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vert

  • Regardons

    Pastoureau le-petit-livre-des-couleurs 2017.jpg« Nos couleurs sont des catégories abstraites sur lesquelles la technique n’a pas de prise. Je crois qu’il est bon de connaître leurs significations, car elles conditionnent nos comportements et notre manière de penser. Mais, une fois que l’on est conscient de tout ce dont elles sont chargées, on peut l’oublier. Regardons les couleurs en connaisseur, mais sachons aussi les vivre avec spontanéité et une certaine innocence. »

     

    Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, Le petit livre des couleurs

    Couverture 2017

  • Le sens des couleurs

    Avant d’ouvrir Le petit livre des couleurs (2005) de Michel Pastoureau, je me disais bien que ses réponses à Dominique Simonnet (un feuilleton paru dans L’Express durant l’été 2004) ne m’apprendraient pas grand-chose de nouveau. C’est une bonne et courte introduction à sa façon d’aborder l’histoire des couleurs dont il est devenu le spécialiste, à conseiller à ceux qui ne l’ont pas encore lu sur ce sujet. Pour les autres, espérons qu’il complète bientôt ses fameux albums Bleu, Noir, Vert, Rouge et Jaune par la grande histoire du blanc.

    Pastoureau Le petit livre 2014.jpg

    La jolie couverture en collection Points histoire (celle-ci date de 2014) tranche sur la grisaille ambiante en cette fin d’année, mais à l’intérieur, aucune illustration. Or, je l’ai déjà souligné, les magnifiques reproductions proposées dans les albums originaux donnent un supplément de vie aux explications de l’auteur. En plus des six chapitres par couleur (celles déjà citées), Pastoureau aborde dans un septième  les « demi-couleurs : gris pluie, rose bonbon ».

    Il rappelle que pendant longtemps, le blanc, le rouge et le noir étaient les trois couleurs de base. Réhabilité aux XIIe et XIIIe siècles, le bleu jusqu’alors déconsidéré va élargir cette base à six couleurs, avec le vert et le jaune. Derrière cette évolution, il y a l’histoire des pigments, des teintures, des symboles culturels – différents en Occident et en Asie, par exemple. C’est au XVIIIe siècle que le bleu « devient la couleur préférée des Européens ». Aujourd’hui, il est la couleur « consensuelle » par excellence, choisie pour les emblèmes des organismes internationaux (ONU, Unesco, Union européenne).

    Dans le système à trois couleurs de l’Antiquité, « le blanc représentait l’incolore, le noir était grosso modo le sale et le rouge était la couleur, la seule digne de ce nom ». Le rouge tranche avec l’environnement et, comme pour toutes les couleurs, son symbolisme est ambivalent : il signifie la vie et la mort. Pastoureau constate une inversion des codes vestimentaires à partir du XVIe siècle : au Moyen Age, le bleu était plutôt féminin (à cause de la Vierge) et le rouge, masculin (signe du pouvoir et de la guerre) ; ensuite le bleu, plus discret, devient une couleur masculine, « le rouge part vers le féminin » – il est resté la couleur de la robe de mariée jusqu’au XIXe.

    Pastoureau m’a fait rire en racontant les malheurs de sa voiture d’occasion de jeune marié – « un modèle pour père de famille, mais rouge ! » – et en concluant que « c’était vraiment une voiture dangereuse. » Ma citadine rouge vif se porte très bien, malgré plus de dix ans d’âge, et je me réjouis toujours de la facilité avec laquelle je la retrouve dans un parking parmi toutes les nuances de gris.

    A propos du blanc, l’historien évoque une distinction souvent perdue de vue, entre le mat et le brillant, entre « albus », mat, et « candidus », brillant. Idem pour le noir : « niger » est brillant, « ater », mat et inquiétant. Le blanc hygiénique (et résistant aux lessives) imposé pendant des siècles à « toutes les étoffes qui touchaient le corps » (linge de maison, linge de corps) – a cédé la place aux teintes douces d’abord, et à présent, même aux couleurs vives. Dans les codes visuels, les différences entre « noir et blanc » et « couleurs » sont aussi intéressantes à observer.

    Depuis l’enfance, Pastoureau préfère le vert, ce qu’il relie à sa passion pour la peinture. Trois de ses grands-oncles étaient peintres, son père adorait l’art et l’emmenait souvent dans les musées. A l’adolescence, lui-même peignait volontiers et surtout « en camaïeu de verts » : parce qu’enfant de la ville, la campagne le fascinait ? Cette couleur « moyenne » était mal-aimée. Que la société contemporaine la revalorise n’est pas pour lui déplaire. Ce n’est pas encore le cas pour le jaune qui, selon lui, « a un bel avenir devant lui ».

    Pastoureau couverture 2007.jpg
    2007

    Enfin, parmi les demi-couleurs, l’historien comme le « peintre du dimanche » met le gris à part, pour son grand nombre de nuances et parce qu’il « fait du bien aux autres couleurs ». Quand on lui demande si nous sommes plus sensibles aux couleurs qu’autrefois, Pastoureau répond que nous le sommes moins. « La couleur est désormais accessible à tous, elle s’est banalisée. » Mais il ne manque pas de nuancer : le rapport aux couleurs diffère selon les cultures et selon les milieux sociaux.

  • Vert mousse

    4 février. Un jour sans pluie au réveil et même, la matinée avançant, de grands pans de bleu dans le ciel – sortons ! Au parc Josaphat, le soleil un peu pâle caresse les mousses. Le long du ruisseau, près des feuilles mortes décolorées, les pierres moussues attirent le regard. Au pied des arbres, de petits tapis du même vert leur font écho.

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    Le jeu des courbes et des reflets dans les eaux miroirs, la transparence des arbres avec déjà des frémissements visibles sur leur contour un peu flou, le mouvement des ombres sur les pelouses, le vieux parc schaerbeekois déploie ses charmes à toutes les saisons, vous le savez, si vous venez régulièrement vous promener ici.

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    Au bout du parc, au lieu-dit « La cascade », quasi toujours à l’ombre, ce qui lui vaut d’être un bon endroit de rendez-vous pour ceux qui préfèrent ne pas être remarqués, tous les verts me semblent un peu glauques. Et puis revoilà de la mousse, à cheval sur les pierres, qui se dore au soleil.

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    Déjà les nuages regagnent du terrain. Qu’ils sont beaux, ces rameaux bourgeonnants tendus le plus loin possible vers la lumière ! Pas terre à terre, une des deux chèvres du parc, qui accueille de nouveaux locataires depuis quelques mois, au grand plaisir des promeneurs, préfère se jucher sur un morceau de tronc d’arbre pour être bien vue de tous.

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    Nous avions déjà croisé Napoléon, le troisième âne du parc, en compagnie de Camille et Gribouille. Mais pas ces deux chèvres blanches. « Il s’agit du bouc Gépeto et de la chèvre Trottinette, nés tous les deux en 2018. Ces nouveaux animaux ont été adoptés directement auprès de l’asbl Help Animals qui s’occupe d’animaux abandonnés ou saisis. » (site de la commune)

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    La prochaine fois, nous ferons peut-être connaissance avec les deux moutons également recueillis au parc Josaphat. Près des étangs, le coin des mousses au bord de l’eau est un havre discret – ils pourraient passer inaperçus, ces deux colverts occupés à leur toilette.

  • Fortune

    Vert Livre de la mutation de Fortune.jpg

    « Inconstante, versatile, imprévisible, la déesse Fortune porte dans les images de la fin du Moyen Age une robe rayée ou mi-partie. On la voit ici entourée de ses deux frères, tels que les décrit Christine de Pisan dans son célèbre Livre de la mutation de Fortune (1400-1403). A gauche, Heur est un jeune homme vêtu de vert et couronné de feuillage. A droite, Meseur (Malheur) est un paysan rustaud et court vêtu dont la massue prête à frapper est quelque peu inquiétante. » 

    Michel Pastoureau, Vert. Histoire d’une couleur 

    Miniature d’un manuscrit du Livre de la mutation de Fortune de Christine de Pisan
    (vers 1420-1430). Chantilly, Musée Condé.

     

  • Les aléas du vert

    Michel Pastoureau, après Bleu et Noir, a consacré un album à la couleur verte, qui n’a pas toujours eu bonne réputation sa couleur préférée. Vert. Histoire d’une couleur (2013) déroule sa chronologie en cinq phases : une couleur incertaine, une couleur courtoise, une couleur dangereuse, une couleur secondaire, une couleur apaisante. Comme pour les essais précédents, l’édition originale est merveilleusement illustrée (je lui emprunte les illustrations et légendes ci-dessous). 

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    L’auteur s’interroge d’abord sur la place très discrète réservée au vert « du néolithique jusqu’au début du Moyen Âge », au point qu’on s’est demandé si les Grecs voyaient cette couleur, pour laquelle aucun mot précis n’existe en grec ancien. Nietzsche écrit même que leur œil « était aveugle au bleu et au vert ». C’est l’occasion pour Pastoureau de rappeler que pour l’historien, « c’est d’abord la société qui « fait » la couleur, pas la nature, ni le couple œil-cerveau. »

     

    « Viridis » a donné « vert » et « verde » aux langues romanes, le latin dispose d’un vocabulaire des couleurs précis. Mais pas plus qu’en Grèce, le vert ne colore les objets ni le vêtement des Romains de l’antiquité – teindre dans un vert « solide » n’était pas aisé, le mélange du jaune et du bleu était alors inconnu. Seule la verrerie offre alors de beaux verts (et bleus).

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    Sir Lawrence Alma-Tadema, A Coign of Vantage (1895) Collection particulière.

    Sous un titre amusant, « L’émeraude et le poireau », Pastoureau décrit la plus forte présence du vert sous l’Empire romain, notamment dans les peintures murales et les mosaïques. C’était la couleur préférée de Néron : « Il aime s’habiller de vert, collectionne les émeraudes, soutient l’écurie verte dans les courses de chars et, en matière de cuisine, se délecte des poireaux. »

     

    Dans la liturgie chrétienne, le vert est une couleur « moyenne » portée par le célébrant pour les jours ordinaires, moins solennelle que le blanc, le rouge et le noir. Bien que Pastoureau se limite à l’histoire des couleurs en Occident, il ne peut passer sous silence l’élection du vert comme couleur de l’islam : couleur toujours positive dans le Coran, le vert est aussi celle du turban de Mahomet et par la suite celle de ses descendants. A partir du XIIe siècle, il prend une valeur politique en réunissant tous les peuples arabes de l’islam. Et peut-être son absence dans les emblèmes des croisés a-t-elle contribué à sa promotion dans le camp adverse. 

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    "Al-Khidr", figure du Coran, miniature mongole (XVIIIe siècle), détail. Rampur, collection particulière.

    Le vert, couleur de la nature, est depuis longtemps associé au jardin, au verger, au printemps. Et en particulier le premier mai, jour où il faut « s’esmayer », « c’est-à-dire planter le mai pour fêter l’arrivée du plus beau mois de l’année ». C’est donc au Moyen Age la couleur de la jeunesse, de l’amour et de l’espérance, mais aussi de l’inconstance et de la frivolité. Frau Minne, déesse de l’amour dans la poésie lyrique de langue allemande, porte souvent une robe verte. Dans ce monde courtois germanique, le tilleul est l’arbre de l’amour, avec ses feuilles en forme de cœur, et offrir un perroquet vert, un geste amoureux.

     

    Les jeunes filles à marier portent du « vert, j’espère » ; une fois mariées, les femmes portent souvent du vert pour signaler l’attente d’un heureux événement, comme dans la célèbre toile de Van Eyck, Le Mariage Arnolfini. Saviez-vous que le vert est la couleur de Tristan ?  Son destin tragique fait la transition vers le côté maléfique de la couleur de plus en plus ambivalente : « d’un côté, le bon vert, celui de la gaîté, de la beauté, de l’espérance, (…) de l’autre, le mauvais vert, celui du Diable et de ses créatures, des sorcières, du poison ». 

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    Jean Van Eyck, Le Mariage Arnolfini (1434). Londres, The National Gallery.

    Au XVIe siècle, le règlement interdit aux teinturiers de mélanger le jaune et le bleu, leur spécialisation selon les couleurs et selon les matières textiles est stricte. Les mélanges sont jugés démoniaques et les « tricheurs » sont mal vus. En français, on rapproche « teindre » et « feindre » ; en anglais, « to dye » (teindre) et « to lye » (mentir).  Les teintures produisent soit du « vert gai » (joyeux, vif) soit du « vert perdu » (pâle, fané). Le vert, chimiquement instable, ne tient pas bien.

     

    Vert. Histoire d’une couleur étudie les usages, les codes, les procédés de teinture et bien sûr la symbolique. Dès la fin du Moyen Age, le vert est la couleur de l’argent, de l’avarice. Les tables de jeux se couvrent d’un tapis vert, « couleur qui symbolise tout ensemble le hasard, l’enjeu, la mise et l’argent que l’on va gagner ou perdre. » Il fait par ailleurs son entrée dans le blason où on le nomme « sinople ». 

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    Le prophète Osée. Verrière haute de la nef de la cathédrale d'Augsbourg, vers 1110-1120.

    Michel Pastoureau parle du « chromoclasme protestant » (rejet des couleurs voyantes) ; du vert des peintres, d’abord issu de matières naturelles puis du mélange de jaune et de bleu ; d’Alceste que Molière appelle « l’homme aux rubans verts »… La diversité des entrées entretient l’intérêt tout au long de cette étude riche en anecdotes. La couleur verte y est abordée dans son ambivalence – toxique ou protectrice – et aussi en rapport avec les autres couleurs, notamment comme la complémentaire du rouge (les feux de circulation ne sont pas oubliés).

     

    Le vert était la couleur préférée de Goethe, de Napoléon, mais il a fallu attendre le XXe siècle pour qu’on le considère en général comme une couleur apaisante et associée à la santé (blouse du chirurgien, croix des pharmacies…). Si presque une personne sur deux, en Occident, préfère le bleu, le vert a tout de même la faveur d’une personne sur cinq ou sur six (c’est davantage que pour les autres couleurs). Moins de dix pour cent des personnes le détestent, certaines continuent à lui attribuer un côté « vénéneux, funeste, maléfique ». 

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    Félix Vallotton, Le Ballon (1899). Paris, musée d'Orsay.

    A notre époque, la défense des espaces verts et de l’environnement a sans doute contribué à en faire une couleur sage, le plus souvent positive : le vert est « sain, tonique, vigoureux », « libre et naturel », « riche de multiples espérances, tant pour l’individu que pour la société ».