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Peinture - Page 24

  • A la Brafa 2020

    La presse internationale traite la BRAFA de « petite sœur » de la TEFAF, la Foire des antiquaires de Belgique monte en grade depuis quelques années. On y voit, on y vend de très belles choses de qualité irréprochable (l’annonce d’une « saisie conservatoire d’une trentaine d’objets archéologiques et d’art » chez quatre exposants par l’inspection économique a jeté un froid, affaire (de provenance ?) à suivre). Cette année, l’invité d’honneur est devant la porte : cinq éléments du Mur de Berlin sont mis en vente aux enchères au profit d’associations caritatives et du Musée Art & Histoire au Cinquantenaire.

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    Brafa 2020

    Les rubans multicolores de la luxueuse moquette 2020 invitent à flâner dans les allées en se laissant attirer à gauche, à droite : 133 galeries y participent, dont 60 % de galeries étrangères. Je ne vous montrerai qu’une infime partie de ce que j’y ai admiré. D’abord, cette toile charmante de Van Dongen à l’entrée d’une galerie londonienne, où le peintre mondain a représenté sa fille. Plus loin, un petit cheval grec en terre cuite blanchie – dire qu’il date, malgré son matériau fragile, du troisième siècle avant J.-C. !

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    © Kees Van Dongen, L’ânier de Scheveningen, huile sur toile, 1912 (Omer Tiroche Gallery)

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    Cheval, Grande Grèce, 3e siècle avant J.-C.

    Les peintres belges sont mis à l’honneur à Bruxelles et j’ai aimé, chez deux exposants différents, ces paysages de Degouve de Nuncques, un peintre symboliste dont je vous ai déjà parlé. Ce crépuscule sur les étangs de Boisfort est proposé par une galerie néerlandaise (sur son site, vous trouverez d’autres peintures de lui et aussi un Intérieur de Jan Toorop, une nature morte de fleurs et de fruits signée Léon De Smet qui m’ont retenue un moment). Paysage enneigé aux oiseaux, lumineux et graphique, vient également des Pays-Bas. (Il faudra, bien sûr, que je vous parle d’un formidable ensemble d’un autre Belge fameux, j’y consacrerai mon prochain billet.)

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    William Degouve de Nuncques (1867-1935), Etang de Boitsfort, 1908,
    huile sur carton marouflée sur toile, 52 x 77 cm (Studio 2000 Art Gallery)

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    William Degouve de Nuncques (1867-1935), Paysage de neige avec oiseaux, 1918,
    huile sur toile, 49 x 60 cm (Rueb Modern and Contemporary Art, Amsterdam)

    Du côté des bronzes, voici deux sculptures très différentes. Tête de dieu fleuve, une « étude pour Le passage du Rhin », est signée Aimé Jules Dalou (dont Rodin a sculpté le buste) : expressivité, belle patine « verte et noire nuancée à l’antique » – vous en trouverez l’analyse bien documentée sur le site de la galerie Alexis Bordes. Quel contraste avec Les dormeurs de Georges Jeanclos, un artiste dont j’avais découvert à Lille la singularité émouvante. (Jeune femme endormie, un petit Bonnard de toute beauté, est visible à la galerie Pentcheff de Marseille.)

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    Aimé-Jules Dalou (1838-1902), Tête de dieu fleuve, vers 1906,
    fonte à cire perdue, H. 42, L. 25, P. 20 cm (Galerie Alexis Bordes)

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    © Georges Jeanclos, Les dormeurs, sans date,
    fonte à cire perdue, 20 x 50 x 34 cm (Galerie Patrice Trigano)

    Une galerie parisienne expose Devant la fenêtre du quai d’Anjou, une œuvre sur papier de Marc Chagall. La galerie Boulakia, également à Paris, pour qui Chagall est « Celui qui dit les choses sans rien dire… », présente une peinture à l’huile antérieure, Village noir et ciel rouge, réminiscence du shtetl natal où un cheval bleu tire une carriole. Une nature morte à l’avant-plan, avec un bouquet de fleurs – fenêtre et fleurs sont des motifs de prédilection dans son œuvre.

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    © Marc Chagall, Devant la fenêtre du quai d’Anjou, lavis d’encre de Chine,
    encre, crayons de couleur, pastel, crayon noir et gouache sur papier, 1962 (Galerie des Modernes)

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    © Marc Chagall, Village noir au ciel rouge, 1951, huile sur toile, 75 x 64 cm (Galerie Boulakia)

    Les peintures voyagent, les peintres aussi. D’Eugène Boudin, une petite vue de Venise a tout pour séduire. Une galerie londonienne expose une Vue de Paris signée Jean Dufy (frère de Raoul Dufy) : la Seine et ses ponts, le pont Alexandre III vers le Grand et le Petit Palais entourés de verdure, la claire place de la Concorde, la Madeleine, le Sacré-Cœur… Etonnante, non ? Remarquez que cette peinture provient de Chicago puis d’une collection privée.

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    Eugène Boudin, Venise, Le Mole à l’entrée du grand canal et la Salute, 1895,
    huile sur toile, 28,5 x 41,5 cm (Galerie de la Présidence)

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    © Jean Dufy, Vue de Paris, sans date, huile sur toile, 51 x 66 cm (Willow Gallery)

    Il vous reste un peu de curiosité ou de patience ? L’or poudroie sur un vase art déco de Camille Fauré aux couleurs nacrées, présenté par la galerie Cento Anni (Sablon) qui en propose plusieurs autres sur son site. Camille Fauré (1874-1956) avait un atelier spécialisé dans l’émaillage d’art. Enfin, de notre cher Léon Spilliaert, voici deux vues hivernales très bien encadrées ; ces aquarelles datent de 1915 et ont été exposées l’an dernier à la SpilliaertHuis d’Ostende. L’art de transformer le paysage en jardin zen. 

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    Camille Fauré, Vase Primerose, vers 1930,
    H. 30 cm (Cento Anni)

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    Léon Spilliaert, Dessins d’hiver, aquarelle, 24 x 24, 26 x 26, 1915 (Francis Maere)

     

  • Baya

    A côté des grands noms de l’art du XXe siècle qui reviennent dans les mémoires d’Adrien Maeght, on rencontre d’autres artistes moins connus, comme Baya.

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    Adrien Maeght, Dans la lumière des peintres

    © Mahieddine BAYA (1931-1998), Femme-Oiseaux, 1978, gouache sur papier

  • Les Maeght et l'art

    Sur la couverture des mémoires d’Adrien Maeght, Dans la lumière des peintres, figure le bassin aux poissons de Georges Braque à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence. L’inauguration en 1964 de celle-ci, créée par ses parents, Marguerite et Aimé Maeght, est le premier souvenir raconté en préambule, un grand événement vécu dans le bonheur et la mélancolie. Il y manquait son petit frère Bernard, mort à onze ans de la leucémie : «  Cette Fondation, mes parents l’ont bâtie un peu pour lui, un peu pour eux, un peu pour la grande famille Maeght, et surtout pour les artistes. »

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    « Une vie avec Bonnard, Matisse, Miro, Chagall… » Bonnard, chez qui le petit Adrien a accompagné sa mère au début de la guerre, Matisse « retrouvé aux heures les plus noires de l’occupation nazie et qui donna un élan vital à l’aventure de [ses] parents », Braque enfin, « l’ami inestimable », ce sont les trois « géants » qui avec eux l’ont guidé dans sa vie « d’enfant, d’adolescent puis de jeune homme ». En 1964, Adrien Maeght et Paule avaient trois filles, leur fils Jules naîtra quatre ans plus tard.

    Dans la lumière des peintres, c’est d’abord l’histoire de son père Aimé, né en 1906, fils d’un cheminot du Nord tué en 1914. Il a hérité par certains ancêtres d’une solide culture technique, par d’autres d’une sensibilité artistique, de fortes personnalités : Adrien M. y voit la source des talents multiples d’Aimé Maeght – « une part de génie, une part de folie. Un caractère tout sauf tranquille. »

    La grande guerre obligea sa grand-mère Marthe, après bien des péripéties, à se réfugier avec ses quatre enfants chez un paysan à Lasalle. Veuve, elle finira par l’épouser. Aimé, l’aîné, obtient à Nîmes, où il suit aussi des cours aux beaux-arts, un diplôme de « dessinateur-lithographe-lettriste » puis est engagé dans une imprimerie de Cannes. Il s’habille avec soin – « un bel homme, élégant, grand pour l’époque » – et s’inscrit dans une chorale.

    C’est en y allant qu’il rencontre Marguerite Devaye, épousée en 1928. Adrien M., né en 1930, porte le prénom du fils trop tôt disparu de son arrière-grand-père qui sillonnait les mers au profit de l’épicerie de gros familiale. Sa mère, Marguerite, a hérité « du sens du commerce » et avait décidé à dix ans d’arrêter l’école pour travailler. Son savoir-faire compte « pour beaucoup dans la réussite Maeght ».

    Aimé Maeght rencontre pour la première fois Pierre Bonnard à l’imprimerie où celui-ci apprécie son travail. De son côté, sa mère s’ennuie depuis qu’Adrien va à l’école et rachète un bail au 10, rue des Belges, vend des postes de radio. Son père va y continuer ses créations publicitaires et nomme la future galerie « Arte » pour « Arts et techniques graphiques ». Il déborde d’idées, conçoit du mobilier à vendre, dirige le club de football et édite son journal Allez Cannes. Dans l’arrière-boutique où ils vivent, Adrien est forcément « happé » par leurs activités. Il adore qu’on lui confie de petites tâches à l’imprimerie de son oncle.

    Puis survient, avec la seconde guerre mondiale, une « invraisemblable succession de hasards » : son père est mobilisé en juin 1939. A Toulon, on lui fait imprimer le bulletin quotidien de la place militaire. A la rue des Belges, la vente des radios est interrompue, le stock de meubles diminue. Un peu avant, le peintre cannois Louis Pastour avait confié quelques tableaux à Aimé Maeght pour en tirer des lithographies ; vu la guerre, Pastour propose à sa mère de les porter à vendre chez un antiquaire, mais celle-ci réagit au quart de tour : elle veut bien les vendre elle-même.

    Les toiles trouvent vite des acquéreurs et Marguerite en obtient de bons prix. La veuve d’Henri Lebasque a remarqué des tableaux en vitrine et souhaite vendre des tableaux restés dans l’atelier. Adrien accompagne sa mère et entre pour la première fois dans l’antre d’un artiste. C’est Mme Lebasque qui signale qu’un « ami peintre » de son mari serait heureux de leur confier un ou deux tableaux à vendre. Adrien se souvient de leur visite chez Bonnard, 73 ans, qui confie une petite nature morte à sa mère éberluée du prix qu’il en demande et qu’elle en obtiendra sans problème.

    Ainsi commence le fameux compagnonnage des peintres et des Maeght, vécu de près par Adrien. Bonnard emmena son père chez Matisse et en 1943, la première exposition, « Maîtres modernes », indique clairement la vocation des Maeght pour l’art contemporain, au gré des rencontres et des amitiés nouées. La relation entre Aimé et Adrien est difficile, parfois conflictuelle. Si Dans la lumière des peintres retrace une extraordinaire aventure artistique et commerciale, celle de la galerie Maeght et celle de leur Fondation, la vie de famille y est évoquée sans tabou à propos des différends et des rivalités, y compris les conflits de succession.

    Après avoir collaboré avec ses parents, Adrien Maeght développera ses propres activités, non sans mal. Il préside la Fondation Maeght depuis 1982. Ses mémoires passionnants témoignent d’une entreprise familiale peu commune et surtout offrent un regard très humain sur les grands artistes qui leur ont fait confiance.

  • Ecriture d'images

    peter handke,la leçon de la sainte-victoire,essai,littérature allemande,peinture,cézanne,écriture,paysage,aix-en-provence,culture« Cézanne, prié un jour de décrire ce qu’il entendait par « motif », rapprocha « très lentement » les doigts écartés des deux mains, les plia et les croisa. Lorsque je lus cela, je me rappelai qu’à la vue du tableau, les pins et les blocs de rochers m’étaient apparus en caractères d’écriture entremêlés, aussi nets qu’indéfinissables. Dans une lettre de Cézanne je lus qu’il ne peignait nullement « d’après la nature » – et je le compris par la toile elle-même : les objets, pins et rochers s’étaient entrecroisés en une écriture d’images sur la simple surface, en cet instant historique – fin désormais de l’illusion d’espace, – mais c’était en leur lieu même (« au-dessus de Château noir ») tel qu’il rendait obligatoires couleurs et formes, ils s’étaient entrecroisés en une écriture d’images cohérente, unique dans l’histoire de l’humanité. »

    Peter Handke, La leçon de la Sainte-Victoire

    Paul Cézanne, Rochers près des grottes au-dessus du Château-Noir, vers 1904, Paris, Musée d’Orsay

  • Handke avec Cézanne

    Peter Handke a reçu le prix Nobel de littérature en 2019. La leçon de la Sainte-Victoire (« écrit en hiver et au printemps 1980, à Salzbourg ») se situe à mi-chemin entre deux livres courts gardés dans ma bibliothèque – Le Malheur indifférent (écrit après le suicide de sa mère en 1971), La femme gauchère (une femme qui quitte son mari et son fils sans explication) – et un autre de sept cents pages, « le grand livre de Peter Handke » selon l’éditeur, Mon année dans la baie de Personne (1994), à relire.

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    Paul Cézanne, La Montagne Sainte-Victoire au grand pin et la Bastide Vieille II, vers 1887,
    66 x 90 cm R599 FWN235 (Société Paul Cézanne

    La leçon de la Sainte-Victoire (traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmidt) est un essai d’une centaine de pages, judicieusement offert par quelqu’un qui m’a souvent encouragée à mettre mes pas dans ceux de Cézanne à partir d’Aix, ce que je ferai un jour – je l’en remercie. Handke l’introduit par cette phrase : « Revenu en Europe, il me fallut l’Ecriture quotidienne et je lus beaucoup de choses d’un œil neuf. » Notamment, Cristal de roche de Stifter.

    Un jour, en se promenant, il s’est senti chez lui « dans les couleurs », heureux – « un instant d’éternité » : « Les buissons : du genêt jaune, les arbres : des pins isolés, bruns, les nuages : bleuâtres à travers la brume, le ciel (comme Stifter pouvait encore si tranquillement le mettre dans ses récits) était bleu. Je m’étais arrêté sur une colline de la route Paul-Cézanne qui, d’Aix-en-Provence, mène vers l’est jusqu’au Tholonet. »

    Handke a toujours éprouvé des difficultés à distinguer et identifier les couleurs, bien qu’il ne soit pas daltonien au sens propre. Dans sa famille, on s’amusait même à les lui faire dire. « Parfois mes couleurs, je les vois, et ce sont les bonnes. » Ce n’est pas une digression que ces notes sur les couleurs, qui prolongent sa lecture des récits de Stifter.

    Et voici Cézanne, se faisant remplacer pendant la guerre de 1870-1871 et la passant à peindre dans un petit village de pêcheurs près de Marseille : l’Estaque. C’est à lui que Peter Handke doit de s’être trouvé « entouré de couleurs » sur cette colline. Ayant grandi « dans un milieu de petits paysans où il n’y avait d’images, pour ainsi dire, qu’à l’église ou sur les reposoirs », il ne les regardait pas vraiment et manquait de gratitude envers « les peintres de tableaux ».

    Attiré par les paysages, Handke observe que Cézanne, avec le temps, a cherché « la « réalisation » de l’innocence et de la pureté terrestres : la pomme, le rocher, un visage humain. La réalité, c’est donc l’accès à la forme et celle-ci n’est pas regret de ce qui est anéanti par les alternances de l’histoire, mais elle transmet, dans la paix, ce qui est. – Dans l’art, il ne s’agit de rien d’autre. Or cela même qui fait sentir la vie fait problème quand on veut le transmettre. »

    Souvenirs de voyages jusqu’à la côte méditerranéenne avec « la femme » qui lui a appris le nom des pins parasols, associés à sa « joie à exister ». De cyprès sombres, un été en Yougoslavie. Quête d’images « magiques » qui le réconcilient avec l’écriture. Handke mêle ses propres fluctuations au commentaire de tableaux de Cézanne. En premier, Le Grand Pin.

    « Le grand pin figure encore sur d’autres tableaux mais plus jamais ainsi, pour lui-même. Sur l’un d’eux (il s’y trouve une signature) [illustration du billet], sa plus grande branche basse fait, pour ainsi dire, signe jusqu’au cœur du paysage et forme, avec les branches d’un pin voisin, l’arc d’un portail ouvert sur le lointain où s’étend, dans les couleurs claires du ciel, le massif de la Sainte-Victoire. »

    L’essai, centré sur cette montagne qu’à sa suite, Peter Handke a voulu parcourir de tous côtés, dérive au gré de ses pensées vers d’autres peintres (Hopper, Courbet, entre autres). « C’est au cours d’une exposition, au printemps de 1978, que les tableaux de Cézanne m’apparurent comme ces objets du commencement et je fus pris de l’envie d’étudier, comme cela ne m’était arrivé que devant les suites de phrases de Flaubert. »

    Regards de Handke sur Cézanne peignant la Sainte-Victoire – « la colline aux couleurs » –, les arbres, parfois des gens. Comme l’évocation d’un peintre appelle d’autres peintres, une promenade en montagne en rappelle d’autres. L’écrivain met des mots sur ses pas, décrit, raconte, cherche à dépeindre l’effet que produisent une vue, une lumière, la marche même, qui ramène souvent à soi, dans le soliloque de la pensée.

    Il y retournera en automne, accompagné de D. qui « fait des robes à Paris » et rêve de réussir « le manteau des manteaux ». Décidé à laisser dans sa « leçon » une vue d’ensemble, Handke l’interroge sur sa manière de faire, cherche une structure, fait sienne sa phrase : « La transition, pour moi, doit séparer clairement et être à la fois dans l’un et dans l’autre. » La leçon de la Sainte-Victoire se termine dans un musée de Vienne, en regardant La Grande Forêt de Jacob van Ruysdael.

    * * *

    (Une remarque sur ce petit livre de la collection Arcades chez Gallimard : on attend mieux de cet éditeur qu’une impression où l’ajustement a fait onduler le texte sur la page, varier la taille des caractères. Cela ne saute pas aux yeux, une affaire de demi-millimètre, mais je me suis demandé si j’avais un problème de vue et cela m’a gênée tout au long de cette lecture.)