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Récit

  • D'Ensor et Balzac

    « Ensor, l’artiste qui a trouvé le monde entier en Belgique » : un article très intéressant d’Helen Lyons dans The Brussels Times (signalé par Colo, merci), m’a incitée à lire Jésus-Christ en Flandre, court récit de Balzac intégré dans ses Etudes philosophiques, dédié à Marceline Desbordes-Valmore : « A vous, fille de la Flandre et qui en êtes une des gloires modernes, cette naïve tradition des Flandres. » C’était l’une des histoires préférées de James Ensor que lui racontait son père, selon laquelle Jésus-Christ a fait ses derniers pas sur terre à Ostende, en Belgique.

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    James Ensor, Le Christ apaisant la tempête, 1906, huile sur toile, Bruxelles, musée d’Ixelles

    Quand en dernière minute, un voyageur monte à bord d’une barque qui reliait l’île de Cadzant aux côtes de la Flandre, à une époque où « la riche Ostende était un havre inconnu », il y a déjà sept personnes à l’arrière, « séparées de l’avant par le banc des rameurs » : des nobles, un bourgeois avec son domestique, un docteur en science avec son clerc. Le dernier venu cherche alors une place à l’avant, parmi « de pauvres gens » (un vieux soldat, une jeune mère, un paysan et son fils, une « pauvresse ») qui le voyant « tête nue », habillé simplement, le prennent pour « un bourgmestre bon homme et doux comme quelques-uns de ces vieux Flamands dont la nature et le caractère ingénus ont été si bien conservés par les peintres du pays. »

    Balzac décrit l’embarquement, les attitudes des uns et des autres, puis le spectacle de la mer et du ciel qui changent soudain, à l’approche d’Ostende. La tempête éclate. « Nous périssons ! » s’écrient les gens de l’arrière, quand une lueur éclaire le dernier passager : « Ses cheveux d’or, partagés en deux bandeaux sur son front tranquille et serein, retombaient en boucles sur ses épaules, en découpant sur la grise atmosphère une figure sublime de douceur et où rayonnait l’amour divin. » A la vieille femme pauvre qui craint de mourir sans absolution, il dit : « Ayez la foi, et vous serez sauvée. »

    Le pilote mène adroitement la chaloupe à cinquante pas du rivage quand « une convulsion de la tempête » la fait soudain chavirer. « L’étranger au lumineux visage » les invite alors à le suivre et à marcher sur les flots. Les passagers de l’avant lui font confiance et le suivent, ceux de l’arrière se noient, l’un voulant emporter son or, les autres victimes de leur incrédulité. Sauvés, les naufragés se réfugient dans la cabane d’un pêcheur, « puis le Sauveur disparut ». On bâtit là « le couvent de la Merci, où se vit longtemps l’empreinte que les pieds de Jésus Christ avaient, dit-on, laissée sur le sable. En 1793, lors de l’entrée des Français en Belgique, des moines emportèrent cette précieuse relique, l’attestation de la dernière visite que Jésus ait faite à la terre. »

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    James Ensor, La Cathédrale, 1886, eau-forte, collection KBR

    C’est dans l’église de ce couvent que se trouve le narrateur après la révolution de 1830, « fatigué de vivre »se mettre à, dans la seconde partie du récit. En regardant les piliers, les roses, les galeries, les colonnes, les vitraux, les arcs, soudain illuminés par le soleil, il les voit vibrer, danser même, « sans changer de place ». Les orgues font entendre une « harmonie divine » et lui-même se sent entraîné dans ce « sabbat étrange », sous la « malicieuse bienveillance » du Christ de l’autel. Une voix criarde le sort de cette « extase molle et douce » : une vieille femme desséchée l’entraîne hors de l’église, porteuse d’une révélation. A la fin de Jésus-Christ en Flandre, la vieille (qui incarne une Eglise usée par les compromissions) sera transfigurée en éblouissante jeune fille (l’Eglise peut retrouver son rayonnement).

    Pour le peintre ostendais, qui critique les prêtres, médecins, gouvernants…, « La figure mythique du Christ correspond au moi idéal ensorien. » (Encyclopedia universalis) Comme son père (britannique) qui n’a jamais trouvé sa place en Belgique, James Ensor a passé une grande partie de sa vie à se sentir incompris et rejeté par des gens dont il n’était pas tout à fait sûr de vouloir l’approbation. Comme tant d’artistes qui osent perturber, provoquer, séduire, voire repousser, l’appréciation de ses compatriotes est venue tard et lui a apporté peu de joie. Il trouvait certainement un certain réconfort et une justification dans cette histoire dans laquelle le Christ lui-même est venu en Flandre sans être reconnu de tous.

    Selon Xavier Tricot, spécialiste d’Ensor, l’artiste aimait Ostende, mais pas les Ostendais. Dans la bibliothèque de sa maison d’enfance, dans la boutique de curiosités de sa mère et au carnaval annuel d’Ostende, Ensor trouvait le monde entier, même si ses deux pieds étaient plantés sur les plages grises et humides de Belgique. « En fin de compte, on s’habitue à la vie à Ostende et aux maux qui affectent sa famille », écrivait-il dans une lettre à des amis en 1896 (traduction de l’article en anglais). « Mais quelle solitude ! Comme il est difficile d’être coupé de tout après avoir eu tant de succès ! Je me réconforte un peu en travaillant – je peins constamment des masques. Ils se regardent furieusement, reflétant ce que je ressens. »

  • L'anniversaire

    Condé Pocket.jpg« Vêtue d’une tunique bleu ciel, je paradai et posturai devant elle pendant trois bons quarts d’heure.
    Brusquement, elle me fixa. Ses yeux étaient recouverts d’une pellicule brillante. Bientôt, celle-ci se déchira et des larmes dessinèrent des sillons le long de ses joues poudrées.
    - C’est comme ça que tu me vois ? interrogea-t-elle sans colère.
    Puis elle se leva, traversa le salon et monta à sa chambre. Je n’avais jamais vu pleurer ma mère. Même pas quand elle s’était cassé l’os des bras en glissant dans l’escalier. J’éprouvai d’abord un sentiment capiteux qui ressemblait à de l’orgueil. Moi, dix ans, la petite dernière, j’avais dompté la Bête qui menaçait d’avaler le soleil. J’avais arrêté les bœufs de Porto Rico en plein galop. Puis le désespoir me prit. Bon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? Je n’avais pas retenu ma leçon. Mes démêlés avec Yvelise ne m’avaient pas suffi. Il ne faut pas dire la vérité. Jamais. A ceux qu’on aime. Il faut les peindre sous les plus brillantes couleurs. Leur donner à s’admirer. Leur faire croire qu’ils sont ce qu’ils ne sont pas. »

    Maryse Condé, Le cœur à rire et à pleurer

  • A rire et à pleurer

    C’est l’annonce du décès de Maryse Condé (1934-2024) en avril dernier et son évocation à La Grande Librairie, puis le billet d’Aifelle, qui m’ont conduite vers Le cœur à rire et à pleurer (1999), où l’écrivaine guadeloupéenne raconte ses souvenirs d’enfance. Sans fard, que ce soit dans le portrait qu’elle fait de sa famille, de son milieu, d’elle-même. « La petite dernière » d’une famille de huit enfants, elle dédie son livre à sa mère, la grande figure de sa vie : celle-ci n’était pas peu fière d’avoir échappé au destin de sa propre mère en devenant institutrice et en faisant un mariage avantageux avec un veuf qui « avait construit sa maison haute et basse rue de Condé ». Son père avait soixante-trois ans quand Maryse Condé est née, sa mère quarante-trois.

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    La deuxième guerre mondiale les avait « privés de qui comptait le plus pour eux : leurs voyages en France. » Les compliments des garçons de café au terrasse – « Qu’est-ce que vous parlez bien le français ! » – les faisaient soupirer, eux qui étaient « aussi français qu’eux » (son père) et même « plus français » (sa mère). Ils étaient « plus instruits », avaient « de meilleures manières », lisaient davantage. Comme Maryse ne comprenait pas leurs réactions, elle s’était tournée vers son frère Alexandre (Sandrino) qui lui avait fourni une réponse à creuser : « Papa et maman sont une paire d’aliénés. » Elle s’était fabriqué une définition d’une personne aliénée : « une personne qui cherche à être ce qu’elle ne peut pas être parce qu’elle n’aime pas être ce qu’elle est ». Pour ne pas l’être, elle devint « répliqueuse et raisonneuse ».

    Née un Mardi gras, tandis que les masques envahissaient La Pointe, son « premier hurlement de terreur résonna inaperçu au milieu de la liesse d’une ville. Je veux croire que ce fut un signe, signe que je saurais dissimuler les plus grands chagrins sous un abord riant. » Forte de sa bonne réputation, sa mère l’inscrit dans une école payante tenue par des sœurs « fort cultivées ». « Dans notre milieu, toutes les mères travaillaient et c’était leur grande fierté » d’échapper aux tâches manuelles « qui avaient tellement défait leurs mères ». Maryse y rencontre celle qui sera sa meilleure amie, Yvelise, « aimante, rieuse comme une libellule, de caractère aussi égal que le mien était lunatique ». Elles étaient « de même couleur, pas trop noires, pas rouges non plus, de même hauteur, pareillement gringalettes […]. »

    Dans la même classe, assises côte à côte, Maryse était la première, Yvelise la dernière. Leur maîtresse, dont Maryse était la « bête noire » à cause de son indiscipline et de ses moqueries, donna pour sujet : « Décrivez votre meilleure amie. » Maryse reçut « huit heures de colle » à cause des « méchancetés » qu’elle avait écrites. « J’étais le digne rejeton d’une famille où l’on pétait plus haut que ses fesses, d’une famille de nègres qui se prenaient pour ce qu’ils n’étaient pas. » Leur amitié, heureusement, perdura.

    Ils habitaient « une rue digne, habitée par des notables, parfois aussi par des gens aux revenus modestes, toujours de parfaites manières. » Pour décrire leur mode de vie à la Guadeloupe, leurs histoires de famille, leurs vacances, Maryse Condé recourt aux expressions locales, au créole, surtout à l’oral. L’attachement à sa mère, Jeanne Quidal, « une très belle femme », transparaît dans toutes les anecdotes qu’elle raconte. La réputation « d’un personnage de légende », mais peu aimée « malgré ses charités inlassables » – « Car la base de son caractère était l’orgueil. Elle était fille d’une bâtarde analphabète qui avait quitté La Treille pour se louer à La Pointe. » Son intelligence exceptionnelle en fit « une des premières enseignantes noires ». A dix ans, sa benjamine compose son portrait pour l’anniversaire de sa mère, en s’attachant « à représenter de mon mieux un être aussi complexe ». Un désastre.

    A treize ans, elle est élève au lycée Fénelon à Paris ; son professeur de français, de réputation communiste, lui demande de faire un exposé « sur un livre de votre pays ». Le sujet la plonge dans la confusion, elle n’en connaît pas. Son frère lui indique La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel – c’était la Martinique, « l’île sœur de la Guadeloupe ». Elle dévore le livre. Son « engagement politique » est né « de de moment-là, de cette identification forcée au malheureux José. La lecture de Joseph Zobel, plus que des discours théoriques, m’a ouvert les yeux. […] J’étais « peau noire, masque blanc » c’est pour moi que Frantz Fanon allait écrire. »

  • Lectrice

    italo calvino,si par une nuit d'hiver un voyageur,roman,littérature italienne,récit,fiction,lecteurs,lecture,oulipo,culture« Comment savoir ce que tu es, Lectrice ? Il est temps que ce livre à la seconde personne ne s’adresse plus seulement à un tu masculin générique, le semblable ou le frère d’un moi hypocrite, qu’il s’adresse directement à toi, qui as fait ton entrée à la fin du Second Chapitre comme Tierce Personne nécessaire pour que ce roman soit un roman, pour qu’entre la Seconde Personne au masculin et la Troisième Personne au féminin quelque chose advienne, prenne forme, s’affirme ou se gâte, selon les phases habituelles des aventures humaines. Ou plutôt : selon les modèles mentaux à travers lesquels, ces aventures, nous les vivons. Ou plutôt : selon les modèles mentaux à travers lesquels nous attribuons aux aventures humaines un sens qui nous permet de les vivre. »

    Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur

  • Voyager avec Calvino

    C’est en lisant Rue des boutiques obscures de Modiano, où chaque chapitre ouvre une nouvelle piste de son enquête, que j’ai eu l’envie de relire Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino (1981, traduit de l’italien par Danièle Sallenave et François Wahl). Le début de ce roman est inoubliable : le narrateur interpelle directement le lecteur. « Tu vas commencer le nouveau roman d’Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur. Détends-toi. Concentre-toi. Ecarte de toi toute autre pensée. Laisse le monde qui t’entoure s’estomper dans le vague. »

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    Illustration de la couverture originale

    « Prends la position la plus confortable […] », « Règle la lumière […] ». Après les conseils pratiques, le premier chapitre tout entier centré sur le lecteur parle de son attente : « Tu es un homme qui, par principe, n’attend plus rien de rien. » (Je tique – je ne suis pas un homme. La Lectrice apparaîtra plus tard, heureusement, patience.) Un paragraphe désopilant raconte l’achat du livre en librairie et va des « livres-que-tu-peux-te-passer-de-lire » aux « livres-qui-t’inspirent-une-curiosité-soudaine-frénétique-et-peu-justifiable ». Puis vient l’entrée en lecture, le livre manipulé avant d’en lire les premières lignes. « On le sait : c’est un auteur qui change beaucoup d’un livre à l’autre. Et c’est justement à cela qu’on le reconnaît. Mais il semble que ce livre-ci n’ait rien à voir avec tous les autres, pour autant que tu te souviennes. Tu es déçu ? »

    En page quinze, le roman Si par une nuit d’hiver un voyageur commence « dans une gare de chemin de fer » où un homme entre dans le bar – voilà le récit lancé. L’auteur y implique bientôt son lecteur : « Ou peut-être l’auteur est-il encore indécis, comme du reste toi-même, Lecteur, n’es pas bien sûr de ce qu’il te plairait le plus de lire […] ». Des personnages échangent quelques mots, il est question d’une valise, d’un échange, d’une « Organisation » puissante.

    Page 29 : « Tu as déjà lu une trentaine de pages et voici que l’histoire commence à te passionner. » Pourtant elle s’interrompt. Le lecteur revient sur le devant de la scène, avec ses observations, « un peu désappointé : juste au moment où tu commençais vraiment à t’intéresser, voici que l’auteur se croit obligé de recourir à un de ces exercices de virtuosité qui désignent l’écrivain moderne » ! En effet, il reconnaît ce paragraphe, cette page... Le livre mal imprimé se répète, et le lendemain, le lecteur va le rendre au libraire. Celui-ci a déjà reçu quelques réclamations et un avertissement de la maison d’édition : par erreur, au brochage, des feuillets ont été mélangés avec ceux d’un autre livre, En s’éloignant de Malbork du Polonais Tadzio Bazakbal !

    Une demoiselle encore dans la librairie vient justement de réclamer. « Voici donc : la Lectrice fait son heureuse entrée dans ton champ visuel, Lecteur, ou plutôt c’est toi qui es entré dans un champ magnétique dont tu ne peux fuir l’attraction. » Les voilà en conversation et prêts à échanger leurs impressions et même leurs numéros de téléphone.

    Un nouveau récit commence ensuite, intitulé En s’éloignant de Malbork : « Une odeur de friture flotte, dès l’ouverture, sur la page, ou plutôt une odeur d’oignons […] ». Vous l’aurez peut-être déjà deviné, ce sera l’allure de tout ce roman : des chapitres centrés sur le Lecteur et  la Lectrice alternent avec des débuts de récits. Les voici devant un nouveau livre dont les pages n’ont pas encore été découpées, à l’ancienne. « S’ouvrir un passage dans la barrière des pages au fil de l’épée, voilà qui va bien avec l’idée d’un secret caché dans les mots : tu te fraies un chemin dans ta lecture comme au plus touffu d’une forêt. »

    Si par une nuit d’hiver un voyageur est un roman qui nous mène d’étonnement en étonnement. Si je me souvenais bien de cette succession de débuts de récits tous différents (à chaque fois on change d’auteur, de langue, de genre romanesque, de cadre, d’acteurs, de situation), j’avais oublié qu’en fait les intermèdes concernant les lecteurs et la lecture y occupent au total plus de pages que les récits eux-mêmes. Ils sont numérotés et constituent les « chapitres » un à douze dans la table des matières, en alternance avec dix récits aux titres différents. Ce qui les relie vous apparaîtra en cours de lecture ou à la fin.

    Qu’aiment-ils lire, ces lecteurs ? Ludmilla, la Lectrice : « Le roman que j’ai le plus envie de lire en ce moment, explique-t-elle, c’est celui qui te tiendrait toute sa force motrice de la seule volonté de raconter, d’accumuler histoire sur histoire, sans prétendre imposer une vision du monde ; un roman qui simplement te ferait assister à sa propre croissance, comme une plante, avec son enchevêtrement de branches et de feuilles… » C’est bien l’intention de l’auteur du récit suivant, remplir l’espace d’histoires, « comme une forêt qui s’étend de tous les côtés et ne laisse pas passer la lumière, tellement elle est épaisse […] ».

    Italo Calvino a écrit là un roman sur le récit, l’écriture, la lecture. Ce n’est pas un essai : il raconte bien des histoires et, avec de multiples clins d’œil à ses protagonistes lecteurs (et forcément à nous qui le lisons), fait apparaître des personnages aussi disparates qu’un espion, un vieil Indien surnommé « le Père des récits », une sultane, des gangsters ou des terroristes, et aussi la sœur de Ludmilla, Lotaria, une chercheuse, une professeur d’université, un traducteur maléfique, etc.

    Au chapitre huit, un « projet de récit » oppose deux écrivains « habitant deux »installés dans deux chalets en Suisse : un « écrivain productif » à succès et un « écrivain tourmenté ». Ils se jalousent l’un l’autre et chacun rêve « d’être lu comme lit la jeune femme », dans une chaise-longue sur une terrasse, « qui prend le soleil en lisant un livre », totalement absorbée par sa lecture. Je ne vous en dis pas plus, en espérant vous avoir fait sentir à quel point ce roman joueur est jubilatoire, si l’on accepte d’y entrer et de suivre toutes ces pistes plus ou moins farfelues, en appréciant son humour et ses dérives imaginaires.

    Italo Calvino a fait partie de l’Oulipo dont les recherches sur le langage se voulaient « naïves, artisanales et amusantes » (Queneau). Dans ce roman à la fois accessible et complexe, l’écrivain réalise un fantasme d’auteur désireux de partager avec ses lecteurs sa passion pour la littérature. Si par une nuit d’hiver un voyageur est un roman vertigineux où « la fiction dépasse la fiction » (Sindy Langlois), « quelque chose qu’on pourrait décrire comme les Mille et une nuits d’un lecteur de romans » (François Ricard). Si vous vous laissez faire, ce grand jeu de la lecture dans toutes ses dimensions vous procurera « des impressions nouvelles et inattendues ».