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sculpture - Page 5

  • Une nuit ratée

    Lydie Salvayre, dans Marcher jusqu’au soir, écrit sur sa nuit ratée au musée Picasso. Elle avait refusé d’emblée la proposition d’Alina Gurdiel (qui a lancé la collection « Ma nuit dans un musée »), mais après quelques jours elle a fini par l’accepter, par passion pour L’Homme qui marche de Giacometti. Elle n’avait jamais vu la sculpture en vrai, l’exposition Picasso-Giacometti lui donnait l’occasion de la regarder toute une nuit, seule, à l’aise.

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    L’épigraphe – « Qu’est-ce que l’art ? Prostitution. » (Baudelaire, Fusées) – annonce déjà ce qu’elle déclare dès la première phrase : elle n’aime pas les musées, qu’elle critique avec véhémence. Et lorsqu’elle se retrouve sur un lit de camp posé près de L’homme qui marche, elle ne ressent rien, « rien qu’une morosité vague et une appréhension » dont elle ignore la cause.

    Elle se rend dans les salles attenantes « que le silence et l’absence de toute présence humaine rendaient sinistres ». Aucune grâce, aucun vertige en regardant les sculptures. « Toutes, je l’avoue, me laissèrent ennuyée. » Elle note dans son carnet : « REGARDER CES ŒUVRES M’EST UNE CORVEE ET JE ME FAIS VIOLENCE EN CONTINUANT CETTE EXPERIENCE A LA CON. »

    Penser à Giacometti l’aide un peu, elle aime « infiniment » sa légende comme celles « de Baudelaire, de Van Gogh, de Kafka, d’Artaud, de Woolf… ». Elle raconte comment Giacometti a rencontré, à dix-neuf ans, en Italie, un homme qui l’a invité à l’accompagner jusqu’à Venise, mort dans un petit hôtel de montagne où ils passaient la nuit, et puis vécut une autre expérience du même genre quelques années plus tard : « Désormais la mort prendrait demeure en lui, assombrissant son regard sur les êtres et le monde. La fragilité de la vie et son caractère éphémère deviendraient la matière même de son œuvre. »

    Ni émotion (Lola Lafon) ; ni inspiration (Zoé Valdés) ; ni récit personnel à la Leïla Slimani, mais un thème en commun, celui des peurs réveillées par l’expérience d’une nuit solitaire dans un musée. Déçue, désemparée, Lydie Salvayre se met en colère et mêle expressions vulgaires et imparfaits du subjonctif : « Je me foutais de l’art. Qu’on ne m’en parlât plus ! Qu’on m’en délivrât une fois pour toutes ! »

    Au fond, Lydie Salvayre déteste l’art et les « dévots de l’art » – sa critique des visiteurs de musée et de la « mondanité » de l’art m’a parfois fait penser au Goût des autres, le film d’Agnès Jaoui – et c’est ce qu’elle déclare à Bernard, son compagnon, qui lui téléphone pour voir comment ça se passe. Familier de ses emballements, il attend patiemment et se tait. Beaucoup de retours à la ligne :

    « Je savais bien, me dit Bernard.
    Tu savais bien quoi ? lui dis-je, agacée.
    Je savais bien que tu avais une âme espagnole, me dit-il en riant.
    Pourquoi tu dis ça ? lui dis-je sèchement.
    Repose-toi, me dit-il sur ce même ton calme qui m’exaspérait. Bonne nuit ma chérie. »

    Dans Marcher jusqu’au soir, l’exaltation emporte tout sur son passage. Heureusement, Lydie Salvayre a des choses intéressantes à dire sur Giacometti qu’elle admire : « son absence de jugement moral devant les êtres et les choses, son empathie si grande à leur endroit, sa capacité à trouver tous les visages pareillement beaux – regarder un visage était une aventure qui valait, disait-il, tous les voyages du monde […] ».

    Entre élans lyriques et grossiers surgissent des souvenirs de ses parents, des questions et un sentiment d’humiliation diffus (comme chez Annie Ernaux). Salvayre revient sur un dîner où elle a entendu l’épouse d’un cinéaste chuchoter à son sujet : « Elle a l’air bien modeste », une « écharde empoisonnée » qu’elle convertira en roman : dans Pas pleurer, elle met cette phrase condescendante dans la bouche d’un « maître » jugeant une fille de quinze ans qui lui est présentée comme bonne (sa mère, offensée à jamais).

    Références littéraires et anecdotes alternent avec de multiples interrogations sur son incapacité à jouir de l’art, de la beauté, qu’elle met sur le compte de son origine sociale. J’ai été, je le reconnais, agacée par les redites, les excès de langage ou de contradiction dans Marcher jusqu’au soir. Le texte m’a paru forcé, mais il a reçu beaucoup d’éloges. Cette nuit au musée a été pour Lydie Salvayre l’expérience d’une « anxiété inexplicable » et elle finira par comprendre et expliquer pourquoi. Une autre visite au musée Picasso, de jour, des mois après, sera l’occasion d’une réconciliation – pour finir sur une note positive ?

  • Au KMSKA à Anvers

    Restauré et rénové, le KMSKA (Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen, Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers) a  rouvert ses portes en septembre 2022, après un énorme chantier qui lui a fait retrouver « sa splendeur d’antan, avec au centre, un tout nouveau volume muséal pour une expérience époustouflante d’espace et de lumière » (Site du musée).

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    Façade principale du musée 

    Il fait le plein de visiteurs curieux de découvrir la présentation nouvelle des collections : les maîtres anciens dans les salles du XIXe siècle repeintes dans des couleurs profondes, les modernes dans de grands volumes blancs du sol au plafond. Les œuvres contemporaines s’invitent ici et là. Conception étonnante : « le nouveau musée ne se verra pas depuis l’ancien, et vice versa. Il s’agit de deux univers distincts au sein du même bâtiment. »

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    James Ensor, Mer grise, 1880, huile sur toile, KMSKA, Anvers

    Dans quel ordre le visiter ? Le plan étage par étage ne suffit pas pour organiser son parcours et, après coup, on se dira qu’il aurait fallu mieux se préparer et prévoir deux visites, comme conseillé dans La Libre. Par admiration pour James Ensor, dont le KMSKA possède le plus grand ensemble d’œuvres, nous commençons par là. Près de sa belle Marine au nuage blanc et Mer grise, on a placé une petite plage de Vogels : le jeune Ensor sait comme son aîné rendre l’atmosphère de la mer du Nord, le ciel nuageux au-dessus des toits d’Ostende.

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    James Ensor, La mangeuse d'huîtres, 1882, huile sur toile, KMSKA, Anvers

    Dans cette salle où sont accrochées aussi des natures mortes aux chinoiseries ou aux légumes, on expose le bel éventail en nacre du peintre qui lui inspirera des couleurs nacrées fascinantes. Et un chef-d’œuvre de lumière et de couleurs, récemment restauré : La mangeuse d’huîtres. Plaisir de découvrir des œuvres d’Ensor moins connues, comme un petit bateau dans la grisaille, une cabine de plage sur roues, le dos d’une chaise face à la fenêtre…

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    James Ensor, Dossier d'une chaise, huile sur toile, KMSKA, Anvers

    Une vidéo étonnante explique la composition de L’Intrigue, extraordinaire groupe de masques, un autre trésor du musée. Près du plafond, un grand nez sort d’un mur : c’est une des dix créations du parcours pour les enfants réalisées par Christophe Coppens – chaque fois un détail agrandi d’une œuvre exposée dans la pièce – surprise garantie, amusante ou effrayante parfois (dans le goût contemporain du « ludique »).

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    Devant James Ensor, L'intrigue, 1890, huile sur toile, KMSKA, Anvers

    Passé une porte, nous voilà dans les escaliers du « nouveau » musée autour d’un puits de lumière. Ils débouchent dans le cabinet bleu nuit des arts graphiques puis des petites sculptures signées Rik Wouters, Rodin (Rose Beuret), Maillol… Et nous voici devant un escalier vertigineux qui tente tous les photographes – spectaculaire (103 marches).

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    Le plus long escalier du musée

    Au 4e étage, un immense volume d'une blancheur éblouissante présente l’art moderne par catégories : forme, couleur, lumière… sous un plafond très haut et original. Tant d’espace capture le regard et rapetisse les œuvres, à première vue. On passe d’un artiste à l’autre, on s’arrête devant ce qui retient le regard – difficile de percevoir une cohérence dans l’accrochage. Peut-être une visite ultérieure permettra-t-elle d’échapper à une certaine impression de fourre-tout.

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    Salle du premier étage, "Maîtres modernes"

    J’admire Femme près de la fenêtre de Henry Van de Velde, une nature morte cubiste de Marthe Donas, Dimanche de Gustave De Smet, Perle fine d’Oscar Jespers (collection FRB), Seize septembre de René Magritte… Sur le côté, l’accès aux Conflict paintings (2022) de Boy & Erik Stappaerts est limité : un étonnant couloir étroit où se touchent, s’affrontent deux champs de rayures de toutes les couleurs.

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    Henry Van de Velde, Femme assise près de la fenêtre, 1889, KMSKA, Anvers

    Un autre grand ensemble fait la fierté du KMSKA : plus de cent peintures, sculptures et dessins de Rik Wouters. Bonheur de revoir la lectrice au corsage rayé ou Nel en noir qui lit le journal. 
    « Couleur ». Les bleus magnifiques de la Table d’aquafortiste mènent à d’autres : une composition abstraite de Marc Mendelson, un autoportrait de Vantongerloo, Ciel de René Guiette, le vitrail d’une Pieta du XVIe siècle. Place au rouge : Fraises et champagne du grand peintre anversois Henri De Braekeleer, une nature morte de Jan Sluijters, La loge d’Evenepoel près des Deux printemps de Van de Woestyne…

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    Jan Sluijters, Nature morte avec fleurs, 1921, KMSKA, Anvers

    Il est temps de descendre au deuxième étage où règne Rubens. Une belle Epitaphe montre deux riches donateurs sur les panneaux latéraux autour d’un Christ montrant ses stigmates à trois apôtres. Des percussions incongrues me gênent dans les salles du grand maître, je les fuis pour m’arrêter devant Le Dauphin François de Jean Clouet, au visage pâle dans ses vêtements colorés, un petit format au cadre somptueux.

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    Jean Clouet, Le Dauphin François, fils du roi François Ier, 1520-1525,
    huile sur bois, 16 × 13 cm, KMSKA, Anvers

    Et voilà Dieu le Père entre des anges chanteurs et musiciens, chef-d’œuvre de Hans Memling. Madone entourée de séraphins (rouges) et de chérubins (bleus) de Jean Fouquet (Diptyque de Melun). Les œuvres phares des maîtres anciens du KMSKA sont superbement mises en valeur sur un grand mur où elles rayonnent. Schmerzensmann de Berlinde de Bruyckere (inspirée par Vlad L’Empaleur, 2006), entre en résonance avec les œuvres autour.

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    Hans Memling, Dieu le Père entouré d’anges chanteurs et musiciens, 1489, huile sur panneau, KMSKA, Anvers

    Je ne suis pas friande de ce qui distrait les visiteurs dans un musée (finira-t-on  par ne plus supporter de regarder des œuvres silencieuses et immobiles ?), mais on ne peut ignorer les musiciens et danseurs en résidence au KMSKA. Pendant cinq ans, ils se sont inspirés des maîtres anciens de la collection. On observe comment une posture, un geste attire l’attention vers telle ou telle figure d’un tableau. Parfois avec tant d’expressivité que nous applaudissons spontanément une danseuse qui évoluait au son d’une contrebasse.

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    Danse-performance devant Ferdinand de Braekeleer, Furie espagnole à Anvers

    Parmi les œuvres du XIXe, je suis attirée par un bel ensemble de Constantin Meunier : de petits bronzes (Puddler, Faucheur, Pêcheur) et une belle Maternité. Une ramasseuse de pommes de terre de Van Gogh. Comme dans les Salons de l’époque, on a superposé dans la salle suivante des toiles sur trois hauteurs, ce qui dessert celles du haut. Remarquable Sphynx parisien d’Alfred Stevens, charmants enfants de Jan Verhas, chats turbulents d’Henriette Ronner-Knip… C’est très varié.

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    Salle du "Salon", œuvres du XIXe siècle

    J’admire Visite d’Albrecht Dürer à Anvers en 1520  du peintre belge Henri Leys, dont on verra plus loin le portrait de sa fille Lucie Leys en robe verte. L’émouvant Michel-Ange au chevet de son amie morte Vittoria Colonna par Nicaise De Keyser. Je termine cette approche désordonnée et forcément incomplète en vous incitant à visiter un jour le KMSKA. La belle ville d’Anvers/Antwerpen vaut le voyage, toujours très animée et déjà parée pour Noël. (Merci, Ch. !)

  • L'Arbre

    picasso & abstraction,exposition,bruxelles,musées royaux des beaux-arts,peinture,sculpture,représentation,art figuratif,art abstrait,création,culture« Un arbre ? ou une abstraction ? Des courbes, des contre-courbes, des formes humaines se mêlent aux formes végétales. Deux tonalités rassurent : des verts pour indiquer le feuillage et des bruns rose sable pour les troncs et le pourtour de l’arbre.
    Au sommet, une ouverture bleue indique le ciel. Ce sont nos points d’ancrage dans le réel. […] »

    Suite à lire ici : Picasso & Abstraction, podcasts/transcriptions, Episode #4, Textes de Jennifer Batla © MRBAB 2022

    Pablo Picasso, L'Arbre, 1907, huile sur toile, Musée national Picasso-Paris,
    Dation Pablo Picasso 1979 © Succession Picasso

     

     

  • Picasso, abstrait ?

    Merveilleuse affiche « musicale » (ci-dessous) pour Picasso & Abstraction, l’exposition en cours aux Musées royaux des Beaux-Arts à Bruxelles. Elle montre « les liens entre l’œuvre de Picasso et l’histoire de l’art abstrait » et l’on y observe « au fil des décennies le mouvement de balancier que l’artiste opère entre abstraction et figuration. » (MRBAB). Cécile Debray, actuelle présidente du musée Picasso-Paris, rappelait dans un entretien que Picasso « éprouve une certaine réticence vis-à-vis de l’abstraction qui ne serait que pur jeu de formes, décoratif ou spirituel » (La Libre Belgique).

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    Pablo Picasso, Violon et feuille de musique, 1912, Paris, Papiers collés sur carton, 78 x 63,5 cm,
    Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso 1979 © Succession Picasso
     (affiche de l'exposition) Photo © Adrien Didierjean/RMN 

    Comme cette exposition est exceptionnellement accessible tous les jours, j’ai profité d’un lundi matin pour éviter l’affluence ; les groupes scolaires se succédaient, ce qui permettait de goûter le dialogue parfois ardu entre conférencières et élèves. Devant Le peintre et son modèle, au début du parcours consacré à l’atelier du peintre (peintures, sculptures, photos), les visiteurs peuvent écouter le premier des quinze « podcasts » explicatifs ou en lire la transcription (liens sur le site de l’expo) dont je me suis inspirée ici et là pour ce billet.

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    Devant Pablo Picasso, Le Peintre et son modèle, 1926, Huile sur toile, 172 x 256 cm,
    Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979 © Succession Picasso

    Sur cette toile où ligne et couleur sont « radicalement dissociées », en suivant les lignes, on repère le peintre à droite, devant une toile fixée sur un châssis, et le modèle à gauche, bras croisés, son profil en grand, un pied géant… L’esquisse préparatoire près du bord droit indique que la composition n’est pas le fruit du hasard. Le thème du peintre et de son modèle, Picasso l’aborde depuis 1914. Dix ans plus tard, il travaille aux illustrations du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac où on peut lire ceci : « En s'approchant, ils aperçurent dans un coin de la toile le bout d'un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs de tons, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme ; mais un pied délicieux, un pied vivant. Ils restèrent pétrifiés d'admiration devant ce fragment. »

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    Statuette de fécondité Abron, bois, Côte d'Ivoire, XXe s., Collection R. Dams / Pablo Picasso, Petit Nu de dos aux bras levés, 1907,
    huile sur toile, Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979 © Succession Picasso

    Retour à la figure dans la première salle (le parcours est à la fois thématique et chronologique) centrée sur la découverte des objets africains et océaniens au Musée du Trocadéro en 1907. Formes simplifiées, absence de perspective, une voie nouvelle s’ouvre pour représenter les corps. On voit bien la parenté de structure entre une statuette de fécondité africaine et Petit nu de dos aux bras levés, une étude pour Les demoiselles d’Avignon.

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     Pablo Picasso, Paysage aux deux figures, 1908, huile sur toile,
    Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979 © Succession Picasso

    Il y a là deux très beaux objets prêtés par l’Africa museum de Tervuren : une statue Kota en bois et laiton (Gabon), aux lignes du visage fortes et stylisées, et un masque Pende (RDCongo) bicolore qui évoque irrésistiblement le cubisme. Près d’un paysage de Cézanne, qui leur a montré la voie, un paysage cubiste de Braque et Paysage aux deux figures de Picasso montrent la même tendance à traiter le paysage par facettes, à disperser les couleurs, les lignes organisant la composition.

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    Pablo Picasso, Nature morte ovale au trousseau de clés, 1912, encre et crayon graphite sur papier d'emballage,
    Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979 © Succession Picasso

    Au début des années 1910, place au cubisme « analytique » : l’objet, la figure sont fragmentés, décortiqués en éléments constitutifs. Les gris, les bruns, les ocres dominent ; la structure importe plus que les tons. Picasso comme Braque donnent à leurs toiles des titres qui nous incitent à reconnaître une forme ici ou là, des clés, une bouche, une serrure, un damier (Nature morte ovale au trousseau de clés de Picasso), mais on est parfois « largué » comme l’écrivait une critique dans Le Temps à propos de Femme lisant de Braque, une toile par ailleurs harmonieuse et lumineuse. De Picasso, Guy Duplat écrit ceci dans La Libre Belgique : « Son art ramené parfois à des signes est toujours comme un condensé de la réalité jusqu’à s’en distancier très largement. »

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    Pablo Picasso, Guitare et bouteille de Bass, 1913, bois, papier collé, fusain, clous,
    Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979 © Succession Picasso

    Le collage de fragments sur la toile puis les papiers collés comme dans Violon et feuille de musique repris sur l’affiche (ill. 1) touchent à l’abstraction. Ce violon attire l’attention : rectangle bleu avec deux petits rectangles bruns (papier d’emballage) pour les ouïes, manche blanc « droit comme un métronome », segment de disque noir à la base, double galbe sur un côté en guise de profil. Beaucoup de douceur dans les couleurs un peu passées, le papier de la feuille de musique a un peu jauni. Quelle poésie dans cette composition ! Guitare et bouteille de Bass a été conçu dans le même esprit.

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    Pablo Picasso, Portrait de jeune fille, 1936, huile sur toile,
    Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979 © Succession Picasso

    Picasso cherchera d’autres façons de « spatialiser » à l’aide de lignes, par exemple dans Portrait de jeune fille dont les parties semblent posées comme une sculpture devant la mer, une toile peinte au printemps 1936 à Juan-les-Pins. A la fin de cette année-là, il multiplie les formes angulaires, les discordances entre forme et couleur dans Nature morte à la lampe : « trop blanc », « ça coupe comme le verre » comme quand la vie fait mal, d’après le commentaire de cette toile. Est-ce en référence à la guerre civile en Espagne ? La lampe à la « lumière mordante » annonce-t-elle celle de Guernica ?

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    Pablo Picasso, Nature morte à la lampe, déc. 1936, huile sur toile,
    Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979 © Succession Picasso

    Les dernières années de création suscitent des réactions diverses sur la « virulence » des couleurs, les sujets érotiques, la liberté gestuelle du peintre. Le parcours se termine avec La Cuisine, qui semble « une abstraction grise et blanche » de prime abord. Françoise Gilot, la compagne de Picasso à l’époque, y reconnaissait une fenêtre, une table, la cage aux deux tourterelles, celle du petit hibou, les assiettes, la plaque tournante du four…

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    Pablo Picasso, La cuisine, 1948, huile sur toile,
    Musée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979 © Succession Picasso

    En partenariat avec le Musée Picasso de Paris, Picasso & Abstraction propose un angle original pour observer comment a évolué Picasso, représentant incontestable de la création artistique sans cesse renouvelée. Les œuvres ont été choisies pour illustrer cette approche, elles montrent la diversité des moyens picturaux utilisés, entre figuration et abstraction, sans jamais renoncer au réel. « Il n’y a pas d’art abstrait, disait Picasso, il faut toujours commencer par quelque chose. On peut ensuite enlever toute apparence de réalité, il n’y a plus de danger, car l’idée de l’objet a laissé une empreinte ineffaçable. »

  • J'aime le rond

    J’aime le rond.
    J’aime le rond, les courbes, l’ondulation,
    le monde est rond, le monde est un sein.

    Saint Phalle Mouvement ob_b62322_nanas.jpg

    Niki de Saint Phalle, Mouvement
    (cliquer pour la source et le commentaire)

    Je n’aime pas l’angle droit, il me fait peur.
    L’angle droit veut me tuer, l’angle droit
    est un assassin.
         L’angle droit est un couteau,
    l’angle droit c’est l’enfer.

    Je n’aime pas la symétrie.
         J’aime l’imperfection.
    Mes cercles ne sont jamais tout à fait ronds.
    C’est un choix, la perfection est froide.
    L’imperfection donne la vie, j’aime la vie.

    J’aime l’imaginaire comme un moine
    peut aimer Dieu.
    L’imaginaire c’est mon refuge, mon palais
    l’imaginaire est une promenade à
    l’intérieur du carré et du rond.
         Je suis une aveugle, mes sculptures
    sont mes yeux.
         L’imaginaire est l’arc-en-ciel,
         le bonheur est l’imaginaire, l’imaginaire existe.

    NIKI DE SAINT PHALLE

    * * * * *

    Ma lecture en cours demande du temps,
    aussi je partage ce poème lu quelque part sur la Toile.
    A bientôt.

    Tania