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danse - Page 2

  • Swing Time

    Retrouver Zadie Smith avec Swing Time (2016, traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson, 2018), c’est retrouver une conteuse attachée à dire les choses de la vie dans tous leurs détails. Ce roman (parfois trop bavard) s’ouvre sur un jour d’humiliation : en 2008, la narratrice, licenciée, est renvoyée en Angleterre. Quand elle revoit à Londres un extrait éblouissant de Swing Time où Fred Astaire danse avec trois silhouettes, elle comprend que c’est lui-même en fait, ce qu’enfant, elle n’avait pas observé. Avec les années, la perception change.

    Smith Swing Time.jpg

    Le récit commence vingt-six ans plus tôt, en 1982, quand elle est encore une petite fille métisse à la peau « marron clair », comme Tracey qui habite une tour pas loin de leur appartement, dans la banlieue nord ouest de Londres, mais dont la mère (blanche) affectionne un style glamour à l’opposé de celui de la sienne (noire) qui prône la sobriété. Toutes deux vont au cours de danse de Mlle Isabel, la fillette au visage long et sérieux en chaussons tout simples alors que la séduisante Tracey aux jolis cheveux bouclés, porte des chaussons de satin.

    Leurs familles sont très différentes. Enfant unique, la narratrice peut compter sur un père aux petits soins, sa mère consacrant la plus grande partie de son temps à lire, à étudier. Le père de Tracey est presque toujours absent, elle prétend que c’est un danseur de Michael Jackson. Difficile de rivaliser avec elle, première au cours de danse, alors que la narratrice aux pieds plats aime surtout chanter des airs de comédie musicale.

    Elles deviennent amies, se voient beaucoup, jouent et dansent ensemble, puis l’école les sépare, jusqu’à ce que la mère de Tracey décide de l’inscrire à la même école, d’un niveau supérieur. Tracey, « secrète et explosive », s’y fait bientôt remarquer par son insolence et rejeter par les autres, mais elles se retrouvent après l’école pour visionner des séquences de film en boucle et imiter les pas des danseurs.

    Swing Time alterne les moments complices et les jalousies d’enfance et d’adolescence avec leur vie d’adultes. Contrairement à Tracey, qu’elle enviait d’être acceptée dans une école de danse, la narratrice, boursière, a obtenu un diplôme universitaire en communication. Elle devient l’assistante personnelle d’une star australienne, Aimee, entourée de toute une équipe vingt-quatre heures sur vingt-quatre : celle-ci l’a prise en amitié quand elle l’a accueillie à Londres pour une chaîne musicale. Sa nouvelle vie l’oblige à une disponibilité totale, au gré des caprices d’Aimee et de ses tournées internationales à grand succès.

    A quarante-deux ans, ses enfants confiés à une nounou qui l’accompagne partout, Aimee est incroyablement jeune et énergique aux yeux de son assistante de trente ans qui ne veut pas d’enfants, en bonne héritière de sa mère qui considère la maternité comme un piège. Celle-ci est devenue conseillère municipale, dévouée à l’action sociale et fière de ses racines jamaïcaines (comme sa mère à qui Zadie Smith dédie ce roman).

    Aimee chante et danse, rencontre beaucoup de gens, sort la nuit. Son grand projet est de faire construire une école pour filles en Afrique, dans un village sénégalais. C’est là que la narratrice découvre les conditions réelles de la vie des gens ordinaires, pour qui « les choses sont difficiles ici ». Les femmes y travaillent sans cesse. Un jeune enseignant tout vêtu de blanc, Lamin, lui explique les us et coutumes et la bonne manière de se comporter. Elle habite chez Hawa, une enseignante d’anglais.

    Ensemble, ils préparent le terrain avant l’arrivée d’Aimee et de son cortège de 4 x 4 – partout où elle se rend, ses assistants ont tout prévu pour que son voyage se passe continuellement dans l’aisance. Préparatifs, contretemps, fêtes, inauguration en grande pompe, il faut sans cesse s’ajuster en tenant compte du grand écart entre la culture des « Américains » (les anglophones d’où qu’ils viennent) et celle des habitants.

    Entre-temps, la vie de Tracey connaît des hauts et des bas, les parents de la narratrice divorcent, tandis qu’elle continue, malgré les rivalités dans l’équipe, à « garantir la simplicité de l’existence » d’Aimee. Quid alors de sa vie personnelle ? Sa mère comprend mal qu’elle se contente de vivre dans l’ombre. Elle devient peu à peu plus critique envers son employeuse qui n’hésite pas à s’approprier le travail des autres et abuse parfois de ses amis africains.

    La danse, la musique, le spectacle et leurs coulisses occupent une grande place dans la comédie sociale de Swing Time. On s’attache au parcours des deux amies (pour certains critiques, à la manière de L’amie prodigieuse) et à la lente prise de conscience, chez la narratrice, des réalités de la vie. « Ce monde d’ambitions et de convictions qui s’enroule autour d’elle met constamment la narratrice en position, au mieux d’accompagnatrice, sinon d’observatrice. Elle reste cette fille qui se cherche. » (Stéphanie Janicot, La Croix)

  • Akarova dansant

    Vierge folle baugniet_akarova_24.jpg« La danseuse belge Marguerite Acarin (1904-1999) s’inspire notamment de l’art géométrique d’avant-garde d’un groupe d’artistes bruxellois, proches de courants internationaux comme De Stijl. Son mari, Marcel-Louis Baugniet (1896-1995), lui trouva son nom d’artiste à consonance russe Akarova parce qu’elle admirait les Ballets russes.

    Baugniet était un peintre, lithographe et créateur moderniste. Baugniet et sa femme restèrent bons amis même après leur divorce en 1928. Akarova et Baugniet dessinaient ensemble ses costumes et les décors de ses ballets et elle jouait le rôle principal dans les tableaux et gravures de l’artiste. Les photos donnent l’impression que la danse d’Akarova consistait en poses anguleuses, abstraites et en gestes plutôt dépourvus d’émotions. Les critiques de l’époque parlent d’une « œuvre d’art géométrique vivante », mais aussi de « purisme et hédonisme ». »    

    Guide du visiteur, « Zot geweld Dwaze maagd », Mechelen, Hof van Busleyden, 2016. 

    © Marcel-Louis Baugniet, Akarova dansant, 1914 (Source : Nouveau tempo libero)

  • Nel, sa Vierge folle

    Cela vaut-il la peine de parler d’une exposition alors qu’elle vient de fermer ses portes ? Il me semble que oui, quand l’approche est originale : « Zot geweld Dwaze maagd » (« folle énergie, vierge folle ») présentait à Malines (Hof van Busleyden) un ensemble d’œuvres d’art autour de La Vierge folle, la fameuse sculpture de Rik Wouters appelée aussi Joie de vivre ou Danseuse folle. Nel, son épouse, son éternel modèle, a souffert pour tenir la pose, sur un pied – fol exercice d’équilibre.

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    https://muse.mechelen.be/bezoekersgids-zot-geweld

    A l’entrée du musée, situé dans un magnifique palais (actuellement en travaux) construit pour Hiëronymus van Busleyden, un notable, humaniste et ami d’Érasme, les visiteurs trouvent sur une table à leur disposition différents éléments pour tester les difficultés à équilibrer une structure, notamment de petits mannequins articulés qu’il n’est pas si simple de faire tenir sur un seul pied. Une grande salle au sous-sol est dédiée aux expositions temporaires.

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    Rik Wouters, La Vierge folle, 1912

    Au centre, le chef-d’oeuvre de Rik Wouters. C’est en assistant à un spectacle d’Isadora Duncan au Théâtre de la Monnaie, en décembre 1907, que Rik Wouters a eu l’idée de sculpter cette figure si expressive. Il avait été impressionné, a raconté Nel, par sa danse des Scythes (Gluck) inspirée par des danses grecques anciennes, un tout nouveau style de danse, libre et moderne.

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    Vue plongeante sur l'exposition
    (Les blancs sont des "boîtes" suspendues dans lesquelles des images et des films sont projetés en continu.)

    L’équilibre (de la tête aux pieds), la danse, la folie, le nu féminin, ce sont les quatre angles de vue choisis pour ce « dialogue d’œuvres d’art autour de la sculpture de Rik Wouters ». Des spécialistes les ont sélectionnées et commentées de manière à inviter les visiteurs à dialoguer eux-mêmes avec les œuvres : peintures, sculptures, photographies, fragments de films, vidéos… Rien de linéaire dans la scénographie, on circule dans l’espace, on entre dans la ronde autour de Nel, la Vierge folle de Rik Wouters.

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    La Parabole des Vierges sages et des Vierges folles, ca 1560-1563. Gravé par Ph. Galle d’après Bruegel, musée Mayer van den Bergh
    , Anvers

    La parabole biblique des vierges folles et des vierges sages est illustrée par une gravure d’après Bruegel : comme le rappelle la notice (guide du visiteur), celles-ci « sont industrieuses et leurs lampes à huile brûlent en permanence », à l’opposé des vierges folles qui dansent avec insouciance et négligent leurs tâches ménagères. « Leurs lampes à huile sont vides. “Donnez-nous un peu de votre huile, nos lampes se sont éteintes,” lit-on en latin sous la gravure. La réponse des vierges sages : “Non, il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous.” La partie supérieure montre clairement à qui le Christ ouvre les portes du Paradis le jour du Jugement Dernier. Sur l’escalier des cinq vierges folles, il est écrit en latin : “Je ne vous connais pas.” » Peut-on jouir de la vie sans penser aux conséquences ou est-ce folie, voilà la question. Le thème a inspiré beaucoup d’artistes.

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    Edgar Degas, Danseuse, grande arabesque, troisième temps, 1921-1931, fondeur Adrien-Aurélien Hébrard, Musée d’Orsay, Paris

    Deux danseuses en bronze de Degas – des études qu’il ne destinait pas au public – montrent et le mouvement et le souci de l’équilibre. D’une tout autre manière, la recherche de la stabilité est au cœur d’un mobile impressionnant qu’on découvre suspendu au plafond en levant les yeux : Horizontale en balance de Paul Gees, une installation spectaculaire de trois poutres (deux épaisses et une mince), « tenues ensemble par des pierres » (Guide p. 52), un « jeu de poids et de contrepoids » équilibré sur un seul point comme la sculpture de Rik Wouters.

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    Auguste Rodin, Nijinsky (1912, édition 1959), Courtesy Bowman Sculpture

    D’autres danseuses – sculptées, dessinées, peintes, filmées – tiennent compagnie à la Vierge folle, et aussi un Rodin que je n’avais jamais vu, prêté par une galerie londonienne, Nijinski. Rodin l’a vu dans L’après-midi d’un faune de Debussy et a soutenu les Ballets Russes, aussi le danseur russe a-t-il accepté de poser pour des croquis. Ici, le sculpteur l’a représenté en équilibre sur un pied, juste avant un saut. Il a dessiné de nombreuses danseuses cambodgiennes et admirait les danses nouvelles de Loïe Fuller et d’Isadora Duncan.

     

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    Pablo Gargallo, Danseuse, 1929, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

    Le Mont de Vénus où Egide Rombaux a sculpté trois nymphes gracieuses illustre une approche plus classique du corps féminin. Les nymphes sont opposées aux bacchantes comme les vierges sages aux vierges folles. De la danse populaire des paysans avec la mariée peinte par Bruegel à la danseuse en fer forgé de Pablo Gargallo, un modèle du « réalisme cubiste », des œuvres très diverses montrent la liberté de mouvement dans la danse : Danseuse au ruban rose de Rassenfosse, dessins « analytiques » de Kandinsky d’après des photos de la danseuse Gret Palucca, films de danses contemporaines… 

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    Lucas Cranach (1472-1553), Eve, Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers

    Quant à la nudité, elle n’apparaît d’abord que dans la représentation des dieux de l’antiquité gréco-romaine. Vénus est la Beauté divinisée, idéale. Il faut attendre la Renaissance pour voir évoluer sa silhouette, dans la Vénus ou l’Eve de Cranach par exemple, et laisser apparaître des formes plus humaines. Au XIXe siècle, quel choc quand Rodin montre Celle qui fut la belle Heaulmière, inspirée par un poème de François Villon. Avec ses seins flétris, le corps ravagé par l’âge (le modèle avait 82 ans), la sculpture est terriblement réaliste, particulièrement dans le grès qui ne joue pas avec la lumière comme le bronze du musée Rodin (prêt du Musée Français de la Carte à Jouer, Issy-les-Moulineaux). Son Iris, jambes écartées, n’a pas moins fait scandale.

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    Rik Wouters, Rêverie (source : site du musée)

    Rik Wouters a peint et sculpté Nel habillée ou nue. Dans Rêverie, un pied devant l’autre, elle aurait dû tenir les bras en l’air pour esquisser un pas de danse, mais Nel était malade, elle a laissé tomber les bras, et il en résulte un nu très naturel, comme aussi dans Nymphe, un torse couché en plâtre. Quand l’artiste saisit à l’aquarelle Nel au repos, nue sur le lit avec ses seuls bas noirs, c’est différent, plus érotique. La Vierge folle, elle, si exubérante, sort tout droit d’une scène de bacchanale.

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    Auguste Leveque (1866-1921), Bacchanale, Musée Royal des Beaux-Arts, Anvers

    Non loin d’elle, V. Eeman de Berlinde De Bruyckere semble l’antithèse absolue de La Vierge folle : la sculpture d’une femme dissimulée sous des couvertures superposées, pieds nus sur une bassine en zinc renversée en guise de socle, incarne la misère et la douleur. Tandis que celle-ci se cache, les nus de Marlène Dumas, inspirés par des prostituées ou des stripteaseuses, au contraire, provoquent sans ambages, sans joie.

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    © Berlinde De Bruyckere, V. Eeman, 1999, Belfius Art Collection

    Le corps, la beauté, la folie sont aussi des thèmes littéraires. Une page de L’illustration montre une publicité pour un parfum Gabilla (parfumeuse syrienne à Paris dès 1910), appelé « La Vierge folle », inspiré par la pièce éponyme à succès d’Henry Bataille. Six ans après Rimbaud, Georges Eekhoud a aussi écrit des vers sous ce titre (pas trouvés en ligne), dans Les Pittoresques. 

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    Rik Wouters, La Vierge folle ou Joie de vivre ou Danseuse folle, 1912

    Bref, si cette balade artistique inédite autour de La Vierge folle vous intéresse, je vous recommande le Guide du visiteur, à télécharger en ligne : toutes les œuvres exposées y sont reproduites et commentées en néerlandais, français et anglais. De quoi patienter jusqu’au printemps prochain : Rik Wouters est mort il y a cent ans et on attend une belle rétrospective de son oeuvre aux Musées Royaux des Beaux-Arts à Bruxelles.