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danse

  • Etudes

    Laurens Degas La petite danseuse Stock.jpg« Les nombreuses esquisses préparatoires montrent les difficultés techniques rencontrées par le sculpteur. Il a réalisé vingt-six études de la Petite danseuse, nue ou vêtue, en adoptant une vingtaine de points de vue différents. Il a du mal, par exemple, à représenter le pied gauche vu de dos, s’y reprend à plusieurs fois, il ne faut pas qu’il ait l’air déformé. Et comment parvenir à ce que la courbe des bras semble naturelle de quelque côté qu’on les regarde ? De plus près, il exécute aussi de nombreux dessins du visage de Marie. Sur les Quatre études de danseuse, on la voit de face, jolie brune aux joues rondes, aux yeux grands ouverts, au regard profond. Sans doute est-on là au plus juste de sa véritable apparence, tandis que sur les autres dessins ses traits sont plus vulgaires. »

    Camille Laurens, La petite danseuse de quatorze ans

  • La petite danseuse

    Chaque fois que je l’ai regardée au musée d’Orsay, cette jeune ballerine, j’ai souri devant son menton bien relevé. Camille Laurens, dans La petite danseuse de quatorze ans, rappelle que la sculpture « habillée » de Degas qui a scandalisé au Salon des Indépendants de 1881 était en cire, présentée dans un parallélépipède en verre. Certains se demandaient alors si c’était de l’art, on la trouvait grotesque, voire simiesque.

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    Edgar Degas, Petite danseuse de quatorze ans, entre 1921 et 1931,
    bronze patiné, tutu en tulle, ruban de satin, socle en bois, H. 98 ; L. 35,2 cm
    © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

    Degas ne l’a plus exposée par la suite. Après sa mort en 1917, on l’a retrouvée chez lui parmi plus de cent cinquante statuettes en cire. Ses proches ont décidé de la confier à une fonderie avec l’aide du peintre Paul-Albert Bartholomé, ami de l’artiste : « vingt-deux moulages en bronze seront donc fondus par Hébrard d’après un premier moulage en plâtre, puis patinés pour imiter au mieux la cire, et enfin dispersés dans des musées ou des collections privées. »

    Cette petite danseuse, Camille Laurens l’a toujours aimée : « elle m’intrigue et me touche ». Son essai porte avant tout sur son modèle : Marie Geneviève Van Goethem. Ses parents étaient belges, une blanchisseuse et un tailleur ayant fui la misère en s’installant « au pied de Montmartre, dans l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale ». Marie y est née en 1865. Sa sœur aînée avait déjà posé pour Degas, « avant de se prostituer et, quand la faim était intenable, de commettre des vols, seule ou avec sa mère. »

    Edgar Degas, « bourgeois nanti, plutôt conservateur », habitait aussi dans le neuvième arrondissement autour de Pigalle, dans un appartement au cinquième d’un immeuble « nouvellement bâti », son atelier était dans la cour. Fasciné par les danseuses, il employait souvent des modèles qui venaient poser chez lui ; en 1880, il n’avait pas encore l’autorisation de circuler librement dans les coulisses du nouvel Opéra, le palais Garnier.

    C’est la mère de Marie qui a imposé à ses trois filles d’entrer à l’Opéra : les petits « rats » étaient de petites filles pauvres, non scolarisées, qui gagnaient ainsi, au début, deux francs par jour, « tout de même le double du salaire d’un mineur ou d’un ouvrier du textile ». Les plus douées montaient en grade, très peu devenaient célèbres. La majorité sexuelle étant fixée à treize ans, on tolérait que les filles aient des « admirateurs », leurs mères servant d’entremetteuses.

    Pour trouver de l’argent, certaines manquaient les cours de danse et posaient comme modèles. L’engouement pour les danseuses dans la deuxième moitié du XIXe siècle, écrit Camille Laurens, peut être comparé « à l’insatiable curiosité de nos contemporains envers les stars, les people », « objets à la fois d’admiration et de dénigrement ». A l’époque, les femmes ne montraient ni leurs jambes ni leurs chevilles.

    Une fois le cadre posé, l’autrice suit d’une part le travail de Degas, que ses problèmes de vue poussent de la peinture vers la sculpture, mais aussi des raisons esthétiques – obtenir « plus d’expression, plus d’ardeur et plus de vie » – et d’autre part les relations entre Marie Van Goethem et l’artiste.

    Avec cette statue, Degas n’a respecté ni les bienséances, ni les règles académiques de l’art. « Degas saisit la réalité sans filtre et suscite des sensations qui n’apaisent pas. Il interroge la société. En ce sens, il est beaucoup plus réaliste qu’impressionniste. » Camille Laurens veut aller plus loin que l’histoire, l’époque, les conditions négociées avec la mère. Son sujet, c’est principalement le sort de la petite Marie, la manière dont elle a été considérée.

    L’autrice a poussé très loin ses recherches documentaires pour en donner une vision la plus juste possible. Elle cite les commentaires d’autres artistes, se base sur de nombreux livres, thèses, articles référencés dans une bibliographie. La dernière partie décrit son exploration des sources – « Car ce n’était pas la vie d’un petit rat ou d’un jeune modèle à la fin du XIXe siècle que je voulais connaître, c’était la sienne, en un temps dont j’ignorais la durée. »

    Aidée par Martine Kahane, conservateur général de l’Opéra national de Paris, qui a enquêté sur la Petite Danseuse de quatorze ans de Degas, elle a consulté le site des Archives de Paris, a trouvé la date de naissance de Marie Van Goethem (7 juin 1865) après celle d’une autre Marie, une sœur née en février 1864, qui n’a vécu que quelques jours. Et ce n’est que le début : « L’archive est un gouffre, c’est une spirale à l’attraction de laquelle il est impossible de résister. Chaque détail prend une place démesurée dans l’esprit, tout fait signe comme dans une histoire d’amour, tout est matière à interprétation, à obsession. »

    La petite danseuse de quatorze ans de Camille Laurens est une étude passionnante qui change à jamais notre regard sur la sculpture de Degas : sous le bronze et le tutu de danse, nous voyons le petit modèle, une inconnue à laquelle nous ne pensions pas, désormais présente à jamais.

  • Défaire les noeuds

    Modiano Marie qui défait les noeuds.jpg« J’avais découvert un cahier d’écolier qui portait sur la couverture le nom de la danseuse. On y avait recopié la plupart des passages soulignés dans les livres, d’une écriture d’adolescente, et celle-ci ne pouvait être que l’écriture de la danseuse. Et sur l’une des pages était collée la réplique d’un tableau représentant la Vierge dénouant un ruban emmêlé et dont le titre était : Marie qui défait les nœuds. Elle avait trouvé plusieurs reproductions de ce tableau sous forme de cartes postales qui étaient rangées dans le tiroir de sa table de nuit, et elle m’en avait offert une avec une dédicace en m’expliquant simplement que c’était un porte-bonheur. »

    Patrick Modiano, La danseuse

  • La danseuse et lui

    Le titre du dernier roman paru de Patrick Modiano, La danseuse, désigne la mère du petit Pierre et le souvenir d’un soir où le narrateur le ramenait chez elle à la Porte de Champerret. Hovine, qui la connaissait depuis leur enfance, leur ouvrait la porte de l’appartement et annonçait que la danseuse ne rentrerait pas, elle répétait un ballet. C’était « un temps où l’on prenait beaucoup moins de photos qu’aujourd’hui » et dont il lui reste des souvenirs épars, « quelques morceaux d’un puzzle ».

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    « Si Hovine devait s’absenter après le dîner, ce serait moi qui veillerais sur Pierre et l’amènerais peut-être le lendemain matin au cours Dieterlen. » Ces souvenirs très lointains lui reviennent alors qu’il marche dans Paris, ville qui lui est devenue comme « étrangère » depuis qu’elle ressemble à un parc d’attractions, où les passants marchent par groupes, munis de valises à roulettes ou de sacs à dos.

    En attendant de traverser, il reconnaît un homme sur le trottoir d’en face, qu’il croyait mort. « Vous êtes bien Serge Verzini ? » Celui-ci nie d’abord, avant de lui proposer de boire un verre dans un café à proximité. En fait, l’homme n’a aucun souvenir du narrateur, ni de la danseuse ni de son fils, mais sur sa chevalière, ce  sont bien ses initiales qui sont gravées. L’homme lui laisse un numéro de téléphone et une adresse s’il veut reparler un jour de ce temps si lointain.

    « Parfois l’on retrouve dans les rêves la lumière de ce temps-là telle qu’elle était à certains moments précis de la journée. » Celle du matin quand la danseuse arrivait au studio où elle prenait des cours de danse avec Boris Kniaseff. Celle de sept heures du soir quand elle en sortait. Le professeur russe voyait la danse comme « une discipline qui vous permet de survivre ». De belles pages le montrent. « C’était la période la plus incertaine de ma vie. Je n’étais rien. » L’exemple de la danseuse l’a aidé à en sortir.

    A la recherche d’une chambre bon marché, il avait rencontré Verzini qui en louait dans le quartier. L’homme était propriétaire de « La Boîte à magie » où avait lieu un « dîner-spectacle » le samedi soir. C’est là qu’il avait rencontré la danseuse et puis l’avait accompagnée jusque chez elle. L’univers de Modiano, ce sont des noms, des lieux, des conversations qui mènent parfois quelque part, souvent au hasard, et des « fantômes du passé ». Beaucoup de questions. Qui est le père du petit Pierre ? De quoi, de qui la danseuse a-t-elle peur, quand elle se retourne ou regarde autour d’elle comme pour vérifier qu’elle n’est pas suivie ? Le narrateur ne l’interrogeait pas, mais il se rappelle des bribes qu’elle ramenait parfois de son passé. Quant à Hovine, ses réponses étaient toujours « évasives ».

    Pour s’inventer une occupation, le narrateur a dit écrire « des paroles de chansons », c’est ainsi qu’il se présente au petit groupe autour de la danseuse.  « Le hasard des rencontres » l’a mis en contact avec le monde de la danse et aussi, dans un café, avec « un étrange éditeur » qui publie à Paris « des romans en langue anglaise interdits par la censure dans les pays anglo-saxons ». Il lui a proposé de travailler sur un livre et d’y ajouter des épisodes, il a accepté – « Il y a tant de façons d’entrer en littérature. »

    La danseuse est un roman court, une exploration de la mémoire qui, en même temps qu’elle cherche à reconstituer la manière de vivre d’une « grande artiste » et les relations entre elle, son fils de sept ans, son entourage et lui-même, présente aussi ses « débuts dans la vie » et dans l’écriture. On le termine en ayant l’impression d’un certain flou, un flou certain même, d’où émergent certains repères comme quand on cherche son chemin dans le brouillard ou dans un rêve. Vous pouvez écouter Denis Podalydès en lire le début, si cela vous tente d’y entrer.

  • Le même sourire

    Lafon couverture actes sud.jpg« Lara avait un jour demandé à Cléo comment juger du niveau d’une danseuse. La rapidité de ses gestes, sa souplesse, sa grâce ? Devant l’écran, elle comprit que c’était autre chose : cette capacité à ravir l’attention, toutes les attentions, par millions, dont celle de Lara. Cette capacité à donner envie d’être Cléo, agile, athlétique, précise et troublante.
    Le générique de fin défilait sur les cuisses gainées de lycra noir de Cléo, elle enlaçait une danseuse d’un blond platine, toutes deux arboraient le même sourire laqué vermillon, la même frange de faux cils. La caméra hésita un instant entre elles deux puis choisit Cléo, zoomant sur sa peau scintillante, découpant la danseuse en vignettes dorées : seins, cuisses, fuselage d’une taille prise au plus serré, Cléo en pièces détachées, offerte à la France du samedi soir. »

    Lola Lafon, Chavirer