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  • On dirait

    zoé valdés,les muses ne dorment pas,récit,littérature espagnole,ma nuit au musée,madrid,musée thyssen,art,peinture,balthus,bonnard,canaletto,modèle,muse,culture« L’affiche de l’exposition ne pouvait être que le tableau en question, Passage du commerce Saint-André, qui – pourquoi continuer à me le cacher ? – m’a évoqué dès le premier regard la scène des marchands du Canaletto dont je viens de parler.
    Là aussi, un homme de dos – semblable aux amis du marchand de Canaletto -, une baguette de pain à la main, semble retourner chez lui. Mais une fillette, presque adolescente, contemple, à l’instar du célèbre marchand de Canaletto, la partie cachée du passage et… elle aussi nous regarde ! On dirait qu’elle nous observe, depuis ce passé que seul l’art peut nous rendre présent, en faisant de nous des confidents ou des complices immédiats. »

    Zoé Valdés, Les muses aussi ne dorment pas

    Balthus, Le passage du commerce Saint-André, huile sur toile, 1954, Collection privée

  • Valdés au musée

    Les muses ne dorment pas (2021, traduit de l’espagnol (Cuba) par Albert Bensoussan), raconte une histoire entre récit et fiction née « les yeux clos », comme l’annonce Zoé Valdés en première page. « A Cuba, l’art m’a sauvée de la constante incurie sociale et politique » écrit-elle pour commencer, musées et galeries lui permettaient «  un saut immense, un bond tellurique, comme au ralenti, vers la liberté ». Zoé Valdés vit à Paris depuis 1995. En exil, l’art n’a cessé de l’aider à vivre, déclaration qui m’a rappelé le beau récit de Maria Gainza présenté ici.

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    Canaletto, La place Saint Marc à Venise, vers 1723 – 1724, huile sur toile, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza

    Le 10 mars 2019, la romancière cubaine est à Madrid pour passer une nuit au musée Thyssen-Bornemisza : après avoir vu Place Saint-Marc à Venise de Canaletto à l’atelier de restauration, visité une exposition temporaire consacrée à Balthus – peintre avec qui elle a un rapport très personnel –, Zoé Valdés monte au second étage où l’attendent un lit de camp, un bureau et une chaise, face au portrait de Misia Godebska par Bonnard. Zoé trouve que sa fille Attys Luna ressemble un peu à Misia. Pierre Bonnard sera l’autre « pierre angulaire » du livre.

    Voici Balthus, d’abord, pour qui « María » a posé nue, « en catimini », à vingt-trois ans. C’est un vidéothécaire voisin qui a remarqué la jeune femme ; elle emprunte régulièrement des films porno pour son mari, un diplomate cubain, peintre et tyran domestique. Serge lui propose de poser pour lui, dans son studio privé, pour deux cent cinquante francs l’heure. Il vend ses photos à un club d’amateurs de nus féminins.

    Après avoir refusé, notamment par crainte du service de sécurité de l’ambassade, elle accepte la proposition. L’argent facile à gagner pour compléter son emploi dans un bureau culturel lui permettra de s’offrir un peu de luxe. Elle a du succès. Serge lui remet un jour une lettre l’invitant à poser pour un peintre. Toujours à l’insu de son mari, à qui elle fait croire qu’elle visite tel ou tel musée, elle se rend avec une amie à l’adresse reçue : son épouse japonaise les accueille chez Balthasar Klossowski de Rola qui n’est autre que le fameux Balthus.

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    En couverture, Le Repos (Renée Monchaty) par Bonnard, vers 1920

    Tout se passe bien. Avec le temps, Balthus bavarde un peu, parle de son vieil ami Bonnard. D’une toile de Canaletto où un marchand semble regarder le spectateur du tableau. D’un « tableau mort » c’est-à-dire, lui explique le peintre, « un tableau qui a existé et qui est mort. Qui existe, bien qu’il soit mort. Qui ne se montre pas parce qu’il n’intéresserait personne ou par ce que le peintre n’aimerait pas qu’on le voie. Ou que la famille du peintre ne serait pas d’accord pour l’exposer, une fois qu’il ne serait plus de ce monde. » Mais un secret finit souvent par être dévoilé, en art comme dans la vie.

    Au début de « Bonnard » figure cette phrase du peintre : « Il ne s’agit pas de peindre la vie. Il s’agit de rendre vivante la peinture. » Le voici à Rome en 1921, accompagné par Renée, une de ses muses. Sur la toile intitulée Piazza del Popolo, on verra des gens affairés, la place baignée de lumière rose, comme dans une œuvre de Canaletto, et à gauche, cette jeune fille qui regarde le peintre, comme le marchand sur l’autre toile. Renée Monchaty est alors la reine de Bonnard, bien qu’il soit fiancé à Marthe. Elle est son modèle depuis cinq ans, et sa maîtresse. Il se dit « incapable de peindre sans aimer ».

    Quatre ans plus tard, à Paris, Renée, enceinte, lui demande de l’épouser, mais Bonnard refuse. Il va bientôt se marier avec Marthe. Désormais, Renée n’est plus que douleur. C’est la rupture. Quand elle le revoit un jour par hasard, il sort de chez une fleuriste avec un bouquet de roses jaunes. Puis c’est le drame. L’année suivante, Bonnard est à Cuba, à Matanzas ; une fillette l’interroge sur ce qu’il est en train de peindre, et on en apprend davantage sur le « tableau mort ».

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    Pierre Bonnard, Piazza del Popolo, 1922, huile sur toile, collection privée

    Dans un musée de Madrid, une romancière rêve et voyage. Alina Gurdiel, qui a eu l’idée de la collection « Ma nuit au musée », présente Les muses ne dorment pas en ces termes : « Les muses sont des jeunes filles, des adolescentes parfois, des innocentes sacrifiées sur l’autel du désir des peintres. Aujourd’hui, elles feraient des procès. A l’époque, elles n’avaient le choix que de poser pour de l’argent, ou pire, par dévotion. »

  • Icône surréaliste

    Muse Kiki Man Ray Violon d'Ingres.jpg« Comme le souligne Herbert Lottman*, Kiki ne pose plus pour les autres. Elle est son modèle préféré. Elle l’inspire ; il improvise des poses, la photographie avec des objets, organise des mises en scène. C’est avec Kiki comme modèle qu’il invente le surréalisme en photographie. Elle devient une icône surréaliste. Il la modèle à sa guise, elle le regarde avec amour. »

     

    Bertrand Meyer-Stabley, 12 muses qui ont fait l’Histoire

     

    * (dans Man Ray à Montparnasse)

     

     Man Ray, Violon d’Ingres © Man Ray Trust / Adagp

     

     

     

     

    Pour information, Anna Puig Rosado expose ses photographies de Tel-Aviv

    à Dieulefit du 17 octobre au 29 novembre 2015 : http://www.annapuigrosado.net/fr/page_1030.html

  • Muses modernes

    12 muses qui ont changé l’Histoire : Bertrand Meyer-Stabley présente sous ce titre douze femmes qui « ont été au cœur de la création du XXe siècle ». Entendez donc « qui ont changé l’Histoire de l’art ». Muses ou égéries, elles ont fasciné leurs contemporains et inscrit leur destin dans le sillage d’un ou de plusieurs artistes. 

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    Misia Sert par Toulouse-Lautrec / Gala par Dalí

    Misia Sert, Gala Dalí, Kiki de Montparnasse, Youki, les premières évoquées sont des modèles ou des amies d’artistes, Dan Franck a décrit ce milieu dans Bohèmes. Misia était aussi pianiste, Youki fut la « Neige rose » de Foujita avant de devenir la « sirène » de Desnos. En une trentaine de pages pour chacune, l’auteur raconte leurs débuts dans la vie, et surtout leurs rencontres avec des artistes qui vont changer leur vie. Dans ce registre biographique, l’auteur porte autant d’attention à la petite histoire qu’à leur rôle artistique. 

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    Nu couché à la toile de Jouy (Kiki) et Youki au chat par Foujita

    Peggy Guggenheim, grande collectionneuse d’art, et Lee Miller, photographe un temps aux côtés de Man Ray, se font aussi un nom dans le milieu de l’art par elles-mêmes, à travers une galerie à Londres puis à New York pour la première, par son travail pour Vogue et ses reportages pour la seconde – Lee Miller a notamment montré la libération des camps de concentration. 

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    Peggy Guggenheim par Alfred Courmes / Lee Miller par Man Ray

    Deux des femmes qui ont partagé la vie de Picasso figurent dans cet essai : Dora Maar et Jacqueline Picasso. Celui que Françoise Gilot traite de « monstre d’indifférence » dans ses mémoires voulait qu’elles se vouent entièrement à lui et le libèrent de tout souci d’intendance, lui laissant la liberté de créer et d’inventer sans cesse.

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    Dora Maar et Jacqueline aux mains croisées par Pablo Picasso

    Matisse, qui engage Lydia Delectorskaya comme assistante quand il est déjà un vieux monsieur, fidèle à son épouse, est en comparaison un modèle de respect et de générosité envers ses employés. Mais Lydia devient si indispensable et omniprésente à Cimiez que Mme Matisse, dont elle a aussi été la garde-malade, exige son renvoi. Elle lui reviendra. 

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    Lydia Delectorskaya par Matisse /  L'été (détail) de Maillol (Dina)

    Dina Vierny, qui a posé pour plusieurs peintres, voit son nom associé surtout à celui du sculpteur Maillol, à qui elle a inspiré tant de chefs-d’œuvre. C’est elle qui a convaincu Malraux de placer les statues offertes à l’Etat aux Tuileries. Elle s’est dévouée corps et âme à la création du musée Maillol à Paris. 

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    Les deux dernières muses évoquées dans cet essai me semblent moins connues : Annabel Buffet, que Bertrand Meyer-Stabley présente après avoir résumé la carrière de Bernard Buffet, et Ultra Violet, « la reine de l’underground » qui a su se faire une place dans la Factory d’Andy Warhol, et aussi plaire à Dalí. 

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    Une vingtaine de photos N/B sont encartées au milieu du livre. Chacune de ces femmes mérite une biographie à part entière, il en existe d’ailleurs. Cet essai grand public donne envie de chercher leurs portraits peints, sculptés, photographiques, et d’en apprendre davantage sur certains de ces destins romanesques.  

    Et si on inversait les rôles, quels seraient les « 12 hommes qui ont changé l’Histoire » dans l’ombre ou la lumière de femmes artistes ? Avez-vous des noms à suggérer ? Il semble que « muse » n’ait pas de masculin, ni « pygmalion » (titre de la collection) de féminin.

  • Sous le regard

    Poser : demeurer un certain temps immobile dans l'attitude choisie par l'artiste afin qu'il puisse reproduire son modèle. Le peintre et son modèle forment un sujet classique en peinture. Les écrivains l'abordent moins souvent : Le chef-d’œuvre inconnu de Balzac a inspiré au cinéaste Jacques Rivette La Belle Noiseuse, avec Emmanuelle Béart / Marianne dans l’atelier de Piccoli / Frenhofer, à qui le peintre Bernard Dufour avait prêté ses mains. Tracy Chevalier nous a donné avec La jeune fille à la perle un roman délicat sur Vermeer, porté à l’écran par Peter Webber.

    D’origine scandinave et anglaise par ses grands-parents, l’Américain Larry Watson a publié Sonja à la fenêtre en 2003 : Sonja Skordahl, une Norvégienne, y devient le modèle de prédilection de Ned Weaver. « Weaver n’avait jamais connu de modèle qui eût autant que cette femme le talent de rester immobile. » Poser nue, quand on est une femme mariée de surcroît, paraît scandaleux à la plupart des habitants de leur ville au bord du lac Michigan. Deux couples vont en être profondément bouleversés : celui de Sonja et Henry House ; celui des Weaver, même si Harriet a depuis longtemps l’habitude des infidélités de son mari avec ses modèles.

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    Ken Orton, Blood and Milk

    Les séances de pose occupent une large place dans ce roman. Qu’éprouve le modèle sous le regard de l’artiste ? Quelle lumière, quelles lignes, quelles émotions le peintre cherche-t-il  à poser sur la toile ? Pourquoi exige-t-il que Sonja se place près de la fenêtre de son atelier, un chalet au bout de sa propriété, d’où on pourrait la voir, de la colline voisine ? L’activité du peintre à l’œuvre n’est pas ici simplement anecdotique. L’auteur tâche de cerner ce qui se passe dans la rencontre des regards, dans la rencontre des corps. Autour d’eux, nombreux sont ceux qui n’y voient qu’autre chose : une affaire de sexe, puisque Weaver a une réputation de coureur ; une affaire d’argent, vu les hauts prix demandés par la galerie new-yorkaise qui vend ses toiles.

    Mais pour les House, le choix de Sonja - elle a attendu avant d’acquiescer à la demande du peintre de poser pour lui contre rétribution – est lié à un drame personnel. Ils ont deux enfants : June, l’aînée, et le petit John. Sonja s’est juré qu’ils ne connaîtraient pas le même sort qu’elle, confiée par ses parents à une tante lointaine pour lui assurer un avenir meilleur. Henry House vit de ses vergers, où il cultive quelques variétés de pommes qui ont fait la réputation de sa famille. La perte d’un enfant va leur ôter tous leurs repères. Sonja et Henry, Sonja et le peintre : sous leur regard, l’héroïne du roman livre peu à peu ce qu’elle est, ce qu’elle refuse, ce qu’elle veut.

    Il y a bien sûr des paysages dans cette histoire, des ciels, des arbres, des bêtes, des saisons. Des hommes qui se soûlent et se lancent des défis, des femmes qui les provoquent. Il y a ce qu’on pense et ce qu’on dit – ou ce qu’on ne dit pas. Larry Watson, de temps en temps, projette ses personnages dans le futur. Fallait-il absolument fermer, pour les lecteurs, toutes les fenêtres ouvertes dans ce récit ? C’est à l’art, en tout cas, qu’il donne le dernier mot.