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gravures

  • En regardant la vie

    Folon L'inutile beauté.jpg« Je crois que je suis quelqu’un qui dessine ce qu’il essaie de comprendre en regardant la vie. »

    « Je ne pense pas que mes dessins pourraient changer quelque chose. Je ne pense pas que le but du dessin soit de servir une idéologie ni même de servir à quoi que ce soit.
    Un dessin ne sert à rien ; c’est comme un arbre ou une fleur, ça ne sert à rien. Mais sans les arbres et sans les fleurs, nous serions tous morts. »

    Jean-Michel Folon

    © Folon, gravure du portfolio de L'inutile beauté, d'après G. de Maupassant, 1980

     

    Folon insolite, Maison Autrique, Schaerbeek > 29.09.2024

  • Folon insolite

    Il suffit d’intervertir deux lettres pour obtenir le titre bilingue de la nouvelle exposition à la maison Autrique : Folon insolite / Folon insoliet – une des manifestations organisées cette année à Bruxelles en l’honneur de Jean-Michel Folon, de février à septembre, avec la Fondation Folon. Son originalité, c’est d’épouser l’esprit de la maison, en installant dans toutes les pièces des œuvres (tapisseries, sculptures, aquarelles et gravures, céramiques...) et des objets personnels de l’artiste (carnets, photos, souvenirs, jouets, correspondance…). Comme si Folon (1934-2005) y habitait.

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    La Maison Autrique, premier hôtel particulier construit par Victor Horta en 1893, est en elle-même un musée bruxellois insolite. Un siècle plus tard, François Schuiten et Benoît Peeters apprenaient que la maison était à vendre et eurent l’idée d’en faire, après restauration, une demeure imaginaire, meublée des caves au grenier. Après les merveilleuses affiches de Privat Livemont, cette expo-ci, « inédite et sur mesure », nous invite à découvrir un Folon moins connu.

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    © Folon, L’Arbre qui pense, 1981, tapisserie

    Quelques marches mènent au comptoir d’accueil (bel étage) surmonté d’une tapisserie. En 1981, le directeur d’un atelier à Aubusson a convaincu Folon de laisser traduire ses nuances d’aquarelle en fils de laine et de soie. Près du piano, sous une autre tapisserie, La Pluie, je n’ai pas vu tout de suite Ulysse (la lumière est tamisée comme à l’origine dans cette maison), une longue sculpture où le personnage au chapeau et au long manteau, une valise à la main, se tient debout à l’avant de son embarcation sur les flots : le thème du voyage a beaucoup inspiré Folon.

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    © Folon, Ulysse (détail), 2004, bronze

    Dans la petite pièce au bout du couloir d’entrée, au-dessus de cahiers d’aquarelle en vitrine, trois plats en céramique émaillée reprennent des sujets souvent traités par l’artiste : le labyrinthe, l’arbre, le visage. Son graphisme simplifié – les yeux, le nez, la bouche – sont omniprésents dans son œuvre, on en verra un peu partout, y compris sur des photographies de Folon et même au grenier.

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    © Folon, Le Labyrinthe, céramique émaillée

    En descendant à l’office (au sous-sol dans les maisons bruxelloises classiques du XIXe siècle), vous en verrez même dans la buanderie. Parmi les objets usuels de la maison, c’est un plaisir de dénicher ici, au-dessus d’une paire de ciseaux de couture, une eau-forte où elle est prête à s’envoler, et là, sur la table, trois « outils » de cuisine devenus personnage, idole et oiseau – en bronze. Il faut bien regarder dans tous les recoins pour ne rien manquer de cette exposition.

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    © Folon, Sans titre, s.d., eau-forte et aquatinte

    Dans l’escalier vers le premier étage, encore une belle tapisserie, La route. Sur l’appui de fenêtre du palier, une longue main sculptée tient une figurine sur le bout des doigts : Qui ? Un petit format de la main ouverte de la chapelle à Saint-Paul de Vence, que Gwennaëlle Gribaumont commentait ainsi dans La Libre : « Une main tendue vers l’autre, prête à donner et à secourir. Une main tournée vers le ciel, tout comme le petit personnage qui l’accompagne » (2020, Folon. Sculptures, à l'abbaye de Villers-la-Ville).

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    © Folon, Qui ?, 1997, bronze

    Dans la grande chambre, vous ne manquerez pas de remarquer une gravure étonnante, des hauts talons ornés de papillons, mais peut-être passerez-vous devant la cheminée sans y remarquer L’homme volant ou, près des malles, les chapeaux sur le porte-manteau, ramenés de voyage par Folon et sa compagne. Il y a même un chapeau safari équipé d’une cellule photovoltaïque pour alimenter son ventilateur intérieur !

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    © Folon, Hommage à Morris Hirschfield, 1977

    Attention aussi aux portes entrouvertes – jetez-y un œil et vous découvrirez des photos, des vêtements, des souliers... Sur le lavabo, une boîte de dentifrice dessinée par Folon, un projet d’emballage. Dans le salon privé, côté rue, on peut s’asseoir pour regarder la vidéo sur l’artiste, et là aussi, il faut chercher autour de soi des intrus bienvenus, si j’ose dire, comme Le Poids des pensées (en bronze), une tour Eiffel à la Folon, des livres de prix, etc.

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    © Folon, gravure du portfolio Toys, 1979

    Au deuxième, dans la chambre d’enfant, quatre gravures de la suite Toys (1979) font rêver de voyage en avion, en train, en bateau et même en tracteur ! Folon volait avec ses pinceaux. J’aurais aimé vous montrer d’autres gravures aux machines volantes, mais il manquait de lumière pour prendre de bonnes photos sans flash. La vitrine de la chambre contient une multitude de petits objets chinés ou décorés par Folon au long de sa vie, il y a de quoi observer et s’amuser.

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    "Les photographies révèlent aussi sa capacité à anthropomorphiser les objets qui l'entourent."
    (Toutes les citations émanent du dépliant ou du site de l'exposition Folon insolite.)

    Dans la chambre photographique, de petits instantanés, souvenirs de Folon en compagnie d’autres artistes, et des photographies en noir et blanc qui lui ont souvent servi pour ses créations. Enfin, tout en haut, dans le bureau d’architecte, vous verrez du courrier de Folon près du meuble à tiroirs où sont glissées des citations. C’est là que j’ai photographié Poésie, une gravure à l’aquatinte (en évitant les reflets).

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    © Folon, Poésie, 1985

    Folon n’est pas seulement le dessinateur et illustrateur qui a fait entrer les nuances de l’aquarelle dans un cortège d’images fortes de la modernité au XXe siècle. Il a créé tout un monde imaginaire, visuel d’abord, puis aussi sculpté. Folon insolite « met à l’honneur un Folon méconnu et passionnant ». Jusqu’au 29 septembre à Schaerbeek, à la Maison Autrique.

  • Comprendre le lien

    Dans Eclaircies, dernier texte du recueil Paysages avec figures absentes, Philippe Jaccottet commente la poésie de Hölderlin et de Rilke, entre autres. J’y note ceci, à la fin d’une longue parenthèse : « Le langage le plus sobre est celui qui a le plus de chances de rendre compte des œuvres comme il sied. » Voilà qui m’encourage à tenter de partager cette lecture.

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    Près de Grignan, à la grotte de Rochecourbière 

    Les proses poétiques du poète de Grignan ouvrent un chemin de mots, ce ne sont pas des histoires. Il s’agit de « comprendre le lien qui les lie à notre vie profonde », écrit-il dans l’incipit à propos de ces cadeaux que nous font certains paysages. Jaccottet a l’art de nous accrocher à sa vision de l’instant : « Plus qu’aucune autre saison, j’aime en ces contrées l’hiver qui les dépouille et les purifie. » Puis viennent les images : les couleurs, les sols pierreux où poussent les chênes verts. « … Et sans cesse autre chose étonne » : un ciel au couchant ou « l’énigmatique luminosité du crépuscule ».

    « L’immédiat : c’est à cela décidément que je m’en tiens, comme à la seule leçon qui ait réussi, dans ma vie, à résister au doute, car ce qui me fut ainsi donné tout de suite n’a pas cessé de me revenir plus tard, non pas comme une répétition superflue, mais comme une insistance toujours aussi vive, comme une découverte chaque fois surprenante. »

    Dans ce pays de Grignan, « pays de murs », Jaccottet regarde les remparts de villages, les murets de pierres sèches le long des chemins ou autour des propriétés, décrit leur structure, dit leur beauté venue de temps anciens qui s’y dissimulent. Un lieu peut ouvrir « la magique profondeur du Temps », rappeler des monuments, des tableaux, les paysages de Cézanne. En ceux-ci, « où il n’y avait que montagnes, maisons, arbres et rochers, d’où les figures s’étaient enfuies, la grâce de l’Origine était encore plus présente (…) ».

    Sur le seuil le montre à l’écoute de l’eau, au retour de la pluie, des gouttes multipliées comme des notes – « Paroles du ciel à la terre. Comme autant de « oui » ronds, lumineux, décidés, tout près de nous, en même temps très loin, comme au-delà. La fable des sources. » L’eau est aussi ce qui le conduit dans Bois et blés, à la dérive.

    Que j’aime l’art avec lequel le poète évoque la tourterelle turque, oiseau pour moi lié aux séjours dans le Var, aux arbres d’un jardin familier, avec son « collier d’ardoise ». La terre, l’eau et l’air murmurent des secrets, tissent des correspondances : « L’eau, miroir du vent ; mais une prairie aussi, soyeusement, le dénonce. (Travaux au lieu dit l’Etang)

    Des vers viennent, par tâtonnements, variations :

    « […]
    Soudain, où étaient l’herbe et la terre
    de longues pluies aux roseaux veufs
    ont rendu leur étang.

    Le vent souffle. Sur l’autre bord
    où l’eau se heurte à ces cloisons de paille
    l’écume ! où hier s’ouvraient les narcisses. »

    Ou une devise poétique :

    « Contre ce qui t’arrête
    sache fleurir, comme l’eau. »

    Une autre dans Oiseaux invisibles, texte rayonnant où les contemplatifs peuvent se reconnaître :

    « Ecoute, regarde, respire. »

    Philippe Jaccottet écoute l’eau, les oiseaux, le vent. Comme en peinture, tout nous est présent par la lumière – un paysage, même sans figures, est habité : « Chez Poussin, tout l’espace devient monument. Les mesures sont amples et calmes. La terre et le ciel reçoivent leur part juste, et dans ce monde harmonisé il y a place pour les dieux et les nuages, pour les arbres et les nymphes. Le temps ici ne joue ni ne délire. Il est pareil à la lumière qui dore les dômes de feuillage et ceux des villes lointaines, les chemins et les rochers. » (Prose ou serpent)

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    Dans Paysages avec figures absentes, le poète invite des artistes de pinceau ou de plume à l’unisson de ce monde lumineux. A la fin d’un texte intitulé « Si les fleurs n’étaient que belles… » (Senancour dans Oberman), une autre merveilleuse parenthèse débute ainsi : « Innocence et culture : on ne devrait pas les opposer comme incompatibles. » Je vous en cite aussi la fin, pour clôturer ce billet : « Les œuvres ne nous éloignent pas de la vie, elles nous y ramènent, nous aident à vivre mieux, en rendant au regard son plus haut objet. Tout livre digne de ce nom s’ouvre comme une porte, ou une fenêtre. »

  • Paysages de Jaccottet

    Paysages avec figures absentes de Philippe Jaccottet (1925-2021) – un titre choisi au hasard pour l’aborder – a paru sous le titre Paysages de Grignan en 1964, en guise d’introduction aux gravures de Gérard de Palézieux (1919-2012) à la bibliothèque des Arts de Lausanne, signale une note de Poésie/Gallimard. En voici l’incipit.

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    Je n’ai presque jamais cessé, depuis des années, de revenir à ces paysages qui sont aussi mon séjour. Je crains que l’on ne finisse par me reprocher, si ce n’est déjà fait, d’y chercher un asile contre le monde et contre la douleur, et que les hommes, et leurs peines (plus visibles et plus tenaces que leurs joies) ne comptent pas assez à mes yeux. Il me semble toutefois qu’à bien lire ces textes, on y trouverait cette objection presque toute réfutée. Car ils ne parlent jamais que du réel (même si ce n’est qu’un fragment), de ce que tout homme aussi bien peut saisir (jusque dans les villes, au détour d’une rue, au-dessus d’un toit). Peut-être n’est-ce pas moins utile à celui-ci (en mettant les choses au pis) que de lui montrer sa misère ; et sans doute cela vaut-il mieux que de le persuader que sa misère est sans issue, ou de l’en détourner pour ne faire miroiter à ses yeux que de l’irréel (deux tentations contraires, également dangereuses, entre lesquelles oscillent les journaux et beaucoup de livres actuels). Des cadeaux nous sont encore faits quelquefois, surtout quand nous ne l’avons pas demandé, et de certains d’entre eux, je m’attache à comprendre le lien qui les lie à notre vie profonde, le sens qu’ils ont par rapport à nos rêves les plus constants. Comme si, pour parler bref, le sol était un pain, le ciel un vin, s’offrant à la fois et se dérobant au cœur : je ne saurais expliquer autrement ni ce qu’ont poursuivi tant de peintres (et ce qu’ils continuent quelquefois à poursuivre), ni le pouvoir que le monde exerce encore sur eux et, à travers leurs œuvres, sur nous. Le monde ne peut devenir absolument étranger qu’aux morts (et ce n’est même pas une certitude.)

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    Pour une première rencontre avec un poète, quel bel accueil ! Lecture à poursuivre.