Il y a presque un demi-siècle, aux Jeux Olympiques de Montréal en 1976, une petite gymnaste roumaine éblouissait le monde entier. La petite communiste qui ne souriait jamais (2014) de Lola Lafon est un roman, pas une « reconstitution historique de la vie de Nadia Comaneci », précise-t-elle dans l’avant-propos. Elle a respecté les dates, lieux et événements et « pour le reste […] choisi de remplir les silences de l’histoire et ceux de l’héroïne ».
Le roman suit le parcours de Nadia C. de 1969 à 1990. L’échange (en italiques) entre la narratrice et la gymnaste reste « une fiction rêvée » où l’autrice a intégré quelques passages de son autobiographie (Letters to a Young Gymnast, 2011). C’était exceptionnel : à quatorze ans, la petite Roumaine, « sa queue de cheval de travers », découvrait au tableau d’affichage « ce terrible 1 sur 10 » en chiffres lumineux – un virgule zéro zéro qui signifiait un dix ! – une note inédite en gymnastique aux JO, non prévue dans le système.
On lui ajoute trois contrôles antidopage supplémentaires. C’est un « séisme géopolitique » pour les Soviétiques qui craignent l’humiliation. « La grâce, la précision, l’amplitude des gestes, le risque et la puissance sans qu’on n’en voie rien ! » Elle est « la petite fée communiste qui ne souriait jamais », une « Lolita olympique » qui fait vieillir d’un coup ses concurrentes et récolte les médailles d’or.
Des vidéos en ligne permettent de revoir ces incroyables performances. Lola Lafon n’avait alors que deux ans, je me suis demandé pourquoi elle avait décidé d’écrire sur ce sujet. La Roumanie des Ceausescu, elle l’a connue, elle a grandi sous le régime communiste. Comme Nadia C. qui va fuir son pays en 1989, elle se montre critique aussi envers les pays occidentaux : « La liberté des pays capitalistes, je me suis assez vite rendu compte que c’était bidon, il y avait le pouvoir du porte-monnaie, c’est tout. » (Libération, 2003)
Je lis les récits de Lola Lafon à rebours de la chronologie. Elle a passé une nuit au musée Anne Frank (Quand tu écouteras cette chanson), celle-ci a commencé à écrire son journal à l’âge de treize ans. Cléo est encore plus jeune quand elle entre à l’école de danse (Chavirer). Patricia Hearst a dix-neuf ans quand on l’a enlevée (Mercy, Mary, Patty). Les thématiques sont voisines, bien que les sujets soient différents : des héroïnes jeunes, le passage délicat de l’adolescence.
En racontant les entraînements, les régimes, la discipline imposés à Nadia C. et aux autres gymnastes entraînées par Béla et sa femme Marta à « l’école expérimentale [d’Onesti] qui formera l’élite des gymnastes socialistes », Lola Lafon décrit l’engagement physique et en même temps la volonté formidable de la petite : « Parfois, Béla craint qu’elle ne soit malade, cette pâleur silencieuse, ce regard fixe que contredit l’acharnement de ce corps minuscule à sans cesse décortiquer la difficulté de l’exercice jusqu’à sa digestion totale. Anaconda d’un risque dont on ne la nourrit jamais assez. »
La petite communiste qui ne souriait jamais, « récit de haute voltige » (La presse), décrit dans tous ses aspects la vie d’une sportive de haut niveau, les hauts et les bas, les rivalités, le rôle des médias, les revers de la célébrité. Lola Lafon s’est appuyée sur une vaste documentation pour retracer une partie de la vie de Nadia Comaneci, au-delà même de sa retraite sportive en 1981. Ce roman montre les coulisses de ses incroyables performances et tente aussi de saisir sa personnalité, volontaire et secrète.
Commentaires
J'ai découvert Lola Lafon avec cette lecture-là et j'ai tout de suite été conquise. En plus j'ai eu la chance d'assister à un concert-lecture puisqu'elle avait adapté son livre en spectacle. C'est une très bonne chanteuse également.
https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=Lola+Lafon++la+petite+communiste+qui+ne+souriait+jamais%2C+spectacle#fpstate=ive&vld=cid:c6d4ad38,vid:lxwYrKQyKfs,st:0
Merci beaucoup, Aifelle, pour cette vidéo de son spectacle, c'est très prenant et on sent l'engagement total de l'autrice & artiste.
Je me souviens très bien de cette déferlante, de l'écart entre ce corps gracile, élastique, performant et ses résultats inouïs. Je me suis parfois demandée par la suite ce qu'était devenue "la petite", sans chercher, de peur qu'ensuite la vie l'ait brisée (je ne suis pas très optimiste de nature). Merci pour ce compte rendu intéressant qui donne envie d'en savoir plus à travers ce livre.
Bonne journée !
Bonjour, Nikole. Oui, nous l'avons admirée, nous nous sommes posé des questions sans trop chercher (en ce qui me concerne), confondant peut-être toutes les gymnastes "de l'Est" avec celles du régime soviétique. Le roman de Lola Lafon y apporte des réponses en accompagnant Nadia C. dans son engagement total.
Bonne journée, du ciel bleu ce matin, vive le printemps !
oui j'ai lu et aimé aussi, je croyais avoir fait un billet là-dessus à l'époque mais avec mon merveilleux classement alphabétique je ne retrouve rien ;-)
Sans mots clés, c'est difficile, en effet. Bonne après-midi, Adrienne.
C'est avec ce roman que j'ai fait connaissance avec l'autrice. Je n'ai pas encore lu tous ces livres mais j'avais été conquise et si je me souviens bien j'avais mis en effet des liens vers au moins une vidéo...il faudra d'ailleurs que je vérifie que les liens fonctionnent toujours. Contente que tu aies aimé, j'aime la manière dont Lola Lafon appréhende ses sujets et la comment elle intègre le régime politique au parcours de cette jeune gymnaste.
Cela semble le cas pour beaucoup des lectrices et lecteurs de Lola Lafon. Ton billet était très complet (dernier lien).
j'ai trois filles qui ont fait beaucoup de gym et j'ai été entraineur pendant quelques années, ce livre m'avait beaucoup plu il fait un tableau assez noir mais tout à fait réaliste et sincère
Cette vie entièrement tournée vers l'activité sportive et la compétition, avec les autres et avec soi-même, est très exigeante. Il y faut une énorme motivation. Bonne journée, Dominique.
Ce livre est vraiment tentant ! Lola Lafon parle, comme tu le dis tellement bien de l'adolescence,même si certaines sont très particulières .
"Chavirer" et "Quand tu écouteras cette chanson" possèdent ce socle commun d'exaltation, de fraicheur, de terreur aussi. Merci Tania !
Si je regarde les épreuves de gymnastique aux JO de Paris, nul doute que je repenserai à ce roman. Bonne fin de journée, Claudie.
Pour une raison qui m'échappe, le lien sur ton nom ne fonctionne pas - le rafraîchir, peut-être ?