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peintre américain

  • Image vibrante

    Diebenkorn NM.jpg« L’image vibrante présente des objets de l’atelier de l’artiste ainsi que des fruits, qu’Henri Matisse (et Paul Cézanne avant lui) aimait peindre. Mais conformément à la sensibilité sans chichis de l’artiste américain, l’arrangement librement peint de Diebenkorn est beaucoup moins posé, presque aléatoire. Et Diebenkorn inclut presque comiquement non seulement une orange, mais aussi une peau d’orange, ainsi qu’un citron brun et pourri (deux éléments qu’il aimait tellement qu’il les peignait à nouveau). Nous avons également aimé la vue originale d’en haut et la façon dont le magnifique vert d’eau et blanc du tissu rayé – une partie de l’un des couvre-lits d’enfance de Diebenkorn – anime le tableau comme le font les textiles dans tant de toiles de Matisse. »

    Janet Bishop, Still Life with Orange Peel : The One that Dropped from the Sky (Nature morte avec une peau d’orange : celle qui est tombée du ciel) / Extrait traduit. Lire ici le commentaire complet.

    Richard Diebenkorn, Nature morte à l’écorce d’orange, 1955, huile sur toile, 74,9 x 63,2 cm.
    Musée d’art moderne de San Francisco © La Fondation Richard Diebenkorn

     

     

  • Richard Diebenkorn

    Une illustration pleine page m’a retenue un long moment dans Rose de Pastoureau : selon le titre de la notice, une « Abstraction lyrique en rose, beige et bleu » de Richard Diebenkorn (1922-1993). J’y vois aussi de l’orange, du jaune, du blanc, du vert foncé… Diebenkorn ? Un nom jamais entendu, pour ma part. Voici la peinture et la légende, pour commencer. 

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    © Richard Diebenkorn, Berkeley No. 8, 1954, huile sur toile, 175.6 x 150.2 cm.
    Raleigh (USA), North Carolina Museum of Art 

    « Très connu aux Etats-Unis, Richard Diebenkorn (1922-1993) l’est beaucoup moins en Europe. Grand coloriste, il est passé de la figuration à l’expressionnisme abstrait, puis finalement à l’abstraction géométrique. Le succès de sa prolifique série intitulée Ocean Park était tel dans les années 1970-1980 qu’il vendait certains de ses tableaux avant même de les avoir peints. »

    Selon Wikipedia, le peintre américain a commencé sa série Ocean Park en 1967 et l’a poursuivie pendant dix-huit ans. Fondées sur le paysage qu’il voyait par la fenêtre de son atelier, ce sont de grandes compositions abstraites « nommées d’après une communauté à Santa Monica où il a eu son atelier un temps ». Or la peinture ci-dessus, renseignée par erreur dans l’album sous le titre Ocean Park n° 135, date de 1954. Je l’ai retrouvée en ligne sur le site du North Carolina Museum of Art sous le titre Berkeley No. 8 (Berkeley, Californie, où il a vécu de 1955 à 1966).

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    © Richard Diebenkorn, Femme sur un porche, 1958, huile sur toile, 182.9 x 182.9 cm.
    Musée d’art de la Nouvelle-Orléans. © Fondation Richard Diebenkorn

    Il était alors un peintre figuratif important, un des représentants de l’École de la Baie de San Francisco. D’abord passionné par Hopper, il a combiné la manière de Matisse à l’expressionnisme abstrait, Un de ses anciens élèves à l’UCLA a témoigné en 2016 sur « Ce que Diebenkorn et Matisse [lui] ont appris sur le dur labeur de la création artistique » dans un article que je vous recommande, en voici un extrait (en traduction).

    « L’un de ses sujets de prédilection était Henri Matisse. Il avait une grande affiche de la Vue de Notre-Dame de Matisse positionnée sur le mur près des immenses fenêtres donnant sur la plage et l’océan Pacifique à quelques pâtés de maisons. Quand je me souviens de son atelier, je me souviens avoir pensé qu’il verrait l’affiche et la lumière atmosphérique de l’océan en même temps. » (Elyn Zimmerman)

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    A gauche : Henri Matisse, Vue de Notre-Dame,1914, huile sur toile, 147,3 x 94,3 cm.
    MOMA, New York
    © Succession H. Matisse
    A droite : Richard Diebenkorn, Ocean Park #79, 1975, huile et fusain sur toile, 236.2 × 205.7 cm,
    Philadelphia Museum of Art, © the Richard Diebenkorn Foundation

    Le premier livre sur Matisse acheté par Diebenkorn en 1954 était Matisse : His Art and His Public (1951) d’Alfred H. Barr Jr. Deux œuvres de Matisse ont exercé une influence déterminante sur les toiles dites Ocean Park de Richard Diebenkorn : Fenêtre ouverte, Collioure et Vue de Notre-Dame, qu’il a vues à Los Angeles en 1966.

    En 2017, le Musée d’art moderne de San Francisco (SFMOMA) a présenté une exposition « Matisse / Diebenkorn », la première sur le dialogue profond entre le peintre américain et le peintre français qui l’inspirait. Elle rassemblait 40 œuvres de Matisse et 60 de Diebenkorn, révélatrices des liens entre eux, que ce soit par le sujet, le style, la couleur ou la technique. Sur le site du musée, vous pouvez voir quelques-unes de ces peintures en duo et leur présentation par les deux commissaires de l’exposition. 

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    A gauche : Henri Matisse, Poissons rouges et Palette,1914, huile sur toile, 147,3 x 94,3 cm. MOMA, New York © Succession H. Matisse
    A droite : Richard Diebenkorn, Urbana #6, 1953, huile sur toile, 175.9 × 147.32 cm..
    Modern Art Museum of Fort Worth
    © the Richard Diebenkorn Foundation

    « Un excellent exemple serait Poissons rouges et palette de Matisse (1914) et Urbana #6 de Diebenkorn (1953) », note Janet Bishop. « Je l’aime parce qu’il y a une relation si claire entre les deux peintures dans la palette et dans la structure. Et si vous regardez la façon dont Diebenkorn a animé sa composition avec des taches rouges au milieu du champ noir, il est facile de voir un lien avec les poissons de Matisse, même si les taches ne sont pas censées être de vrais poissons. Matisse a peint en grande partie dans une veine figurative, mais vous voyez certainement l’influence dans les périodes abstraites de Diebenkorn également. Dans Urbana #6, il a pris plusieurs aspects du Matisse et les a fait siens. » (SFMOMA)

    Un autre article intéressant, si cela vous tente, est accessible sur le site d’APARENCES (Histoire de l’art et actualité culturelle), également illustré. Enfin, la Fondation Diebenkorn, qui projette de montrer toute la production du peintre en ligne, permet de visionner ses œuvres rassemblées par type et par sujet, un catalogue formidable pour qui s’intéresse à ce peintre qui n’a pas révolutionné l’histoire de l’art, mais a été « capable de combiner avec succès des influences aussi diverses que l’Expressionnisme abstrait, le Color Field Painting et toute l’histoire de la « belle peinture » européenne. » (Aparences.net)

  • Artiste

    « Une peinture vit par l’amitié, en se dilatant et en se ranimant dans les yeux de l’observateur sensible. Elle meurt pareillement. Par conséquent, c’est un acte dur et risqué de l’envoyer de par le monde. » 

    Couverture Rothko La réalité de l'artiste.jpg

    Mark Rothko écrit La Réalité de l’artiste en 1939-40,
    au moment où il passe du figuratif au surréalisme.
    En 1947, second tournant important,
    il renonce au surréalisme et commence à peindre ses Multiforms.

    « Il est difficile à l’artiste d’accepter le caractère inamical de la société envers son activité. Cependant, cette hostilité même peut agir comme levier d’une véritable libération. »

     

    Mark Rothko, Ecrits sur l'art. 1934-1969

  • Ecrire sur l'art

    Mettre des mots sur la peinture est un exercice délicat, aussi, quand un peintre lui-même en parle, nous le lisons dans l’espoir d’entrer davantage dans son monde. Les Ecrits sur l’art. 1934-1969 de Mark Rothko, présentés par Miguel López-Remiro, traduits de l’américain par Claude Bondy, rassemblent des textes publiés dans des revues, des journaux, des catalogues d’exposition, ainsi que des lettres du peintre, des textes transcrits de ses cahiers, de conférences et d’interviews, une centaine de documents en tout – « une sorte d’autoportrait intellectuel et sensible ».

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    La famille de Marcus Rothkowitz, né en Russie en 1903, a émigré aux Etats-Unis lorsqu’il avait dix ans. Après avoir entamé des études à l’université de Yale, il y renonce pour s’installer à vingt ans à New York, prend des cours de peinture et de dessin, rencontre le peintre Milton Avery. Il participe à une première exposition collective en 1928.

     

    Rothko a enseigné aux enfants, c’est le premier thème de ces Ecrits. « La peinture est un langage aussi naturel que le chant ou la parole. C’est une méthode pour forger une trace visible de notre expérience, visuelle ou imaginaire, colorée par nos propres sentiments et réactions, et indiquée avec la même simplicité et la même spontanéité que chanter ou parler. »

     

    Sa fonction, comme instructeur, est « surtout de leur donner confiance en eux » sans leur imposer de lois qui limitent l’imagination. Beaucoup de ces peintures d’enfants, à ses yeux, possèdent la valeur intrinsèque d’une œuvre d’art, « elles sont des réalisations achevées d’un sujet qui nous touche par la beauté de ses atmosphères, par la complétude de ses formes, et par l’intensité du dessin. » La plupart perdront cette faculté et cette vivacité, sauf « un petit nombre d’entre eux ». Rothko estime que l’être humain doit pouvoir s’exprimer, « la satisfaction de l’impulsion créatrice est un besoin biologique de base, essentiel à la santé de l’individu. » – « C’est ça ou la strangulation. »rothko,ecrits sur l'art,essai,littérature américaine,peinture,peintre américain,art,enseignement,travail artistique,culture

    Une fois entré dans la vie d’artiste, il expose avec le groupe « The Ten », des « dissidents » par rapport à la vision conservatrice et régionaliste de l’art américain. Les critiques ne sont pas tendres, et Rothko y réagit par écrit. A ceux qui reprochent aux peintres contemporains de s’occuper de formes archaïques et de mythes, il rappelle que « l’art est hors du temps ». Ses convictions esthétiques ? Avant tout, « que l’art est une aventure dans un monde inconnu, que seuls ceux qui veulent prendre des risques peuvent explorer. » Rien à voir avec la décoration d’intérieur, les tableaux pour la maison ou le dessus de cheminée.

     

    Dans sa correspondance, les lettres à Barnett Newman sont particulièrement affectueuses pour ses « chers Barney et Annabelle » avec qui sa seconde femme (Mell) et lui sont très amis. Il lui parle de son travail, s’enquiert du sien, se réjouit du temps passé ensemble ou des retrouvailles espérées. En avril 1950, en voyage en Europe,  il lui écrit de Paris n’avoir jamais imaginé « que la civilisation ici semblerait aussi étrangère et inapprochable que la réalité telle qu’elle (lui) apparaît. » – « Mais, de jour, l’expérience est assez merveilleuse, on peut marcher et regarder continuellement. »

    Intéressants aussi, les échanges entre Rothko et Katharine Kuh, commissaire d’exposition du Chicago Art Institute, qui lui propose sa première exposition individuelle en 1954. Comme elle l’interroge sur ce qu’il recherche et sur la forme qu’il utilise, le peintre écarte d’emblée le projet de publier une série de questions et réponses, se dit plus concerné par les préoccupations morales que par « l’esthétique, l’histoire ou la technique ». Il déteste les préfaces. « Une peinture n’a pas besoin que quelqu’un explique ce dont elle parle. »  
     

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    Des indications qu’il donne sur l’accrochage, d’un texte à l’autre, les fondamentaux du peintre se précisent. « Quelle que soit la manière dont on peint un plus grand tableau, on est dedans. » – Comme ses tableaux sont « grands, colorés et sans cadre », le danger existe, lors d’une exposition, de les relier aux murs comme des « zones décoratives ». Rothko préfère donc la densité à l’austérité dans l'accrochage, il sature la pièce de manière à vaincre les murs, et suspend les toiles le plus bas possible pour que le spectateur se sente « à l’intérieur du tableau ».

     

    « Je ne suis pas intéressé par la couleur. Je suis intéressé par l’image qui est créée. » – « Je ne m’intéresse qu’à l’expression des émotions humaines fondamentales – tragédie, extase, mort et j’en passe – et le fait que beaucoup de gens s’effondrent et fondent en larmes lorsqu’ils sont confrontés à mes tableaux montre que je communique ces émotions humaines fondamentales. (…) Et si vous-même, comme vous le dites, n’êtes ému que par les rapports de couleurs, eh bien alors, vous passez à côté du sujet ! » (Notes d’une conversation avec Rothko, 1956, par Selden Rodman)

     

    Lors d’une conférence en 1958, Rothko insiste sur la connaissance de soi pour « soustraire le soi » au travail artistique. Puis il en donne la recette« ses ingrédients – le savoir-faire – sa formule » en sept points : mort – sensualité – tension – ironie – esprit – éphémère – espoir. Surtout ne pas tout dire : « Moi, en tant qu’artisan, je préfère en dire peu. Mes tableaux sont bien des façades (comme on les a appelés). J’ouvre parfois une porte et une fenêtre ou deux portes et deux fenêtres. Je ne le fais qu’avec ruse. Il y a plus de force à dire peu qu’à tout dire. »

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     The outdoor sculpture, "Broken Obelisk" by Barnett Newman, is permanently installed in the reflecting pool
    on the grounds of Rothko Chapel in Houston, Texas, USA.” (22 August 2010 by Ed Uthman)

     

    L’écrivain John Fischer, qui l’avait rencontré en 1959 sur un bateau, au bar où tous deux fuyaient une soirée mondaine, a repris ses notes d'alors pour dresser un portrait de Rothko après sa mort. De cet homme si tendre avec sa femme et leur fille, il souligne la « férocité verbale », notamment à l’égard des « connaisseurs » ou d’un riche commanditaire qui lui avait demandé de grandes toiles pour une salle de restaurant. Il parle de son « petit et durable noyau de colère – contre rien en particulier, aussi loin que je puisse en juger, mais contre l’état désolé du monde en général, et la place qu’il offre maintenant à l’artiste. » Ces toiles, finalement, méritaient mieux qu’un restaurant à la mode. Rothko demanda peu avant sa mort « qu’elles soient accrochées dans un endroit conçu spécialement pour elles – une chapelle non confessionnelle à Houston, construite sur ses recommandations et commanditée par la famille de Menil. » 

    Les raisons du suicide de Mark Rothko en 1970 ne sont pas connues. L’année précédente, il avait quitté le domicile familial pour s’installer dans son atelier. On garde en mémoire ces paroles qu’il a prononcées en 1965 pour rendre hommage à Milton Avery : « Je pleure la perte de cet homme. Je me réjouis de ce qu’il nous a laissé. »