Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Peinture - Page 23

  • Forêt imaginaire

    ue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture« Léon Spilliaert n’a pas eu que l’obsession du vide (du vide métaphysique ?), il a aussi eu celle des arbres. Il en a peint, dessiné et lithographié des centaines, des milliers. Je verrais bien une rétrospective où ils seraient tous réunis et qui pourrait constituer une gigantesque forêt imaginaire sans doute unique dans l’histoire de l’art. »

    Jean-Baptiste Baronian, Dictionnaire amoureux de la Belgique

     

    Léon Spilliaert, Maison au crépuscule, 1921, Collection particulière
    (Gouache, huile sur carton, 740 x 490 mm)

  • Spilliaert aux MRBAB

    « L’inclassable et mystérieux Spilliaert » titrait La Libre le 13 mars dernier pour présenter l’exposition de la Royal Academy à Londres, prévue ensuite au Musée d’Orsay à partir du 15 juin prochain. Puisque le chemin des expositions nous est actuellement défendu, voici le premier catalogue que je rouvre ici pour vous, celui de la rétrospective « Léon Spilliaert, Un esprit libre » aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) à Bruxelles, en 2006-2007.

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    En couverture du catalogue de 2006 (nl) : Spilliaert, Baigneuse, 1910, Bruxelles, MRBAB
    (Encre de Chine, pinceau, pastel sur papier, 649 x 504 mm)

    En 1925, Spilliaert (1881-1946) répond à un questionnaire : « Mon activité favorite : la promenade. Mon idée du bonheur : vivre dans les dunes. L’endroit où je voudrais habiter : les dunes entre Nieuport et La Panne. » Il nous a laissé une œuvre picturale d’une « grande diversité de style, de contenu et d’esprit » et de nombreux dessins d’illustration « en étroite relation avec la littérature », souligne Anne Adriaens-Pannier, la spécialiste du peintre d’Ostende et de la côte (pour toutes les citations).

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Boîtes devant une glace, 1904
    (Pastel, fusain sur papier, 585 x 401 mm), MRBA, Bruxelles

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Autoportrait à la lune, 1908, MRBAB, Bruxelles
    (Encre de Chine, lavis, pinceau, plume, crayon de couleur sur papier, 488 x 630 mm)

    « Spilliaert demeure libre de toute éducation théorique ou historique, et se construit en autodidacte un vocabulaire d’images tout à fait personnel, rebelle à tous les exemples d’un académisme traditionnel. » Sa période considérée comme la plus créative va de 1899 à 1912, mais jusqu’en 1946, il a peint « avec une inlassable ardeur », tout en se tenant au courant des courants littéraires, artistiques et philosophiques. Il se rendait régulièrement à Bruxelles et à Paris.

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Deux novembre. Feuilles blanches, 1908
    (Lavis d'encre de Chine, pinceau, crayon de couleur sur papier, 499 x 650 mm), Gand, MSK.
    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, La princesse Maleine, 1910 (Collection particulière)
    (Encre de Chine, lavis, pinceau, craie blanche sur papier, 63 x 48 cm)

    Il commence à créer quand le symbolisme domine encore, avec « l’arsenal du dessinateur » : encre de Chine, pinceau ou plume, crayon de couleur, aquarelle. Déjà la manière dont il illustre deux recueils poétiques de Verhaeren, puis les trois volumes du Théâtre de Maeterlinck, témoigne de son originalité. De 1904 à 1909, il explore son environnement quotidien et se confronte à sa propre image, dans une série d’autoportraits.

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, La verrière; 1909, Collection particulière
    (Encre de Chine, lavis, pinceau, crayon de couleur sur papier, 645 x 505 mm) spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Printemps, 1911, MRBAB, Bruxelles
    (Encre de Chine, gouache, pastel sur carton,701 x 891 mm)

    Puis il se détourne de l’introspection pour décrire la société qui l’entoure : femmes de pêcheurs, vues d’Ostende, de la digue, baigneuses, dirigeable... « Il est toujours à la recherche de l’universel qui se cache derrière l’accidentel ». Ses compositions évoluent vers « une abstraction simplifiée », un renouveau formel non reconnu par ses contemporains.

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Le nuage, 1902, Collection particulière
    (Crayon, encre de Chine, lavis, pinceau sur papier, 253 x 372 mm)

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, La buveuse d'absinthe, 1907, Fondation Roi Baudouin
    (Encre de Chine, pinceau, gouache, aquarelle, craie de couleur sur papier, 105 x 77 cm) 

    A partir de 1912, Spilliaert vit une succession d’expériences diverses : on le reconnaît dans le milieu artistique – il expose –, il se fait des amis, supporte difficilement la première guerre mondiale, se marie et s’installe près de Bruxelles, devient père. Moins angoissé, apaisé par le mariage et la vie du foyer, il réalise des lithographies et continue son travail d’illustrateur. Il peint un autre genre de femmes, d’élégantes citadines.

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, La dame dans le train, La veuve, 1908, MRBAB, Bruxelles
    (Encre de Chine, lavis, encre brune, pinceau, crayon de couleur sur papier, 518 x 415 mm)
    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Hindoustan, 1920, Collection particulière 
    (Crayon, aquarelle, encre de Chine, pinceau sur papier, 470 x 599 mm)

    En 1922, il retourne à Ostende. En plus du dessin et de l’aquarelle, il découvre la gouache et « explore la légèreté de fantaisies orientées vers la mer et vers les paysages imaginaires ». Créant des effets picturaux surprenants, il réalise aussi des portraits d’amis « qui trahissent une pénétrante connaissance de la psychologie du modèle ».

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Paysage d'hiver au lierre, 1915, Musée des Beaux-Arts, Gand 
    (Crayon, aquarelle, gouache sur papier, 285 x 237 mm)spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Arbre derrière un mur, 1936, Collection Johan A. H. van Rossum
    (Aquarelle, gouache, encre de Chine, plume sur papier, 350 x 520 mm)

    Après 1928, sa quête spirituelle personnelle prend le dessus, nourrie de son expérience de la musique et de la poésie. La dernière période de son œuvre, considérée comme moins puissante, fait écho à ses nombreuses promenades dans les bois, les parcs. La nature l’inspire, il peint beaucoup les arbres. Il me semble qu’on regarde ces paysages d’un œil neuf aujourd’hui, je leur trouve un grand charme dans leur stylisation, leur simplicité apparente.

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Retour du bain, 1908, Collection particulière
    (Aquarelle, pastel, crayon de couleur, encre de Chine, pinceau sur papier, 520 x 420 mm)
    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Jeune homme à l'écharpe rouge, 1908, Collection particulière
    (Encre de Chine, lavis, pinceau, aquarelle, gouache, crayon de couleur, peinture argentée sur papier,
    502 x 652 mm)

    Pour ma part, si je suis fascinée par l’atmosphère puissante et souvent étrange des œuvres de Spilliaert, qui culmine dans des encres très sombres et spectaculaires, dans ses nocturnes, j’aime beaucoup la façon singulière dont il a peint dans ses marines les jeux du sable et de la mer, de l’eau et du ciel qui s’interpénètrent ou se confondent. (Taf Wallet , peut-être influencé par Spilliaert, a su montrer cela aussi, d’une autre manière.)

    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,cultureLéon Spilliaert, Marine jaune et mauve, 1923, MRBAB, Bruxelles
    (Aquarelle, gouache, pastel sur papier, 523 x 601 mm)
    spilliaert,exposition,catalogue,2006,bruxelles,mrbab,art,peinture,culture
    Léon Spilliaert, Marine bleue et jaune, 1934, Collection Johan A. H. van Rossum
    (Aquarelle, gouache sur papier, 493 x 683 mm)

    J’espère qu’après Londres, on pourra faire plus ample connaissance avec ce peintre belge très original et si personnel à Paris, l’été prochain, comme prévu. Sinon, bienvenue dans nos musées quand ils rouvriront. On peut admirer un très bel ensemble de Spilliaert dans les collections permanentes des MRBAB à Bruxelles et, à Ostende, au Mu.Zee (où il partage un espace privilégié avec Ensor) et à la Spilliaert Huis.

  • L'histoire du jaune

    Au Musée de l’Orangerie : quel côté préférez-vous ? demande mon professeur de français à ses élèves de rhéto dans les salles des Nymphéas de Monet. « Celui-là, lui dis-je alors, en montrant Soleil couchant. – Vous aimez ce jaune ? » Des années plus tard, J., devenue une amie, m’enverra L’atelier au mimosa de Bonnard sur carte postale – puisque j’aime le jaune.

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture

    Aussi étais-je curieuse de découvrir Jaune. Histoire d’une couleur de Michel Pastoureau. D’après Bleu, Noir, Vert, Rouge et Les couleurs de nos souvenirs, je savais déjà que le jaune est en bas de classement chez les Occidentaux interrogés sur leur couleur préférée (moins de 5%). J’ignorais comment le jaune avait pris des connotations négatives en Europe, associé à la trahison ou à l’exclusion, comme l’étoile jaune de sinistre mémoire.

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    Paul Klee, Monument en pays fertile, 1929. Berne, Zentrum Paul Klee

    La couverture de l’album est d’un jaune difficile à nommer, disons ocre ; le titre et le nom de l’auteur, dorés. Dès l’introduction, Pastoureau précise que « l’or occupe bien souvent une grande partie de la place réservée à la couleur jaune » tandis que « le jaune, lui, semble jouer à cache-cache avec le chercheur ». Son histoire se décline en trois temps : une couleur bénéfique (des origines au XVe siècle), une couleur équivoque (VIe-XVe siècle), une couleur mal aimée (XVIe-XXIe siècle). En épigraphe, une citation de Goethe : « Le jaune est une couleur agréable, douce et joyeuse, mais placée dans l’ombre elle devient vite déplaisante, et le moindre mélange la rend sale, triste, laide et de peu d’intérêt. »

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    Peinture murale représentant les travaux des champs. Deir-el-Médineh (Egypte),
    tombe de l'artisan Sennedjem, vers 1280-1270 avant J.=C.

    Les ocres jaunes du paléolithique, terres argileuses naturelles, ont toutes sortes de nuances : « paille, chamois, abricot, miel, roux, fauve, bistre, mordoré ». A l’âge des métaux, on associe le jaune au soleil, au miel et à la cire, aux blés mûrs, aux cheveux blonds, à la bile aussi (pas encore au citron). Dans l’Antiquité classique, le prestige de l’or valorise la couleur jaune. Les Egyptiens, qui adorent Rê, dieu du soleil et du feu divin, font un usage surabondant du métal jaune dans les tombes des pharaons. Les mythologies anciennes le mettent en scène : pommes d’or du jardin des Hespérides, « âge d’or », mythe de la Toison d’or… A Rome, Hélios s’élance chaque matin sur son char ; Apollon, dieu de lumière, a les cheveux blonds.

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    Joueur de tibia, détail d'une peinture murale dans la tombe des léopards,
    Tarquinia (Latium), nécropole de Monterozzi, première moitié du Ve siècle avant J.-C.

    Comme souvent dans l’histoire des couleurs, les techniques des teinturiers influencent le choix des couleurs qu’on porte. On est plus tolérant à Rome qu’en Grèce à ce sujet. Les Romains s’habillent surtout de blanc, de rouge et de brun, le jaune est réservé aux femmes. Le prix de la teinture diminue selon qu’elle est réalisée à base de safran (crocus), de gaude (résédacée) ou de genêt, les trois matières colorantes « grand teint ».

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture

    Flore. Peinture murale provenant de la villa Ariane sur la colline de Varano, près de Stabies,
    1er siècle avant Jésus-Christ (?). Naples, Museo Archeologico Nazionale

    Pas de jaune dans la Bible, constate Pastoureau, ni dans le culte chrétien au Moyen Age, mais dans l’héraldique, le jaune « d’or » fait partie des six couleurs de base. Le chevalier jaune des romans arthuriens est tantôt un allié, un protecteur, tantôt un traître, un félon – l’ambivalence s’installe. Les cheveux blonds sont signes de noblesse, de beauté, comme chez Iseut la blonde.

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    Roue des urines. Recueil des traités de médecine en latin et en français (début du XVe siècle)
    © Paris, BnF, ms. lat. 11229, folio 19 v. (Source)

    Le jaune est physiquement lié aux couleurs des urines et de la bile. Des nuanciers aidaient les médecins à en déterminer la teinte exacte pour établir un diagnostic. Les connotations morales du jaune (excepté pour l’or) deviennent négatives : on l’associe à l’envie, au mensonge, à la trahison. Pourquoi ? Pastoureau émet l’hypothèse d’un rapprochement par homonymie entre « fel », mot latin qui désigne le fiel des animaux, la bile humaine, et « fel » qui donne « felon » au cas régime en ancien français.

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    Konrad Witz, La Synagogue, panneau détaché du Retable du Miroir du Salut, vers 1435. Bâle, Kunstmuseum

    En Toscane, le jaune était volontiers porté par les femmes au XIVe siècle ; deux siècles plus tard, les chrétiens s’en détournent. Couleur de Judas, le jaune tend à « devenir la couleur des juifs et de la Synagogue ». Sur les miniatures et les vitraux du Moyen Age, ils portent souvent une pièce de vêtement de cette couleur, un chapeau ou un bonnet conique. A partir du XIIIe siècle, c’est une contrainte qui leur est imposée dans les villes d’Occident, pour les identifier au milieu des chrétiens. On peut y voir des racines de l’étoile jaune. La pièce jaune cousue sur le vêtement est en forme de rouelle, losange, étoile ou autre – les usages varient selon la région, l’époque. D’autres couleurs ont servi à discriminer certaines catégories de gens (prostituées, lépreux, bourreaux, musiciens, bouffons…), mais rien de généralisé, indique l’auteur, les contre-exemples abondent.

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    František Kupka, IIe Etude pour La Gamme jaune, 1907. Houston, Museum of Fine Arts.

    Le protestantisme déclare la guerre aux couleurs trop vives ou voyantes, il privilégie « un axe noir-gris-blanc, plus digne ». Le jaune en est la principale victime. En peinture aussi, on peut observer de l’inconstance. Abondant jusqu’en 1560, le jaune se fait rare ensuite ou discret, sauf dans la peinture néerlandaise du XVIIe siècle (« le petit pan de mur jaune ») et chez quelques Français du XVIIe (Simon Vouet, Claude Gelée dit Le Lorrain). « Les grands peintres des jaunes sont plus récents : Turner, Gauguin, Van Gogh, la plupart des fauves, Schiele, Kupka. »

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    Jean-Honoré Fragonard, La Liseuse, vers 1770-1772. Washington, National Gallery of Art

    La fascination pour l’Orient, où le jaune est omniprésent, va lui rendre de l’attrait, notamment au XVIIIe siècle, qui aime les « jaunes frais et lumineux ». Fragonard utilisait surtout du jaune de Naples qu’il rendait particulièrement éclatant. C’est à la fin de ce siècle que le jaune devient la couleur de l’Asie, ce sera la couleur de l’anneau qui la représente sur le drapeau olympique.

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    Giotto, La trahison de Judas, 1305. Padoue, chapelle des Scrovegni.

    Au début du XXe siècle, le jaune se fait discret. On se contente de petites touches. Il est exclu du vêtement masculin, sauf par désir de transgression ou, au théâtre, pour le costume des trompeurs ou trompés. En France, les « syndicats jaunes » sont considérés comme des traîtres vendus au patronat. Jaune aussi pour la carte des prostituées russes, pour le passeport des bagnards français, et même pour la camisole des aliénés ! Cependant il « opère un violent retour dans la peinture », chez Van Gogh, grand amoureux de cette couleur. Gauguin l’aimait aussi, surtout l’orangé qui, avec le jaune, règne sur la palette des Fauves.

    jaune,histoire d'une couleur,pastoureau,essai,littérature française,histoire,peinture,culture
    Vincent Van Gogh, La maison jaune, 1888. Amsterdam, musée Van Gogh.
    (Quelques-unes parmi les très nombreuses illustrations du livre.)

    Dans le dernier chapitre, « Jaune pour le temps présent », Pastoureau évoque inévitablement l’étoile jaune imposée aux juifs par les nazis. Puis il constate que si cette couleur a fait son entrée dans le monde du sport (le « maillot jaune », la balle de tennis), elle reste rare dans les grandes villes européennes, sauf pour ce qu’on veut rendre très visible – taxis, boîtes à lettres dans certains pays, et plus récemment le gilet de sécurité, devenu emblème des « gilets jaunes ». En Europe du Nord, on le voit davantage sur les façades ou à l’intérieur des maisons que dans l’Europe méditerranéenne. Sinon le jaune reste souvent cantonné aux loisirs, à la montagne ou sur la plage.

    La conclusion de Michel Pastoureau ? « Si je n’étais pas historien mais créateur – peintre, styliste, graphiste, designer, publicitaire – j’en profiterais et miserais davantage sur le jaune. Je partirais en reconquête pour lui donner une place digne de celle qui fut la sienne dans l’Antiquité grecque et romaine et qu’il a perdue au cœur du Moyen Age, sans jamais la retrouver par la suite. Le jaune, une couleur d’avenir ? » Et pendant que je tente de raccourcir ce billet, Mina, la chatte noire, dort en rond sur son coussin jaune.

  • Midi

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage« Lorsque, le 12 juillet 1904, Henri Matisse arrive à Saint-Tropez, loue une maison que lui a trouvée Signac et qu’il occupera jusqu’au 15 septembre, Matisse est d’abord plus jeune que ces néo-impressionnistes ; de la même génération que Marquet et Manguin, il est né en 1869, alors que Signac est de 1863, et Cross de 1856. Il connaît à peine le midi, a passé cinq mois en Corse mais en 1898, a lu D’Eugène Delacroix au Néo-impressionnisme, et depuis quatre ans hésite sur la voie à suivre.

    Henri-Edmond Cross, Etude pour le Cap Layet, 1904,
    aquarelle sur papier (Collection particulière)

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage

    Il se sent un peu seul, car il trouve Signac dogmatique, mais se rapproche de Cross, dont il partage les mêmes inquiétudes. Ensemble ils vont peindre des aquarelles et c’est de Cross que Matisse apprend la méthode « pointilliste ». Résultats ? D’abord une grande amitié, qui ne se démentira jamais, même quand leurs voies vont diverger. »

    Henri Matisse, Collioure, rue du soleil, été 1905,
    huile sur toile (Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis)

    Jacques-Louis Binet : Cross et le néo-impressionnisme, de Seurat à Matisse (Canal Académie).

     

     

  • Devenir Matisse

    Devenir Matisse, la belle exposition du musée Matisse dans la ville natale du peintre, Le Cateau-Cambrésis, vient de fermer ses portes. La semaine dernière, ce parcours dans les années de formation du peintre m’a enchantée : j’y ai vu beaucoup d’œuvres que je ne connaissais pas, peintures et sculptures prêtées par d’autres musées et de collections particulières, en France et à l’étranger.

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,apprentissage,culturedevenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,apprentissage,culture
    Deux autoportraits de Matisse (1900 / 1918)

    Le Journal de l’exposition est disponible sur le site du musée. Après le rappel des origines et de la révélation qu’a été la peinture pour l’étudiant en droit de vingt ans lors d’une convalescence, on y suit le séjour de Matisse à Paris où il fréquente des académies, des ateliers, des écoles. Ce sont les cours de Gustave Moreau, qui encourage ses élèves à copier les grands maîtres au Louvre, qui vont le faire progresser le plus. Vers 1894, il s’y lie d’amitié avec Evenepoel, dont La petite Matisse (1896), un portrait de sa fille, contraste avec celui que Matisse a fait de son fils Pierre (1909), à la modernité patente. Quelle évolution aussi de son Autoportrait de 1900 à celui de 1918 !

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,apprentissage,culture
    Evenepoel, La petite Matisse, 1896 (Musée Dhont-Daenens, Deurle)
    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,apprentissage,culture
    Matisse, Portrait de Pierre, 1909

    De deux natures mortes aux livres peintes en 1890,  retrouvées dans le grenier de la maison familiale, Matisse dit : « On est dans tout ce qu’on fait, dans ses premières toiles aussi bien que dans ses dernières. » Près de Jeune fille lisant de Corot est accrochée La liseuse de Matisse de 1895, de facture encore classique, qu’on peut comparer à une Etude de Marguerite lisant de 1906 – à nouveau le grand écart entre son travail d’avant et d’après 1900.

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,apprentissage,culture
    Corot, Jeune fille lisant, vers 1868 (National Gallery of Art, Washington)
    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,apprentissage,culture
    Matisse, La liseuse, 1895

    Il lui a fallu beaucoup de persévérance dans les dernières années du XIXe siècle. A Paris, Matisse a dessiné dans la rue avec Marquet. De belles encres de Chine de l’un et de l’autre montrent des passants, des carrioles, des chevaux, des autoportraits. Ce travail sur le vif les a beaucoup aidés. Aux grands dessins de nus d’académie succèdent de nombreuses copies réalisées au Louvre : des natures mortes, des antiques, puis Chardin, Philippe de Champaigne, Ribeira…

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Devenir Matisse, "Les copies au Louvre"

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Chardin, La Pourvoyeuse, 1739 (Le Louvre, Paris) / Matisse d'après Chardin, 1896-1903

    La grande nature morte de Jan Davidsz. de Heem, La Desserte, que Moreau lui a conseillé de copier, lui donne un mal fou. C’est passionnant d’observer, à côté de la peinture prêtée par Le Louvre, la copie qu’en fait Matisse (Musée Matisse de Nice) et puis la reprise de ce sujet d’une façon tout à fait moderne, presque cubiste, en 1915,  « amplifiant la présence des lignes de construction du tableau et s’affranchissant totalement de la réalité » (Journal de l’exposition). De grands bronzes sont présentés de salle en salle : le Louvre a prêté entre autres le magnifique Apollon de Piombino et Jaguar dévorant un lièvre de Barye près de sa copie par Matisse.

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Jan Davidsz. de Heem, La desserte, 1640 (149 x 203 cm)

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Matisse, Nature morte d'après La Desserte de Jan Davidsz. de Heem, 1915 (MOMA, New York)

    Les voyages vont considérablement l’influencer. D’abord en Bretagne, à Belle-Ile-en-Mer, avec son voisin à Paris, le peintre Wéry. Deux vues de Paris peintes dans les années 1900 illustrent un changement radical dans le choix des couleurs, plus lumineuses, avec l’irruption du blanc dans sa peinture. Inspiré par les aquarelles de Turner, les tableaux de Monet, Matisse abandonne la palette des maîtres anciens.

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Matisse, Belle-Ile-en-Mer, pochade, 1896 (Collection particulière)

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Matisse, Vue de Notre-Dame, 1904 (Collection particulière)

    En 1904, « grâce à Signac qui leur trouve une location à bas prix », Matisse découvre Saint-Tropez, puis Collioure. Divisionnisme, fauvisme : « Voici les idées d’alors : construction par surfaces colorées. Recherche d’intensité dans la couleur, la matière étant différente. » Comme en témoignent une petite toile superbe de Manguin (collection particulière), Cavalière, femme endormie ou une aquarelle de Cross, Etude pour le Cap Layet.

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Matisse, Paysage de Saint-Tropez au crépuscule, juillet 1904 (Collection de Bueil & Racct-Madoux, Paris)

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Henri Manguin, Cavalière, Femme endormie, printemps-été 1906 (Collection particulière)

    Que de belles choses à cette exposition, de Matisse et d’autres ! Elle continue au premier étage, avec des  portraits, des bronzes, des œuvres d’élèves de Matisse dans la section appelée « La transmission ». Mais l’Académie ouverte un temps par Matisse à Paris, fréquentée surtout par des élèves nordiques, ne durera pas, elle ferme en 1911. Cela lui prend trop de temps et d’énergie, il choisit d’être peintre et non professeur.

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Max Weber, Les Baigneuses, 1906 (Collection particulière)

    devenir matisse,exposition,musée matisse,le cateau cambrésis,peinture,sculpture,art,culture,apprentissage
    Aperçu de la collection permanente

    Retrouver ensuite les Matisse du musée – peintures, dessins, sculptures – est chaque fois un grand plaisir. La collection permanente vaut par elle-même le voyage dans cette ville du Nord où Matisse est cité et illustré de tous côtés. On ne peut quitter le musée Matisse sans revoir la magnifique collection Tériade dont je vous ai déjà parlé (Rouault, Léger, Chagall…). Les restaurants en face du musée affichant complet, nous avons trouvé une table accueillante un peu plus haut, à l’Hostellerie du Marché, qui propose une cuisine fraîche et bio.