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culture

  • Richard Diebenkorn

    Une illustration pleine page m’a retenue un long moment dans Rose de Pastoureau : selon le titre de la notice, une « Abstraction lyrique en rose, beige et bleu » de Richard Diebenkorn (1922-1993). J’y vois aussi de l’orange, du jaune, du blanc, du vert foncé… Diebenkorn ? Un nom jamais entendu, pour ma part. Voici la peinture et la légende, pour commencer. 

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    © Richard Diebenkorn, Berkeley No. 8, 1954, huile sur toile, 175.6 x 150.2 cm.
    Raleigh (USA), North Carolina Museum of Art 

    « Très connu aux Etats-Unis, Richard Diebenkorn (1922-1993) l’est beaucoup moins en Europe. Grand coloriste, il est passé de la figuration à l’expressionnisme abstrait, puis finalement à l’abstraction géométrique. Le succès de sa prolifique série intitulée Ocean Park était tel dans les années 1970-1980 qu’il vendait certains de ses tableaux avant même de les avoir peints. »

    Selon Wikipedia, le peintre américain a commencé sa série Ocean Park en 1967 et l’a poursuivie pendant dix-huit ans. Fondées sur le paysage qu’il voyait par la fenêtre de son atelier, ce sont de grandes compositions abstraites « nommées d’après une communauté à Santa Monica où il a eu son atelier un temps ». Or la peinture ci-dessus, renseignée par erreur dans l’album sous le titre Ocean Park n° 135, date de 1954. Je l’ai retrouvée en ligne sur le site du North Carolina Museum of Art sous le titre Berkeley No. 8 (Berkeley, Californie, où il a vécu de 1955 à 1966).

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    © Richard Diebenkorn, Femme sur un porche, 1958, huile sur toile, 182.9 x 182.9 cm.
    Musée d’art de la Nouvelle-Orléans. © Fondation Richard Diebenkorn

    Il était alors un peintre figuratif important, un des représentants de l’École de la Baie de San Francisco. D’abord passionné par Hopper, il a combiné la manière de Matisse à l’expressionnisme abstrait, Un de ses anciens élèves à l’UCLA a témoigné en 2016 sur « Ce que Diebenkorn et Matisse [lui] ont appris sur le dur labeur de la création artistique » dans un article que je vous recommande, en voici un extrait (en traduction).

    « L’un de ses sujets de prédilection était Henri Matisse. Il avait une grande affiche de la Vue de Notre-Dame de Matisse positionnée sur le mur près des immenses fenêtres donnant sur la plage et l’océan Pacifique à quelques pâtés de maisons. Quand je me souviens de son atelier, je me souviens avoir pensé qu’il verrait l’affiche et la lumière atmosphérique de l’océan en même temps. » (Elyn Zimmerman)

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    A gauche : Henri Matisse, Vue de Notre-Dame,1914, huile sur toile, 147,3 x 94,3 cm.
    MOMA, New York
    © Succession H. Matisse
    A droite : Richard Diebenkorn, Ocean Park #79, 1975, huile et fusain sur toile, 236.2 × 205.7 cm,
    Philadelphia Museum of Art, © the Richard Diebenkorn Foundation

    Le premier livre sur Matisse acheté par Diebenkorn en 1954 était Matisse : His Art and His Public (1951) d’Alfred H. Barr Jr. Deux œuvres de Matisse ont exercé une influence déterminante sur les toiles dites Ocean Park de Richard Diebenkorn : Fenêtre ouverte, Collioure et Vue de Notre-Dame, qu’il a vues à Los Angeles en 1966.

    En 2017, le Musée d’art moderne de San Francisco (SFMOMA) a présenté une exposition « Matisse / Diebenkorn », la première sur le dialogue profond entre le peintre américain et le peintre français qui l’inspirait. Elle rassemblait 40 œuvres de Matisse et 60 de Diebenkorn, révélatrices des liens entre eux, que ce soit par le sujet, le style, la couleur ou la technique. Sur le site du musée, vous pouvez voir quelques-unes de ces peintures en duo et leur présentation par les deux commissaires de l’exposition. 

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    A gauche : Henri Matisse, Poissons rouges et Palette,1914, huile sur toile, 147,3 x 94,3 cm. MOMA, New York © Succession H. Matisse
    A droite : Richard Diebenkorn, Urbana #6, 1953, huile sur toile, 175.9 × 147.32 cm..
    Modern Art Museum of Fort Worth
    © the Richard Diebenkorn Foundation

    « Un excellent exemple serait Poissons rouges et palette de Matisse (1914) et Urbana #6 de Diebenkorn (1953) », note Janet Bishop. « Je l’aime parce qu’il y a une relation si claire entre les deux peintures dans la palette et dans la structure. Et si vous regardez la façon dont Diebenkorn a animé sa composition avec des taches rouges au milieu du champ noir, il est facile de voir un lien avec les poissons de Matisse, même si les taches ne sont pas censées être de vrais poissons. Matisse a peint en grande partie dans une veine figurative, mais vous voyez certainement l’influence dans les périodes abstraites de Diebenkorn également. Dans Urbana #6, il a pris plusieurs aspects du Matisse et les a fait siens. » (SFMOMA)

    Un autre article intéressant, si cela vous tente, est accessible sur le site d’APARENCES (Histoire de l’art et actualité culturelle), également illustré. Enfin, la Fondation Diebenkorn, qui projette de montrer toute la production du peintre en ligne, permet de visionner ses œuvres rassemblées par type et par sujet, un catalogue formidable pour qui s’intéresse à ce peintre qui n’a pas révolutionné l’histoire de l’art, mais a été « capable de combiner avec succès des influences aussi diverses que l’Expressionnisme abstrait, le Color Field Painting et toute l’histoire de la « belle peinture » européenne. » (Aparences.net)

  • Des histoires

    Dürrenmatt Portrait.jpg« Y a-t-il encore des histoires possibles, des histoires pour écrivains ? Quand on est de ceux qui n’aiment pas parler d’eux-mêmes, qui se refusent à tirer de leur moi des vérités générales, sur le mode romantique ou poétique, qui ne se sentent pas obligés de dire leurs espoirs et leurs échecs, le plus véridiquement du monde, ni comment et avec qui ils couchent, comme si la véracité pouvait donner à tout cela une portée universelle, alors qu’elle en fait un simple compte rendu médical, psychologique dans le meilleur des cas ; pour peu qu’on cherche au contraire à s’en détourner, préférant s’effacer discrètement et défendre ce qui est de l’ordre du privé, gardant face à soi la matière comme le sculpteur son matériau, travaillant cette matière et grandissant à son contact, tentant, en classique pour ainsi dire, de ne pas désespérer tout de suite, même si personne ne peut nier la pure folie qui surgit de toutes parts, alors l’écriture devient plus difficile et plus solitaire, plus absurde aussi, on se fiche d’une bonne note dans l’histoire littéraire – à qui n’a-t-on pas décerné de bonnes notes, quels torchons n’a-t-on pas encensés, – les exigences de l’heure prennent le dessus. »

    Friedrich Dürrenmatt, La panne (incipit)

    Friedrich Dürrenmatt, Portrait du psychiatre Otto Riggenbach, 1962,
    gouache sur carton, collection Centre Dürrenmatt Neuchâtel

  • Maître du grotesque

    La panne de Friedrich Dürrenmatt (1921-1990)  figurait dans ma liste de lecture depuis des années, j’en ai trouvé à la bibliothèque une nouvelle traduction de l’allemand par Alexandre Pateau, publiée l’an dernier. Le livre refermé, je me réjouis d’avoir enfin découvert ce roman court que je n’ai pas lâché avant la fin. Le début, déjà, est formidable – je vous en réserve un long extrait pour le billet suivant. Il éclaire le sens du sous-titre : « Une histoire encore possible ».

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    L’œuvre date de 1956. L’intrigue débute par une panne de voiture : la Studebaker d’Alfredo Traps, « quarante-cinq ans, dans le textile », s’arrête et refuse de redémarrer, à une heure de chez lui. Le garagiste venu la remorquer ne pourra la réparer avant le lendemain matin. Au lieu de marcher jusqu’à la gare et de rentrer en train pour retrouver sa femme et leurs quatre garçons, Traps décide de passer la nuit sur place.

    A l’auberge du village dont il avait entendu dire du bien, toutes les chambres sont prises (un congrès). On indique au représentant une villa « qui prenait quelquefois des voyageurs ». Le vieillard occupé dans le grand jardin qui l’entoure, en fait le maître de maison, scrute son visiteur et lui offre l’hospitalité. Mlle Simone, la gouvernante, s’occupe de lui, il aime « héberger un invité de temps à autre ».

    Tout en taillant un rosier, il le prévient : il attend quelques amis pour le dîner et invite Traps à leur « petite réunion d’hommes ». Même s’il projetait d’aller manger à l’auberge, son hôte ne veut pas « passer pour un citadin grossier » et accepte. La chambre est accueillante. De la fenêtre, il voit arriver trois vieux messieurs. Quand il les rejoint dans la véranda ouverte sur le jardin, il dit adieu à son projet de « dénicher une fille de ferme » en saluant ces trois vieillards, « tels trois énormes corbeaux », « affreusement vieux, tachés et négligés, même si leurs redingotes semblaient de première qualité ».

    A l’apéritif, le maître de maison demande à Traps s’il veut bien participer à leur « petit jeu » habituel – « Mais naturellement. Les jeux m’amusent beaucoup. » Ses amis et lui, un ancien juge, jouent le temps d’une soirée à leurs anciens métiers (juge, procureur, avocat), l’idéal étant de jouer avec « un sujet vivant » dans le rôle de l’accusé. Traps est d’accord, intrigué et ravi d’échapper à des conversations « barbantes ».

    Tout en trinquant à sa santé, l’avocat lui conseille en aparté d’avouer son crime sans attendre, pour qu’il puisse bien le défendre devant ce tribunal improvisé. Traps proteste en riant, il n’a commis aucun crime et s’amuse d’entendre l’avocat lui reprocher l’inconscience de se déclarer innocent. « Mais surtout, surtout, pesez bien chaque mot, ne bavardez pas comme un étourdi, sinon, avant de dire ouf, vous serez condamné à plusieurs années de prison, sans possibilité de retour. »

    Le repas commence dans une excellente ambiance. Quand l’accusé clame son innocence, le juge et le procureur sont stupéfaits ; ils lui posent des questions que Traps prend à la rigolade. La panne est le récit de cette soirée bien arrosée pendant laquelle l’atmosphère se tend peu à peu – Traps est le seul à ne pas prendre la conversation au sérieux, même quand il comprend, un peu tard, que le jeu a déjà commencé.

    Je n’en dirai pas plus pour vous laisser le plaisir d’entrer dans cette histoire devenue rapidement une pièce radiophonique pour la Radio bavaroise, une « dramatique ». En 1958, Dürrenmatt recevra le prix de la Tribune de Genève pour La Panne en prose. Se réjouissant dans Le Monde de la réédition d’un « maître du grotesque moderne », Nicolas Weill signale que ses romans « souffrent d’une autre occultation, conséquence paradoxale de leur notoriété : ses multiples adaptations à l’écran ».

    La présentation de l’écrivain suisse par Mirel Bran dans Nuit blanche, le magazine du livre (1996) permet de faire plus ample connaissance : « La réalité est source d’horreurs et l’écrivain ne fait que les montrer. Mais Friedrich Durrenmatt raconte le monde avec ironie et humour, il en dénonce le grotesque sans intervenir. » J’y apprends qu’en plus d’écrire dans un style impeccable, il dessinait et peignait : « Mes tableaux et mes dessins représentent un complément de mon œuvre écrite — pour tout ce que je ne puis exprimer que par l’image. »

  • Pastoureau en rose

    Après Bleu, Noir, Vert, Rouge, Jaune, et enfin Blanc pour terminer sa série « Histoire d’une couleur », Michel Pastoureau nous offre une suite, quelle bonne nouvelle ! Des traces anciennes à aujourd’hui, Rose. Histoire d’une couleur (2024) explore la présence d’abord discrète de cette couleur jusqu’au quatorzième siècle, avant qu’elle soit admirée, sans pourtant avoir de nom précis. Désignée enfin par un nom de fleur, le rose deviendra une couleur ambivalente, à présent adulée ou rejetée, écrit-il. 

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    Un rappel important : comme pour les précédents, lisez ce livre dans le format original (quasi carré) si possible. Avec ses très nombreuses illustrations (de qualité, souvent en pleine page, avec une légende explicative), bien choisies pour accompagner le texte, la découverte de l’album procure un plaisir raffiné, sans comparaison avec la lecture de l’essai en format de poche, à mon avis.

    « Le rose est-il une couleur à part entière ? » Cette question, Pastoureau la pose à  l’entame de son introduction. Le scientifique n’y voit qu’une nuance de rouge, l’historien note son absence dans le lexique des couleurs en grec et en latin. Ce n’est que vers le milieu du dix-huitième siècle que le mot « rose » va passer de la reine des fleurs à un adjectif de couleur ! L’auteur rappelle que son champ d’étude se limite aux sociétés européennes ; pour l’historien, « les problèmes de la couleur sont d’abord des problèmes de société ».

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    Hadès enlevant Perséphone. Peintures funéraires dans la tombe d'Eurydice,
    mère de Philippe II, roi de Macédoine, vers 340 avant J.-C. Nécropole de Vergina (Aigai), Thessalonique.

    Des origines au XIVe siècle, les traces visibles de rose n’en sont pas toujours, la patine du temps ayant fait son œuvre. Des découvertes récentes en Macédoine attestent l’emploi du rose pour peindre des vases ou des décors, obtenu tantôt par l’argile utilisée et son degré de cuisson, tantôt « soit par mélange de blanc de plomb, de blanc d’os et d’un peu d’ocre rouge, soit par la juxtaposition d’une petite touche de cinabre et d’une autre d’argile blanche. Le mélange des deux couleurs se fait alors dans l’œil du spectateur. »

    La plupart des peintres à l’œuvre en Macédoine « portent une attention particulière au rendu des chairs », aux carnations : plus claires pour les femmes, plus foncées voire orangées pour les hommes. Même observation sur les peintures murales de Pompéi ou d’autres cités vésuviennes, également sur les portraits funéraires du Fayoum.

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    Peinture murale provenant du triclinium de la villa de Publius Fannius Synistor, à Boscoreale (Campanie).
    New York, The Metropolitan Museum of Art

    Pastoureau, qui oriente ses recherches dans tous les domaines de la vie y compris les tissus décoratifs et les vêtements, a trouvé du rose parmi les couleurs liturgiques contemporaines (dimanches de Gaudete et Laetare), « un contresens » qui méconnaît l’histoire des couleurs, où le rose n’apparaît ni au Moyen Age ni sous l’Ancien Régime. Pas de rose non plus dans les blasons.

    Mais il est bien mentionné dans la Prammatica del Vestire (1343-1345) où l’on recense la garde-robe des grandes dames de Florence : les tons rouges dominent, avec toutes leurs nuances. Les contacts avec l’Orient, l’Inde et les conseils de leurs teinturiers vont provoquer une vogue nouvelle en Toscane pour les roses et les orangés, tirés du « bois de brésil » découvert par les Portugais en Amérique du Sud (bois qui a donné son nom au pays). Le rose devient à la mode en Italie, en France, en Angleterre, une couleur désirable pour les gens de cour et, dorénavant, une couleur admirée.

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    Terence, Comediae, Paris, vers 1410-1411,
    Paris, BnF, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 664, folio 75 verso

    Pastoureau raconte les hésitations du lexique pour la désigner, l’évolution de la culture des rosiers et des couleurs pour leurs fleurs, ainsi que le temps qu’il a fallu pour passer du terme « incarnat » (« plus près du rouge que de notre rose contemporain ») à l’adjectif « rose », apparu entre 1750 et 1780, quand la vogue des tons roses et la mode s’épanouissent dans les classes aisées. Les Anglais, eux, empruntent « pink » à l’œillet, qui portait ce nom bien avant que le mot désigne une couleur.

    En lisant Rose. Histoire d’une couleur, on découvre que les hommes portaient alors du rose comme les femmes ; Pastoureau nous le montre sur de beaux portraits du XVIIIe siècle. Comment le rose est-il devenu une couleur féminine (layette, rose Barbie) ? Pourquoi est-il mal aimé ou ambivalent ? Il a envahi le monde de l’hygiène avant d’être supplanté par le blanc, il a rendu populaire une célèbre panthère. Mais il reste ambigu : il y aurait un bon et un mauvais rose… (J’avoue ne pas souscrire pour autant à l’extrait qui suivra dans le prochain billet.)

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    Jean-Baptiste Greuze, Charles Claude de Flahaut, Comte d'Angiviller, 1763,
    New York, The Metropolitan Museum of Art

    J’imaginais trouver dans la dernière partie cette jolie palette du rose au mauve, des roses indiens, qui régnait dans les années 70, que ce soit pour les tissus, les couvertures de cahiers ou de livres (collection La Cosmopolite chez Stock, couvertures du Journal d’Anaïs Nin au Livre de Poche, par exemple). Mais l’histoire du rose s’arrête ici dans les années 60. Dans la conclusion, Pastoureau annonce que Rose inaugure une nouvelle série consacrée aux « demi-couleurs » : l’orangé, le gris, le violet et le brun. Il souligne « le caractère incertain du champ chromatique des cinq demi-couleurs ». On ne doute pas qu’il en tire de la belle matière.

  • Le Marteleur

    Meunier Namur (54) Le Marteleur.jpg

    « Le Marteleur est contemporain de la révolte sociale de mars 1886, une vague d’émeutes et de grèves ouvrières insurrectionnelles dans les bassins industriels des provinces de Liège, de Hainaut et de Namur. Si le réalisme de son marteleur indique la difficulté du travail de l’ouvrier, la posture est plus « classique ». En effet, on retrouve le contrapposto emprunté à la sculpture de l’Antiquité classique et de la Renaissance italienne. Le rendu du corps, le geste et l’attitude de l’ouvrier au repos sont issus des observations in situ qu’a pu faire Meunier. Le réalisme est accentué par le port du vêtement caractéristique avec la visière, le tablier, les longues guêtres et les tenailles. Mais c’est surtout la posture plus classique, avec la main gauche posée sur la hanche qui donne au métallurgiste toute « la grandeur plastique de l’ouvrier industriel. » (Dossier pédagogique, page 7, où les deux gravures sont également commentées. Illustrations.)

    constantin meunier,la genèse d'une image,exposition,musée rops,namur,peinture,sculpture,gravure,dessin,illustration,mine,ouvriers,pays noir,travail,art,culture,le marteleurMarteleur : « Ouvrier chargé du cinglage, opération qui consiste, à l’aide d’un marteau pilon, à extraire les laitiers (scories pauvres en fer) de la loupe [masse de minerai mal fondu, renfermant des scories (TLF)] obtenue par le puddlage [brassage de la fonte] et de souder entre eux les grumeaux de fer qui la constituent. Le marteleur conduit ces boules spongieuses sous le marteau à l’aide d’une tenaille à coquille (comme celle sur laquelle s’appuie Le Marteleur de Meunier). Une fois martelées, elles s’agrègent en loupes affinées, pesant jusqu’à 200 kg, prêtes à être déroulées sous forme de barres plates dans les cylindres cannelés du laminoir. Le marteleur porte un large tablier de cuir, des brassards et des guêtres en tôle, ainsi qu’une visière en treillis métallique qui le protègent des projections de laitier brûlant. » (Lexique affiché à l’exposition & [ajouts])

    Constantin Meunier, Le Marteleur, 1886, bronze, Bruxelles, MRBAB et deux gravures au mur :

    A droite : Auguste Danse (d’après Constantin Meunier), Le Marteleur, 1911, eau-forte sur papier,
    1010 x 620 mm, Bruxelles, KBR

    A gauche : Daniel De Haene (inspiré par Constantin Meunier), Le Marteleur, 1888, eau-forte sur papier,
    545 x 360 mm, Bruxelles, KBR

    Constantin Meunier. La genèse d’une image, Namur, musée Félicien Rops > 07.09.2025