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culture

  • En japonais

    akira mizubayashi,ame brisée,roman,littérature française,japon,violon,musique,guerre,lutherie,archèterie,langues,culture« Le jour où Jacques se décida à écrire à Midori Yamazaki, il n’eut donc pas trop de mal à rédiger sa lettre en japonais. Bien sûr, il écrivait plus facilement et plus vite en français, mais s’exprimer en japonais n’était pas un obstacle majeur. Il n’écrivait assurément pas comme un Japonais qui avait toujours vécu au Japon. Sa connaissance active des idéogrammes était limitée. Devenu français, ayant passé les six septièmes de sa vie en France, il usait désormais de sa langue de naissance comme un étranger en userait. Si le fait de se mouvoir en japonais n’était plus quelque chose de naturel et lui demandait un effort particulier, cela ne lui coûtait pas pour autant. Jacques savait que la violoniste avait séjourné en France pour parfaire sa formation au Conservatoire de Paris ; elle comprenait donc le français très certainement. Il opta cependant pour le japonais. Ce qu’il voulait lui dire concernait la couche la plus profonde de son existence, l’événement de sa vie vécu en japonais soixante-cinq ans auparavant, mais congelé, figé ou pétrifié depuis lors comme si le temps avait été assassiné, s’était coagulé, arrêté définitivement. »

    Akira Mizubayashi, Ame brisée

  • A tous les fantômes

    Akira Mizubayashi (°1951) m’était inconnu jusqu’à ce que je lise un éloge d’Ame brisée (2019), roman dont je viens de terminer la lecture et qui m’a enchantée. Je suis ravie d’apprendre que c’est le premier d’une « une trilogie romanesque autour des thèmes de la guerre et de la musique » et j’apprends que cet écrivain qui vit à Tokyo écrit en français, comme il s’en explique dans Une langue venue d’ailleurs (2011), sa première publication chez Gallimard. Il a obtenu en 2025 le Grand Prix de la francophonie.

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    Edition illustrée (45 œuvres de grands peintres du XXe siècle)

    Dédié « à tous les fantômes du monde », Ame brisée comporte deux épigraphes : la définition de l’âme (d’un instrument à cordes) et une citation tirée de Moments musicaux de Th. W. Adorno. L’intrigue s’ouvre sur une scène dramatique à Tokyo, en novembre 1938, dont Rei, alors collégien, a été le témoin. Il avait accompagné son père, Yu Mizusawa, au Centre culturel municipal, muni du livre Et vous, comment vivrez-vous, l’histoire de Coper, que son père lui avait recommandé.

    Un visiteur français arrive, Philippe, et annoncer à son ami Yu qu’il va quitter le Japon où la situation devient trop difficile pour un journaliste. Arrivent ensuite trois jeunes musiciens amateurs – Kang, un violoniste ; Yanfen, une altiste ; Cheng, un violoncelliste – rares étudiants chinois non impressionnés par la situation politique depuis l’incident de Mandchourie en 1931.

    Yu demande à son fils de tirer les rideaux noirs et d’allumer la lumière, puis la répétition commence. Philippe reconnaît le début du quatuor à cordes en la mineur opus 29 de Schubert, dit « Rosamunde », puis s’en va discrètement, il reviendra plus tard. Depuis peu, ils explorent ensemble le premier mouvement, « Allegro ma non troppo », observent, reprennent… Au bout d’une heure, ils font une pause pour prendre le thé et les musiciens répondent à la question de Yu sur les raisons qui les ont fait rester au Japon déclaré « pays ennemi ». Ils échangent aussi sur la langue ; Yu, comparant le japonais et le français qu’il apprend avec Philippe, propose qu’ils s’appellent tous par leur prénom pour plus d’égalité entre eux quatre.

    La musique reprend, brusquement interrompue par l’irruption de militaires. Aussitôt, Yu ordonne à Rei de se cacher dans la grande armoire. On les interroge sur ce qu’ils font, tous rideaux fermés, et le fait de jouer une musique étrangère, de fréquenter des « Chinetoques », de répondre posément met le chef des soldats en rage : après avoir frappé Yu, il jette son violon à terre et l’écrase avec ses bottes. L’arrivée d’un « lieutenant » calme immédiatement le caporal Tanaka à qui il reproche son comportement. Puis il interroge le premier violon sur l’œuvre qu’ils répètent, sur la provenance de son violon cassé – un instrument ancien fait par un luthier français, Nicolas François Vuillaume, en 1857.

    A la demande du lieutenant, Yu Mizusawa joue sur un autre violon la Partita n° 3 en mi majeur de Jean-Sébastien Bach, la Gavotte en rondeau (3e mouvement). Ainsi, il apparaît clairement qu’ils s’occupaient de musique et non d’autre chose, fait remarquer le lieutenant musicophile. Hélas un message arrive du QG : tous les suspects interrogés doivent y être emmenés. Resté seul, le lieutenant ramasse le violon sur le sol, ouvre l’armoire et le tend à l’enfant caché, qui entend les appels adressés à Kurokami – un nom qu’il retiendra. Rei est seul désormais (sa mère est décédée).

    On le retrouve ensuite en France, devenu un vieil homme. Il s’appelle à présent Jacques Maillard et sa compagne, Hélène, lui apprend qu’une Japonaise de vingt-trois ans, Midori Yamazaki, a remporté un premier prix à Berlin. Jacques est luthier et prend soin des instruments des musiciens de passage avant leur concert. Hélène est archetière. Ils s’étaient rencontrés lors d’un stage à Mirecourt.

    Hélène a trouvé une interview de Midori Yamazaki où celle-ci déclare tout devoir à son grand-père ancien militaire et mélomane. Elle encourage le luthier à écrire à la musicienne à propos de l’identité de son grand-père : il s’agit bien de Kurokami dont il a un souvenir si vif, qui n’est plus de ce monde. Ame brisée est le récit de rencontres émouvantes où les souvenirs, les destins personnels, la musique sont au premier plan. C’est aussi, en même temps, l’histoire d’un violon – mais n’en disons pas trop.

    Le dernier roman d’Akira Mizubayashi, La Forêt de flammes et d’ombres, est « une fiction sur la fin de la Seconde Guerre mondiale au Japon et la musique » (Le Figaro). Je me tournerai d’abord vers Reine de cœur et Suite inoubliable, pour découvrir la suite de la trilogie commencée avec Ame brisée. Je vous recommande ce roman délicat, à l’écoute de la musique et des langues (japonais et français), pour lequel on adresserait volontiers à l’auteur la formule japonaise prononcée avant le repas : « Itadakimasu », soit « Je reçois humblement ce que vous m’offrez. »

  • Peintres belges

    Antica Namur (15) Gouweloos 2.jpgExposées à Antica Namur, voici trois œuvres signées par des peintres belges.

    La photo ne rend pas exactement les couleurs de ce tableau de Jean Gouweloos où j’ai aimé le geste du modèle qui ajuste son chapeau en souriant face au miroir – mouvement et expression qui donnent vie au sujet.
    Ce peintre bruxellois également affichiste a peint des paysages, des marines, et beaucoup de portraits féminins charmants (à découvrir ici).

    Jean Gouweloos (1868-1943) 

    Antica Namur (22) Spilliaert.jpg

    Cette aquarelle de Léon Spilliaert m’a plu par sa simplicité. Je n’en ai pas noté les références, excusez-moi. Où a-t-il peint ce petit clocher entouré d’arbres ?* C’était en mai 1932 (daté en bas à gauche). J’admire comme les couleurs du ciel et de l’eau se répondent, comme la lumière s’y répand. Une œuvre de plus sur ce blog du peintre ostendais qui m’est cher.

    Léon Spilliaert (1881-1946), Vue de l’église de Mariekerke*
    située à Sint-Amands (près de Puurs), grâce aux indications de Cléanthe
    en commentaire sur une autre aquarelle très proche, visible ici.

    Antica Namur (2) Delvaux L'atelier sans cadre.jpg

    L’atelier de Paul Delvaux, aquarelle et encre, tranche avec ses peintures les plus connues, au dessin précis, comme ses vues de gares. Le peintre assis porte un chapeau, le modèle nu occupe une place centrale. A gauche, des visiteurs à l’atelier, deux ou trois, la femme au dos découvert étant peut-être un autre modèle. L’à-peu-près des couleurs fluides donne une impression bien plus libre que ses huiles sur toile au rendu « fini ».

    Paul Delvaux (1897-1994), L'atelier, aquarelle et encre de Chine sur papier

    Dans un catalogue de 1997, Laurent Busine soulignait la technique du peintre différente « quand sa main tient la plume et le pinceau qu’elle conduit sur le papier ». L’aquarelle garde les traces du travail, les repentirs, « alliés à la liberté d’inspiration et à l’improvisation » – « comme une scène où l’artiste se montre dans un rôle : l’aquarelliste dans la doublure du peintre. » (Paul Delvaux, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique)

    « Le premier mérite d’un tableau est d’être une fête pour l’œil »  : cette citation dEugène Delacroix s’affiche sur le site de Remarkable paintings, galerie présente à Antica Namur ; vous y trouverez un beau diaporama de peintures belges et hollandaises du XIXe au début du XXe siècle.

  • A Namur pour Antica

    Au salon des antiquaires de Namur, dès l’entrée, on est frappé par tout ce qui brille dans les stands, l’argenterie ancienne, les bijoux, les objets dans les vitrines… Le portail d’Antica Namur vous en donne un aperçu. Le mobilier ancien et les arts décoratifs sont ici à la fête, présentés par plus de cent galeries européennes. Voyez par exemple cet ensemble de porcelaines de Chine. Les pièces exposées vont de l’art ancien, qui domine, jusqu’aux XIXe et XXe siècles.

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    A la galerie Lamy, j’ai reçu quelques explications sur deux éléments de statues anciennes représentant Bouddha qui m’avaient attirée. Le geste de la main au bout d’un bras sino-tibétain en bronze doré et laiton (16e/17e s.) m’intriguait : l’index (ciel) posé sur le pouce (terre) forme un cercle, symbole de la vie, entre ciel et terre. Une fleur est gravée sur la paume de l’autre main, d’un rare grand bras en bronze incrusté de cuivre (Tibet, dynastie Yuan, 13e/14e s.). Vous trouverez des photos de détails en cliquant sur les liens.

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    Deux bras en bronze (liens ci-dessus)

    La galerie Ming-ki, spécialisée dans les arts de la Chine ancienne et de l’Amérique précolombienne, présentait un amusant vase sifflet en terre cuite noire. Quelle modernité dans cet objet daté de 1000 – 1450 après J.-C., originaire de la côte septentrionale du Pérou (Chimu) ! J’ai admiré là aussi cette grande grenouille en guise de pectoral, en or, encore plus ancienne, 800 – 1200 après J.-C. (Panama ou Costa Rica, Gran Chiriqui).

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    Vase sifflet à deux chambres et avec perroquet, 1000 – 1450 après J.-C,
    terre cuite, côte septentrionale du Pérou (Chimu)

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    grande grenouille en or archéologique comme pectoral,
    800 – 1200 après J.-C., (Panama ou Costa Rica, Gran Chiriqui).

    « La vraie pépite de cette année tient dans le petit stand partagé par Artwins et Le Cloître de l’art, deux galeries sœurs, sises dans la cour du 16, rue Grange Batelière à Paris, à 150 mètres de l'Hôtel Drouot. Artwins, c'est Catherine Thieffry. Le Cloître de l'Art, c'est Salomé Fischer » a écrit Philippe Farcy dans La Libre. J’ai passé un bon moment à regarder là des œuvres très intéressantes. Parmi des « dessins, estampes et tableaux essentiellement du XIXe siècle, s’inscrivant dans une veine ‘fin-de-siècle’, à la fois symboliste mais également romantique », Artwins expose un dessin aux crayons de couleur, délicat et ravissant : Femme au balcon de Raoul-Henri Dreyfus (ci-dessous). Lisez, s’il vous plaît, le beau commentaire de la galeriste.

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    Raoul-Henri Dreyfus, Femme au balcon
     circa 1910, crayons de couleur, 18,5 x 24 cm 

    La seconde galeriste, me voyant lire les vers écrits à l’encre sous une gouache au cadre en bois et métal spectaculaire, m’a présenté d’autres gouaches superbement encadrées de cet artiste (cadres art nouveau en bois), chacune accompagnée de quelques vers écrits. On peut charger sur le site le catalogue qui en présente quelques-unes sous le titre « Dans l’univers poétique de W. Ingold ». Ce sont des illustrations pour un projet de recueil intitulé « à travers la nuit des temps », vers 1920, juste après la première guerre mondiale, sur une thématique à la fois funèbre et poétique. J’aimerais en apprendre plus sur ce peintre méconnu. Bravo en tout cas à ces deux galeristes pour leur belle cohérence artistique. J’espère les revoir à la Brafa.

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    W. Ingold, gouache sur carton, fixée sur papier, circa 1920,
    poème à la plume et à l'encre en bas :

    Le ciel est bleu, les derniers voiles
     Des brumes d’hier se sont enfuis 
    Et la paix sous l’œil des étoiles
     Bénit ceux que la mort réunit

    Autre découverte, chez Florian Kolhammer au stand toujours très soigné, des « reliefs Art Nouveau » de Georg Klimt (vers 1900). Le frère cadet de Gustav Klimt s’était formé à Vienne à la ciselure et à la sculpture. Outre « Demeter et Dyonisos » illustrés sur le site de la galerie, j’ai aimé les deux profils sur cette paire de reliefs « sécessionnistes ».

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    Georg Klimt, paire de reliefs sécessionnistes, vers 1900,
    cuivre finement ciselé et plaqué argent, 25,5 x 35,5 cm

    Comme souvent, aux salons d’antiquaires, on pense suivre les allées systématiquement et puis on a l’œil attiré à droite, à gauche, et finalement on réalise qu’on n’est pas passé partout. Deux heures n’y suffisent pas. J’aurais dû imprimer le plan des stands qui n’était pas distribué sur place. Et préparer ma visite sur internet, exposant par exposant, comme conseillé. Où ai-je vu cette peinture de Frans Gaillard si ensoleillée ? Je ne sais plus. Peu importe. Je vous montrerai d’autres tableaux dans le prochain billet.

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    Frans Gaillard (1861-1932)

    Beaucoup de vases de René Lalique étaient exposés à la galerie BG Arts, dont le vase Ceylan aux perruches mises en relief par l’opalescence. J’ignorais que Lalique avait aussi fabriqué des bracelets.

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    René Lalique, statuette Suzanne en verre opalescent moulé-pressé, vers 1925

    Nous nous sommes arrêtés devant sa Suzanne (verre opalescent moulé-pressé, vers 1925) où une danseuse déploie joliment son voile, illustration de couverture de l’édition spéciale de Paris Match pour Antica Namur. L’effet visuel est très joli, le visage stylisé un peu décevant.

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    Gustav Gurschner, Lampe de table Jugendstil, 1890-1899,
    bronze patiné et nacre coque marmoratus, H. 53 cm x 21 x 19,5cm

    Voici pour terminer une lampe Jugendstil (1898) de Gustav Gurschner (Autriche, 1873-1970) – avec une coquille « Turbo marmoratus » (gastéropode marin de la famille des escargots turbans). La notice d’Antiques Emporium indique que cette lampe Art Nouveau en bronze patiné est couronnée d’une coquille naturelle et irisée qui sert d’abat-jour : « De la base aux formes dynamiques s’élève une élégante figure féminine, qui se confond gracieusement avec le bronze et la coquille dans un geste fluide qui respire à la fois la force et le raffinement. »

  • Manque

    Coatalem présentation.jpg« Cette histoire* avait fini par sédimenter en lui, le silence était son deuil. Impossible d’approcher, de tourner autour, d’en parler de manière intelligible. Pierre coupait court, éludait, rechignait. Faisait barrage. Chaque tentative pour grappiller une adresse, un nom, la moindre anecdote venait s’y briser. La mauvais entente entre son frère et lui avait tari les autres sources possibles. Que devenir dans cette absence de faits, de lieux et de mots ? J’étais comme dépossédé de moi-même. Car ce qui avait bouleversé mon père me faisait souffrir à mon tour, c’était devenu mon héritage, ma part, et il m’avait fallu à un moment consulter un psychologue pour essayer de sortir de cette spirale qui, d’une génération sur l’autre, recommençait et me rongeait. Ne rien tenter de savoir, n’était-ce pas les abandonner les uns et les autres, et me perdre à mon tour ? Au fond, à cause de ce manque, n’arriver jamais à me saisir en entier ? »

    Jean-Luc Coatalem, La part du fils

    *[celle de son grand-père, père de Pierre]

    Source de la photo : vidéo de présentation par l'auteur (YouTube)