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dessins - Page 4

  • Plume

    J de Villiers (39).JPG« Des artistes écrivains, la plupart informels, peuplent nos imaginaires d’émotions. De tensions. De rythmes. De musiques. De sensations d’être d’un monde qui, quoi qu’on en dise, écrit aussi. Pour combien de temps encore ?
    Villiers plonge en nos racines profondes la plume de ses histoires d’autres temps, d’autres modes, d’autre monde. Un monde qui savait penser, rêver, écrire. Fût-ce entre les lignes. Qui renaît sous ses doigts sereins. »

    Roger Pierre Turine, Jephan de Villiers. Le signe et la mémoire, Bibliotheca Wittockiana, MMXVIII.


    © Jephan de Villiers 

  • Signe et mémoire

    Le rendez-vous avec un artiste, avec un écrivain, attend parfois son heure durant des années. L’exposition « Jephan de Villiers : le signe et la mémoire », à la Bibliotheca Wittockiana cet été, donne l’occasion de découvrir ses « écritures », mêlées à ses « reliquaires » : un monde de plumes, de bois, de papier et d’encre où le temps se dépose – jusqu’à l’âme.

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    © Jephan de Villiers 

    J’ai souvent lu des articles sur l’œuvre de Jephan de Villiers, croisé l’une ou l’autre sculpture sans m’y arrêter vraiment ; ses couleurs de terre, ses personnages de l’ombre, leurs visages me faisaient peut-être un peu peur. Encore une fois, j’en fais l’expérience : le contact direct avec l’œuvre d’art est essentiel, c’est dans la présence physique que l’échange peut avoir lieu.

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    De belles reliures occupent la salle d’exposition au rez-de-chaussée de la Wittockiana, avis aux amateurs : « APPAR dans tous ses états, dix ans d’édition de livres d’artistes ». Des couvertures, des matériaux, des styles très variés, difficiles à photographier avec les reflets des spots. Jephan de Villiers est présenté à l’étage, dans les grandes vitrines murales et dans les vitrines tables de la bibliothèque.

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    Il y a du chamane chez cet artiste qui glane ses matériaux dans la forêt de Soignes ou au bord de la Gironde. Ses « Notes sur une civilisation furtive » et autres écritures sont accompagnées de « reliquaires » : le geste de l’artiste donne aux objets glanés dans la nature, patinés par elle, une nouvelle vie par l’assemblage, la sculpture, le cadre.

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    Mémoire de terre © Jephan de Villiers

    Pages ou papiers en accordéon sont couverts de signes à l’encre de Chine. Ce ne sont pas des logogrammes comme chez Dotremont ni des courbes graphiques comme chez Alechinsky, c’est une écriture gestuelle, calligraphie sans alphabet. La mise en page, la grosseur du trait, les espaces, le rythme sont ceux du livre, du texte.

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    Notes sur une civilisation furtive © Jephan de Villiers

    Comme les plumes ou les fragments présentés sur panneau – les reliquaires –, les traces de l’encre sur le papier composent une collection de signes faits main, pour mémoire, au croisement du temps et de l’espace. Voyez cette boîte, « à l’infini du ciel » : l’écriture de Jephan de Villiers sur la feuille de garde encadre les traits rythmés qui répondent à ceux incisés dans le couvercle au-dessus d’une plume.

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    à l'infini du ciel © Jephan de Villiers

    Ailleurs un petit « bois-corps » est lié sur la feuille calligraphiée, un accordéon d’écriture s’échappe d’une boîte : ces choses et ces signes se répondent. « Envol rêvé de la nuit du 25 mai 1985 » illustre à merveille cette alliance.

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     Envol rêvé de la nuit du 25 mai 1985  © Jephan de Villiers

    La sculpture présentée sous globe fait l’inverse, on dirait cette fois que l’entrelacs des branches a rythmé les traits d’encre sur son support. Enfant malade, à la garde de sa grand-mère, de Villiers a trouvé refuge dans les arbres et dans la terre creusée, un marronnier qu’il voyait de sa chambre était son « compagnon de jour et de nuit ».

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    © Jephan de Villiers

    Tel un archéologue, l’artiste est le dépositaire du temps : « Les sculptures sont une reconstitution du temps éparpillé et, pourquoi pas, une reconstitution de notre histoire. Les « Fragments de mémoire » sont l’aube de ma croyance. Je n’ai rien inventé, je me suis souvenu. » (Jephan de Villiers, Quelques fragments de mémoire. Conversation avec Arnaud Matagne, Tandem, 2013)

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    A l’entrée de la bibliothèque, un grand bois fendu, « reliquaire » sculpté, est devenu un porteur de mémoire. Ici sont présentés des livres de différents écrivains illustrés par Jephan de Villiers : « Nous volerons du bleu au ciel » avec Joël Bastard, « L’œuf dans le paysage » avec Kishida, le « Cantique de Frère Soleil » de Saint François d’Assise, entre autres. Michel Butor, déjà retrouvé ici lors de la présentation des livres pauvres, a souvent fait appel à lui ; en témoignent « La Justice des runes » et « Les plumes de l’archange », aux confins de la poésie et de la musique, comme une partition.

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    Jephan de Villiers a décoré les parois de verre de la station de métro Albert à Bruxelles, on en montre quelques « études pour écritures et dessins » à l’exposition. On peut y admirer aussi de fabuleux assemblages – nid, plumes, bois-corps, feuilles, « bestioles » – qui donnent présence à un monde silencieux mais habité. Je me surprends, sur le chemin vers l’arrêt du tram, à regarder autrement les herbes sèches qui le bordent. 

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    Reliquaire du bord du monde © Jephan de Villiers

    Mort ou vivant ? La question se pose quand on entre dans l’univers de Jephan de Villiers. A Matagne, il dit aussi : « Mon apparition se fait dans le mouvement de la disparition, là où tout retombe. » Roger Pierre Turine, qui présente l’artiste dans un petit livre catalogue, « Le signe et la mémoire », écrit ceci en vibration avec l’œuvre : « Entrer en Villiers, c’est pénétrer un monde de la nuit aux semblances d’éternité, un monde mort qu’anime un esprit vivant. »

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    « Jephan de Villiers : le signe et la mémoire », jusqu’au 16 septembre 2018 à la Bibliotheca Wittockiana, Musée des Arts du livre et de la Reliure, Rue du Bemel 23, 1150 Bruxelles.

  • Fanfreluche

    « Il s’appelle Fanfreluche, très joli nom de chien, qu’il porte avec honneur. 

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    Fanfreluche n’est pas plus gros que le poing fermé de sa maîtresse, et l’on sait que madame la marquise a la plus petite main du monde ; et cependant il offre à l’oeil beaucoup de volume et paraît presque un petit mouton, car il a des soies d’un pied de long, si fines, si douces, si brillantes, que la queue à Minette semble une brosse en comparaison. Quand il donne la patte et qu’on la lui serre un peu, l’on est tout étonné de ne rien sentir du tout. Fanfreluche est plutôt un flocon de laine soyeuse, où brillent deux beaux yeux bruns et un petit nez rose, qu’un véritable chien. Un pareil bichon ne peut qu’appartenir à la mère des Amours, qui l’aura perdu en allant à Cythère, où madame la marquise, qui y va quelquefois, l’a probablement trouvé. »

    Théophile Gautier, Le petit chien de la marquise

  • Un livre délicieux

    Un livre délicieux, cadeau attentionné, est arrivé entre mes mains cet été : Le petit chien de la marquise de Théophile Gautier. L’histoire en est aussi légère que ledit Fanfreluche, mais avant de vous en parler, essayons de rendre le charme de cette merveilleuse édition de 1893, éditée par la Librairie L. Conquet à Paris, illustrée de vingt et un dessins de Louis Morin. 

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    Outre sa parure propre à retenir l’attention des bibliophiles, dont je ne maîtrise pas le jargon, c’est un exemplaire du dessinateur : les illustrations y sont précédées d’esquisses au crayon. La ligne virevolte, gracieuse, autour des protagonistes de la nouvelle. Eliante, « petite-maîtresse », se réveille à peine dans son lit que caresse un rayon de lumière, au lendemain d’un souper chez la baronne,  « cependant midi vient de sonner. Midi, l’aurore des jolies femmes ! » Plus qu’aux coqs-à-l’âne de l’abbé et aux impertinences du chevalier, elle ne pense qu’au personnage le plus admiré de la soirée : « le petit chien de la marquise, un bichon incomparable qu’elle avait apporté dans son manchon ouaté. »

    Imaginez Fanfreluche, une touffe de poils blancs dressée sur la tête, nouée d’un joli ruban, « un flocon de laine soyeuse », dansant le menuet sur ses pattes arrière et amusant la galerie par ses tours et ses mines. Représentez-vous Eliante, « qui est née et ne voit que l’extrêmement bonne compagnie », mariée à quinze ans au comte de ***, quarante ans passés, « dans toute sa mignonne perfection ». 

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    « Un pastel de Latour » : Gautier nous décrit la jeune rêveuse obsédée par le petit chien, appuyée sur son oreiller « de la plus fine toile de Hollande, garnie de points d’Angleterre » et en profite pour nous faire découvrir sa chambre à coucher de style Pompadour : un lit de bois sculpté peint en blanc, un ciel de lit « orné de quatre grands bouquets de plumes », une grande glace « à trumeau festonné de roses et de marguerites », un guéridon, des dessus de portes où sont représentées des scènes mythologiques ou galantes…

    S’ensuit un dialogue avec Fanchonnette, sa femme de chambre : le duc Alcindor attend depuis deux heures au moins le réveil d’Eliante, qui accepte de le recevoir dans sa « ruelle ». Perruque poudrée, habit rose et vert, chapeau à la main, son soupirant est prêt à tout pour celle qui ne désire rien ni personne à part Fanfreluche – y compris à devenir voleur de chien. 

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    « Le pastiche délicat qui se présente pour la première fois sous une parure digne de lui n’a pas laissé dans l’histoire des œuvres de son auteur une trace bien importante » avertit Maurice Tourneux dans la préface. « Pour que notre âme soit en fête, / Pour avoir un bonheur complet, / Que faut-il ? Faire la conquête / D’un livre édité par Conquet », déclarait Henri Meilhac (1831-1897), de l’Académie française, cité par le bibliophile Rhemus (Jean-Paul Fontaine, Quand Léon Conquet renversait l'idole du vieux bouquin, Histoire de la bibliophilie, 30/9/2013).

    Comédie sans prétention, inspirée des histoires galantes du XVIIIe siècle, Le petit chien de la marquise de Théophile Gautier a d’abord été publié en trois fois dans Le Figaro (décembre 1836) avant d’être intégré dans un volume de ses Nouvelles. Sa candeur m’a fait sourire, ses illustrations – crayon, encre et aquarelle (excusez la médiocrité des photos bleutées) – me ravissent par leur élégance, leur finesse et leur gaieté.