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Peinture - Page 7

  • 365, peinture

    Encore Vincent Solheid.jpg« Un film de famille. Mon grand-père et mon grand frère
    remontent en courant, main dans la main, la petite
    route devant chez nous. Tout est blanc, enneigé.
    J’aime ce moment d’un autre temps.
    J’aime les voir se tirer l’un l’autre, presque dansant.
    […]
    365 est un recueil de peintures de cette première année
    passée sans lui, mon frère, l’aîné. »

    Vincent Solheid (°1968)

    ©  Vincent Solheid, '365', peinture (détail), 2015, acrylique sur toile

    Encore et encore. Rituels d’artistes, Maison des Arts, Schaerbeek
    > 05.05.2024

     

  • Un skieur

    « Un peintre suisse du monde d’hier, Cunio Amiet, avait représenté, au début du XXe siècle, un skieur dans un paysage de neige : un point dans une nappe blanche, jaune plus exactement, enfin couleur de chair puisque la neige est la peau du ciel équarrie sur la Terre.

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    Cunio Amiet, Paysage de neige, 1904, huile sur toile, 178,5 x 236,2 cm, Paris, Musée d’Orsay.

    Je voulais devenir ce personnage : une présence sans valeur dans un monde sans contours. Le voyage deviendrait un déplacement dépourvu de finalité, suspendu dans le monochrome. Ce serait l’action pure, parfaitement réduite à son seul accomplissement. Il y aurait la sueur, le silence et la trace. Les portes s’ouvriraient. J’entrerais dans le vierge, dilué. »

    Sylvain Tesson, Blanc (Le cinquième jour)

  • Rêves éveillés

    Graverol Rêve.jpg« Graverol s’apparente aux plus grandes que sont Leonora Carrington, Leonor Fini, Kay Sage, Toyen, Dorothea Tanning... Par le biais d’une technique aussi lisse que précise, Graverol bouleverse les perceptions du réel, initiant des sentiments répondant tant au domaine de l'étrange qu’à celui de la poésie. Elle avouera « mes toiles sont des rêves éveillés, des rêves conscients ». »

    Galerie Agnès Thiebault, Paris

    © Jane Graverol, "Rêve" (Fleur, œil et hippocampe), 1974, aquarelle et gouache, 36 x 48 cm,
    œuvre réalisée pour l'exposition, "Le Mariage du Ciel et de l'Enfer" à la Galerie Albert 1er en 1974

  • Jane Graverol

    Quand de temps à autre, assez rarement, je vois une peinture de Jane Graverol comme celle-ci, Le don de la Parole, qui figure au catalogue d’une vente aux enchères d’art belge aujourd’hui même, je me dis chaque fois que cette peintre associée au mouvement surréaliste est trop méconnue. Son nom vous est-il familier ?

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    © Jane Graverol, Le don de la parole, 1961, huile et velours sur panneau, 54 x 45 cm

    Interpréter une composition de ce genre est difficile : dans un parallélipipède lumineux entre deux pans de couleur sombre, une rose unique se dresse sur un rosier feuillu devant un paysage de montagne. On pourrait y voir une vue sur un jardin depuis une fenêtre, dans l’embrasure des rideaux. Trois gouttes d’eau ovales sont accrochées à ses pétales roses, onze gouttes rondes que ne relie aucun fil lui font comme un collier autour du cou. Le titre encourage une vision anthropomorphique :  la rose évoque-t-elle ici une femme aux boucles d’oreilles et collier de perles ?

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    Monographie de René de Solier

    L’ouverture des rideaux crée une sorte de faisceau lumineux, comme on éclaire une personne qui prend la parole sur scène devant un micro. (« Parole » et « perle », voilà qui me rappelle un poème de René-Guy Cadou.) Tout cela est ambigu : allusion au langage des fleurs – la rose est assurément chargée de connotations – ou à la féminité ? Qu’en pensez-vous ?

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    © Jane Graverol, Jeune femme assise, 1927

    Le Dictionnaire des peintres belges présente Jane Graverol (née à Bruxelles en 1905 et décédée à Fontainebleau en 1984) comme une artiste qui a réalisé des collages et des pastels pour des compositions « surréalistes et oniriques ». Elève de Montald et de Delville, elle a peint dans les années trente des paysages et des natures mortes. Elle a exposé ses œuvres dans diverses galeries bruxelloises, puis à Paris. Sur la Toile, j’ai trouvé ce portrait de jeunesse, Jeune femme assise, qui date de 1927, l’année de sa première exposition à Bruxelles.

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    © Jane Graverol, Le trait de lumière, 1959, huile sur isorel; 80 x 60 cm (Bonhams)

    Avant même sa rencontre avec Magritte et les surréalistes en 1949, sa peinture est « surréaliste ». Wikipedia résume dans sa biographie les rencontres, influences, mariages et liaisons de Jane Graverol. L’artiste est très active dans le monde artistique, créant Temps mêlés, une revue d’avant-garde, avec André Blavier en 1952, puis une autre, Les lèvres nues, avec Marcel Mariën et Paul Nougé en 1954. Dans La goutte d’eau, œuvre conservée à Liège (La Boverie), Graverol a représenté les principaux surréalistes belges. Elle aimait aussi l’art de Chirico.

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    © Jane Graverol, La goutte d'eau, 1964 (source)
    "Au sein de cet authentique portrait de famille, on reconnaît Marcel Mariën, Louis Scutenaire, René Magritte, Paul Nougé, Achille Chavée, Camille Goemans, André Souris, Paul Colinet, Marcel Lecomte, Irène Hamoir, E.L.T. Mesens, Geert van Bruaene.
    En haut de la toile, dominant l’assemblée, Graverol s’est autoportraiturée parmi ceux qui sont désormais ses pairs."
    (Extrait du catalogue du musée des Beaux-Arts de Liège) 

    « Où sont les femmes au musée ? » Dans La Libre du 1er décembre, Aurore Vaucelle reprend le titre d’une exposition en cours au Palais des Beaux-Arts de Lille, une « enquête sur les artistes femmes du musée » qui part d’un constat : sur 3000 œuvres exposées, 12 sont signées par des femmes. Dans l’ensemble des collections du Palais, 135 sur 60000, soit 0,25 %.

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    © Jane Graverol, Lolita, 1960, huile sur unalit, 32,5 x 40 cm; 
    Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : J. Geleyns - Art Photography

    Le XXIe siècle se montre tout de même plus encourageant envers les femmes artistes, même si je me souviens de la mise en garde de Siri Hustvedt sur le machisme du marché de l’art dans son magnifique roman Un monde flamboyant. En 2017, le centre d’art du Rouge Cloître a consacré une exposition à Jane Graverol, hélas manquée. Grâce au legs d’Irène Hamoir en 1996 – avec son mari, Louis Scutenaire, elle fréquentait le groupe surréaliste bruxellois –, les Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles possèdent quelques œuvres de Graverol, dont une Lolita aux cheveux noués par un étonnant papillon.

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    © Jane Graverol, Nu dans les rochers

    En 1959, l’artiste peint à l’huile Le trait de lumière (ill. 4), une de ses toiles proches de l’univers de Magritte : une découpe en forme de silhouette féminine entre des rochers évoque un paysage marin au couchant. Dans L’Esprit saint (1964), au titre impertinent,  la peintre joue encore plus audacieusement sur la rencontre de deux espaces contraires, l’intérieur et l’extérieur. La chute de Babylone, un collage de 1967, reprend le même procédé.

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    © Jane Graverol, L’École de la Vanité, 1967. Photo: Renaud Schrobiltgen (source : Historiek)

    A la Biennale de Venise de 2022, on pouvait voir L’Ecole de la Vanité (1967) de Jane Graverol, « entrelacement de mythologie et de technologie », « une figure féminine qui peut modeler son propre destin en transformant les parties de son corps en armes d’émancipation sociale », selon Stefano Mudu. Remarquez que cette sphinge tient une rose entre ses pattes. Eliane Van den Ende a commenté cette peinture sur le site Historiek. Enfin, cette année, le musée de Montmartre a choisi Le sacre du printemps de Jane Graverol pour l’affiche de son exposition « Surréalisme au féminin ? »

  • Grand Hotel Europa

    Grand Hotel Europa (sic, 2018) est le premier titre traduit en français (par Françoise Antoine) d’Ilja Leonard Pfeijffer (°1968). Cet écrivain néerlandais a beaucoup publié, dans divers genres, et a été souvent primé. Si son livre raconte une histoire d’amour pour une femme, vécue en grande partie à Venise, mêlée à une enquête sur Le Caravage, Grand Hotel Europa est aussi une réflexion sur le tourisme à notre époque, sur l’Europe, avec des pages pamphlétaires.

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    Place Saint-Marc, le 8 juin 2019 © Miguel Medina (Slate.fr)

    Le groom Abdul, « un jeune Noir maigre, vêtu de la nostalgique livrée rouge », est le premier personnage nommé dans cette histoire qui se déroule en alternance au Grand Hotel Europa où réside l’écrivain (ou le narrateur qui porte son nom) et à Venise, la ville où il a vécu avec Clio, historienne de l’art. M. Montebello, le majordome, heureux d’accueillir un nouvel hôte sensible au charme des décors anciens, lui confie son inquiétude quant aux changements que ne manquera pas d’y apporter le nouveau propriétaire chinois, pour attirer davantage de clients. L’écrivain trouve sa suite « parfaite, non parce que c’était une chambre d’hôtel parfaite, mais justement parce qu’elle ne l’était pas. »

    « Il n’est de plus belle ville que Venise pour retrouver un être cher qui vous attend. » Ilja s’est occupé de rendre leurs anciens logements à Gênes, Clio d’aménager leur nouvelle demeure. Dans le train, il a mémorisé l’itinéraire pour atteindre la calle nuova Sant’Agnese et en chemin, s’imprègne de l’atmosphère dorée de la ville. Sa bien-aimée l’attend dans une tenue élégante (robe, escarpins et boucles d’oreilles de marques citées par l’auteur, comme il le fera pour ses propres vêtements – placement de marque ?), prête à fêter son arrivée.

    Au Grand Hotel Europa, où l’écrivain rédige leur histoire (comme il avait promis de le faire quand elle serait finie), il rencontre d’autres résidents (un grand Grec, une poétesse française, un vieil érudit qui aime discuter de littérature, entre autres) et cherche en vain la chambre où l’ancienne propriétaire, une très vieille dame, vit entourée de livres et d’œuvres d’art ; elle n’a de contacts qu’avec le majordome.

    C’est à Gênes (où vit l’auteur) qu’Ilja a rencontré Clio. Elle travaillait, faute de mieux, pour une maison de vente aux enchères et déplorait que son pays soit devenu « une maison de repos pour vieux en phase de décomposition », « un beau jardin ensoleillé », « un pays sans avenir ». Ravie de rencontrer un poète, elle parlait beaucoup. Dès le premier soir chez lui, c’est elle qui a mené la danse et l’a surpris en sortant nue de la salle de bains, « statue de la Renaissance », « Daphné convoitée par Apollon », « Diane surprise au bain », telle une déesse grecque. Quand sa muse accepte un nouvel emploi plus intéressant à Venise, son amoureux décide de déménager pour y vivre avec elle.

    Clio est si élégante qu’Ilja se rhabille dans les meilleures boutiques tant il est fier, lui qui a quelques kilos à perdre, de s’afficher « avec une telle splendeur » à ses côtés. L’historienne connaît très bien l’art ancien. Devant ses opinions tranchées et son tempérament « volcanique », l’écrivain apprend à mesurer ses propos. Au Palazzo Bianco de Gênes, où ils étaient allés un jour admirer le célèbre Ecce homo du Caravage, Clio l’avait jugé « trop explicitement dans le style du Caravage pour être un Caravage ».

    Ainsi a commencé un jeu qu’ils vont pratiquer ensemble tout du long : rechercher sa dernière œuvre présumée, dont on a perdu la trace, grâce aux indices récoltés par Clio, spécialiste de Caravaggio. Quand Ilja a rendu visite à sa mère, une marquise, dans son palais génois plein d’œuvres d’art dont un authentique Caravage, Clio lui a expliqué avoir grandi « avec la tâche de perpétuer le passé ». Ses études l’y ont encore enlisée davantage. Elle déplore pourtant que « l’Europe se vautre dans la nostalgie ».

    Ilja Pfeijffer reprend les cinq critères par lesquels George Steiner a défini « l’idée d’Europe » : l’omniprésence de cafés, la nature domestiquée et accessible, la saturation par sa propre histoire, une civilisation née à Athènes et à Jérusalem, la conscience de son propre déclin. Leitmotiv de Grand Hotel Europa, l’identité européenne est parfaitement illustrée par l’Italie ou par Venise, vidée de ses habitants pour accueillir des vacanciers du monde entier. Pour l’auteur, l’Europe, c’est son passé, livré à l’exploitation commerciale.

    Ce récit « brillant », d’une érudition formidable, développe de nombreux thèmes : l’amour des villes anciennes et la critique très documentée du tourisme de masse et d’Airbnb ; la distinction, moins simple qu’il n’y paraît, entre le voyageur et le touriste, entre l’authentique et le faux ; la recherche de la distinction et le mépris des foules ; un dandysme qui frôle le cynisme et la mauvaise foi ; le sentiment amoureux et le rapport de force, avec des scènes de sexe crûment décrites ; l’égoïsme et l’empathie. Et bien sûr, la littérature, le rapport au temps, le charme des rencontres, la passion de l’art. Etonnant, inclassable, tout sauf politiquement correct.