« Les palimpsestes » est le titre de l’exposition proposée par Pierre Alechinsky au Centre de la gravure et de l’image imprimée, à La Louvière, depuis le début du mois. En chemin, j’ai lu sur une façade cette citation d’un autre artiste de Cobra, Christian Dotremont : « La vraie poésie est celle où l’écriture a son mot à dire. » Voilà qui correspond bien à cette pratique littéraire du texte superposé à un autre : ici, peindre sur des papiers imprimés, tapuscrits, manuscrits, cartes géographiques, prendre des empreintes, par frottage, sur des plaques d’égouts ou d’autres supports.
Au fond de la grande salle du rez-de-chaussée consacrée aux « estampages » (l’exposition occupe trois niveaux), une œuvre spectaculaire attire le regard (je m’en approcherai plus tard), en rouge et noir comme sur la droite le clavecin peint, dont tous les éléments sont constitués de papiers imprimés surchargés de motifs peints.
Sur la gauche, Débâcle de mars (1987), une grande œuvre avec bordure et prédelle (succession de petites cases dans la partie inférieure) caractéristiques d’Alechinsky est étiquetée comme suit : « estampage : tour d’arbre en fer, 19e siècle / prédelle : encre et acrylique sur papier de Chine marouflé sur toile ».
© Pierre Alechinsky, Débâcle de mars, 1987,
estampage : tour d’arbre en fer, 19e siècle / prédelle : encre et acrylique sur papier de Chine marouflé sur toile
Quelle fête ce sera d’observer, de suivre le pinceau du peintre d’œuvre en œuvre, de se laisser séduire par des couleurs, des contrastes, des motifs d’un langage inimitable qui fait reconnaître d’emblée son univers ! Et de lire l’étiquette pour situer son inspiration : Bruxelles, Paris, Liège, New York, Pékin…
© Pierre Alechinsky, Société de sauvetage, 1991, encre sur vélin, estampage sur papier de Chine
En couleurs ou en noir et blanc. Au-dessus de l’empreinte de la « Société centrale de sauvetage des naufragés », dotée d’une ancre, une marine montre, sous un ciel étoilé, un petit navire à l’horizon, alors que se lève, à l’avant-plan, une gigantesque vague.
© Pierre Alechinsky, Passerelle, 1986, acrylique avec estampages en bordure sur papier de Chine marouflé sur toile
Œuvre phare en rouge et noir, Passerelle, peinture à l’acrylique avec bordure d’estampages, est un superbe exemple de l’art d’Alechinsky. On pourrait la décrire ainsi : quinze rectangles aux bords irréguliers, déclinés trois par trois (verticalement, un carré, un petit rectangle plus large que haut, un grand rectangle plus haut que large). A l’intérieur, des paysages, des sinuosités, des ouvertures qui invitent au voyage imaginaire – tout est mouvement. Une seule figure, centrale : un homme coiffé d’une toque regarde les fleurs qu’il tient à la main.
© Pierre Alechinsky, Dactile, 1984, encre sur mémorandum de 1902
Au premier étage, une vidéo montre l’artiste (né à Bruxelles en 1927) dans son atelier, dessinant de la main gauche ; l’école Decroly où il a fait ses études primaires ne tolérait pas les gauchers : « Ils m’ont laissé la main gauche pour le dessin, les menus travaux. » (Dossier pédagogique)
© Pierre Alechinsky, Roue, 2011, encre et acrylique sur pièces comptables marouflées sur toile (détail)
Des œuvres très variées, au mur ou sous vitrines, dans tous les formats. Ici Alechinsky peint à l’encre sur d’anciennes actions au porteur ou autour d’un vieux billet de banque démonétisé, là il invente un jeu, L’Oie belge, et une affiche pour les 150 ans du pays. On découvre des complicités : avec Michel Butor qui lui a donné des tapuscrits comme supports d’études à l’encre, avec Marcel Moreau (Deux lettres avec vue sur chaos), entre autres.
© Pierre Alechinsky, La première heure, 1968-1974, peinture à l’acrylique, dans la prédelle : 5 encres sur tapuscrits de Michel Butor
L’artiste s’en donne à cœur joie sur des écrits anciens : courrier, formulaires administratifs, factures… Il a peint une série d’aquarelles très colorées sur des lettres « du duc Prosper d’Arenberg à son conseiller » datant de la première moitié du XIXe siècle.
© Pierre Alechinsky, Lettre du duc Prosper d’Arenberg à son conseiller – Monsieur Stock, 1986, encre sur pli de 1849 remis à monsieur Stock
Le peintre et les ensortilèges naît d’une lettre d’Ensor à Emma Lambotte. Voici des érotiques, des gravures, des livres illustrés – nul doute, comme il l’a dit lui-même, Alechinsky est un peintre « qui vient de l’imprimerie ». Cela se confirme avec un bel ensemble d’affiches et puis des cartes géographiques et plans de villes au deuxième étage.
© Pierre Alechinsky, Le peintre et les ensortilèges, 1980, lettres de James Ensor à Emma Lambotte (détail)
Ne manquez pas « Les palimpsestes » de Pierre Alechinsky, une facette de son travail rarement montrée dans une telle diversité. Allégresse de peindre et humour corrosif sont de la partie. L’exposition dure plusieurs mois, jusqu’au 5 novembre.
© Pierre Alechinsky, Page d’atlas universel, III – Nantes et Rouen, 1984, encre sur carte de géographie du XIXe siècle
Pour info, le Centre de la gravure et de l’image imprimée (rue des Amours) est accessible en quelques minutes à pied, quasi tout droit en montant de la gare de La Louvière-centre, près de laquelle on peut aussi garer sa voiture. (Si vous avez du temps libre, il y a d’autres musées intéressants à La Louvière, je vous en parlerai prochainement.)
Commentaires
Ce que j'apprécie sur ton blog, c'est que tu sors des sentiers battus et tu nous fais découvrir des choses dont les médias ne parlent pas beaucoup. Tu as bien raison de mettre à l'honneur La Louvière qui tente sa reconversion. Concernant Alechinsky, j'avais visité sa rétrospective à Bruxelles il y a quelques années, mais je n'avais pas trop accroché. Chacun ses goûts. Bonne fin de semaine Tania.
Ce que j'apprécie sur ton blog, c'est que tu sors des sentiers battus et tu nous fais découvrir des choses dont les médias ne parlent pas beaucoup. Tu as bien raison de mettre à l'honneur La Louvière qui tente sa reconversion. Concernant Alechinsky, j'avais visité sa rétrospective à Bruxelles il y a quelques années, mais je n'avais pas trop accroché. Chacun ses goûts. Bonne fin de semaine Tania.
J'apprécie énormément alechinsky - merci pour l'information tania. Si les trains daignent fonctionner correctement je ferais bien un petit tour par là ☺
Tu as l'art de me faire découvrir des artistes que je connais pas et qui sont d'une grande richesse ! Bravo!
Je n'ai malheureusement jamais eu le privilège d'admirer une expo.totalement consacrée à Alechinsky mais j'ai toujours apprécié son art, il y a une dimension poétique mêlée à du mystère dans ce qu'il offre au regard. Merci Tania, une foi de plus je me suis régalée ici. Bises et doux week end. brigitte
@ Un petit Belge : Je suis fascinée depuis longtemps par l'oeuvre à la fois picturale et graphique d'Alechinsky. Pour ce qui est des médias, il devient de plus en plus difficile de renvoyer aux articles de presse, La Libre et Le Soir ne donnant plus que le début du texte en ligne. Voici une vidéo du JT de la RTBF : https://www.rtbf.be/auvio/detail_pierre-alechinsky-expose-ses-palimpsestes-a-la-louviere?id=2225032
Bonne fin de semaine, merci pour ton passage.
@ Niki : Juste avant le Centre de la Gravure, tu trouveras l'office du tourisme (place Mansart). Le petit tour vaut la peine, bonne visite !
@ Claudialucia : Ravie de te faire découvrir ce grand nom de la peinture belge qui a reçu une consécration internationale. Il va bientôt fêter ses 90 ans.
@ Plumes d'Anges : Merci, Brigitte. Alechinsky me séduit par ses lignes, ses couleurs, son art de la composition et il fait souvent appel à notre imagination. Désolée pour mes photos sans flash très médiocres, mais tu trouveras sans peine de meilleures illustrations en ligne. Très bonne fin de semaine, bises.
Merci pour ce bel article.
Comme toi j'aime beaucoup son oeuvre, alors, suite à ton billet et ses liens, j'ai trouvé cet article fouillé et intéressant, notamment sur la relation entre le centre des tableaux et les marges: http://books.openedition.org/pupo/2942
Bon week-end Tania, un beso.
Chère Colo, merci pour ce lien vers l'article très intéressant d'Itzhak Goldberg. J'y retournerai pour le lire plus attentivement et regarder les illustrations. Bon week-end, je t'embrasse.
Quel bonheur de te suivre sur les pas d'Alechinsky.
J'ai eu la chance de rencontrer quelques unes de ses œuvres lors d'une venue à Bruxelles. J'avais découvert Alechinsky grâce à ma correspondance avec une dame belge, ex femme d'un poète aujourd'hui décédé appartenant à ce mouvement artistique.
J'ai, en plus de ces belles découvertes et de tes commentaires facilitant la lecture des œuvres appris un nouveau mot : "prédelle"
Tout simplement merci.
Ravie d'apprendre que tu entretiens ainsi des relations avec le mouvement CoBrA. Fais-moi signe quand tu reviendras à Bruxelles.