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photographie

  • Métamorphoses

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographieLe mouvement surréaliste était d’avant-garde, mais non « exempt de misogynie ». Au début de l’exposition « Imagine ! », une grande reproduction d’un montage publié dans La révolution surréaliste du 15 décembre 1929 montre  les photos d’identité de seize (hommes) surréalistes aux yeux baissés encadrant Je ne vois pas la [femme] cachée dans la forêt de Magritte.
    Heureusement les artistes femmes ont bien leur place ici, on en est redevable à l’exposition « Surréalisme au féminin ? » du musée de Montmartre, où on pouvait voir ce Couple d’oiseaux anthropomorphes de Suzanne van Damme, du temps où la peintre belge fréquentait les surréalistes à Paris.

    © Suzanne Van Damme, Couple d’oiseaux anthropomorphes, 1946, Rediscovering Art by Women (RAW)

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographieJe repense à ce drôle de couple devant une œuvre de Meret Oppenheim, Daphné et Apollon. Dans les Métamorphoses d’Ovide, la nymphe se transforme en laurier pour échapper à l’étreinte d’Apollon.
    Sur cette petite toile, celui-ci est également transformé en arbuste, au corps difforme comme « une pomme de terre germée » (audioguide) : la surréaliste suisse a privé le dieu de sa beauté, alors que Daphné, « lumineuse et belle », est « perchée sur ses racines comme sur des escarpins ».

    © Meret Oppenheim, Daphné et Apollon, 1943, huile sur toile, Collection privée

    « Imagine ! » 100 ans de surréalisme international, MRBAB,
    Bruxelles
    > 21.07.2024

     

  • 1924-2024, Imagine !

    Le 21 juillet, l’exposition Imagine ! 100 ans de surréalisme international fermera ses portes aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Organisée pour le centième anniversaire du Manifeste d’André Breton, en collaboration avec le Centre Pompidou (exposition à Paris à partir du 4 septembre), elle ira ensuite à Madrid, à Hambourg et à Philadelphie.

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    A l’entrée de l’exposition, Chien aboyant à la lune, de Miro, voisine avec La mélancolie d’une belle journée, signée Giorgio De Chirico. Un grand bronze de Max Ernst, Capricorne trône devant la ligne du temps, qui débute ici dans les années 1880. En effet, Imagine ! « se concentre sur les liens, les similitudes, mais aussi les lignes de fracture, entre le surréalisme et un de ses précurseurs, le symbolisme. » (MRBAB) L’exposition regroupe des œuvres de différentes époques autour de dix thèmes (le labyrinthe, la nuit, la forêt...). En voici quelques bribes.

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    Fernand Khnopff, La Méduse endormie, [1896],
    pastel sur papier, Collection privée

    « La nuit » nous mène des Yeux clos d’Odilon Redon à L’Empire des lumières de Magritte (photo 1), devant une Impasse de Vogels, puis à la Méduse endormie (1896) de Khnopff. Cette juxtaposition d’univers si différents me laisse d’abord songeuse. Certaines œuvres se répondent. Ainsi, Extrême nuit de Léonor Fini (1977) reprend à Khnopff la Méduse aux superbes ailes repliées, mais ici l’œil ouvert de la Gorgone pétrifie la jeune fille qui lui fait face.

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    © Leonor Fini, Extrême nuit, 1977, huile sur toile, Paris, Galerie Minsky

    Dans l’œuvre de Max Ernst, l’oiseau est un leitmotiv. Son Armée céleste intrigue par les effets de matière. Dès 1925, Ernst a pratiqué le « frottage » et puis le « grattage » du pigment, directement sur la toile. On voit se multiplier sur cette peinture des têtes rondes d’oiseaux et des roues, dans des couleurs subtiles à la fresque.

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    © René Magritte, Les grands voyages, 1926, huile sur toile, Collection privée

    Parmi les Magritte de l’exposition, voici Les grands voyages (collection privée), au format panoramique inhabituel. Au-dessus des montagnes flottent une silhouette féminine (sans tête, aux jambes peintes de divers bâtiments) et une créature tentaculaire. Autre énigme, Le sentiment de vitesse de Dali : les ombres de deux cyprès s’étirent, la plus longue marque l’heure sur le cadran incrusté dans une chaussure. Le paysage surréaliste ouvre à l’imaginaire.

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    Picasso, L'acrobate bleu / Arp, "Mirr" / Magritte, Les idées de l'acrobate

    Picasso, Arp et Magritte : des formes « acrobatiques » se répondent. Je m’attarde devant Un tableau très heureux signé de l’Américaine Dorothea Tanning (qui exposait déjà avant d’épouser Max Ernst). Je n’avais jamais vu cette peinture qui « caricature le cliché du voyage de noces » (commentaire de l’exposition Surréalisme au féminin du musée de Montmartre où elle était exposée l’an dernier). Le tourbillon d’une grande toile blanche attire l’œil avant de laisser voir des éléments qu’elle relie « comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » (Lautréamont).

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    © Dorothea Tanning, Un tableau très heureux (détail), 1947, huile sur toile, Paris, Centre Pompidou

    De gauche à droite : dans un espace voûté, des caisses, des malles sur lesquelles un personnage assis tient un parapluie noir ; un kiosque rond surmonté d’une horloge ; une silhouette bleue, une bouche souriante ; un nu, derrière un bouquet de roses rouges ; des volutes de fumée grise s’échappant de cheminées, sur un panneau peint posé au sol. Tanning peint l’énigme humaine, la magie de l’hallucination, les pouvoirs de l’œil, la folie et ses visions. Elle ne voulait pas être réduite à l’étiquette « surréaliste » : « But I have no label except artist. » (Fondation D. T.)

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    © Valentine Hugo, Le rêve du 21 décembre 1929, 1929,
    mine de plomb sur papier, Collection Mony Vibescu

    Dans « Rêves et cauchemars », un des thèmes de l’exposition, je découvre une autre œuvre également présentée à Montmartre : Le rêve du 21 décembre 1929, de Valentine Hugo, dans un cadre d’époque orné de deux dragons. Ce beau visage est déjà blessé par de terribles griffes, et la partie inférieure du rêve n’a rien de rassurant !

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    Francis Picabia, L'éclipse, vers 1922-1923, huile sur toile, Bruxelles, MRBAB

    En résumé, malgré l’accrochage thématique assez disparate, l’exposition offre  à découvrir. L’audioguide y est plus pratique que la transcription téléchargée sur un petit écran. Pour terminer, je vous montre encore L’éclipse de Picabia, seule œuvre de cet artiste dans les collections des MRBAB. Ce détournement de la Vierge au serpent n’est pas plus politiquement correct aujourd’hui qu’à l’époque ! L’étoile d’or qu’elle porte sur l’épaule l’intègre dans « Le cosmos », la dernière section d’Imagine !, près des Corps célestes de Tamayo et de Naissance d’une galaxie de Max Ernst.

  • Garder le silence

    modiano,romans,remise de peine,chien de printemps,récits,littérature française,prix nobel,passé,traces,mémoire,culture,photographie,écriture« Il me suffit de regarder une de ses photos pour retrouver la qualité qu’il possédait dans son art et dans la vie et qui est si précieuse mais si difficile à acquérir : garder le silence. Un après-midi je lui avais rendu visite et il m’avait donné la photo de mon amie et moi, sur le banc. Il m’avait demandé ce que je comptais faire plus tard et je lui avais répondu :
    – Ecrire.
    Cette activité lui semblait être « la quadrature du cercle » – le terme exact qu’il avait employé. En effet, on écrit avec des mots et lui, il recherchait le silence. Une photographie peut exprimer le silence. Mais les mots ? Voilà ce qui aurait été intéressant à son avis : réussir à créer le silence avec des mots. Il avait éclaté de rire :
    – Alors, vous allez essayer de faire ça ? Je compte sur vous. Mais surtout, que ça ne vous empêche pas de dormir.
    De tous les caractères d’imprimerie, il m’avait dit qu’il préférait les points de suspension. »

    Patrick Modiano, Chien de printemps

  • La porte ouverte

    chantal thomas,de sable et de neige,récit,littérature française,enfance,famille,femme,arcachon,cap ferret,kyoto,voyage,chambre,art,culture,photographie« Il faut qu’elle ait un ménage, il faut qu’elle soit mariée », martèle Michelet. Ca ne se discute pas. Proposez un jouet à une petite fille, « elle choisira certainement des miniatures d’ustensiles de cuisine et de ménage. C’est un instinct naturel, le pressentiment d’un devoir que la femme aura à remplir. La femme doit nourrir l’homme. » Si, dans un élan contre nature, elle piétine ce pour quoi elle est née, alors c’est la porte ouverte à toutes les aberrations. La femme va se mettre à étudier, passer des examens, prendre un métier, ouvrir un compte en banque, faire de la boxe, de l’alpinisme, du football, choisir son époux, choisir de ne pas en avoir, tomber amoureuse d’autres femmes, de la couleur bleue, du reflet de la lune, devenir vigneronne, chef étoilé, chef d’orchestre ou d’Etat, philosophe, acrobate, choisir d’avoir des enfants, choisir de ne pas en avoir, apprendre à faire des claquettes et à danser le tango. Elle va multiplier les rencontres dans le monde entier, aller à l’hôtel et, au lieu de s’y terrer comme une belette traquée, jouir aussi bien des gestes d’installation que de la légèreté du départ. »

    Chantal Thomas, De sable et de neige

    Avec mes amies, d'enfance et de toujours, Catherine et Maud Sauvageot.
    Collection particulière / Photo de couverture

  • De sable et de neige

    A l’inverse de L’esprit de conversation, où elle fait revivre les salons d’autrefois, Chantal Thomas offre dans De sable et de neige des espaces au silence, des instants à la contemplation, des plongées intimes, à la première personne. Arcachon, son paradis d’enfance, est son territoire premier, du « Chemin de l’Horizon » au « Paysage intérieur ». Kyoto s’y relie dans le dernier texte, « Le Pont qui traverse le Temps ».

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    C’est un livre « de mots et d’images » édité dans la collection « Traits et portraits » (le lettrage séduisant d’Alechinsky est masqué sur les titres les plus récents du catalogue, dommage) : elle y a glissé quelques peintures et surtout des photographies, certaines du photographe américain Allen S. Weiss, comme le beau « Relief de feuillage doré par le sable. Cap Ferret, 2019 » en frontispice. La première photo personnelle la montre enfant avec son père et sa mère sur la plage, assis sur le varech, un des premiers éléments naturels qui la fascinaient, écrit-elle.

    « L’océan a une dimension tragique, cela fait partie de sa beauté, de l’effroi de sa beauté. » La vue d’un petit garçon jouant avec les vagues sans réagir aux appels de sa mère anxieuse ramène Chantal Thomas à son enfance, aux journées d’excursion au Cap Ferret. Deux ou trois fois, l’été, son père les y emmenait en bateau avant d’aller pêcher « tranquille, en solitaire », laissant sa femme et sa fille en compagnie de ses parents. L’air y était plus vif que sur le Bassin. « Le blockhaus peinturluré détonnait dans le paysage. » Une très belle photo d’un détail montre un « graffiti en constante réécriture par le travail conjugué de l’eau de mer, du soleil et des intempéries ».

    « La chambre est parfaitement mienne. » Dans « Habiter en passant », l’autrice décrit sa chambre de passage ainsi que ses rituels d’apprivoisement (sauf quand, rarement, la pièce lui est d’emblée hostile) : pommes de pin, coquillages déposés sur une tablette, cartes postales de sa collection pour de « mobiles expositions en chambre ». Cette fois, elle a choisi des tableaux avec des huîtres, déployés autour d’elle prenant le thé. (Elle n’a pas emporté la Fillette à l’oiseau mort « découverte un jour de pluie au musée des Beaux-Arts de Bruxelles. »)

    Le déjeuner d’huîtres de Jean-François de Troy perdu « entre draps et couverture »  lui rappelle une phrase de Mme du Deffand : « Personne n’est heureux de l’ange jusqu’à l’huître. » La marquise incarne le XVIIIe, l’intellectuelle, le contraire de la femme épouse et mère selon Michelet. Copié dans de belles pages sur « la voyageuse » qui « échappe », ceci : « Par ses penchants nomades, bien sûr, mais aussi, plus secrètement, par son goût pour les habitations du moment, les demeures imaginaires, les revêtements de fantaisie dont elle tapisse les chambres d’hôtel, les cabanes invisibles qu’elle s’y construit. »

    L’amour du sable, les jeux d’été, elle les partageait avec Lucile, dont les parents venaient en vacances à Arcachon. Quand elle repartait, le temps de l’école revenait, « une prison » où tout était interdit et même la marelle, car « écrire par terre « Paradis » pour ne pas hésiter à le piétiner est décrété inadmissible. » Si son grand-père Félix est le compagnon préféré de son enfance, c’est la figure du père qui est la plus liée au bonheur. Bonheur de l’accompagner à la pêche – « Glisser sur l’eau en silence nous unit » –, de contempler avec lui les cabanes « tchanquées » de l’Ile aux Oiseaux, elle surveillant la couleur des vagues par crainte de la vague « jaune », la vague « de sable » qui fait chavirer les navires.

    « Le 21 février 1956 », c’est un autre silence, un « calme surnaturel » qui les surprend au réveil : il est tombé pendant la nuit plus d’un mètre de neige, impossible d’ouvrir les volets. Son père dégage un morceau de trottoir, creuse une tranchée dans le jardin, chausse ses skis pour aller au magasin. La gare fermée, il ne peut se rendre à l’usine de Cellulose du pin où il travaille comme dessinateur. Les voilà coupés du monde, dans un temps « suspendu ». On ne va qu’à pied ou à ski. La ville de sable est devenue ville de neige.

    Après cette date magique, une autre, fatale : le 2 janvier 1963, la mort de son père en clinique, à quarante-trois ans. Elle en avait dix-sept. « Désormais je vivrai sur deux temps : le temps figé du deuil impossible, le temps mobile et miroitant de l’événement. La mort de mon père : une partie de moi, cachée, est devenue pierre, l’autre a fait de justesse un saut de côté été a rejoint le courant de la vie, sa merveilleuse fluidité. Les deux parties étant également vraies. »

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    L'étang Kyôyôchi dans le parc du temple Ryôan-ji, à Kyoto,
    lors de la tempête de neige du 31 décembre 2010 (détail).

    Photo Allen S. Weiss

    De sable et de neige est écrit au plus juste de la mémoire personnelle qui traverse le temps d’une vie, sur une matière délicate. Chantal Thomas sait rendre avec clarté ce à quoi elle est attentive, ce qu’elle a fait sien, et le graver dans l’éternité des mots. Avec tenue, avec retenue aussi, elle l’offre à qui veut cheminer avec elle, dans le silence de la lecture.