire de vases gourdes en émaux cloisonnés (galerie Lamy)

    Sans transition, j’observe un stand d’antiquités orientales dont les vitrines contiennent de petits objets précieux : bijoux, flacons, boîtes, éventails… J’y admire surtout une paire impressionnante de grands vases gourdes en émaux cloisonnés : Chine, XIXe, j’imagine, ils ont leur col en forme de bulbe et des anses dragons. Un magnifique oiseau bleu et blanc y déploie ses ailes sur un fond turquoise orné de pivoines, dressé sur un sol jaune pâle. Quelles merveilles !

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    © Anto Carte, La dame au chapeau, 1914, huile sur toile, 70,5 x 54 cm

    Remarkable Paintings présente surtout des peintures belges du XIXe siècle. Je craquerais volontiers pour des Vases fleuris de Jehan Frison. Voici une toile d’Anto Carte qui m’étonne, datée de 1914, La dame au chapeau. Ce beau portrait n’est pas encore dans la veine à la fois symboliste et expressionniste qui a fait sa renommée, mais la pureté du visage montre déjà la grande humanité de cet artiste resté attaché à la figuration. Parmi les fondateurs du groupe Nervia en 1928, il en est aujourd’hui le membre le plus coté.

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    © Hervé t’Sterstevens, Ecureuil au seuil…, bronze

    Parmi les bronzes animaliers d’un sculpteur contemporain, Hervé t’Sterstevens, un écureuil en mouvement attire mon attention. Je ne connaissais pas cet artiste au parcours étonnant, d’après ce qu’on peut lire sur son site. Un reportage récent du Jardin extraordinaire m’a appris que l’écureuil était cousin avec la marmotte. J’aime cette forme circulaire qui le montre en plein bond, pas vous ?

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    Charles Schneider, Vase aux coprins, Le Verre français, 1923-1926

    L’Art nouveau et l’Art déco restent des valeurs sûres dans les foires. J’ai d’abord cru que le col de ce vase pansu, posé dans le bas d’une vitrine, formait le cœur d’une fleur, quand l’exposant (Antiques Emporium) s’est approché pour corriger mon impression : c’est un vase aux coprins de Charles Schneider (Le verre français). Il m’a montré de près ce vase joliment moucheté de bleu cyan pour que je voie mieux l’herbe (couleur prune) d’où émergent les champignons d’un beau rouge écarlate. Superbe.

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    Paravent Les heures du jour, lithographies de Mucha

    Chez un autre antiquaire néerlandais, Het Ware Huis, un délicieux paravent orné de quatre lithographies de Mucha illustre Les heures du jour (1899) : Éveil du matin, Éclat du jour, Rêverie du soir, Repos de la nuit. Il vous plaît ? Cliquez ici pour en apprécier les détails.

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    © Konstantina, Negative Space : Djurali Mullumbimby Pink, 2023,
    Pigments naturels & acrylique sur toile

    Sur le stand des Arts d’Australie, j’admirais Negative Space : Djurali Mullumbimby Pink (2023) quand le galeriste est venu me présenter cette toile de Konstantina. L’œuvre fait partie d’une série de diptyques où elle explore son identité aborigène. Dans une vidéo, elle parle de sa peau très blanche, ce qui la rend fière et la trouble à la fois, depuis qu’elle se sait descendante du peuple Gadigal. Djurali rend hommage au Bangalow Palm Tree, un palmier dont les aborigènes utilisent l’écorce. « A la manière d’une ombre chinoise, la silhouette végétale de l’espèce représentée s’incarne par un assemblage de pointillés finement apposés ou se soustrait à son environnement, laissant derrière elle l’empreinte de son absence révélée par ses contours de points. » (Arts d’Australie)

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    Antica Brussels 2024

    Que de choses à voir ! Un bel ensemble de gravures de Delvaux accrochées un peu trop haut pour le regard. Un grand Claustra de cuivre étamé et sculpté au chalumeau par Pierre Sabatier. Bien encadrées, des aquarelles d’Alexandre Graverol (le père de Jane G.) – en ligne une variante de Verlaine, la muse absinthe – à rapprocher de celle de Privat Livemont. Des éditions originales de Banksy vendues pour des motifs humanitaires… On espère qu’Antica, en plus du salon de Namur en automne, a trouvé pour de bon ses marques à Bruxelles et y reviendra à chaque printemps.

  • La porte ouverte

    chantal thomas,de sable et de neige,récit,littérature française,enfance,famille,femme,arcachon,cap ferret,kyoto,voyage,chambre,art,culture,photographie« Il faut qu’elle ait un ménage, il faut qu’elle soit mariée », martèle Michelet. Ca ne se discute pas. Proposez un jouet à une petite fille, « elle choisira certainement des miniatures d’ustensiles de cuisine et de ménage. C’est un instinct naturel, le pressentiment d’un devoir que la femme aura à remplir. La femme doit nourrir l’homme. » Si, dans un élan contre nature, elle piétine ce pour quoi elle est née, alors c’est la porte ouverte à toutes les aberrations. La femme va se mettre à étudier, passer des examens, prendre un métier, ouvrir un compte en banque, faire de la boxe, de l’alpinisme, du football, choisir son époux, choisir de ne pas en avoir, tomber amoureuse d’autres femmes, de la couleur bleue, du reflet de la lune, devenir vigneronne, chef étoilé, chef d’orchestre ou d’Etat, philosophe, acrobate, choisir d’avoir des enfants, choisir de ne pas en avoir, apprendre à faire des claquettes et à danser le tango. Elle va multiplier les rencontres dans le monde entier, aller à l’hôtel et, au lieu de s’y terrer comme une belette traquée, jouir aussi bien des gestes d’installation que de la légèreté du départ. »

    Chantal Thomas, De sable et de neige

    Avec mes amies, d'enfance et de toujours, Catherine et Maud Sauvageot.
    Collection particulière / Photo de couverture

  • De sable et de neige

    A l’inverse de L’esprit de conversation, où elle fait revivre les salons d’autrefois, Chantal Thomas offre dans De sable et de neige des espaces au silence, des instants à la contemplation, des plongées intimes, à la première personne. Arcachon, son paradis d’enfance, est son territoire premier, du « Chemin de l’Horizon » au « Paysage intérieur ». Kyoto s’y relie dans le dernier texte, « Le Pont qui traverse le Temps ».

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    C’est un livre « de mots et d’images » édité dans la collection « Traits et portraits » (le lettrage séduisant d’Alechinsky est masqué sur les titres les plus récents du catalogue, dommage) : elle y a glissé quelques peintures et surtout des photographies, certaines du photographe américain Allen S. Weiss, comme le beau « Relief de feuillage doré par le sable. Cap Ferret, 2019 » en frontispice. La première photo personnelle la montre enfant avec son père et sa mère sur la plage, assis sur le varech, un des premiers éléments naturels qui la fascinaient, écrit-elle.

    « L’océan a une dimension tragique, cela fait partie de sa beauté, de l’effroi de sa beauté. » La vue d’un petit garçon jouant avec les vagues sans réagir aux appels de sa mère anxieuse ramène Chantal Thomas à son enfance, aux journées d’excursion au Cap Ferret. Deux ou trois fois, l’été, son père les y emmenait en bateau avant d’aller pêcher « tranquille, en solitaire », laissant sa femme et sa fille en compagnie de ses parents. L’air y était plus vif que sur le Bassin. « Le blockhaus peinturluré détonnait dans le paysage. » Une très belle photo d’un détail montre un « graffiti en constante réécriture par le travail conjugué de l’eau de mer, du soleil et des intempéries ».

    « La chambre est parfaitement mienne. » Dans « Habiter en passant », l’autrice décrit sa chambre de passage ainsi que ses rituels d’apprivoisement (sauf quand, rarement, la pièce lui est d’emblée hostile) : pommes de pin, coquillages déposés sur une tablette, cartes postales de sa collection pour de « mobiles expositions en chambre ». Cette fois, elle a choisi des tableaux avec des huîtres, déployés autour d’elle prenant le thé. (Elle n’a pas emporté la Fillette à l’oiseau mort « découverte un jour de pluie au musée des Beaux-Arts de Bruxelles. »)

    Le déjeuner d’huîtres de Jean-François de Troy perdu « entre draps et couverture »  lui rappelle une phrase de Mme du Deffand : « Personne n’est heureux de l’ange jusqu’à l’huître. » La marquise incarne le XVIIIe, l’intellectuelle, le contraire de la femme épouse et mère selon Michelet. Copié dans de belles pages sur « la voyageuse » qui « échappe », ceci : « Par ses penchants nomades, bien sûr, mais aussi, plus secrètement, par son goût pour les habitations du moment, les demeures imaginaires, les revêtements de fantaisie dont elle tapisse les chambres d’hôtel, les cabanes invisibles qu’elle s’y construit. »

    L’amour du sable, les jeux d’été, elle les partageait avec Lucile, dont les parents venaient en vacances à Arcachon. Quand elle repartait, le temps de l’école revenait, « une prison » où tout était interdit et même la marelle, car « écrire par terre « Paradis » pour ne pas hésiter à le piétiner est décrété inadmissible. » Si son grand-père Félix est le compagnon préféré de son enfance, c’est la figure du père qui est la plus liée au bonheur. Bonheur de l’accompagner à la pêche – « Glisser sur l’eau en silence nous unit » –, de contempler avec lui les cabanes « tchanquées » de l’Ile aux Oiseaux, elle surveillant la couleur des vagues par crainte de la vague « jaune », la vague « de sable » qui fait chavirer les navires.

    « Le 21 février 1956 », c’est un autre silence, un « calme surnaturel » qui les surprend au réveil : il est tombé pendant la nuit plus d’un mètre de neige, impossible d’ouvrir les volets. Son père dégage un morceau de trottoir, creuse une tranchée dans le jardin, chausse ses skis pour aller au magasin. La gare fermée, il ne peut se rendre à l’usine de Cellulose du pin où il travaille comme dessinateur. Les voilà coupés du monde, dans un temps « suspendu ». On ne va qu’à pied ou à ski. La ville de sable est devenue ville de neige.

    Après cette date magique, une autre, fatale : le 2 janvier 1963, la mort de son père en clinique, à quarante-trois ans. Elle en avait dix-sept. « Désormais je vivrai sur deux temps : le temps figé du deuil impossible, le temps mobile et miroitant de l’événement. La mort de mon père : une partie de moi, cachée, est devenue pierre, l’autre a fait de justesse un saut de côté été a rejoint le courant de la vie, sa merveilleuse fluidité. Les deux parties étant également vraies. »

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    L'étang Kyôyôchi dans le parc du temple Ryôan-ji, à Kyoto,
    lors de la tempête de neige du 31 décembre 2010 (détail).

    Photo Allen S. Weiss

    De sable et de neige est écrit au plus juste de la mémoire personnelle qui traverse le temps d’une vie, sur une matière délicate. Chantal Thomas sait rendre avec clarté ce à quoi elle est attentive, ce qu’elle a fait sien, et le graver dans l’éternité des mots. Avec tenue, avec retenue aussi, elle l’offre à qui veut cheminer avec elle, dans le silence de la lecture.