« De Rubens à Khnopff », l’exposition Esquisses (Drafts) aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) donne à voir différents états du « geste créateur » à travers des siècles de peinture – on peut découvrir par exemple le dessin sous-jacent dans la Pietà de Rogier van der Weyden (XVe siècle) grâce à une réflectographie infrarouge – du Moyen Age jusqu’à aujourd’hui.
Un texte présente chaque section. Le premier donne l’étymologie du terme « esquisse » : « de l’italien schizzo, lui-même dérivé du latin schedius, « fait sur-le-champ », et du grec σχέδιος, « faire à la hâte » ». L’esquisse est donc par nature « incomplète, préparatoire et spontanée ». Souvent de petite dimension, sur papier ou sur toile, elle est l’« expression la plus directe de la main du maître, qui matérialise le fruit de sa réflexion en quelques gestes spontanés. »
Le jeune dessinateur, bois, 28 x 36,5 cm, MRBAB, Bruxelles.
Le jeune dessinateur attribué à Pieter Codde (XVIIe) annonce une salle consacrée aux « études », ces exercices recommandés aux débutants : représenter des parties de figures d’après nature, des têtes, des mains, des animaux, des draperies… de manière à préparer toutes les parties du tableau projeté. Une Etude de Marie de Hongrie sur un trône par Louis Gallait (XIXe), qui la peindra dans L’abdication de Charles Quint, montre la préparation de la tête, des mains, le rendu de la robe. (Désolée pour les reflets.)
Louis Gallait, Etude pour L'abdication de Charles Quint. Marie de Hongrie,
Pierre noire et craie blanche, sanguine, gouache blanche, 56,8 x 40,4 cm, MRBAB, Bruxelles
Les études peuvent aussi être peintes à l’huile et en couleurs. Eugène Verboeckhoven peint ainsi toute une bande de poussins dans diverses positions. Marie De Paepe, presque un siècle plus tard, fait de même avec trois « poupousses ». Plus ancienne, une « Etude animale » de Jacomo Victors regroupe autour d’une chèvre les différents occupants de la basse-cour, sans oublier chien et chat – quasiment un tableau à part entière.
Jacomo Victors, Etude animale, huile sur toile, 156 x 187 cm, MRBAB, Bruxelles
Huile sur papier marouflé sur toile, 27,5 x 55,5 cm, MRBAB, Bruxelles
(dédié à Colo, qui en connaît un bout sur le sujet) Poussins, 1858,
Poupousses, 1943, huile sur toile, 70 x 80 cm, MRBAB, Bruxelles
Esquisser des figures, c’est observer la silhouette, l’attitude, croquer un détail en particulier. Voici Trois études d’une femme coiffée d’un petit chapeau d’Antoine Watteau, où sanguine et rehauts de craie blanche font merveille, puis, vues de dos, Trois silhouettes de dames en chapeau de James Ensor (pastel et lavis). Plus j’avance dans l’exposition, plus je suis sensible à la vivacité des esquisses où le geste est beaucoup plus perceptible que dans l’œuvre finie. L’inachèvement donne à ces œuvres anciennes ou modernes une fraîcheur qui nous rapproche de l’artiste, comme si nous visitions son atelier.
21,2 x 31,2 cm, MRBAB, Bruxelles Trois études d'une dame au chapeau, s.d.,
James Ensor, Trois silhouettes, s.d., aquarelle sur papier, 25,3 x 33,6 cm, MRBAB, Bruxelles
Voyez ces personnages d’Henri Leys (Etude pour Faust et Marguerite) : la démarche du couple « se rendant à l’église » est bien rendue, le manteau d’homme bordé de velours ou de fourrure prend vie sous nos yeux, tandis que la robe de sa compagne est structurée par le dessin qui souligne les plis et quelques motifs. Le peintre a soigné aussi les manches à crevés, entre autres détails qui retiennent le visiteur devant cette esquisse à l’huile.
Personnages se rendant à l'église, esquisse,
huile sur bois, 60 x 35 cm, MRBAB, Bruxelles
Les belles choses modernes ne manquent pas, signées Ensor, Vogels, Rik Wouters… Une esquisse à l’huile de ce dernier, Nu assis au bord du lit (on reconnaît Nel, son épouse et son modèle), avec des indications de couleurs et l’utilisation de parties non peintes, comme dans sa Dame en bleu de la même année, illustre la proximité entre l’esquisse et l’œuvre achevée chez ce peintre.
aquarelle et gouache, encre de Chine sur papier, MRBAB, Bruxelles La ville d'or, 1955-1956,
Ai-je déjà mentionné sur ce blog le nom d’Anne Bonnet (1908-1960) ? Cette artiste bruxelloise, d’abord réaliste, a évolué vers une certaine géométrisation ; attentive aux architectures, elle était proche des peintres de la Jeune peinture belge. Près de La Ville d’Or (1955-1956), cette magnifique composition à l’huile dominée par le jaune et l’orange dans toutes leurs nuances, on peut voir deux études (aquarelle, gouache et crayon) où Anne Bonnet a exploré d’autres formes et couleurs avant le choix définitif.
La ville d'or, 1955-1956, huile sur toile, 150 x 100 cm, MRBAB, Bruxelles
Formidables esquisses de Rubens tout en mouvement, études pour des scènes historiques, portraits, paysages… Tous les genres sont représentés à l’exposition avec ce même objectif : montrer l’art en cours d’élaboration. Non chronologique, le parcours décline les caractéristiques de l’esquisse, selon le genre, la technique ou le thème, et réussit à capter l’attention en renouvelant l’approche tout du long.
Vue partielle de la dernière salle : œuvres de Constantin Meunier
Pour le sculpteur, l’esquisse, parfois dessin, parfois modèle en format réduit, sert à obtenir l’approbation du commanditaire pour le projet, avant sa réalisation dans le matériau choisi. Des plâtres de Constantin Meunier pour son Monument au travail, plusieurs esquisses et un haut-relief en bronze de L’Industrie, un grand plâtre du Port. Une étonnante maquette d’un monument de Joseph Rulot (jamais réalisé). Un petit modèle en carton d’une sculpture abstraite, Archétypes, de Walter Leblanc et sa réalisation en acier oxydé, permet de mesurer l’impact spectaculaire du changement de format (325 x 200 x 25 cm) et de matériau.
Walter Leblanc, Modèle en carton pour Archétypes, 1985,
MRBAB, Bruxelles
Je ne savais pas trop ce que j’allais découvrir à cette exposition temporaire des Musées Royaux des Beaux-Arts, une visite intéressante à condition de prendre le temps de regarder, bien sûr. Ceux qui savent dessiner y trouveront des crayons et des cartons pour croquer à leur tour ce qu’ils ont perçu. L’exposition reste en place jusqu’au 16 février prochain aux MRBAB.
Commentaires
Que de belles découvertes dans ton article encore aujourd'hui. Ces esquisses sont remarquables, toutes en délicatesse. J'aime particulièrement celles à l'aquarelle qui me semble être une technique parfaite pour ce genre de dessin rapide, mais je découvre les autres, réalisées à l'huile ou avec l'encre de chine. Merci pour cette belle expo temporaire, tu me fais regretter de ne pas vivre en ville...
Merci, Manou. Cette richesse culturelle à proximité, oui, c'est un des atouts de la vie à Bruxelles.
Très intéressant ! Je n'avais jamais vu d'"études" ou dessins préparatoires en couleur, aquarelles ou huile.
Celles dont j'ai hérité sont des esquisses au crayon de Rops, "femme au piano". Ce sont des ébauches, successives je crois, passionnant.
On connaît plus je pense les modèles en carton, en plâtre, de sculptures.
Merci!
L'expo sort des sentiers battus et m'a étonnée par cette vivacité qui donne souvent à l'esquisse une touche très proche de notre sensibilité actuelle. Il en va de même pour celles de Rops, certainement. Bonne soirée, Colo.
Très belle exposition. Ce sont des esquisses qui sont tout de même très abouties. Merci de la visite Tania
Avec plaisir, Zoë. J'ai peu montré de cette exposition, riche et variée.
Une expo plutôt originale, J'aime beaucoup les trois silhouettes d'Ensor, et les chats .. et d'autres. Telles quelles se sont déjà des oeuvres où il y a à admirer.
Une sélection éclectique et une approche originale, il y a de quoi titiller le regard, oui. Bonne journée, Aifelle.
Je trouve cette expo passionnante. Et j'aime ce que tu dis sur l'esquisse, que le geste est plus perceptible, plus vif dans l'inachèvement et que tu as l'impression d'être plus proche de l'artiste.
J'ai mis un lien vers ton billet sur Jane Graverol dans mon troisième billet sur La prisonnière : le mythe de Pygmalion. Je n'avais jamais entendu parler de cette artiste et tu me l'as fait découvrir.
Merci pour ton intérêt, Claudialucia. A bientôt pour prendre de tes nouvelles proustiennes.
PS J'ai repris mon blog.
Chouette ! J'y cours.
J'aime beaucoup voir les esquisses et les dessins d'un peintre. C'est fascinant. Merci pour ce magnifique partage !
J'ai cliqué trop vite. Les trois silhouettes de James Ensor sont si vivantes ! J'aime ce peintre, en fait.
Tu as raison, c'est fascinant et même si l'on ne s'y connaît pas trop, l'esquisse est parfois plus accessible que l'œuvre terminée.
J'aime beaucoup aussi l'aquarelle d'Ensor (je me suis demandé pourquoi il l'avait signée trois fois).
Parce qu'il a fait trois esquisses, peut-être...
Bien sûr. Souvent la feuille d'esquisses ne porte qu'une signature, ici le peintre semble avoir prévu le cas où on les séparerait.
Je passe toujours beaucoup de temps à contempler les esquisses. Ce côté laborieux, travail de recherche, essais non aboutis est émouvant et permet souvent de mieux comprendre les choix de l'artiste et l’œuvre terminée.
Tu as raison, et cette exposition en fait prendre conscience. Merci, Claudie.
Poupousses et les trois esquisses de James Ensor me séduisent tout à fait, il y a toujours à découvrir dans ce monde, nous avons de la chance. Bises, belle semaine Tania. brigitte
Tes illustrations en sont la preuve, Brigitte. Découvrons, regardons, partageons... Bises.
Magnifique!
je serai aux portes du musée à 10.00 h. ce matin :-)
Bises!
(je vois qu'Eugène n'a pas peint que des moutons ;-) c'est toi qui m'as fait découvrir ce peintre)