La belle rétrospective des Musées Royaux des Beaux-Arts fermera ses portes à Bruxelles à la fin de ce mois de mars 2008. Les comptes rendus élogieux n’ont pas manqué, aussi je m’en tiendrai aux impressions que j’en retiens, à la lisière de la littérature et de la peinture.
Les liens d’Alechinsky avec le livre ne manquent pas. Illustrateur, graveur, calligraphe, tout ce qui touche à l’écriture touche à la peinture. En témoigne sur un mur, sa grande signature à l’endroit et à l’envers, coquetterie de gaucher contrarié qu’il n’hésita pas à démontrer à la reine Paola dans le livre d’or, lorsqu’il l’accueillit à l’exposition.
Parmi les premières œuvres présentées, une jamais vue Gymnastique matinale (1949) donne aux silhouettes en mouvement des allures d’hiéroglyphes. Autre découverte, de curieuses sculptures-livres, céramiques blanches pour la plupart, où son pinceau a tracé des titres espiègles (j’aurais dû les noter), des mots clins d’œil dont il a le secret. « En avant, y a pas d’avance ! » écrivait-il pour Daily-Bul en 1975.
En bas du grand escalier qui mène à l’exposition, une toile formidable accueille le visiteur, La Mer Noire (1988-1990) : une nuit d’encre ponctuée du blanc des étoiles et de la lune, au-dessus de la mer. Autour de ce noir et blanc, du rouge, du bleu, du vert, c’est le jour et la nuit. Pour notre plus grand bonheur, le peintre joue à l’infini sur ce contraste entre les bordures – ses « remarques marginales » depuis le fameux Central Park - et ce qu’elles entourent. D’une œuvre à l’autre, j’ai vu tantôt des entrelacs de livres anciens, tantôt des tapis d’inspiration orientale, tantôt des annotations tracées en commentaire.
Les bleus d’Alechinsky, superbes : c’est la mer, c’est l’encre, c’est le ciel, l’eau, la vie. Parfois le noir profond de l’encre de Chine évoque un paysage d’estampe japonaise, Ostende-Douvres : les vagues, la nuit étoilée, le panache d’un bateau à l’horizon. Vocabulaire I et Vocabulaire II, bleu et crème, conjuguent des motifs serpentins, plumes de gilles, éruptions, fumées, grilles rondes, escaliers, feuillages, en une joyeuse énumération. Si vous ne l’avez jamais vue, entrez un jour au Théâtre de la Place des Martyrs, une immense fresque d’Alechinsky l’habite merveilleusement.
Variations sur le rectangle, variations sur le cercle, le peintre cadre et se rit du cadre, comme le montrent bien les anciennes affiches dans le couloir d’entrée, qu’on a plaisir à regarder et à lire et à revoir en sortant. La peinture d’Alechinsky, c’est une fête. De haut en bas (la fumée d’un volcan) et De bas en haut (la chute d’eau). Toutes les couleurs y dansent, l’humour aussi.
Commentaires
merci pour ce commentaire intéressant , personnel.
je suis allée voir cette expo..
vous lire complète et enrichit le plaisir que j'en ai retiré, qui se continue sous votre "plume"..
Dans la ligne "bleue", comme je ne peux te mettre de photos, voici le lien d'une de ses oeuvres (mélange peinture/céramique/texte) que j'aime beaucoup:
http://www.museepla.ulg.ac.be/opera/alechinsky/album_bleu_C1_x.jpg
Un beso ensoleillé.
Ce que je retiens de lui, et tu le dis bien mieux que moi, c'est l'humour et les couleurs.
Baudelaire, critique d'art, disait qu'apprendre à critiquer passerait par le fait d'écrire un, des poèmes, sur la peinture...
Vous connaissez ses liens avec Dotremont et les oeuvres exposées à la station Anneessens ?
Le philosophe Max Loreau (n° spécial dans "la part de l'oeil") s'est beaucoup investi dans ses rapports avec eux. Et Cobra.
La sculpture aussi est un art. Parfois, elle surprend dans ses réalisations, ainsi l'oeuvre d'art que Francis Cuny est en train d'élaborer en Limousin et dont je parle aujourd'hui. Désormais, il ne sera plus possible de dire avec Jean de La Fonataine "Adieu, veau, vaches, cochon" en arrivant sur le lieu d'exposition.
Alechinsky est un peintre que j'aime beaucoup. Vivement une exposition en France et bravo pour ce billet !