Pour la Fête de l’Iris bruxellois, la semaine dernière, Schaerbeek organisait une promenade guidée sur l’Art nouveau autour de l’avenue Louis Bertrand. En haut de l’avenue, en face de l’église Saint-Servais, Geneviève Van Tichelen a commencé par présenter Privat Livemont (1861-1936), artiste schaerbeekois que l’exposition en cours à la maison Autrique, tout près de là, permet de redécouvrir. Il a eu quatre ateliers dans la commune.
A sa naissance, les terres agricoles de Schaerbeek servaient, avec celles de Saint-Gilles, de réserve potagère à la ville de Bruxelles. On y cultivait des chicons, on y cueillait des cerises, les récoltes étaient transportées à dos d’âne. Léopold II lança le projet de prolonger la ville vers l’extérieur, au-delà de la porte de Schaerbeek, et c’est ainsi que cette grande et large avenue a été tracée et le quartier de la vallée Josaphat construit dans les premières années du XXe siècle.
Vue vers l'église Saint-Servais (Collection Dexia-Banque-ARB-RBC) (Inventaire du patrimoine architectural)
De nombreux artistes s’y installent, attirés par des terrains peu chers et par la perspective de trouver une bonne clientèle, celle qui achète les maisons sélectionnées lors des concours d’architecture de la commune. La haute bourgeoisie enrichie par la révolution industrielle montre ainsi son intérêt pour la culture et ses grands moyens.
Au n° 19, par exemple, la maison dessinée en 1907 par le sculpteur Charles Temperman pour son propre compte, de style néogothique, a toute sa façade « en pierre blanche de Chevillon, rehaussée de pierre bleue », sur trois niveaux. La corniche et les lucarnes sont en bois. Le décor sculpté abonde : quatre visages entourés de rinceaux végétaux figurent les quatre saisons (détails en gros plan visibles à l’Inventaire du patrimoine).
La guide nous entraîne dans la rue de la Ruche pour nous montrer l’Ecole industrielle où Privat Livemont a enseigné le dessin et rencontré des architectes d’avant-garde comme Joseph Diongre et P. Saintenoy. Je vous ai déjà montré les belles façades d’Henri Jacobs côté rue Josaphat. Ici l’arrière de ce grand complexe scolaire ne manque pas d’allure avec ses sgraffites et ses courbes décoratives. L’intérieur des écoles, immense, contient aussi des merveilles. Livemont y est intervenu comme peintre-décorateur, notamment avec L’art décoratif, une toile de la collection communale exposée en ce moment à la maison Autrique.
Privat Livemont, L'art décoratif, collection communale de Schaerbeek
Au n° 38 de l’avenue Louis Bertrand, l’architecte schaerbeekois François Hemelsoet, qui a conçu des maisons dans tous les styles, selon la demande du client, propose un art nouveau assez géométrique avec des baies originales et variées. La porte d’entrée a hélas été changée et le grand sgraffite de Privat Livemont sous la corniche a disparu (photos anciennes à l’IPA).
Geneviève Van Tichelen nous fait remarquer l’éclectisme architectural de l’avenue et attire l’attention sur l’ancienne cure de 1850 aux grilles classées, sur le vase Bacchanale à l’emplacement de l’ancienne église, sur le Brusilia construit à la place de l’ancien Palais des Sports. Je ne m’y attarde pas, vous les ayant déjà présentés, de même que la superbe maison (Strauven) au 43, en attente d’une restauration urgente.
J’ai apprécié qu’elle commente aussi l’architecture des immeubles d’angle aux carrefours, moins spectaculaires, avant de nous conduire en face du n° 66. Derrière cette façade néo-baroque au pignon surmonté d’un grand aigle, Privat Livemont est intervenu pour peindre des « toiles en sanguine figurant des bambins » de style académique.
La guide nous emmène ensuite rue Laude pour admirer la belle maison bourgeoise de style éclectique signée Diongre, qui obtint la première place au Concours de façades de 1908-1909 organisé par la commune. L’architecte a fait appel à Privat Livemont pour les sgraffites (montrés ici). On y voit le profil de sa femme au-dessus de l’entrée, mais aussi, sous la corniche, deux têtes de béliers tenant des fleurs, symboles de fertilité, en guise de porte-bonheur.
Carte art nouveau by Schaerbeek 1030 Schaarbeek - Issuu (verso)
Notre promenade s’est terminée près de l’Hôtel communal, dans le quartier Colignon déjà présenté. Schaerbeek et l’art nouveau, c’est une belle histoire ! Les amoureux du patrimoine se pressent aux visites guidées. Dès le début du mois de juin, on pourra s’inscrire aux Estivales. Si vous préférez découvrir par vous-même, procurez-vous la carte de Schaerbeek Art nouveau ; comme celle dédiée à Privat Livemont, elle est gratuite.