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littérature française

  • Le second printemps

    D’Isabelle Bary, j’ai beaucoup aimé lire Zebraska et j’ai apprécié qu’on m’offre Le second printemps, son dernier roman, gentiment dédicacé : « Puisse Le second printemps vous emporter sur le chemin d’Adèle et d’Emma. » Leur histoire est dédiée « aux femmes de Kaboul ».

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    Adèle Carlier, cinquante-deux ans, ressent soudain « une fatigue immense », celle des rôles qu’elle a joués jusqu’alors, « la femme, la mère, l’épouse » : « sur le fil tendu de ma vie, le curseur a laissé plus de place à hier qu’à demain. » Sa vie ressemblait au « perpétuel printemps » d’une femme « forte et courageuse, jolie, bien dans sa peau et dans son temps ».

    Libre, mais « sous influence ». Attirée par la littérature, elle avait choisi des études de biologie comme en rêvait son père, puis elle était « tombée dans les bras de Julien » et avait laissé sa vie tourner autour de cet amour. En plus de leurs deux fils, Jules et Sacha, elle « appartenait » à son mari, à ses parents, à ses amis, à son travail en laboratoire. Comme elle tenait un blog sur ses « enthousiasmes littéraires », un directeur de radio, Jean, l’avait contactée : il lui donnait carte blanche pour animer une émission littéraire trois fois par semaine. Elle avait quitté le labo. Elle écrivait aussi, sans arriver pour autant à écrire un roman digne d’être publié.

    Adèle se considérait comme une femme libre. Mais le conseil d’administration venait de décider l’arrêt de son émission et lui proposait de gérer un nouveau service culturel de la chaîne. Privée d’antenne, elle se sent désormais appartenir au passé. Dans un entretien à la RTBF, la romancière explique qu’au Japon, la ménopause est appelée « le second printemps ». Adèle : « Je suis alors loin d’imaginer qu’à Paris, au même moment exactement, une jeune femme chavire, elle aussi. Je ne connais pas son nom et j’ignore qu’un jour nos destins seront liés. Je ne sais même pas qu’elle existe. »

    C’est ainsi qu’Isabelle Bary introduit le personnage d’Emma, une jeune prof de philo qui vient d’apprendre le suicide d’une de ses élèves après avoir partagé un défi collectif risqué. Révoltée, Emma se décide alors à faire quelque chose à quoi elle pense depuis tout un temps : elle sort d’un tiroir un tissu bleu azur et s’en couvre la tête en le pliant dans les règles, « comme s’il exhalait un goût de liberté. » Le second printemps raconte comment ces deux femmes se révoltent, chacune à leur manière.

    Emma, née en Ouganda, adoptée par des parents américains, a grandi à New York puis à Paris. A quinze ans, elle avait été choquée d’apprendre le démantèlement d’un réseau d’escroquerie à l’adoption en Ouganda et s’était rebellée contre son éducation catholique en se jetant dans la lecture du Coran. A trente ans, elle accomplit un rituel secret pour se retrouver. Un personnage surprenant.

    Le récit passe de l’une à l’autre : à la première personne pour Adèle, à la troisième pour Emma. Le chemin qu’empruntera la première en prenant des vacances en solo pour la première fois de sa vie lui vaudra plusieurs rencontres importantes, celle de Jeanne, une femme plus âgée, indépendante et sereine, puis celle d’Emma. Le second printemps a pour thème la recherche d’un second souffle, dans une démarche plutôt féministe mais sans rupture avec les hommes pour autant. Ils ont leur place dans leur vie. Comment la vivre plus librement, c’est ce qu’Adèle et Emma cherchent à réaliser à un moment de bascule dans leur existence.

    Isabelle Bary brasse dans ce dernier roman des thèmes actuels, avec une grande curiosité pour les autres, abordés sans jugement a priori. Où la recherche d’une nouvelle façon d’être soi va mener ses personnages, c’est ce qui m’a poussée à lire le récit jusqu’au bout. La traversée de la cinquantaine par Adèle est assez banale, j’ai été davantage surprise par sa fascination pour Emma, aux réactions souvent inattendues. Jeanne incarne une autre façon de vieillir.

    Il me semble qu’un trop-plein d’explications alourdit le style, plutôt prosaïque. Montrer les situations, les rencontres, les gestes, sans pour autant tous les commenter, laisserait plus de place à l’imagination des lectrices et lecteurs. Fallait-il ajouter un épilogue ? Si vous lisez Le second printemps d’Isabelle Bary, n’hésitez pas à donner votre avis.

  • Question

    ferney,l'intimité,roman,littérature française,désir d'enfant,maternité,accouchement,choix de vie,vie de couple,célibat,sexualité,culture« Quelle femme accueillerait Sophie ? Souvent, le soir, quand la petite fille dormait, il [Alexandre] se posait cette question. Il se la posait même à voix haute. Quelle femme adoptera Sophie comme sa propre fille ? C’était ce qu’il voulait, pas de demi-mesure. Aussitôt il pensait à sa tendresse pour Nicolas : lui-même avait accueilli le fils de Bernard. Mais jusqu’à quel point ? Il avait aussi désiré son enfant. Sophie avait comblé un manque. Les femmes n’étaient-elles pas plus folles encore au sujet de leur progéniture ? Au lieu d’être rassuré, il s’inquiétait davantage, pensant : une jeune compagne réclamera un enfant à elle, une autre plus mûre aura déjà les siens, alors qui ? Et c’était ainsi que son attention se portait sur Sandra : parce qu’il voyait l’affection qu’elle donnait à Sophie, sa voisine devenait pour lui l’amante idéale. »

    Alice Ferney, L’Intimité

  • Dans L'Intimité

    Dans L’intimité (2020), Alice Ferney construit une intrigue romanesque autour du désir d’enfant (ou non), du choix de vivre en couple (ou non), de ce qui motive les femmes et les hommes à se lier (ou non). Parmi les cinq prénoms de femme qui servent de titre à chaque partie, Sandra Mollière est le personnage féminin principal, la voisine d’immeuble d’Alexandre et Ada, un couple d’architectes parisiens.

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    La belle Ada, enceinte, a déjà un garçon, Nicolas, cinq ans. A l’approche de l’accouchement, elle a confié à Sandra, sa voisine libraire, les peurs qui pourtant l’envahissaient : même si les femmes qui meurent en couches sont beaucoup moins nombreuses qu’aux siècles précédents, cela arrive encore. Quand ses parents partent à la maternité, Nicolas entre pour la première fois chez Sandra, « attentif à tout – les livres, les meubles, les tableaux, les photographies » et « l’intellectuelle militante de trente-huit ans » est « encore plus contente qu’épatée par cette personnalité qu’il avait. »

    Pourquoi elle n’a pas d’enfant, pourquoi elle vit seule, l’enfant ose toutes les questions. Elle le trouve intelligent et émouvant par ses remarques sur la petite sœur qu’il est impatient de choyer. Son père tardant à rentrer, il s’endort sur le canapé. A voir Alexandre Perthuis « silencieux et sombre » à son retour, Sandra comprend tout de suite qu’un drame a eu lieu. Une petite sœur est née, Sophie, mais sa mère n’a pas survécu.

    « C’est ainsi que Sandra Mollière devint l’amie intime de son voisin veuf et du jeune Nicolas, une confidente pour l’homme sans femme, une présence par le souvenir associé à la mère. Un fanal, une égérie, un témoin, un point de ralliement. » Alexandre se sent coupable, Ada ayant résisté puis cédé à son désir d’avoir un enfant à lui. Il souhaite rencontrer une femme prête à devenir la mère de la petite Sophie.

    L’Intimité est un roman, mais au fur et à mesure que l’intrigue progresse – à propos de la relation entre Alexandre et Sandra ; entre Alexandre, le compagnon d’Ada et son ex-mari, le père de Nicolas ; entre Alexandre et la famille d’Ada, etc. –, Alice Ferney nourrit le récit de multiples éclairages sur les choix de vie dans une société où les femmes ne se projettent pas toutes dans le modèle maternel de la famille idéale, où les hommes ne s’investissent pas forcément dans leur rôle de père. Sandra Mollière tient une librairie féministe : les livres et la défense des droits des femmes sont au cœur de sa vie.

    Sites de rencontre, sites spécialisés pour venir en aide à la procréation, mères porteuses, célibat, liberté sexuelle, asexualité… Des sites en ligne informent sur les multiples façons de faire des choix intimes, d’obtenir une aide médicale, et les offres commerciales prospèrent autour de ces questions. Il m’a parfois semblé que la romancière cherchait à couvrir complètement le champ de l’intimité, quitte à faire patienter ses lecteurs en ce qui concerne l’avenir de ses personnages. « Alice Ferney ausculte le droit à l’enfant », titre le Nouvel Obs, qui parle carrément de « livre à thèse », sans doute vu sa critique de la gestation pour autrui (GPA).

    Cette exploration des liens qu’établissent entre eux les femmes et les hommes est un thème de prédilection d’Alice Ferney : dans Les autres, sur la manière de se comporter avec autrui ; dans Paradis conjugal et dans Cherchez la femme, sur le mariage ; dans Deux Innocents, sur l’élève amoureux de son enseignante. L’Intimité a inspiré L’Attachement, un film réalisé par Carine Tardieu, sorti en 2024.

  • L'anti-mai

    « Nous sommes tentés de tout passer à des jours rayonnants et bleus ; mais le manque d’eau sous un ciel gris, que l’anti-mai nous inflige parfois, est impardonnable, alors que la terre et les plantes ont tant besoin de sucs et de soleil.
    En de tels moments, Baptiste, le jardinier, devient amer et ironique :
    « Ils ont de l’eau tant qu’ils veulent, là-haut, dit-il, mais, soyez tranquille, elle n’est pas pour nous ! Par exemple ! ce qu’
    ils en font, je me le demande ! »
    Baptiste assure aussi que ce temps fait entrer les pousses des jeunes légumes sous terre et se replier les fleurs de pois dans leurs calices.

    Pluie de mai.jpg

    Enfin, l’anti-mai cède à l’ondée tant désirée :
    « Il pleut, dit alors Baptiste, ce n’est pas trop tôt ! Vous croyez qu’il tombe des gouttes d’eau ? Non. Il pleut des petits pois et des pommes de terre. »
    La vieille Julie, du fond de sa cuisine, crie : « Qu’est-ce que vous dites, qu’il pleut ? »
    Baptiste, la face ruisselante et réjouie, indique d’un geste triomphant la pluie tiède, douce, continue, qui chante dans la jeune verdure, et répète :
    « Je dis qu’il pleut des pommes de terre nouvelles et des petits pois !
    – Oh ! soupire Julie d’un ton déçu, je croyais que vous aviez dit : de jeunes carottes ! »

    Marie Gevers, Plaisir des météores (Les réserves de mai)