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sculpture

  • Le Marteleur

    Meunier Namur (54) Le Marteleur.jpg

    « Le Marteleur est contemporain de la révolte sociale de mars 1886, une vague d’émeutes et de grèves ouvrières insurrectionnelles dans les bassins industriels des provinces de Liège, de Hainaut et de Namur. Si le réalisme de son marteleur indique la difficulté du travail de l’ouvrier, la posture est plus « classique ». En effet, on retrouve le contrapposto emprunté à la sculpture de l’Antiquité classique et de la Renaissance italienne. Le rendu du corps, le geste et l’attitude de l’ouvrier au repos sont issus des observations in situ qu’a pu faire Meunier. Le réalisme est accentué par le port du vêtement caractéristique avec la visière, le tablier, les longues guêtres et les tenailles. Mais c’est surtout la posture plus classique, avec la main gauche posée sur la hanche qui donne au métallurgiste toute « la grandeur plastique de l’ouvrier industriel. » (Dossier pédagogique, page 7, où les deux gravures sont également commentées. Illustrations.)

    constantin meunier,la genèse d'une image,exposition,musée rops,namur,peinture,sculpture,gravure,dessin,illustration,mine,ouvriers,pays noir,travail,art,culture,le marteleurMarteleur : « Ouvrier chargé du cinglage, opération qui consiste, à l’aide d’un marteau pilon, à extraire les laitiers (scories pauvres en fer) de la loupe [masse de minerai mal fondu, renfermant des scories (TLF)] obtenue par le puddlage [brassage de la fonte] et de souder entre eux les grumeaux de fer qui la constituent. Le marteleur conduit ces boules spongieuses sous le marteau à l’aide d’une tenaille à coquille (comme celle sur laquelle s’appuie Le Marteleur de Meunier). Une fois martelées, elles s’agrègent en loupes affinées, pesant jusqu’à 200 kg, prêtes à être déroulées sous forme de barres plates dans les cylindres cannelés du laminoir. Le marteleur porte un large tablier de cuir, des brassards et des guêtres en tôle, ainsi qu’une visière en treillis métallique qui le protègent des projections de laitier brûlant. » (Lexique affiché à l’exposition & [ajouts])

    Constantin Meunier, Le Marteleur, 1886, bronze, Bruxelles, MRBAB et deux gravures au mur :

    A droite : Auguste Danse (d’après Constantin Meunier), Le Marteleur, 1911, eau-forte sur papier,
    1010 x 620 mm, Bruxelles, KBR

    A gauche : Daniel De Haene (inspiré par Constantin Meunier), Le Marteleur, 1888, eau-forte sur papier,
    545 x 360 mm, Bruxelles, KBR

    Constantin Meunier. La genèse d’une image, Namur, musée Félicien Rops > 07.09.2025

  • Meunier chez Rops

    Le sculpteur Constantin Meunier (1831-1905) était aussi peintre, comme l’a rappelé une belle rétrospective à Bruxelles il y a une dizaine d’années. A Namur, le musée Rops lui consacre une exposition temporaire : Constantin Meunier. La genèse d’une image (jusqu’au 7 septembre). Meunier a rencontré Félicien Rops (1833-1898) à l’Atelier Saint-Luc à Bruxelles et ils se sont retrouvés par la suite dans diverses associations artistiques.

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    Constantin Meunier, Le retour des mineurs, s.d., huile sur toile, 151 x 233 cm, Bruxelles, MRBAB
    (Un détail du trio central figure à l'affiche de l'exposition du musée Rops, où cette grande toile est exposée.)

    Artiste réaliste, Meunier « a marqué son époque en donnant une voix au monde ouvrier et en mettant en avant la noblesse du travail » (dépliant de présentation). Vers la fin des années 1870, il se met à peindre des scènes sociales, à dessiner la vie ouvrière – on en tirera des estampes – et aussi à illustrer des œuvres littéraires. Il influence d’autres artistes, également exposés ici.

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    Constantin Meunier, La descente des mineurs, s.d., huile sur toile, Bruxelles, MRBAB

    Dans la première salle, les œuvres témoignent des conditions du travail à la mine, rendent les couleurs sombres des charbonnages, comme dans sa spectaculaire peinture Descente des mineurs. Son fils Karl Meunier est l’auteur d’une eau-forte d’après Le Grisou, pour l’album Au pays noir. On verra plus loin un petit plâtre, d’une collection privée, d’après cette terrible sculpture d’une femme penchée vers son fils étendu, retrouvé parmi les morts (visible aux MRBAB).

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    Maximilien Luce, Les Bords de la Sambre, 1896, huile sur toile, 69,8 x 91,4, Bruxelles, MRBAB

    Parmi les artistes influencés par Constantin Meunier, qui joue un rôle important dans le renouveau artistique de son époque, beaucoup sont également fascinés par ce monde de la mine et les paysages industriels. Maximilien Luce peint Les Bords de Sambre avec leurs cheminées et leurs fumées. Karl Meunier grave un paysage de terril d’après une peinture à l’huile de son père.

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    Constantin Meunier, Autoportrait, huile sur toile, 1885, Bruxelles, MRBAB

    Pour son autoportrait de 1885, Constantin Meunier a choisi de se montrer devant le paysage de cette région, le pays noir. Sa Tête de paysan, gravée directement sur une plaque de cuivre, frappe par sa force expressive. Il a gagné le premier prix du journal L’Artiste avec Tête de femme de profil. D’autres estampes signées « C. Meunier » ont été gravées par son frère Jean-Baptiste Meunier. Sur une affiche lithographique réalisée pour les chemins de fer belges, un débardeur debout (travailleur du port d’Anvers) figure à l’avant-plan, sur quasi toute la hauteur, sous le nom ANTWERP, en lettres capitales.

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    Constantin Meunier, Tête de paysan, 1875, eau-forte sur papier,
    Namur, Musée Félicien Rops

    Meunier est aussi illustrateur. Notamment pour Un mâle, roman de Camille Lemonnier qui a fait scandale à sa parution en 1881. Meunier a réalisé un portrait très vivant du romancier à l’aquarelle, prêté par le musée d’Ixelles (dont la rénovation devrait se terminer l’an prochain). On découvre d’autres dessins au fusain pour Le Mort de Lemonnier, comme L’ombre de Hein qui hante Balt et Bast (ses meurtriers) ou La Glèbe, sujet qu’il reprendra dans un haut-relief en bronze. Un des atouts de l’exposition, c’est de montrer les variantes sur un même sujet et dans des techniques différentes.

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    Constantin Meunier, L’ombre de Hein qui hante Balt et Bast, maquette pour Le mort,
    vers 1902, fusain sur papier, Bruxelles, MRBAB

    Meunier revient à la sculpture vers 1885. Dans la salle du rez-de-chaussée où se dressent quelques beaux bronzes – Le Marteleur, Le Débardeur, Hiercheuse appelant… – sont exposées des gravures qu’ils ont inspirées à d’autres artistes du dix-neuvième siècle, parmi lesquels Auguste Danse, son beau-frère. Bonne idée d’afficher un « Lexique » caractérisant ces termes d’autrefois (débardeur, grisou, hiercheur, puddleur, marteleur, glèbe) dont nous ne connaissons pas toujours la signification précise.

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    Constantin Meunier, Hiercheuse appelant, Le Marteleur, Le Débardeur,
    sculptures en bronze (vue partielle) 

    Meunier ne s’est pas engagé politiquement, mais son œuvre révèle son soutien à la lutte ouvrière. Steinlen s’est inspiré de lui pour les lithographies de l’album Les gueules noires d’Emile Morel, « publié par un hebdomadaire français de tendance anarcho-syndicaliste » en 1896 (Dossier de presse).

    Centrée sur l’image, cette facette méconnue de l’œuvre de Constantin Meunier, l’exposition restitue tout un monde. « Il a affirmé qu’il avait beaucoup de compassion pour ces ouvrières et ces ouvriers, pour toutes ces personnes qui étaient exploitées. Et sur base de ce constat, on peut faire deux choses. On peut montrer la souffrance, les traces d’exploitation sur le corps, dans un moment de vérisme ou de naturalisme, ou on peut rendre justice d’une autre manière, en glorifiant le travail et en présentant ces personnes comme des êtres qui sont dignes et beaucoup plus philosophes d’une certaine manière. Cette seconde manière est celle que Constantin Meunier va privilégier » (Filip Dorssemont, commissaire de l’exposition).

  • Avec amour

    jean-baptiste andrea,veiller sur elle,roman,littérature française,goncourt,italie,tailleur de pierre,sculpture,apprentissage,nain,pauvreté,richesse,fascisme,xxe siècle,eglise,pietà,amitié,famille« De mon lit, à la lueur d’une lampe tempête, j’écrivis ce soir-là à ma mère. Je lui écrivais tous les jours pour lui raconter ma vie. Puis je brûlais la lettre. Je n’en postais qu’une par mois. Je ne voulais pas l’inquiéter, elle qui m’appelait « mon grand » en exergue de ses courriers. Elle se faisait assez de souci pour moi, pour l’argent, pour ce que je mangeais ou ne mangeais pas. Ses lettres à elle étaient toutes d’une écriture différente, puisque, comme mon père, ma mère était analphabète et devait se faire aider. Aux dernières nouvelles, elle avait quitté la Savoie pour le nord de la France, où elle avait trouvé un travail dans une ferme. Les patrons sont gentils. Je pourrai bientôt prendre des vacances. Je répondais Zio me traite bien, j’économise pour te faire venir. Nous nous mentions avec amour. »

    Jean-Baptiste Andrea, Veiller sur elle

  • Sculpter la vie

    L’attribution du prix Goncourt 2023 à Jean-Baptiste Andrea pour Veiller sur elle m’a fait découvrir le nom de ce romancier, bien que ce soit son quatrième roman. Il s’ouvre sur une veillée autour d’un mourant, en 1986, dans une abbaye italienne, « la Sacra », où celui-ci habite depuis quarante ans, même s’il n’a jamais prononcé de vœux. Pour quelle raison ? On dit qu’« il est là pour veiller sur elle » « Elle qui attend, dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. »

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    Sculpteur au travail (source)

    Le récit passe à la première personne : le malade se souvient. Né en France en 1904, de parents italiens, il a été envoyé par sa mère en Italie après la mort à la guerre de son père, un tailleur de pierre, pour son bien – « parce qu’elle croyait en moi, parce qu’elle voyait mon amour pour la pierre malgré son jeune âge » et le savait « promis à de grandes choses », malgré ses jambes trop courtes. Elle lui avait donné le prénom d’un sculpteur et voilà Michelangelo Vitaliani, dit Mimo, douze ans, confié à son oncle Alberto, lui aussi tailleur de pierre.

    L’ingegnere Carmone l’a accompagné en train jusqu’à Turin, puis jusqu’à la porte de Zio Alberto. Celui-ci ne veut d’abord pas de lui comme apprenti – « parce que personne m’a dit que c’était un nabot. » Carmone arrive à le convaincre de tenir la promesse faite à la mère de Mimo. Pendant un an, le gamin lui sert d’homme à tout faire et ne respecte pas toujours l’interdiction de toucher aux outils d’Alberto, qui sombre souvent dans l’alcool. Le travail devenant rare à Turin, le tailleur de pierre achète un atelier en Ligurie.

    L’histoire racontée par Mimo est interrompue régulièrement par un retour au présent initial, à l’abbaye : Padre Vincenzo, le supérieur, avant de se rendre au chevet de celui qui agonise, descend sous la terre pour vérifier que tout y est en ordre pour « la captive de la Sacra ». Un professeur californien a consacré sa vie à l’étudier, avec l’autorisation du Vatican. Des « fureteurs » cherchant parfois à s’en approcher, on avait remplacé la grille, la serrure, installé une alarme. On ne craint pas le vol, mais un cinglé, comme Lazlo Toth, qui avait donné des coups de marteau à la Pietà de Michel-Ange.

    C’est à Pietra d’Alba qu’on retrouve Alberto, Mimo et Vittorio, ancien employé à l’atelier, qui a trois ans de plus que Mimo. C’est là que son talent va apparaître aux yeux de tous. Assez vite, on comprend que le garçon sera digne de son prénom et que son œuvre lui vaudra un jour reconnaissance et renommée. A Pietra d’Alba, il n’y a pas que l’Eglise qui commande des œuvres ou des restaurations. La Villa Orsini où vit la famille d’un marquis endeuillée par la mort du fils aîné à la guerre abrite un autre personnage clé du roman : la jeune Viola.

    « Viola était une funambule en équilibre sur une frontière trouble tracée entre deux mondes. Certains diront entre la folie et la raison. » Rebelle, fantasque, grande lectrice dotée d’une mémoire hors norme, Viola Orsini est née exactement le même jour que Mimo, elle les déclare « jumeaux cosmiques ». Elle va sympathiser avec Mimo en secret et lui faire découvrir le monde de la noblesse si éloigné du sien.

    Jean-Baptiste Andrea nous fait entrer dans l’histoire de l’Italie durant le vingtième siècle, dans les campagnes, les villes et même au Vatican. La naissance et le développement du fascisme, qui oblige la noblesse et l’Eglise à se positionner, vont inévitablement influer sur la vie des uns et des autres, y compris des artistes, qui ne peuvent se passer des commandes de ceux qui ont le pouvoir, religieux ou politique.

    Veiller sur elle est un gros roman très romanesque, riche en péripéties. Le contraste est grand entre la vie des pauvres et celle des riches, la plupart des personnages ont des caractères fort tranchés. Rendez-vous au cimetière, travail dans un cirque, beuveries, bagarres, dîners qui dérapent chez les Orsini, rivalités de voisinage ou à l’atelier, le récit est parfois rocambolesque. L’intrigue, dans un style narratif traditionnel, ne manque pas de suspense.

    La relation entre Mimo et Viola, qui lui écrit à l’encre verte, lui transmet sa curiosité universelle et l’initie aux bonnes manières, sort des sentiers battus. Comme les vrais jumeaux, quelque chose les relie, où qu’ils soient. Exceptionnels tous les deux, chacun dans leur genre, ils évoluent au fil du temps. Et bien sûr, on s’interroge sur le mystère de la « Pietà Vitaliani », « elle », le chef-d’œuvre de Mimo, enfermé à l’abbaye, à l’abri des regards. Bref, ce Goncourt a l’allure d’un bon divertissement qu’on ne lâche pas.

  • Beau petit catalogue

    Brafa Cucuel Femme au bord du lac.jpegLa galerie viennoise Sylvia Kovacek proposait une belle sélection d’œuvres à la Brafa 2025 et, cerise sur le gâteau, en plus de l’accueil sympathique, j’y ai reçu un catalogue de « highlights » que je feuillette avec grand plaisir. De petit format, très soigné, il contient une cinquantaine d’œuvres illustrées en pleine page avec leur notice détaillée en regard. Femme au bord du lac d’Edward Cucuel est une toile impressionniste assez séduisante – j’aime les couleurs du châle, la fleur rouge au corsage. 

    Edward Cucuel, Femme au bord du lac, vers 1910,
    huile sur toile, 80,7 x 64 cm / Galerie Sylvia Kovacek, Vienne

     

    Brafa Moll Bouquet automnal.jpegJ’avais été attirée d’abord par ce lumineux Bouquet automnal avec des asters de Carl Moll : le vase est posé devant une fenêtre ouverte, on y sent l’air passer, non ?  Puis par une vue vénitienne où la mer occupe quasi les deux tiers de la hauteur. Moll faisait partie de la Sécession Viennoise fondée par Josef Hoffman : le catalogue présente aussi plusieurs objets en argent du célèbre architecte du Palais Stoclet (article de La Libre Eco ce week-end).

    Carl Moll, Bouquet automnal avec des asters, vers 1912,
    huile sur carton, 33 x 31 cm / Galerie Sylvia Kovacek, Vienne

     

    Brafa Nolde Coquelicots.jpegEnfin, quel bel ensemble d’aquarelles d’Emil Nolde ! Ce sont principalement des fleurs, elles sont toutes illustrées sur le site de Sylvia Kovacek. J’y ai appris que Nolde, après que les nazis l’avaient placé au cœur de l’exposition de « l’Art dégénéré » en 1937, lui avaient interdit totalement de peindre en 1941. Nolde a ignoré cette interdiction* et surnommait ses petites aquarelles de cette période ses « peintures non peintes ». Il y a beaucoup à découvrir sur le site de la galerie viennoise.

    Emil Nolde, Coquelicots, vers 1930-1940,
    aquarelle sur papier japonais, 27,5 x 24,6 cm / Galerie Sylvia Kovacek, Vienne

    *"Le passé trouble d’Emil Nolde, une ombre au tableau" par Pierre Bouvier (Le Monde, 2019), pour une information plus complète (mise à jour du 6/2/2025)