« Et en y réfléchissant, ce que j’ai fait si souvent, je découvre que j’arrive par une porte dérobée à l’une des autres questions qui m’obsèdent. Je veux dire la question de la « personnalité ». Dieu sait si l’on nous empêche d’oublier que la « personnalité » n’existe plus. C’est le sujet d’un roman sur deux, c’est celui des sociologues et de tous les autres –ologues. On nous a tellement rabâché que la personnalité humaine s’est désintégrée sous la pression de toutes nos connaissances que je l’ai même cru. Pourtant, quand je revois ce groupe sous les arbres et que je le recrée dans ma mémoire, je comprends soudain que c’est absurde. […]
Les moments que je me rappelle ont tous cette assurance absolue d’un sourire, d’un regard, d’un geste sur un tableau ou dans un film. Suis-je alors en train de dire que la certitude à laquelle je m’accroche appartient à l’art visuel et non au roman – pas du tout au roman, conquis par la désintégration et l’effondrement ? Quel intérêt un romancier éprouverait-il à s’accrocher au souvenir d’un sourire ou d’un regard, alors qu’il connaît bien les complexités qui s’y dissimulent ? Et pourtant, si je ne le faisais pas je serais à jamais incapable de tracer un seul mot sur le papier : de même que je me retenais au bord de la folie, dans cette froide ville du nord, en me remémorant délibérément la sensation du soleil chaud sur ma peau. »
Doris Lessing, Le carnet d’or
Photo de Doris Lessing en 1962 (The Guardian - Photograph Stuart Heydinger/Observer)
Commentaires
Je sais avoir lu quelque chose de Doris Lessing quand je vivais en Italie, mais je ne sais plus quoi (traduit en italien, en plus :) ). Mais je suis restée sur l'impression que j'aimais beaucoup, qu'elle comprenait les âmes, les coeurs, les contradictions....
Une fine analyse. Je connais peu cet auteur mais je vais remédier à cela. Bon été à vous Tania et bonnes lectures.
Encore une auteure à découvrir, un désir ancien mais toujours pas exaucé :-)
@ Edmée De Xhavée : Un roman long, un roman court ? Oui, Doris Lessing gratte sous la surface.
@ Armelle : Merci, Armelle. Il me reste bien des titres à découvrir.
@ Fifi : Cela arrive avec certains écrivains, comme si on se les gardait pour une occasion particulière.
J'ai un peu de peine avec ce passage, il mériterait d'être remis dans le contexte du chapitre, dans l'esprit du projet de Doris Lessing.
Et c'est vrai, le souvenir d'un regard souriant (il résume toute une personne) vaut un rayon de soleil, lorsque autour de soi, la froideur prévaut.
C'est à replacer dans le contexte du Nouveau Roman, quand le personnage se réduisait à peu de chose. Anna Wulf, après un premier roman à succès, s'interroge sur la manière d'en écrire un autre.
Un sourire, c'est peu et c'est beaucoup, oui. Bonne journée, Christw.
Merci, c'est très clair comme cela.
Bonne journée, en sourires.