Il suffit d’intervertir deux lettres pour obtenir le titre bilingue de la nouvelle exposition à la maison Autrique : Folon insolite / Folon insoliet – une des manifestations organisées cette année à Bruxelles en l’honneur de Jean-Michel Folon, de février à septembre, avec la Fondation Folon. Son originalité, c’est d’épouser l’esprit de la maison, en installant dans toutes les pièces des œuvres (tapisseries, sculptures, aquarelles et gravures, céramiques...) et des objets personnels de l’artiste (carnets, photos, souvenirs, jouets, correspondance…). Comme si Folon (1934-2005) y habitait.
La Maison Autrique, premier hôtel particulier construit par Victor Horta en 1893, est en elle-même un musée bruxellois insolite. Un siècle plus tard, François Schuiten et Benoît Peeters apprenaient que la maison était à vendre et eurent l’idée d’en faire, après restauration, une demeure imaginaire, meublée des caves au grenier. Après les merveilleuses affiches de Privat Livemont, cette expo-ci, « inédite et sur mesure », nous invite à découvrir un Folon moins connu.
© Folon, L’Arbre qui pense, 1981, tapisserie
Quelques marches mènent au comptoir d’accueil (bel étage) surmonté d’une tapisserie. En 1981, le directeur d’un atelier à Aubusson a convaincu Folon de laisser traduire ses nuances d’aquarelle en fils de laine et de soie. Près du piano, sous une autre tapisserie, La Pluie, je n’ai pas vu tout de suite Ulysse (la lumière est tamisée comme à l’origine dans cette maison), une longue sculpture où le personnage au chapeau et au long manteau, une valise à la main, se tient debout à l’avant de son embarcation sur les flots : le thème du voyage a beaucoup inspiré Folon.
© Folon, Ulysse (détail), 2004, bronze
Dans la petite pièce au bout du couloir d’entrée, au-dessus de cahiers d’aquarelle en vitrine, trois plats en céramique émaillée reprennent des sujets souvent traités par l’artiste : le labyrinthe, l’arbre, le visage. Son graphisme simplifié – les yeux, le nez, la bouche – sont omniprésents dans son œuvre, on en verra un peu partout, y compris sur des photographies de Folon et même au grenier.
© Folon, Le Labyrinthe, céramique émaillée
En descendant à l’office (au sous-sol dans les maisons bruxelloises classiques du XIXe siècle), vous en verrez même dans la buanderie. Parmi les objets usuels de la maison, c’est un plaisir de dénicher ici, au-dessus d’une paire de ciseaux de couture, une eau-forte où elle est prête à s’envoler, et là, sur la table, trois « outils » de cuisine devenus personnage, idole et oiseau – en bronze. Il faut bien regarder dans tous les recoins pour ne rien manquer de cette exposition.
© Folon, Sans titre, s.d., eau-forte et aquatinte
Dans l’escalier vers le premier étage, encore une belle tapisserie, La route. Sur l’appui de fenêtre du palier, une longue main sculptée tient une figurine sur le bout des doigts : Qui ? Un petit format de la main ouverte de la chapelle à Saint-Paul de Vence, que Gwennaëlle Gribaumont commentait ainsi dans La Libre : « Une main tendue vers l’autre, prête à donner et à secourir. Une main tournée vers le ciel, tout comme le petit personnage qui l’accompagne » (2020, Folon. Sculptures, à l'abbaye de Villers-la-Ville).
Dans la grande chambre, vous ne manquerez pas de remarquer une gravure étonnante, des hauts talons ornés de papillons, mais peut-être passerez-vous devant la cheminée sans y remarquer L’homme volant ou, près des malles, les chapeaux sur le porte-manteau, ramenés de voyage par Folon et sa compagne. Il y a même un chapeau safari équipé d’une cellule photovoltaïque pour alimenter son ventilateur intérieur !
© Folon, Hommage à Morris Hirschfield, 1977
Attention aussi aux portes entrouvertes – jetez-y un œil et vous découvrirez des photos, des vêtements, des souliers... Sur le lavabo, une boîte de dentifrice dessinée par Folon, un projet d’emballage. Dans le salon privé, côté rue, on peut s’asseoir pour regarder la vidéo sur l’artiste, et là aussi, il faut chercher autour de soi des intrus bienvenus, si j’ose dire, comme Le Poids des pensées (en bronze), une tour Eiffel à la Folon, des livres de prix, etc.
© Folon, gravure du portfolio Toys, 1979
Au deuxième, dans la chambre d’enfant, quatre gravures de la suite Toys (1979) font rêver de voyage en avion, en train, en bateau et même en tracteur ! Folon volait avec ses pinceaux. J’aurais aimé vous montrer d’autres gravures aux machines volantes, mais il manquait de lumière pour prendre de bonnes photos sans flash. La vitrine de la chambre contient une multitude de petits objets chinés ou décorés par Folon au long de sa vie, il y a de quoi observer et s’amuser.
"Les photographies révèlent aussi sa capacité à anthropomorphiser les objets qui l'entourent."
(Toutes les citations émanent du dépliant ou du site de l'exposition Folon insolite.)
Dans la chambre photographique, de petits instantanés, souvenirs de Folon en compagnie d’autres artistes, et des photographies en noir et blanc qui lui ont souvent servi pour ses créations. Enfin, tout en haut, dans le bureau d’architecte, vous verrez du courrier de Folon près du meuble à tiroirs où sont glissées des citations. C’est là que j’ai photographié Poésie, une gravure à l’aquatinte (en évitant les reflets).
Folon n’est pas seulement le dessinateur et illustrateur qui a fait entrer les nuances de l’aquarelle dans un cortège d’images fortes de la modernité au XXe siècle. Il a créé tout un monde imaginaire, visuel d’abord, puis aussi sculpté. Folon insolite « met à l’honneur un Folon méconnu et passionnant ». Jusqu’au 29 septembre à Schaerbeek, à la Maison Autrique.