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Tous les silences

Histoire du silence, de la Renaissance à nos jours : d’emblée, Alain Corbin présente le silence comme « presque oublié » aujourd’hui, voire objet de crainte, alors que dans le passé, « les hommes d’Occident goûtaient la profondeur et les saveurs du silence. » Celui-ci était « la condition du recueillement, de l’écoute de soi, de la méditation, de l’oraison, de la rêverie, de la création ; surtout comme le lieu intérieur d’où la parole émerge. » L’évoquer dans cet essai « peut contribuer à réapprendre à faire silence, c’est-à-dire à être soi. » (Prélude)

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Fernand Khnopff, Du silence, pastel sur papier, 1890
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

Corbin se tourne vers la peinture, vers la littérature surtout. Il se réfère souvent au Monde du silence de Max Picard. Les lieux intimes privilégient le silence, « un bruit doux, léger, continu et anonyme ». Les maisons et les intérieurs peints par Hopper l’expriment, comme certaines demeures décrites dans les romans. Les objets y « parlent silencieusement à l’âme ». Le chat en particulier « sait habiter le silence qu’il semble symboliser. » Tout différents sont le silence d’une église ou celui d’une prison.

Pour décrire les « silences de la nature », l’auteur convoque l’hiver, la nuit, la lune, les canaux et les déserts, la montagne et la haute mer, la forêt, la campagne, les villes de province au XIXe siècle. Difficile d’échapper à l’énumération pour présenter cet essai qui cherche à nommer tous les silences ou toutes les conditions qui lui sont propices. Aux XVIe et XVIIe siècles, le silence est indispensable pour entrer en relation avec Dieu, les mystiques en témoignent et aussi les ordres silencieux comme celui des Chartreux.

Quelques peintures, au milieu de l’essai, l’illustrent magnifiquement, comme « Le silence » de Fernand Khnopff, « Les Yeux clos » d’Odilon Redon ou « Saint Joseph charpentier » de Georges de La Tour. Corbin commente en particulier le silence du père adoptif de Jésus dans les Ecritures. Il consacre des pages intéressantes à la peinture, à son « éloquence muette », au regard de « contemplation fervente » des Anciens sur les images, notamment sur les « vanités », alors que le nôtre se limite souvent « à une réflexion d’ordre esthétique ».

« La langue de l’âme est le silence », écrit Alain Corbin, citant à l’appui Maeterlinck, Hugo, Claudel, Mauriac (les multiples silences dans Thérèse Desqueyroux), entre autres. Il existe aussi des « tactiques du silence » : se taire, ne pas parler de soi, ne pas se plaindre, c’est une vertu, un art même. Homme de cour, du jésuite Baltasar Gracián, traduit en français en 1684, a été le grand classique de la meilleure éducation au XVIIe siècle ; d’autres « arts de se taire » ont paru à cette époque dans le but de « former l’honnête homme à la française ».

Il existe tant de sortes de silences : celui-ci peut exprimer la prudence ou la patience, la timidité ou l’ignorance. Le silence invite à l’écoute, exprime le respect, signale la maîtrise de soi – être capable de faire silence appartient au code des bonnes manières. Il fait partie de l’art de la conversation quand il permet la réflexion et l’échange. Il appartient aux amants, aux amis qui se taisent ensemble.

Mais le silence détruit quand il est refus de l’échange, quand dans un couple, par exemple, on n’a plus rien à se dire ou qu’on ne veut plus se parler. Dans un « postlude » intitulé « Le tragique du silence », Alain Corbin évoque le silence de Dieu, qui peut paraître indifférent aux malheurs du monde, et la peur du silence qui est fuite de l’intériorité.

Tous les silences ont droit de cité dans cet essai et cette volonté de les inventorier, jusqu’au silence de la mort et de la tombe, m’a semblé parfois sa limite. Ce sont les séquences plus approfondies que j’ai préférées dans Histoire du silence. De multiples citations y invitent à la lecture. L’objectif est atteint : Alain Corbin rappelle comment le silence a été et reste une richesse, une vertu, une force.

L’auteur est conscient de n’avoir fait qu’esquisser le sujet : « J’ai voulu montrer l’importance qu’avait le silence, et les richesses qu’on a peut-être perdues. J’aimerais que le lecteur s’interroge et se dise : tiens, ces gens n’étaient pas comme nous. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les randonneurs, les moines, des amoureux contemplatifs, des écrivains et des adeptes de la méditation à savoir écouter le silence... » (Le Point)

Commentaires

  • Le silence se raréfie en effet et beaucoup semblent ne plus le supporter du tout. Les récentes innovations (genre smartphone) ont accentué le phénomène, on ne voit plus guère de jeunes sans les écouteurs sur les oreilles en non-stop. Même en se promenant maintenant on croise de ces groupes, musique à la main, c'est impressionnant (et très agaçant pour moi). Ce livre doit être une mine de réflexions.

  • On dirait que certains sont nés avec des écouteurs ! Dès l'apparition des baladeurs, j'ai craint que cela n'isole les gens les uns des autres. Et puis avec les ordiphones, même les yeux ne se tournent plus vers l'extérieur. J'imagine (j'espère) qu'il y aura une prise de conscience de ces usages excessifs.
    Beaucoup de citations dans cet essai, oui.

  • Je n'ai pas lu ce livre car j'ai été influencée par des critiques en demi-teintes, mais j'avais beaucoup apprécié : Du silence de David Le Breton ainsi que la série des émissions de France culture sur ce thème :
    https://www.franceculture.fr/emissions/pas-la-peine-de-crier/silences-15-une-anthropologie-du-silence

    et la dernière :
    https://www.franceculture.fr/emissions/pas-la-peine-de-crier/silences-55-dans-le-silence-du-monastere

  • j'ai un peu été déçue par ce livre que j'ai trouvé un peu trop près d'une compilation que d'une réelle réflexion

  • Le silence est partout dans les peintures de Fernand Khnopff. Nous remplissons ce silence de nos imaginations, de la prière à la pornographie. Khnopff laisse quelques indices pour nous guider. Je regarde le livre de Corbin.

  • @ Nicole 86 : Tu auras compris que j'en attendais aussi davantage. Merci beaucoup pour ces liens, j'irai écouter cela dès que possible.

    @ Dominique : Moi aussi, j'espérais plus d'approfondissement, d'autant plus que c'est le premier essai de Corbin que j'aie lu et je pensais trouver un auteur plus captivant, à la hauteur de Jacqueline Kelen dans "L'esprit de solitude", par exemple.

    @ Jane Librizzi : Comme vous, j'aime beaucoup l'univers de Khnopff, chère Jane. A bientôt sous la lanterne bleue.

    @ Niki : Corbin fait le tour du sujet, mais je suis restée un peu sur ma faim (voir les commentaires précédents).

  • J'ai toujours aimé le silence et aussi la solitude, mais le silence apprivoisé par les chants d'oiseaux, le murmure du vent dans les feuillages, le va et vient des vagues...

  • Le silence est chez lui dans la nature quand elle est calme.
    Bonne journée, Marcelle.

  • Un très beau sujet : faire silence et réfléchir au silence. J'aime particulièrement le silence d'un paysage enneigé, j'entends en moi le chant de la neige... moment divin ! Bises, merci Tania, c'est peut-être simplement au lecteur de réfléchir à partir de ce livre, c'est un point de départ, un début de chemin, à nous d'écrire une suite qui deviendra NOTRE silence, pourvoyeur de richesses. brigitte

  • Quel beau titre et quelle belle idée ! Dommage que le résultat ne soit pas tout à fait à leur hauteur. Faire silence quoi de mieux ? Le silence de la lecture...merveilleux !

  • je crois qu'il conclut un peu rapidement quand il dit qu'"Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les randonneurs, les moines, des amoureux contemplatifs, des écrivains et des adeptes de la méditation à savoir écouter le silence..." ou alors tous ceux qui ont mis en commentaire ci-dessus à quel point ils aiment le silence - tout comme moi - feraient parie d'une de ces rares catégories ;-)

  • @ Annie : C'est en historien que l'auteur a cherché des réflexions sur le silence dans les siècles passés, comme l'indique son titre. Merci d'y ajouter le silence de la lecture : ta remarque me rappelle la fameuse "Histoire de la lecture" d'Alberto Manguel qui m'a appris qu'avant la lecture silencieuse, jusqu'au Xe siècle environ, c'était la lecture à voix haute qui était la pratique courante en Occident.

    @ Adrienne : Il déclarait cela dans un entretien au Point, avec une certaine exagération, en effet. A moins que nous soyons des êtres rares, qui sait ? ;-)

  • Je me souvenais de ton billet, qui m'a poussée à emprunter ce livre à la bibliothèque. Tu as raison, il a le mérite d'ouvrir de belles et nombreuses pistes de lecture ou de relecture.

  • Un essai sur le silence aura-t-il pour vertu de nous le rendre ? D'abord (ré)apprendre soi-même à le faire, peut-être, pour réussir à l'apprécier : "savoir être son île déserte", expression que j'avais reprise de Erwin Kagge.

    Ici, l'été, fenêtres ouvertes, le charme des matins ou des soirs doux est rompu par les chiens du voisinage promenés ou restés seuls, et l'on doit renoncer à toute lecture sereine en terrasse. À quand des décibels rock dans le parc ?

  • @ Maïté/Aliénor : Bonne idée de s'y replonger de temps à autre.

    @ Christw : Il faut savoir s'arrêter, il est vrai, et le succès de la méditation illustre bien la force de ce besoin à notre époque.
    Je me souviens d'un chien dans l'appartement en dessous de celui où j'habitais, qui grattait si fort la porte quand il restait seul. Les aboiements intempestifs sont très gênants.

  • Je note vos bémols à toi et dominique, mais ce livre est dans ma (grosse) lAL et va y rester, sans se presser

  • @ Christw : J'ai lu son petit livre dont vous aviez parlé, juste après celui de Corbin, il va dans le même sens.

    @ Keisha : Il y a de bons passages et d'autres plus convenus, l'attente était peut-être trop forte.

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