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poésie

  • Jeunesse

    Jeunesse engendre la jeunesse

    Eluard par F Léger 1947.jpgJ’ai été comme un enfant
    Et comme un homme
    J’ai conjugué passionnément
    Le verbe être et ma jeunesse
    Avec le désir d’être homme

    On se veut quand on est jeune
    Un petit homme
    Je me voudrais un grand enfant
    Plus fort et plus juste qu’un homme
    Et plus lucide qu’un enfant

    Jeunesse force fraternelle
    Le sang répète le printemps
    L’aurore apparaît à tout âge
    À tout âge s’ouvre la porte
    Étincelante du courage

    Comme un dialogue d’amoureux
    Le cœur n’a qu’une seule bouche

    Paul Eluard, Corps mémorable (1947)

    Fernand Léger, Portrait de Paul Éluard, huile sur toile, 1947 (source)

     

  • Album Eluard

    A la faveur d’un tri de bibliothèque, l’Album Eluard de 1968 est arrivé entre mes mains. C’était le septième édité par la Bibliothèque de la Pléiade, offert à l’occasion de l’annuelle Quinzaine de la Pléiade, à l’achat de trois volumes. Cette iconographie commentée a été confiée à Roger-Jean Ségalat, les 467 illustrations puisées pour la plupart dans les albums de Paul Eluard et de sa famille, ainsi que dans des collections privées ou publiques, notamment du musée de Saint-Denis, renommé Musée d’Art et d’Histoire Paul Eluard.

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    Dessin de couverture : Eluard par Picasso

    En dehors de poèmes de Paul Eluard (1895-1952), je ne connaissais pas grand-chose de sa biographie et seulement les grandes lignes de son engagement partagé entre le surréalisme et le communisme. Né Grindel, à Saint-Denis qui n’était pas encore « la triste agglomération industrielle que nous connaissons », écrit Ségalat, il a choisi pour nom de plume Eluard, le nom de jeune fille de sa grand-mère maternelle. Fils d’un comptable devenu marchand de biens et d’une couturière qui a ouvert un atelier avec quelques ouvrières, il n’est pas « un rejeton de la misère » comme certains l’ont présenté.

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    A Aulnay-sous-Bois puis à Paris, il est bon élève à l’école communale puis au collège Colbert. Vacances d’été en Suisse, séjour d’anglais à Southampton, tout se passe bien jusqu’au diagnostic de tuberculose en 1912. Il passera un an et demi dans le sanatorium de Clavadel près de Davos. Il y rencontre Hélène Diakonova, surnommée Gala, fille d’un avocat de Moscou. Elle sera sa première femme, épousée en 1917. Mobilisé depuis 1914, il a passé la guerre dans les hôpitaux de l’armée, « soit comme malade, soit comme infirmier ». En mai 1918 naît leur fille Cécile.

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    Max Ernst, Au rendez-vous des amis, 1922, huile sur toile, 130 x 195 cm, Wallraf-Richartz museum, Cologne

    « Du combattant timide, la guerre a fait un pacifiste ; du jeune homme romantique, un poète. » Il publie des poèmes dans des revues peu connues, écrit des lettres, lit beaucoup. Jean Paulhan le présente en 1919 au groupe Littérature qui partage l’esprit du mouvement Dada. Eluard « allait devenir l’un des éléments actifs de la révolution dadaïste et se faire des amis des compagnons de ce combat : Tzara, Soupault, Breton, Aragon et Ribemont-Dessaignes. Il crée même sa propre revue, Proverbe, qui n’aura que cinq numéros : « créations verbales et transmutations de mots »

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    La nourrice des étoiles, portrait-collage de 1938 : Eluard par Breton (détail)

    « Eluard, le moins dadaïste des Dadas, le moins doctrinaire des hommes, dont les seules pierres de touche sont l’amitié, l’amour et la poésie, réussit, pendant toute la période Dada, à n’être l’ennemi de personne. » Aimant la peinture, il s’entoure de tableaux de Picasso, Ernst, Chirico, d’objets d’art primitif africains de polynésiens. Breton, qui veut « ruiner la littérature », lui fait promettre comme à Desnos de ne plus écrire – promesse tenue par Eluard jusqu’en 1924.

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    Paul et Gala deviennent amis avec Max Ernst qui habite avec eux. En 1924, « il vit de plus en plus difficilement la liaison entre Gala et Ernst, qu’il a pourtant acceptée » (Eluard.org) et surprend tout le monde en partant seul pour un voyage autour de monde. Mourir de ne pas mourir paraît le lendemain de son départ, comme un testament. Gala le rejoindra à Singapour. A leur retour, le Surréalisme a pris forme avec le Premier Manifeste d’André Breton. Eluard rédige un tract : « Nous sommes les spécialistes de la Révolte ». En 1927, Breton, Aragon, Eluard, Péret et Unik annoncent publiquement leur entrée dans le parti communiste. Querelles, affrontements, exclusions… Nouvelles relations : en 1929, Gala rencontre Dali, qu’elle aimera et épousera, tandis qu’Eluard rencontre Nusch (Maria Benz), qui sera sa deuxième femme.

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    Ex-libris de Paul Eluard dans son exemplaire de Nerval (source)

    A la mort de son père, Eluard a hérité d’une fortune dépensée en quelques années. Il ne s’attache pas aux biens matériels, mais aime dormir sous un Picasso accroché au mur. « Toute la vie d’Eluard est de bohème, de déménagements, de disponibilité, de repas partagés, de départs. Il voyage beaucoup, suit qui l’emmène, qui a besoin de lui. Il n’économise ni son argent ni son amour. « Après moi le sommeil » est la devise de son ex-libris. » Le corps nu de Nusch photographié par Man Ray encercle les poèmes de Facile (1935).

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    Une page de Facile (Poèmes de Paul Eluard/Photographies de Man Ray) (source)

    Après cette époque foisonnante du surréalisme et la rupture avec Breton, la pensée d’Eluard tourne autour de trois thèmes : l’amour, la poésie, l’injustice sociale. Impossible de résumer les rencontres, les voyages, les publications, les conférences… Il se trouve en Suisse en 1946 quand il apprend la mort subite de Nusch qui le laisse « hébété, sans forces, rongé de souffrances et de remords ». C’est encore l’amitié qui le sauve du désespoir.

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    Le harfang des neiges par Valentine Hugo,  
    inspiré par un vers d'André Breton, était à la tête du lit d'Eluard.

    Au Congrès de la Paix à Mexico, en 1949, il rencontre une jeune femme, Dominique Laure (Odette Lemor), qui revient avec lui à Paris. Il l’épouse en 1951 à Saint-Tropez, avec Picasso et Françoise Gilot pour témoins. Ce sera la renaissance du Phénix, un an avant une crise cardiaque fatale. Ensuite, il devient « un nom, une œuvre, un mythe. »

  • Regarde

    « On ne voit que ce que l’on regarde. »

    Merleau-Ponty

    A Namur (10).jpg
    Michel Goulet, Les Espaces du dedans - Hommage à Henri Michaux - 2014 / Namur, VII/2025

    Parmi ces quatre chaises poèmes de Michel Goulet découvertes par hasard cet été près du Delta à Namur, voici celle dédiée à Henri Michaux dans sa ville natale.

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  • Petit cheval

    louise de vilmorin,le cheval,poésie,littérature française,cultureJ’aime porter de longs cheveux
    Comme une femme,
    J’aime porter un amoureux
    Près de sa dame,
    J’aime porter le poids fatal
    Des inconnus,
    J’aime porter le long du val
    Les bienvenues.
    J’aime la poudre du chemin
    Sur mon visage,
    J’aime le conseil de la main
    Qui m’encourage.
    Je fuis mon ombre de cheval
    Courant la plaine,
    Je crains mon reflet animal
    Dans la fontaine.

    Louise de Vilmorin (1902-1969), Le cheval (in L'Alphabet des aveux)

  • Colette à l'Académie

    Colette à l’Académie a été publié en 2023 par l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (Arllfb), à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Colette (1873-1954). Lors de la séance publique du 8 avril 2023, André Guyaux a rappelé qu’elle avait été élue « dans notre Académie » le 9 mars 1935 – dix ans avant de devenir membre de l’Académie Goncourt.

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    Ce petit recueil académique et sympathique ravive cet événement et permet de ressentir, presque un siècle plus tard, comment la personnalité et l’œuvre de Colette étaient perçues lors de sa réception à Bruxelles. La séance avait dû être reportée deux fois et se tint le 4 avril 1936 : Colette succédait à Anna de Noailles, première académicienne à y avoir été élue en 1921. Après Colette, Jean Cocteau prendra sa place de « membre littéraire étranger » au fauteuil 33.

    Le recueil reprend les deux discours prononcés pour ce 150e anniversaire : « Les heures longues : Colette et les guerres » par Bénédicte Vergez-Chaignon (c’est surtout dans les journaux qu’elle a écrit sur la guerre, puis dans ses textes de réflexions et souvenirs) et « Je suis devenue écrivain sans m’en apercevoir » par Antoine Compagnon (ce qu’avait déclaré Colette à l’Académie en 1936).

    Dans ce beau texte, Compagnon cite un conseil qu’elle aurait donné à Simenon recruté au Matin de Paris : « Vous êtes trop littéraire, il ne faut pas faire de littérature. Pas de littérature ! Supprimez toute la littérature et ça ira. » Colette disait aussi « Il y a trois parures qui me vont très mal : les chapeaux empanachés, les idées générales et les boucles d’oreille. » Dans un article de 1953, un an avant sa mort, elle qui pensait toujours avoir écrit son dernier livre a fini par reconnaître la difficulté de « finir » et son « besoin » d’écrire.

    Un bref article de Laurence Boudart, directrice des Archives & Musée de la Littérature, présente le contenu du dossier d’archives à propos de Colette, de ses contacts avec l’Académie, une relation qui a duré « quelque dix-huit ans ». Trois photos l’illustrent, de lettres adressées par Colette à Luc Hommel, alors Secrétaire perpétuel, dont l’une évoque un épanchement de synovie au genou dû à une chute sur le verglas – d’où le report de la séance de réception au  4 avril.

    La suite du recueil reprend les discours : celui du poète Valère Gille qui accueillit Colette et la réponse de celle-ci. Le premier rappelle un déjeuner où l’Académie française avait invité « notre jeune Académie » et où « le plus spirituel des Quarante – je ne le nommerai pas, afin que chacun des autres, puisse croire qu’il s’agit de lui – s’écria : « Des femmes à l’Académie ! mais le dictionnaire ne pourrait plus placer un mot ! » Son discours présente Colette, rend hommage à sa mère Sido, et cite tout au long de sa présentation des œuvres la belle prose de Colette, la jugeant pour conclure « si audacieusement romantique et si foncièrement classique ».

    Dans sa réponse (photo de couverture), Colette, qui s’étonne encore de ce qu’on l’appelle « écrivain » – « N’allez pas me plaindre de ce que la soixantaine me trouve encore étonnée. S’étonner est un des plus sûrs moyens de ne pas vieillir trop vite » – évoque d’abord la nostalgie que sa mère avait gardée « d’une adolescence qui s’écoula à Gand et à Bruxelles » et sa propre fierté de ne pas dire « Bruqcelles » à la française, ses souvenirs de visites familiales dans la capitale belge et le goût des « délicats poissons de la mer du Nord, waterzoï [sic], longues écrevisses de la Meuse ».

    Elle prononce surtout l’éloge d’Anna de Noailles et raconte leur amitié qui « se forma assez tard » : « A cette époque où sa beauté était celle d’une adolescente, le monde déjà accourait à elle : elle accueillait l’hommage avec la majesté et la gravité des enfants, et ne semblait ni profondément heureuse, ni enivrée, car rien ne guérit la mélancolie des élus. Son aurore couvait déjà le sombre vers que je lui donne comme devise : « Solitaire, nomade et toujours étonnée… » ».

    Dans son portrait émouvant d’Anna de Noailles, j’ai retrouvé cette phrase : « Le voyage n’est nécessaire qu’aux imaginations courtes. » Elle précède le récit d’une visite que la poétesse lui avait rendue dans son « petit jardin d’Auteuil, favorisé en mai et en juin d’une glycine torrentueuse, d’une tonnelle de roses, de rhododendrons à grands candélabres de fleurs, et d’un buisson d’essences odoriférantes ». La poétesse avait été enchantée de découvrir la mélisse, qu’elle ne connaissait que de nom.

    Le dernier texte de Colette à l’Académie est le discours de Jean Cocteau lors de sa réception à l’Arllfb le premier octobre 1955 : un éloge de Colette, qu’il rencontrait dans sa chambre parisienne au Palais-Royal. En voici un passage : « Ce n’est pas le lit de Léa qui compte [dans Chéri], c’est que Colette en soit le peintre et le jette hors de la mode, de l’espace et du temps, c’est qu’elle ramasse notre pauvre boue humaine et qu’elle en fasse des bulles de savon irisées, c’est que sa baguette transforme une vieille poule en chatte blanche de conte de fées et un gigolo, un rayé de gouttière en ce terrible petit fauve que les Anglais des Indes appellent golden-cat. »