Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

biographie

  • Rosiers

    « L’été 1904, Klimt peignit Rosiers sous les arbres, tableau réalisé en cadrage serré, sans horizon, déferlement pointilliste dans lequel les rosiers prennent un aspect anthropomorphe. Les paysages composent un chapitre relativement confidentiel de l’œuvre de Klimt. Ce n’est pas à eux qu’on pense en premier lieu lorsqu’on évoque le peintre, sans doute parce qu’ils sont moins spectaculaires que ses grandes réalisations agrémentées de feuilles d’or. »

    Klimt Rosiers sous les arbres.jpg
    Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, vers 1905 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

    « Mais pour Klimt, les paysages ne sont pas uniquement des formes, ce sont aussi des sentiments ou des idées. Ainsi, peut-on dire que le rosier est pour la végétation ce que l’or est pour la matière, ou l’âme pour le corps ; un mystère qui se tient hors du temps, le signe d’un au-delà éternel ou le vecteur d’une mélancolie (car le rosier ne dure guère) qui n’exclut pas la sérénité. En tournant son regard vers la terre, Klimt contemplait le ciel. Et ses paysages constituaient des étapes non sur le chemin de la simple représentation (qu’importe le beau !), mais sur celui, primordial, qui consiste à voir. »

    Serge Sanchez, Klimt

  • Klimt, 1862-1918

    Dans la collection « Folio biographies », Serge Sanchez raconte Klimt (2017) et le renouvellement des arts à Vienne au passage du XIXe au XXe siècle. Après m’être attardée devant les reliefs Art Nouveau de son frère Georg à Namur, j’ai eu envie de mieux connaître le parcours d’un artiste dont je rêve de voir un jour les décors au Palais Stoclet, le chef-d’œuvre de Josef Hoffmann.

    serge sanchez,klimt,biographie,littérature française,peinture,vienne,sécession,gustav klimt,autriche,art nouveau,culture

    Né près de Vienne, Gustav Klimt avait un père graveur sur or et une mère que les grossesses ont empêchée de devenir chanteuse d’opéra. Une famille de sept enfants : Klara, Gustav, Ernst, Hermine, Georg, Anna et Johanna. Klimt « désirait n’être connu qu’à travers sa trajectoire artistique au cœur de cette Vienne impériale qui brilla de l’éclat somptueux des étoiles qui s’éteignent ». Donc pas d’autoportrait, vu qu’il ne s’intéresse pas à lui-même mais plutôt aux autres, « surtout aux femmes ». Il conseille de regarder attentivement ses tableaux pour découvrir ce qu’il est et ce qu’il veut.

    serge sanchez,klimt,biographie,littérature française,peinture,vienne,sécession,gustav klimt,autriche,art nouveau,culture
    Gustav Klimt photographié par Moritz Nähr

    Au milieu du Folio, vingt petites illustrations : l’irrésistible photo de Klimt avec un chat dans les bras (par Moritz Nähr) puis un détail de la fresque Roméo et Juliette où il s’est représenté en costume historique, portant la fraise, au plafond du Burgtheater (inauguré en 1888) où son frère Ernst et lui ont travaillé avec Franz Matsch après leurs études – une commande de l’Etat à la Compagnie des artistes (nom de leur atelier). Tous trois ont reçu la Croix d’or du mérite artistique, un succès officiel qui leur valut de nombreuses commandes.

    serge sanchez,klimt,biographie,littérature française,peinture,vienne,sécession,gustav klimt,autriche,art nouveau,culture
    Klimt, Salle de l’ancien Burgtheater, 1888, Gouache sur papier, 82 x 92 cm. Historisches Museum, Vienne.

    C’était l’époque du renouveau pour Vienne, avec les constructions en bordure du Ring. En 1890, le prix de l’Empereur récompense sa gouache représentant la salle de l’ancien Burgtheater (trop petit) où tous les amateurs d’opéra distingués voulaient figurer : Klimt y a peint cent cinquante portraits miniatures ! « Le loup dans la bergerie », c’est le titre du biographe pour le chapitre consacré aux peintures commandées pour la nouvelle Université de Vienne ; Klimt devait se charger de la Philosophie, la Jurisprudence, la Médecine, entre autres. L’administration attendait des peintures classiques, mais Gustav Klimt avait commencé à se détacher de l’académisme et va surprendre.

    serge sanchez,klimt,biographie,littérature française,peinture,vienne,sécession,gustav klimt,autriche,art nouveau,culture
    Klimt, La philosophie, huile sur toile, 1899-1907
    (détruite lors de l’incendie du château d’Immendorf en 1945)
     

    Son père et son frère Ernst meurent en 1892, sa mère et ses sœurs sont à sa charge. Un poste de professeur de peinture d’histoire lui est refusé, d’où « un sentiment de révolte qui allait produire les résultats les plus constructifs ». De plus en plus de voix dénoncent le Ring, « cette imitation pompeuse du passé si éloignée des préoccupations de l’homme moderne ». Klimt s’intéresse au symbolisme, à l’Art nouveau à l’étranger, à l’œuvre de Franz Stuck en Allemagne (Klimt utilisera une calligraphie semblable pour sa signature).

    serge sanchez,klimt,biographie,littérature française,peinture,vienne,sécession,gustav klimt,autriche,art nouveau,culture
    Joseph Maria Olbrich, Palais de la Sécession, 1897, Vienne (Autriche).
    Au fronton : « Der Zeit ihre Kunst / Der Kunst ihre Freiheit » (A chaque époque son art, à l’art sa liberté)

    L’exposition de la Sécession munichoise ouvre la voie à la Sécession viennoise (1897). La biographie raconte ce renouveau artistique fait d’échanges, de voyages, d’audace. Permettre aux jeunes artistes d’avant-garde d’exposer, inviter des artistes étrangers, publier une revue, ce sont les trois objectifs de la Sécession présidée par Klimt. Ce mouvement vers une « totale liberté d’expression » provoque des tensions, une opposition conservatrice et antisémite.

    serge sanchez,klimt,biographie,littérature française,peinture,vienne,sécession,gustav klimt,autriche,art nouveau,culture
    Gustav Klimt, Portrait d'Emilie Flöge, 1902, huile sur toile,
    178 x 80 cm, Historisches Museum der Stadt Wien, Vienne

    Klimt fait la connaissance d’Emilie Flöge avec qui il passera ses vacances d’été dans le Tyrol, près du lac de Hallstatt, à partir de 1900. Ce sera la partenaire de toute sa vie, même s’ils ne vivent pas ensemble. Il peint là-bas ses premiers paysages. La revue Ver Sacrum (Printemps sacré) diffuse informations, poésie, critique d’art, essais théoriques avec des illustrations, dans une mise en page très soignée : « Chaque numéro se présentait comme un manifeste esthétique en même temps qu’un bijou en matière de bibliophilie. »

    serge sanchez,klimt,biographie,littérature française,peinture,vienne,sécession,gustav klimt,autriche,art nouveau,culture
    Klimt, Frise Beethoven, "Le désir du bonheur" 1902.  Galerie autrichienne du Belvédère
    ((d'après l'interprétation de la IXe Symphonie de Ludwig van Beethoven par Richard Wagner)

    Serge Sanchez décrit en détail les expositions de la Sécession, innovantes dans leur sobre alignement des œuvres rompant avec les murs saturés de tableaux des anciens Salons. De « On ne peut pas plaire à tout le monde » à la Frise Beethoven en passant par le japonisme, du Wiener Werkstätte (Atelier viennois) au Palais Stoclet en passant par le célébrissime Baiser, cette biographie nous fait véritablement plonger dans le courant vital et créateur de l’artiste. C’est passionnant. Les nouveaux courants de l’art, les relations avec les artistes étrangers et avec les jeunes artistes autrichiens (Schiele puis Kokoschka), les Expositions universelles, il y a de la matière !

    serge sanchez,klimt,biographie,littérature française,peinture,vienne,sécession,gustav klimt,autriche,art nouveau,culture
    Klimt, Le baiser, 1907-1908. Huile et feuille d’or sur toile,
    180 × 180 cm. Österreichische Galerie Belvedere, Vienne

    S’il ne s’est jamais marié, Klimt a eu des enfants de plusieurs modèles et « quatorze femmes tentèrent de faire valoir leurs droits sur son héritage », rapporte Sanchez. Seules trois mères « officielles » toujours soutenues financièrement « reçurent une compensation ». Il ne laissait pas grand-chose, tout ayant été dépensé au fur et à mesure pour sa famille et ses enfants. A sa mort, Schiele qui s’était représenté avec Klimt dans Les ermites, a fait son éloge en ces termes : « Gustav Klimt, Un artiste incroyablement accompli, Un homme d’une rare profondeur, Sa peinture une œuvre sacrée. »

  • Album Eluard

    A la faveur d’un tri de bibliothèque, l’Album Eluard de 1968 est arrivé entre mes mains. C’était le septième édité par la Bibliothèque de la Pléiade, offert à l’occasion de l’annuelle Quinzaine de la Pléiade, à l’achat de trois volumes. Cette iconographie commentée a été confiée à Roger-Jean Ségalat, les 467 illustrations puisées pour la plupart dans les albums de Paul Eluard et de sa famille, ainsi que dans des collections privées ou publiques, notamment du musée de Saint-Denis, renommé Musée d’Art et d’Histoire Paul Eluard.

    album,la pléiade,eluard,iconographie commentée,biographie,documents,photos,littérature française,surréalisme,communisme,poésie,amour,culture
    Dessin de couverture : Eluard par Picasso

    En dehors de poèmes de Paul Eluard (1895-1952), je ne connaissais pas grand-chose de sa biographie et seulement les grandes lignes de son engagement partagé entre le surréalisme et le communisme. Né Grindel, à Saint-Denis qui n’était pas encore « la triste agglomération industrielle que nous connaissons », écrit Ségalat, il a choisi pour nom de plume Eluard, le nom de jeune fille de sa grand-mère maternelle. Fils d’un comptable devenu marchand de biens et d’une couturière qui a ouvert un atelier avec quelques ouvrières, il n’est pas « un rejeton de la misère » comme certains l’ont présenté.

    album,la pléiade,eluard,iconographie commentée,biographie,documents,photos,littérature française,surréalisme,communisme,poésie,amour,culture

    A Aulnay-sous-Bois puis à Paris, il est bon élève à l’école communale puis au collège Colbert. Vacances d’été en Suisse, séjour d’anglais à Southampton, tout se passe bien jusqu’au diagnostic de tuberculose en 1912. Il passera un an et demi dans le sanatorium de Clavadel près de Davos. Il y rencontre Hélène Diakonova, surnommée Gala, fille d’un avocat de Moscou. Elle sera sa première femme, épousée en 1917. Mobilisé depuis 1914, il a passé la guerre dans les hôpitaux de l’armée, « soit comme malade, soit comme infirmier ». En mai 1918 naît leur fille Cécile.

    album,la pléiade,eluard,iconographie commentée,biographie,documents,photos,littérature française,surréalisme,communisme,poésie,amour,culture
    Max Ernst, Au rendez-vous des amis, 1922, huile sur toile, 130 x 195 cm, Wallraf-Richartz museum, Cologne

    « Du combattant timide, la guerre a fait un pacifiste ; du jeune homme romantique, un poète. » Il publie des poèmes dans des revues peu connues, écrit des lettres, lit beaucoup. Jean Paulhan le présente en 1919 au groupe Littérature qui partage l’esprit du mouvement Dada. Eluard « allait devenir l’un des éléments actifs de la révolution dadaïste et se faire des amis des compagnons de ce combat : Tzara, Soupault, Breton, Aragon et Ribemont-Dessaignes. Il crée même sa propre revue, Proverbe, qui n’aura que cinq numéros : « créations verbales et transmutations de mots »

    album,la pléiade,eluard,iconographie commentée,biographie,documents,photos,littérature française,surréalisme,communisme,poésie,amour,culture
    La nourrice des étoiles, portrait-collage de 1938 : Eluard par Breton (détail)

    « Eluard, le moins dadaïste des Dadas, le moins doctrinaire des hommes, dont les seules pierres de touche sont l’amitié, l’amour et la poésie, réussit, pendant toute la période Dada, à n’être l’ennemi de personne. » Aimant la peinture, il s’entoure de tableaux de Picasso, Ernst, Chirico, d’objets d’art primitif africains de polynésiens. Breton, qui veut « ruiner la littérature », lui fait promettre comme à Desnos de ne plus écrire – promesse tenue par Eluard jusqu’en 1924.

    album,la pléiade,eluard,iconographie commentée,biographie,documents,photos,littérature française,surréalisme,communisme,poésie,amour,culture

    Paul et Gala deviennent amis avec Max Ernst qui habite avec eux. En 1924, « il vit de plus en plus difficilement la liaison entre Gala et Ernst, qu’il a pourtant acceptée » (Eluard.org) et surprend tout le monde en partant seul pour un voyage autour de monde. Mourir de ne pas mourir paraît le lendemain de son départ, comme un testament. Gala le rejoindra à Singapour. A leur retour, le Surréalisme a pris forme avec le Premier Manifeste d’André Breton. Eluard rédige un tract : « Nous sommes les spécialistes de la Révolte ». En 1927, Breton, Aragon, Eluard, Péret et Unik annoncent publiquement leur entrée dans le parti communiste. Querelles, affrontements, exclusions… Nouvelles relations : en 1929, Gala rencontre Dali, qu’elle aimera et épousera, tandis qu’Eluard rencontre Nusch (Maria Benz), qui sera sa deuxième femme.

    album,la pléiade,eluard,iconographie commentée,biographie,documents,photos,littérature française,surréalisme,communisme,poésie,amour,culture
    Ex-libris de Paul Eluard dans son exemplaire de Nerval (source)

    A la mort de son père, Eluard a hérité d’une fortune dépensée en quelques années. Il ne s’attache pas aux biens matériels, mais aime dormir sous un Picasso accroché au mur. « Toute la vie d’Eluard est de bohème, de déménagements, de disponibilité, de repas partagés, de départs. Il voyage beaucoup, suit qui l’emmène, qui a besoin de lui. Il n’économise ni son argent ni son amour. « Après moi le sommeil » est la devise de son ex-libris. » Le corps nu de Nusch photographié par Man Ray encercle les poèmes de Facile (1935).

    album,la pléiade,eluard,iconographie commentée,biographie,documents,photos,littérature française,surréalisme,communisme,poésie,amour,culture
    Une page de Facile (Poèmes de Paul Eluard/Photographies de Man Ray) (source)

    Après cette époque foisonnante du surréalisme et la rupture avec Breton, la pensée d’Eluard tourne autour de trois thèmes : l’amour, la poésie, l’injustice sociale. Impossible de résumer les rencontres, les voyages, les publications, les conférences… Il se trouve en Suisse en 1946 quand il apprend la mort subite de Nusch qui le laisse « hébété, sans forces, rongé de souffrances et de remords ». C’est encore l’amitié qui le sauve du désespoir.

    album,la pléiade,eluard,iconographie commentée,biographie,documents,photos,littérature française,surréalisme,communisme,poésie,amour,culture
    Le harfang des neiges par Valentine Hugo,  
    inspiré par un vers d'André Breton, était à la tête du lit d'Eluard.

    Au Congrès de la Paix à Mexico, en 1949, il rencontre une jeune femme, Dominique Laure (Odette Lemor), qui revient avec lui à Paris. Il l’épouse en 1951 à Saint-Tropez, avec Picasso et Françoise Gilot pour témoins. Ce sera la renaissance du Phénix, un an avant une crise cardiaque fatale. Ensuite, il devient « un nom, une œuvre, un mythe. »

  • Ecologie

    Wulf Libretto.jpg« Dans Generelle Morphologie, Haeckel ne se contentait pas de brandir l’étendard de la nouvelle théorie de l’évolution, il inventait aussi un nom pour désigner la discipline de Humboldt : l’Oecologie ou « écologie ». Le terme était tiré du mot grec « maison » – oikos – appliqué au milieu naturel. Tous les organismes terrestres vivaient ensemble dans un même lieu comme une famille occupe le même foyer. Et comme les membres d’une famille, il arrivait qu’ils entrent en conflit ou qu’ils s’entraident. La nature organique et inorganique formait un « monde de forces en mouvement », écrivait-il dans Generelle Morphologie, en reprenant les termes exacts de Humboldt. Haeckel lui empruntait l’idée d’un tout cohérent constitué d’interactions complexes, et lui donnait un nom. L’écologie, disait Haeckel, était « la science des relations d’un organisme avec son environnement. »

    Andrea Wulf, L’Invention de la nature. Les aventures d’Alexander von Humboldt

  • Humboldt, une vision

    L’Invention de la nature d’Andrea Wulf (traduit de l’anglais par Florence Hertz), somme extraordinaire sur « Les aventures d’Alexander von Humboldt », m’a tenue longuement dans une sorte de sidération : devant l’incroyable énergie déployée au siècle des Lumières par Humboldt (1769-1859) à la fois naturaliste, géographe, explorateur ; devant sa vision du monde inspirée par ce qu’il a observé et décrit, en comprenant comme personne avant lui les interactions du vivant et les effets des activités humaines sur la nature – un visionnaire. Merci à Dominique de m’avoir incitée à ouvrir ce livre passionnant.

    adrea wulf,l'invention de la nature,les aventures d'alexander von humboldt,récit,biographie,voyages,exploration du monde,compréhension du vivant,crits,idées,naturalisme,géographie,botanique,sciences,environnement,influence,postérité,culture
    Ce Tableau physique des Andes et pays voisins (1807) par A. von Humboldt, une vue en coupe des volcans Chimborazo et Cotopaxi
    avec un diagramme détaillé des espèces végétales selon l’altitude, a été publié dans Essai sur la géographie des plantes, 1807 

    Humboldt était avec Gauss un des Arpenteurs du monde, roman à succès de Daniel Kehlmann. Pour écrire L’invention de la nature, Andrea Wulf a parcouru le monde sur ses traces et lu ses écrits – tout est précisément documenté. Aux éditions Libretto, le livre comporte sur ses sept cents pages régulièrement illustrées, plus de deux cents pages pour les notes, la bibliographie et un précieux index. Une belle épigraphe de Goethe précède trois cartes des voyages de Humboldt aux Amériques (1799-1804), au Venezuela (1800) et en Russie (1829).

    Le prologue (en ligne) s’ouvre sur l’ascension du Chimborazo, « un magnifique volcan éteint des Andes », en juin 1802. Humboldt, depuis trois ans en Amérique latine, a emporté parmi ses instruments un « cyanomètre » : « un nuancier permettant de déterminer l’intensité du bleu du ciel » ! Altitude, gravité, humidité, flore, faune, « la moindre observation était consignée dans un carnet. » A 5917 m d’altitude, devant une crevasse, Humboldt et ses compagnons, « les premiers au monde à monter aussi haut », doivent s’arrêter à trois cents mètres du but. « Humboldt eut alors une vision différente du monde. La Terre lui sembla pareille à un grand organisme vivant dont tous les éléments étaient reliés les uns aux autres, une conception révolutionnaire de la nature qui influence encore aujourd’hui notre façon de penser le milieu naturel. »

    L’homme le plus célèbre de son temps après Napoléon a occupé « une place de choix » dans la vie scientifique. « Il écrivit quelque cinquante mille lettres et en reçut au moins le double ». Le centenaire de ce visionnaire, qui a inventé les isothermes (lignes de température et de pression) et surtout « la notion de réseau du vivant » a été célébré dans le monde entier. Lisez le prologue et résistez, si vous le pouvez, à ce récit de sa vie et de ses explorations, nourri de ses carnets de voyage et de sa correspondance. Humboldt a ébloui des écrivains, des chercheurs comme Goethe, Darwin, Thoreau, Marsh, Haeckel et Muir, qu’Andrea Wulf nous présente aussi, ainsi que d’autres personnalités illustres.

    Fils d’un officier prussien chambellan à la cour (mort quand Alexander a neuf ans) et d’une riche héritière, Alexander von Humboldt et son frère aîné Wilhelm portaient un nom très respecté à Berlin. Des précepteurs les ont instruits « dans l’esprit des Lumières », « l’amour de la vérité, de la liberté et de la connaissance ». Wilhem, « sérieux et studieux », a étudié le droit ; Alexander préférait les promenades en forêt aux livres et « se tourna vers la science, les mathématiques et les langues ».

    Leurs rêves étaient différents, mais ils étaient attachés l’un à l’autre. Wilhem von Humboldt a fondé une famille ; Alexander, resté célibataire, a connu tout au long de sa vie de solides amitiés masculines. Lors de ses échanges avec des scientifiques ou des penseurs, la question centrale qui l’occupait était « comment comprendre la nature » : par la raison ou par les sens et l’expérience ? Après la mort de sa mère, Alexander von Humboldt, à vingt-sept ans, se sent enfin libre de voyager où il le souhaite, il en a les moyens. D’abord en Europe, « pour se mettre au courant des dernières découvertes en géologie, en botanique, en zoologie et en astronomie ».

    A Paris, il rencontre un jeune Français qui s’intéresse aux plantes, Aimé Bonpland, un « compagnon idéal », curieux comme lui de découvrir le monde et d’un caractère « égal et sympathique ». « La placidité de l’un équilibrait l’hyperactivité de l’autre. Ils devaient former une excellente équipe. » Ensemble ils partent pour les « Amériques espagnoles » en 1799 avec des « télescopes, microscopes, montres à longitude, sextants et boussoles » ainsi que des fioles diverses, des feuilles pour herbiers, etc. Les paysages et la nature, tout qu’il découvre en Amérique du Sud enchante Humboldt au plus haut point. Pas seulement pour identifier des espèces inconnues en Europe, mais pour « l’impression de l’ensemble ».

    Dans la vallée d’Aragua, par exemple, « l’une des régions agricoles les plus riches des colonies », le naturaliste apprend des paysans que le niveau du lac de Valencia baisse depuis une vingtaine d’années. Il comprend que c’est dû à la déforestation et à l’irrigation des cultures. Il dénonce la destruction de l’environnement par les colons européens, ainsi que l’esclavage, et il avertit des conséquences néfastes pour le climat. Sans le savoir, il devient « le père du mouvement écologiste ». Le réchauffement climatique, les problèmes de l’eau, des monocultures intensives... Tout a déjà été dit et prédit il y a deux cents ans !

    adrea wulf,l'invention de la nature,les aventures d'alexander von humboldt,récit,biographie,voyages,exploration du monde,compréhension du vivant,crits,idées,naturalisme,géographie,botanique,sciences,environnement,influence,postérité,culture
    Portrait d'Alexander von Humboldt par J. K. Stieler en 1843 (Wikimedia)

    Voyager à cette époque est beaucoup plus compliqué et risqué que deux siècles plus tard, mais la passion de Humboldt pour « le tissu du vivant » lui fait surmonter quasi tous les obstacles. Ceux qu’il rencontre, ceux qui assistent à ses conférences, ceux qui le lisent sont frappés par son énergie physique, par la vivacité de son esprit, par son enthousiasme à partager ses découvertes et ses idées. Humboldt fait ce que les scientifiques évitent souvent : il mêle ses émotions à ses explications, ose le lyrisme dans ses écrits comme dans la vie. Dans L’Invention de la nature d’Andrea Wulf, on s’émerveille des fleurs, des minéraux, des diamants dans l’Oural, des aurores boréales, des séquoias géants, de dessins qui vont inspirer l’art nouveau… Une mine !