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littérature

  • Lu dans La Libre

    L’actualité n’est pas drôle ces temps-ci, c’est le moins qu’on puisse dire. Aussi je lis le journal dans l’espoir de mieux comprendre le monde. Souvent, avouons-le, on respire mieux en arrivant aux pages du sport, pour l’un, de la culture, pour l’autre. Voici donc un billet de lecture d’un autre genre, si ça vous tente.

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    « Dans un environnement qui privilégie la célébrité au détriment des expériences réelles, qui a droit à la parole ? Quelles voix sommes-nous prêts à écouter dans un monde saturé de médias ? » (BPS22). « Off Voices » est le titre de l’exposition actuelle, à Charleroi, de « l’artiste sud-africaine blanche Candice Breitz, née en 1972, qui vit et travaille à Berlin » (La Libre). Guy Duplat la présente dans le journal du week-end dernier. C’est le « premier solo show » de Candice Breitz en Belgique. En 2020 elle était à Bonn, en 2022 à Londres.

    A ses vidéos d’accouchements projetées à l’envers – « chaque nouveau-né, dans ce dispositif, semble arraché aux bras de sa mère avant d’être réintroduit lentement dans l’utérus » –, elle donne des noms, eux aussi inversés, de grands dirigeants populistes comme « Pmurt, Nitup, Oranoslob, etc. », pour « continuer à imaginer un monde libéré des chaînes du patriarcat » (Installation Matriarcat utopiste). Sa série « Ghost » où elle a blanchi les peaux noires de cartes postales « exotiques » pour questionner « le privilège blanc » a été critiquée, vue par certains comme un « effacement ».

    Après les nouvelles sportives, le menu culturel du week-end dernier était copieux : « Je doute de moi et cela me rassure... », un grand entretien avec Stéphane De Groodt, si « sympa » – l’adjectif qui lui est le plus souvent associé, signale Francis Van de Woestyne. Un texte d’opinion ensuite, signé Aurélia Gervasoni, étudiante en droit, qui a pris conscience d’être privilégiée par rapport à « la personne qu’elle aime », de nationalité colombienne, pour une demande de visa vers les Etats-Unis (Pmurt, encore). Frédéric Beigbeder ne manque pas d’air, qui déclare à Jacques Besnard : « J’ai l’impression d’être le Claude Lévi-Strauss de la teuf » ! Expo, Musique, Humour… De bonnes pages.

    Lundi, un article inspiré par l’AFP, « De Paris à New York, les grands musées en pleine mutation », était illustré par une photo de deux jeunes femmes prenant la pose pour se photographier au Louvre, devant La Joconde toute petite à l’arrière-plan. Je me pince en lisant que « 80% des 30000 visiteurs quotidiens (limités par une jauge) viennent voir le chef-d’œuvre de Leonard de Vinci et… faire des selfies. » Le Prado de Madrid interdit toute prise de photo, cela paraît la meilleure des solutions pour les musées qui attirent les foules.

    Voilà qui me ramène aux pages « Débats » de vendredi : « Les audioguides détournent-ils l’attention des visiteurs de musée ? » J’ai souvent renoncé à écouter un audioguide parce qu’il m’empêchait de bien regarder. En général, je n’arrive pas à faire les deux en même temps. Quand Geneviève Simon pose la question à Géraldine Barbery, responsable de la médiation culturelle aux MRBAB, celle-ci répond que « oui, cela éloigne de l’œuvre ou de l’intention de l’artiste, mais [que] cela apporte autre chose. » On peut lire au-dessus de sa petite photo : « On essaie de s’adapter à la diversité de la société. » Elle y explique la conception d’un commentaire audio « idéal ».

    En regard, je lis au-dessus de la photo d’Yves Depelsenaire, psychanalyste, essayiste : « Une œuvre d’art se découvre en silence, parce qu’elle dit quelque chose. » Pour lui, « les audioguides sont comme les GPS qui vous conduisent droit au but, vous interdisent de flâner et de découvrir des coins imprévus. » (On peut tout de même les interrompre.) Il recommande la lecture des Dialogues du Louvre de Pierre Schneider (1991). 

    Si j’ajoute que la double page suivante est consacrée à Pascal Quignard, à l’occasion de la publication de son dernier roman, Trésor caché (une rencontre avec Laurence Bertels), vous comprendrez pourquoi je reste abonnée à La Libre depuis tant d’années, heureuse d’y lire les nouvelles et d’y trouver encore des articles de qualité. Et vous, avez-vous un quotidien de prédilection ?

  • Dur comme fer

    Filippova Place publique Le Monde.jpg« Les choses qui comptent sont autant ailleurs qu’ici. La connaissance de soi passe par la découverte de l’autre, de l’étranger, dans ce libre jeu entre l’ancrage et le mouvement qui fonde l’idéal cosmopolite. Si tant de personnes de la génération de mes parents demeurent encore nostalgiques des dernières années de l’empire soviétique, s’ils refusent de reconnaître ses vices, depuis la pénurie de papier-toilette jusqu’au racisme ordinaire, c’est qu’ils croyaient dur comme fer à cette utopie-là. Ces Soviétiques jeunes, instruits, optimistes, métissés à l’image de leurs bibliothèques, attendaient de la perestroïka qu’elle ouvre les vannes de la démocratie dans la même joie unanime qu’avait fait jaillir la glasnost, quand tout le monde se mit à lire les livres que la veille encore on planquait sous le manteau.
    On connaît la suite. »

    Diana Filippova, De l’inconvénient d’être russe

    Photo : Parmi les fondateurs de Place publique, le 5 novembre 2018, à Paris.
    De gauche à droite, Claire Nouvian, Diana Filippova, Raphaël Glucksmann

     

  • Le choix du français

    Le titre choisi par Diana Filippova, De l’inconvénient d’être russe (2023), rappelle Cioran, mais ce sont Marina Tsvetaïeva (Le Mal du pays) et Georges Perec (Ellis Island) qu’elle cite en épigraphe. Née en 1986 à Moscou, arrivée en France en 1993, l’autrice porte un regard sans concession sur son pays natal.

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    L’attaque de la Russie en Ukraine l’a décidée à écrire, non pas son projet de « suite moscovite, comme Elena Ferrante et son quatuor napolitain, Knausgard et son hexalogue norvégien », un « grand roman russe » sur « l’âme insondable de ses habitants », mais son parcours d’assimilation, d’éradication même de sa « russéité » : « Devenir autre supposait de cesser tout à fait d’être russe. »

    Sa mère est russe, son père est né en Russie de parents et de grands-parents grecs, à Iessentouki, « sorte d’Odessa du Caucase », « terre d’exil pour un certain nombre d’opposants et d’indésirables du régime communiste ». Grâce aux bons professeurs « trop mollement alignés » rétrogradés dans cette station thermale, « [son] père et ses camarades reçurent une excellente éducation européenne. » Sa passion pour la science l’amènera à s’exiler en France quand il ne pourra plus faire son métier dans des conditions décentes, peu après la chute de l’URSS.

    Diana Filippova explique la particularité du passeport soviétique qui « classe, délimite, ordonne, interdit. » L’origine ethnique s’y ajoute à l’adresse de domiciliation : son père était « soviétique et grec », en décalage avec « le commun des Russes », mais moins que les Soviétique géorgiens ou juifs discriminés par « l’article cinq », appelés « les handicapés du groupe cinq ».

    « D’aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours su que je n’étais pas une Russe pure. » Les Grecs étaient perçus en Russie comme des « Caucasiens », non pas au sens de « Blancs européens », mais de peuple du Caucase (avec les Géorgiens, les Arméniens, les Ossètes, les Azerbaïdjanais...), voire comme des « tchernye – Noirs ». Derrière l’image internationaliste de l’URSS, le racisme en fonction de l’origine ethnique existait déjà, il se montrera plus violemment à partir des années 1990.

    « Pâle et sombre, pur et mélangé : cette séparation m’était aussi familière que les visages de ma mère et de mon père. […] J’arborais pour ma part des cheveux foncés et des yeux noisette virant sur le jaune, ma peau était mate, comme celle de ma mère. » Son père, « l’homme idéal », s’occupait de ses couches, de la nourrir, de l’endormir. Ses parents étaient de jeunes scientifiques prometteurs, elle grandit entourée de livres. 

    De l’inconvénient d’être russe : « C’est l’histoire d’une femme française, métisse dans le pays où elle est née, formée avant toute chose par la littérature du monde entier, écrivant en français. C’est l’histoire d’une femme russe qui depuis sa plus tendre enfance a décidé de ne plus l’être. C’est l’histoire d’une lente désunion et du commencement de la réconciliation. »

    Diana Filippova raconte comment elle a appris la guerre en Ukraine, la peur, l’aide aux Ukrainiens. Surprise que ses amis lui écrivent « Et toi, ça va ? », elle s’est sentie tout à coup rappelée à ses origines. Une journaliste ukrainienne s’était étonnée de l’entendre dire « autre chose que la propagande poutinienne ».

    Dans « Les choses qui font que je suis qui je suis », elle parle beaucoup de ses lectures. De l’école de banlieue où elle se rendait à pied en traversant un parc : « Avant toutes choses, la France eut pour moi le goût du loisir, des parcs et de la marche. » De la honte pour les immigrés post-soviétiques « d’appartenir à une nation rétrogradée ». Peu à peu, elle cessera de penser à la Russie, de se penser comme russe – « et je cessai de l’être. »

    De l’inconvénient d’être russe raconte le parcours d’une femme, son héritage familial, son regard sur la chute de l’URSS, l’ascension de Poutine, l’évolution politique. Diana Filippova dénonce, entre autres, le refus russe du travail de mémoire (l’ONG Memorial a été dissoute deux mois avant la guerre en Ukraine) et la complaisance de certains Russes parisiens envers le régime actuel.

    Les grands écrivains russes, français et autres, occupent une place importante dans cet essai. L’enjeu de la langue aussi : d’intéressantes pages sur le « mat’ » russe, « langue carcérale », grossière, prisée des gens au pouvoir ; sur l’apprentissage du français et sa volonté d’écrire dans la langue de son pays, même si son français est « irrémédiablement infesté de [son] russe ».

    « Aujourd’hui, Diana Filippova est une femme engagée, qui défend les droits humains à la mairie de Paris. On voudrait lui dire que, pour cette défense-là, être russe n’est pas un inconvénient mais un atout, une carte biface : cruauté à combattre d’un côté, humanisme à la coupole dorée à défendre de l’autre. » (Cécile Dutheil de la Rochère)

  • Lettre sur la lecture

    lettre du pape françois,sur le rôle de la littérature dans la formation,lecture,littérature,connaissance,cultureLe saviez-vous ? Le pape François a signé en juillet dernier une lettre « sur le rôle de la littérature dans la formation », d’abord destinée à la formation des prêtres puis élargie à celle de tous les chrétiens. Il y souligne « l’importance de la lecture de romans et de poèmes dans le parcours de maturation personnelle. » Un texte inattendu, recommandé par François Ost (UCLouvain) dans La Libre ou William Marx (Collège de France) dans Le Monde.

    La lecture y est présentée comme une parade à « l’obsession des écrans » et à l’« appauvrissement intellectuel et spirituel des futurs prêtres qui sont ainsi privés d’un accès privilégié, par la littérature, au cœur de la culture humaine et plus précisément au cœur de l’être humain. » Si le pape établit une passerelle entre littérature et spiritualité, ce qui est bien dans son rôle pastoral, j’ai été heureusement surprise devant cette communication publique d’un pape sur l’intérêt de la littérature et l’importance de la lecture. 

    François donne dans sa lettre une définition de la littérature qu’il aime beaucoup : « écouter la voix de quelqu’un ». Parmi les écrivains cités en référence, il y a bien Proust et Cocteau, entre autres, mais aucune voix féminine (petite note féministe en écho à la lettre adressée au pape à l’UCLouvain). Oui, la littérature exprime tous les aspects de notre humanité ; la fréquenter permet de mieux connaître les êtres humains, les misères et les richesses de la vie. Vous savez déjà que cette conviction est partagée ici. Que la cause des livres soit ainsi plaidée rejoint le credo de Mona Ozouf et de tant d’autres grandes liseuses devant l’Eternel. 

    © Harmen Meurs

  • Astrale

    Zweig Le roi Jean par William Blake.jpg« Il est révélateur que de tous les grands personnages anglais, celui qui fascinait le plus Zweig était le roi Jean, un homme instable, entreprenant, qui fut non seulement dessiné par William Blake mais mis en scène par Shakespeare. Zweig était fasciné par Blake qu’il décrivait comme « une de ces natures magiques qui, sans voir clairement leur chemin, sont portées par leurs visions, comme par des ailes d’ange, à travers les espaces vierges de l’imaginaire. » Nous sommes loin des goûts simples des Anglais qu’il vantait, « les chats, le football et le whisky ». Stefan Zweig avait acheté le portrait du roi Jean par Blake au début de sa vie de collectionneur et il le conservait jalousement, comme Freud la petite statuette d’Athéna qu’il avait emportée en exil à Londres. « Entre tous mes livres et tous mes tableaux, ce dessin m’a accompagné plus de trente ans ; que de fois depuis le mur, le regard magiquement éclairé de ce roi fou est tombé sur moi ! De tous les biens que j’ai perdus ou qui sont loin de moi, écrit Zweig, c’est ce dessin que je regrette le plus dans mes pérégrinations. Le génie de l’Angleterre que je m’étais efforcé de saisir dans les rues et les villes, s’était brusquement révélé à moi dans la figure véritablement astrale de Blake. »

    George Prochnik, L’impossible exil. Stefan Zweig et la fin du monde

    William Blake, Le roi Jean (source)