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musée guimet

  • Réaffûté

    coatalem,une chambre à l'hôtel mékong,récit,littérature française,ma nuit au musée,musée guimet,asie,art asiatique,voyages,culture,extrait« C’est cette sensation que je recherche dans le silence de Guimet, parmi la cohorte des rois, la clique des singes et les volées de dragons. Comme si les musées, à l’instar des œuvres littéraires, pouvaient nous affranchir de cette frontière entre les vivants et les morts, le réel et le rêve, ce qui fut et ce qui est. Et où, cette fois encore, à mon tour, je ne serais plus enseveli sous le poids des jours mais, au contraire, réaffûté, redevenu neuf et vibratile. Sensible au crépitement. Présent. »

    Jean-Luc Coatalem, Une chambre à l’Hôtel Mékong

    (Je préfère la couverture noire comme une nuit étoilée de l'exemplaire lu, non retrouvée en ligne.)

  • Une nuit au Guimet

    Dans la collection « Ma nuit au musée », voici celle de Jean-Luc Coatalem : Une chambre à l’Hôtel Mékong. Je n’avais encore rien lu de ce journaliste et écrivain voyageur d’origine bretonne dont la famille a souvent déménagé, qui a été « trimballé de garnison en garnison, en France et ailleurs, Polynésie et Madagascar ». Il en a gardé le goût du voyage, et en particulier de l’Asie.

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    Cour khmère au musée Guimet © Paris photo Vincent Leroux (familinparis.fr)

    « Allais-je au-devant d’une émotion du même ordre que celle de Victor Segalen, écrivain-aventurier, qui sillonna, en cravachant, l’Orient compliqué ? » Coatalem a choisi le Musée national des arts asiatiques Guimet parce qu’il aime son architecture « néoclassique, volontiers ostentatoire, sorte de palais néopompéien avec sa rotonde et ses deux ailes au fronton palladien. » En se souvenant de son grand-père qui s’y rendait le week-end : « Guimet lui était un havre, une cachette. »

    Lui s’interroge sur la façon dont il va se sentir « seul, face à [lui]-même, plongé dans ce « Louvre de l’Asie ». » Il se rappelle Rachana, un « petit Khmer » taiseux qui séjournait chez eux par intermittence à la fin des années soixante ; le garçon avait perdu les siens dans l’Asie en guerre. Il avait fini par couper les ponts et repartir. Avec lui, en imagination, un grand-père et un oncle baroudeurs, et des personnalités qui l’ont marqué, comme Gauguin et Segalen.

    Le lit de camp préparé pour Coatalem lui rappelle le temps des manœuvres au service militaire et un ancien dispensaire au Laos, sur l’île de Khong. Un jour de solitude, il y avait pris des notes dans un Moleskine sous ce titre, Une chambre à l’Hôtel Mékong. Dans son bagage d’une nuit, Nadja de Breton, lecture en cours, son loisir préféré avec la marche. Puis le voilà seul avec son « taulier » dont le portrait « orne l’entrée de la bibliothèque » où il est installé.

    Un chapitre lui est consacré : Emile Guimet (1836-1918), ce « richissime homme d’affaires a été l’un des collectionneurs les plus avisés de son époque ». Il voulait créer un musée qui réunirait, il le cite, « tous les dieux de l’Inde, de la Chine, du Japon, de l’Egypte, de la Grèce et de l’Empire romain ». Guimet offrit une partie de ses collections à l’Etat « en échange de son aide et d’un soutien financier ». Des legs aidant, c’est devenu « la plus grande collection d’art asiatique hors d’Asie. »

    Au cœur de ce musée, une « vaste bibliothèque qui élucidera tout », constituée dès 1889, à présent au rez-de-chaussée, mais « la rotonde de style « antiquisant » subsiste avec ses larges étagères de chêne foncé. » A vingt heures, un gardien vient l’y chercher pour une ronde, coupant les éclairages des salles derrière eux.  On rallumera le lendemain, à la ronde de 5 h 30.

    A la façon de Sei Shônagon, dans ses Notes de chevet, l’auteur dresse ses listes : « Choses ravissantes et pacifiques, émouvantes, à revoir cette nuit », « Choses froides ou perturbantes, effrayantes, à éviter cette nuit ». S’interrogeant sur la nuit à venir,  il ressent des présences autres que la sienne. « Les figures du musée ont une vie interne qui déborde, surplombe et toise la mienne. Dès que j’entre dans les salles, je crois entendre leur antienne qui marmonne que, certes, ma présence est tolérée pour cette fois, mais que je ne suis qu’un amateur qui ne pense qu’à son petit théâtre littéraire […] »

    Il dormira pourtant, s’éveillera avant la ronde du matin, prêt à plier bagage. « Drôle d’expérience au fond, où tout est là, où tout échappe. Une nuit seul à seul. Jeu d’adresse qui ne s’adresse qu’à vous. Enfermé en soi dans des univers figés. Précipité dans la mémoire des autres. » 

    C’est le premier écrivain (au masculin) que je lis dans la collection « Ma nuit au musée », après Lydie Salvayre (au musée Picasso à Paris), Lola Lafon (au musée Anne Frank à Amsterdam), Zoé Valdés (au musée Thyssen-Bornemisza à Madrid) et Leïla Slimani (La Douane de mer à Venise). Une chambre à l’Hôtel Mékong m’a fait connaître un peu son auteur et m’a intéressée par ce qu’il nous présente du Musée Guimet où je ne suis allée qu’une seule fois. L’exercice est accompli, sans que l’on ressente à la lecture, sauf à quelques moments, de ces subtiles vibrations qui donnent envie de relire un livre après en avoir pris connaissance.

  • Hokusai sur papier

    Il y a les expos qu’on voit, celles qu’on se contente d’imaginer en lisant une critique, celles enfin qu’on projette de découvrir mais qui ne trouvent pas leur place dans l’agenda. Quelle chance alors si le catalogue, richement illustré, nous offre une visite virtuelle de qualité – une expo sur papier, par le texte et par l’image.

    "Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante ans, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans. C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole. Ecrit, à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Hokusai, aujourd’hui Gakyo Rojin, le vieillard fou de dessin."

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    Katsushika Hokusai (1760-1849) a fait récemment l’objet d’une grande rétrospective au Musée Guimet à Paris, sous le titre Hokusai, « l’affolé de son art ». A partir de 1834, il signe « le vieil homme fou de dessin », un an après avoir connu la gloire avec ses Trente-six vues du Mont Fuji. Sur la plus connue de ses estampes, Sous la grande vague au large de la côte à Kanagawa, une grande vague bleu de Prusse occupe presque tout l’espace, prête à s’abattre sur deux embarcations malmenées par la tempête, avec le mont Fuji, tout petit, à l’arrière-plan. Son profil ressemble à celui de la Vague en onyx de Camille Claudel, sous laquelle s’ébattent trois figures féminines inconscientes du danger qui les menace - même si La Tribune de l’art y voit plutôt l’influence d’un dessin de Victor Hugo, Ma destinée. (C’est à ces deux vagues que je pensais constamment en lisant le splendide Œdipe sur la route d’Henry Bauchau, lorsque Œdipe rêve de sculpter une falaise, avec Clios, le bandit devenu son compagnon de route, et Antigone, parce qu’il y a vu, lui, l’aveugle, une vague de pierre.)

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    Les estampes japonaises, littéralement « ukiyo-e » ou « Images du Monde flottant », n’étaient pas considérées au Japon comme du grand art, plutôt comme de l’artisanat. La vivacité et l’expressivité du dessin d’Hokusai enchantèrent les impressionnistes et les critiques occidentaux de la fin du XIXe siècle. Le catalogue réalisé sous la direction d’Hélène Bayou, « d’Edmond de Goncourt à Norbert Lagane », montre bien comment le regard des uns et des autres sur l’œuvre d’Hokusai a pu différer. Siegfried Bing, présenté en 2006 à Bruxelles avec la belle exposition « L’art nouveau, la maison Bing », se voulait soucieux du contexte original des œuvres, « sinon mieux vaut se détourner délibérément de ce tout ce qui est né en dehors de nous ». Henri Focillon, au début du vingtième siècle, renouvela pour sa part l’approche formelle de l’estampe.

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    A côté d'œuvres connues sont illustrés le magnifique paravent des Neuf femmes jouant au jeu du renard, les érotiques « images de printemps » (shunga). Sur l’une d’elles, derrière un couple qui s’étreint, un chat blanc, un ruban autour du cou, attend, assis, attentif aux petites souris noires à l’avant-plan. Il faudrait parler aussi des autres paysages d’Hokusai, de ses natures jamais mortes : Branche de cerisier en fleur, Bergeronnette et glycine si « art nouveau ». Des fameux Tigre et dragon, deux pendants – on le sait depuis peu – étonnamment complémentaires. La fin du catalogue offre un superbe Autoportrait sous la forme d’un vieillard qui, mieux que tout, exprime la passion d’un artiste pour rendre avec une justesse et une simplicité inouïes la vague du temps qui nous emporte tous.