Paysages avec figures absentes de Philippe Jaccottet (1925-2021) – un titre choisi au hasard pour l’aborder – a paru sous le titre Paysages de Grignan en 1964, en guise d’introduction aux gravures de Gérard de Palézieux (1919-2012) à la bibliothèque des Arts de Lausanne, signale une note de Poésie/Gallimard. En voici l’incipit.
Je n’ai presque jamais cessé, depuis des années, de revenir à ces paysages qui sont aussi mon séjour. Je crains que l’on ne finisse par me reprocher, si ce n’est déjà fait, d’y chercher un asile contre le monde et contre la douleur, et que les hommes, et leurs peines (plus visibles et plus tenaces que leurs joies) ne comptent pas assez à mes yeux. Il me semble toutefois qu’à bien lire ces textes, on y trouverait cette objection presque toute réfutée. Car ils ne parlent jamais que du réel (même si ce n’est qu’un fragment), de ce que tout homme aussi bien peut saisir (jusque dans les villes, au détour d’une rue, au-dessus d’un toit). Peut-être n’est-ce pas moins utile à celui-ci (en mettant les choses au pis) que de lui montrer sa misère ; et sans doute cela vaut-il mieux que de le persuader que sa misère est sans issue, ou de l’en détourner pour ne faire miroiter à ses yeux que de l’irréel (deux tentations contraires, également dangereuses, entre lesquelles oscillent les journaux et beaucoup de livres actuels). Des cadeaux nous sont encore faits quelquefois, surtout quand nous ne l’avons pas demandé, et de certains d’entre eux, je m’attache à comprendre le lien qui les lie à notre vie profonde, le sens qu’ils ont par rapport à nos rêves les plus constants. Comme si, pour parler bref, le sol était un pain, le ciel un vin, s’offrant à la fois et se dérobant au cœur : je ne saurais expliquer autrement ni ce qu’ont poursuivi tant de peintres (et ce qu’ils continuent quelquefois à poursuivre), ni le pouvoir que le monde exerce encore sur eux et, à travers leurs œuvres, sur nous. Le monde ne peut devenir absolument étranger qu’aux morts (et ce n’est même pas une certitude.)
Pour une première rencontre avec un poète, quel bel accueil ! Lecture à poursuivre.
Commentaires
Que j'aime Jaccottet, et particulièrement ce recueil !
"C'est sous le toit ajouré des arbres, ) peine est-on entré dans cet abri où le soleil ne brûle plus, dans la maison qui n'est jamais fermée, et il y a une fraîcheur, un parfum inséparables l'un de l'autre..."
Bonne journée, Tania.
J'y ai coché beaucoup de passages, c'est un recueil qui parle à l'âme. Bonne journée, Anne.
ça y est tu as fait connaissance ?
Voilà, c'est fait, comme en pays de connaissance.
Ah oui, magnifique introduction. J'ai hâte de te lire sur la suite.
J'y travaille. A demain & bonne journée, Aifelle.
Paysages de Grignan, c'est sûr que ça doit te parler :-)
A toi aussi, un peu j'espère, malgré certains souvenirs frustrants.
Envie de le relire, ses observations sont si belles et si parlantes...Si le temps était étirable, cela me rendrait service... Bises. brigitte
A voir tes belles photos d'Auvergne, tu y as lu des paysages, toi aussi, à ta façon. Belle après-midi, Brigitte.
Hâte aussi de lire la suite...
Ses mots sont en prise directe, "parle à notre âme " comme tu le dis.
Merci Tania, à tout bientôt.
A demain 18h pour la suite. Bonne soirée, Claudie.
Tu le sais, j'ai déjà lu des bribes de ces Paysages, mais quelle belle introduction, merci de l'avoir reproduite ici.
Bonne soirée.
Texte lu et relu, si riche ! Bonne journée, Colo.
Au détour d'une rue... Cet extrait, c'est tout Jaccottet qui est là. Quelle merveille, n'est-ce pas, de lire ces mots ? J'ai à chaque fois l'impression d'un firmament.
"Comme si, pour parler bref, le sol était un pain, le ciel un vin...". Oui, Marie.
Le monde ne peut devenir absolument étranger qu’aux morts (et ce n’est même pas une certitude.)
J'aimerais tant que ce soit sûr de n'être pas une certitude ...
La certitude n'est pas de ce monde... Bonne fin de journée, Nikole.