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musée rops

  • Gommes & linos

    Dans le catalogue de l’exposition Le Cercle des femmes peintres & Kikie Crêvecoeur, Margaux Van Uytvanck présente une belle synthèse de son travail et de son parcours d’artiste : « Kikie Crêvecoeur et la gravure. Voyage imaginaire au pays des mille et une gommes ».

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    © Kikie Crêvecoeur, Conte(s) à rebours, 2008-2009,
    impressions de gommes gravées sur post-it, 150 x 150 cm. Collection de l'artiste

    Les « gommes » de Kikie Crêvecoeur, dont j’ai retrouvé au musée Rops une série d’œuvres vues à la Bibliotheca Wittockiana, restent un axe essentiel de son travail de gravure. Ci-dessus un détail d’une spirale, Conte(s) à rebours, pour vous permettre d’apprécier la diversité des estampes avec lesquelles elle raconte le fait marquant du jour : un mot, un dessin, une date, une trace de son quotidien mêlé à l’actualité du monde.

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    © Kikie Crêvecoeur, Tapis Boud'rikiki (détail), installation, 2024

    Au pied d’un mur où sont accrochées les « Trognes », l’artiste a étalé une bordure florale, un « Tapis d’Boudrikiki » où des impressions recto verso et en couleurs composent une installation éphémère mêlant les mots et les images. En agrandissant la photo, vous y trouverez des fleurs, des cœurs, des aphorismes, des clins d’œil au visiteur...

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    © Kikie Crêvecoeur, Nzomba (détail), 1995, 100 x 200 cm,
    estampe marouflée sur toile, linogravures, gommes et empreintes, tirage unique.
    Collection de l'artiste.

    L’exposition montre de beaux ensembles comme « Elles viennent dans la nuit » pour illustrer un texte de Corinne Hoex. « Nzomba », une œuvre dans les tons bleu-vert réalisée en écoutant des polyphonies des pygmées Aka, évoque la forêt et leur mode de vie : l’œuvre est composée de six reproductions d’une linogravure sur lesquelles Kikie Crêvecoeur est intervenue avec des impressions de gommes, les doigts, les couleurs. (Dans leur langue bantou, « nzomba » veut dire « forêt » et « nzombi », l’esprit de la forêt.)

    Le Cercle des femmes peintres & Kikie Crêvecoeur, Musée Rops, Namur > 08.09.2024

  • Le Cercle des peintres & Kikie Crêvecoeur

    Le musée Rops de Namur récidive dans la mise en valeur des femmes artistes avec une exposition à ne pas manquer cet été : Le Cercle des femmes peintres & Kikie Crêvecoeur. Si la graveuse contemporaine m’avait déjà épatée à la Bibliotheca Wittockiana, j’ignorais l’existence de ce collectif « actif dans le monde de l’art belge à la fin du XIXe siècle ». Le Cercle des femmes peintres a organisé quatre expositions entre 1888 et 1893, au même endroit et dans la même période que les XX autrement présents dans l’histoire de l’art.

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    Alix d’Anethan (1848-1921), Dans l’atelier de l’artiste ou Les Aquafortistes, s. d.,
    huile sur toile, 108,4 x 137,5 cm. Courtesy Galerie Ary Jan, Paris.

    « Le mérite d’avoir remis le Cercle des femmes peintres dans la boucle de la recherche en histoire de l’art revient entièrement à Alexia Creusen », peut-on lire dans l’avant-propos du catalogue (source des citations). Cette plasticienne et historienne de l’art liégeoise est l’autrice de Femmes artistes en Belgique. XIXe et début XXe siècle. Les 88 artistes qui ont participé aux quatre salons du Cercle sont presque toutes oubliées – Denis Laoureux les présente chacune dans une notice (de deux lignes à une page selon les cas) dans un « Dictionnaire » en dernière partie – et leurs œuvres, souvent perdues ou dans des réserves « malgré des tableaux d’excellente facture et des carrières exemplaires ». 

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    Alice Ronner (1857-1906), La cruche d'étain (détail), 1887,
    huile sur toile, 80 x 64 cm, MRBAB, Bruxelles

    Des gravures de Kikie Crêvecoeur accompagnent de salle en salle ces peintures de l’époque de Félicien Rops. Je n’ai pas photographié, à l’entrée de l’exposition, le jeu de ses linogravures en réduction et aimantées (Bribes et échappées, 2006) que les visiteurs sont invités à déplacer à leur guise sur un panneau, mêlées à des pages de catalogues du Cercle des femmes peintres. 

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    Page de catalogue, Cercle des femmes peintres, Bruxelles

    Dans l’atelier de l’artiste ou Les Aquafortistes d’Alix d’Anethan (ill. 1) « montre des artistes femmes rassemblées autour de la représentation du paysage à l’aquarelle sur papier alors que le tableau lui-même est peint à l’huile sur toile, en grand format, et montre non pas un coin de nature mais une pratique artistique ». A son époque, non admises dans les écoles d’art, les femmes se formaient dans des ateliers privés, souvent tenus par des peintres masculins. Alix d’Anethan a participé à de multiples salons, belges et parisiens.

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    © Kikie Crêvecoeur, Courriers Ping-Pong avec Anne Leloup, Jo Ann Lanneuille et Marine Domec,
    2022-2024, estampe. Collection de l'artiste

    Dans un angle figurent neuf petits portraits peints récemment sur carton par Kikie Crêvecoeur, Mes amies complices. La graveuse bruxelloise s’est liée dès ses années de formation avec d’autres artistes : « le travail en collectif apparaît comme un fil rouge » dans sa carrière. Elle fait partie de l’Atelier Razkas. Lors d’échanges avec des amies artistes par « courrier créatif », elle introduit aussi la couleur dans des estampes joliment japonisantes.

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    Berthe Art (1857-1934), Les oeillets (détail), s. d.,
    pastel sur papier, 67 x 82 cm, Berko Fine Paintings, Knokke

    Un pastel signé Berthe Art, Les Œillets, témoigne de sa prédilection pour la peinture florale et de son art dans la composition comme dans le rendu des matières. Un triptyque panoramique, Les rochers en mer (collection privée), montre une autre facette de son art. En plus de la première exposition du Cercle, Berthe Art a exposé régulièrement dans les salons triennaux belges jusqu’au début du XXe siècle, et aussi à Cologne, à Londres – une carrière internationale. Une Nature morte avec fleurs (et pêches) de Marie de Bièvre est très belle aussi.

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    © Kikie Crêvecoeur, Des Milliers (I à XXV...), 2013-2017, ensemble de linogravures,
    25 x (60 x 14,5 cm), work in progress. Collection de l'artiste

    Avant de monter l’escalier, je suis retenue par Des Milliers (I à XXV…), un ensemble de linogravures où figurent, alignés, des troncs d’arbres élagués. Kikie Crêvecoeur a commencé en 2013 cette série en hommage aux victimes des camps nazis. Le titre fait référence à la chanson de Jean Ferrat (« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers... ») et au film d’Alain Resnais Nuit et brouillard

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    Henriette Calais (1863-1951), Vers la lumière, vers 1895,
    aquarelle sur papier, 46,5 x 90 cm. Courtesy Galerie Drylewicz, Paris

    D’Henriette Calais, revoici l’Allégorie féminine vue à Tournai. Je m’attarde devant deux aquarelles de cette peintre symboliste, Vers la lumière et Ames solitaires, de 1895. Sur le site de la galerie Drylewicz (Paris), vous pouvez lire une présentation très intéressante de cette artiste. J’y ai découvert son travail de sculptrice, « un vaste et ambitieux projet de monument destiné au parc Josaphat, à Schaerbeek » sur le thème de La Fontaine d’amour, dont on montre une maquette en plâtre. 

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    Louise De Hem (1866-1922), Intimité, 1901,
    pastel sur papier, 100 x 84,2 cm. Yper Museum, Ypres

    Les œuvres marquantes ne manquent pas, je reviendrai sur celles de Kikie Crêvecoeur. J’admire longuement Intimité de Louise de Hem, un pastel aux couleurs délicieuses. Il contraste si fort avec Femme au jasmin d’Alix d’Anethan, mais ces deux portraits sont des œuvres silencieuses et introspectives d’une grande beauté. Je retiens la Mer phosphorescente de Marguerite Verboeckhoven et le Paysage de forêt de Clémence Jonnaert. 

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    Alix d’Anethan (1848-1921), Femme au jasmin, s. d.,
    huile sur toile, 74 x 96 cm. Collection privée

    Après avoir revu les salles consacrées à Félicien Rops, c’était agréable de sortir dans le jardin du musée, où des extraits de sa correspondance sont présentés parmi les fleurs qu’il aimait : « les fleurs m’ont consolé de bien des peines » (Lettre à Rassenfosse). Les arbres, la nature, la poésie du quotidien, Kikie Crêvecoeur n’a pas fini de nous les montrer, à sa manière. Avec Le Cercle des Femmes peintres, elle vous attend à Namur jusqu’au 8 septembre.

  • Maître du mystère

    Le bleu du rêve. Le silence de la neige. La musique des brumes. C’est l’univers de William Degouve de Nuncques, maître du mystère (1867-1935), présenté au Musée Rops à Namur jusqu’au 6 mai 2012. Le Musée Kröller-Müller d’Otterlo (Pays-Bas), dont la collection compte 27 œuvres du peintre, accueillera ensuite cette exposition, de mai à septembre.

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    Couverture du catalogue (Fonds Mercator)

    Méconnu aujourd’hui, Degouve était l’ami de Jan Toorop, qui a fait de lui un beau portrait au pastel qu’on découvre dans la première salle, et d’Henry de Groux qu’il a peint de profil, en béret de velours, une écharpe blanche autour du cou, assis face au chevalet – une composition très intéressante. Le futur gendre de Rops, Eugène Demolder, écrivain et avocat belge, était le témoin de Degouve de Nuncques à son mariage avec la peintre Juliette Massin, la sœur de Marthe, l’épouse de Verhaeren. (Que peignait-elle ? Autre mystère.)

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    Musée Rops, rue Fumal 212, Namur

    Mais Degouve est surtout un paysagiste : hameau sous la neige, grotte aux stalactites, rêve de voyage, autant d’invitations à regarder la nature dans ses métamorphoses. A part, un Paysage bruxellois (Degouve a habité une maison-atelier au 202 de la rue des Coteaux) qui fait un peu penser à Laermans, deux femmes en sombre sur les pavés, des maisons en enfilade, un clocher – la figure humaine est rare dans les paysages de Degouve de Nuncques. C’est un amoureux résolu des campagnes, du calme et de la paix loin de l’agitation des villes.

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    Degouve de Nuncques, Paysage bruxellois

    Après quelques tableaux « mystiques » (Degouve n’est pas croyant), dont le plus étonnant est sans doute Les anges de la nuit, d’inquiétantes peintures de forêt sans lumière – La forêt lépreuse où les racines verdâtres sont presque phosphorescentes, le peintre y a mélangé aux pigments une matière cireuse. 

    Mon premier coup de cœur va au Canal, une longue toile horizontale (42,4 x 122,5, magnifiquement rendue par l’excellent catalogue publié au Fonds Mercator, sur toute sa longueur si l’on déplie les rabats de la couverture). Des arbres dénudés à l’avant-plan font face, de l’autre côté du canal où flotte une barque, à un bâtiment abandonné, dont les multiples fenêtres en plein cintre ont toutes leurs vitres brisées.

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    Degouve de Nuncques, Nocturne au Parc Royal de Bruxelles (Paris, Musée d’Orsay)

    Ensuite, les « nocturnes bleus », délicats comme des Nocturnes en musique, qui nous font entrer de plain-pied dans l’univers symboliste des Maeterlinck, Verhaeren et Rodenbach dont Degouve se sentait si proche : Parc de Milan, où les fleurs de marronniers brillent doucement, La Forêt et son mystère, et le fantastique pastel Nocturne au Parc Royal de Bruxelles, où l’on suit une allée oblique entre des pelouses rectilignes vers un bosquet, dans la clarté lunaire de réverbères invisibles.  

    Crépuscule au lac de Côme, un grand format, révèle une nuit grandiose comme une cape qui enveloppe les montagnes de son silence, dans de subtils dégradés de bleu nuit ; les maisons ponctuent le rivage de grains blancs minuscules, sauf la plus proche, très éclairée, au bord du lac où elle se reflète. Que dire des vues de Venise ? La nuit transfigure le réel. Il faut s’attarder devant ces pastels, « poussière lumineuse » (Denis Laoureux) que le peintre préférait à l’huile, pour s’habituer à leur clarté assourdie et apprécier les variations de couleur.

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    Degouve préfère la lune au soleil « indiscret », le soir au jour, pour laisser opérer la magie. Ainsi ce très beau Jardin mystérieux où les fleurs et les champignons dans l’herbe, les arbres, les arbustes et les haies mènent l’œil vers une maison blanche où deux colombes, sur le toit, font chanter la toile. Sur le même mur, Mon jardin, une vue d’automne, et entre les deux, la célèbre Maison aveugle déjà présentée ici.

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    Degouve de Nuncques, L’arbre aux corbeaux

    De salle en salle, dans les vitrines, des photos et des lettres, et aussi la boîte de pastel du peintre et, sur le palier du premier étage, sa boite à pinceaux dont le couvercle ouvert révèle une marine. Mais en montant l’escalier, vous n’aurez d’yeux que pour la grande toile claire qui vous accueille en haut : L’arbre aux corbeaux, un magnifique paysage hivernal où l’arbre nu, recourbé, sert de perchoir aux oiseaux noirs devant un vaste panorama dans toute la gamme des blancs, des gris et des bleus, de la terre jusque dans le ciel.

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    Degouve de Nuncques, Côte aux Baléares (Majorque, Cala San Vicente)

    Quel contraste avec les vues des Baléares, où Degouve de Nuncques et sa femme ont séjourné de 1899 à 1902 et que le peintre décrit dans une lettre comme une « terre africaine aux multiples beautés qu’un soleil fort et permanent éclaire et poétise ». Ces paysages-là sont les plus déconcertants. Que ce soit vers le cap Formentor, devant la baie de Pollensa ou ailleurs sur la côte Nord, Degouve, à l’inverse des réalistes ou des impressionnistes, déréalise le paysage, le voile d’une atmosphère feutrée, très douce, pour créer « un sentiment cosmique et panthéiste » (Elisée Trenc).

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    Degouve de Nuncques, Barque sous la neige (Otterlo, Kröller-Müller Museum)

    Aux Pays-Bas où le peintre a trouvé refuge pendant la première guerre mondiale ou en Belgique, Degouve de Nuncques, misanthrope avoué, s’enfonce dans les campagnes, trouve un gîte chez les paysans, peint parfois l’été (Un été en Brabant) mais surtout ces paysages de neige harmonieux pour lesquels il est réputé, dans des tonalités délicates et variées. Meules de foin, arbres, clôtures, rivières et maisons composent un monde silencieux, serein, immobile, le monde d’un peintre contemplatif au regard de poète.