Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vie de femme

  • Se créer, créer

    Pirandello Se trouver L'Arche 1962.jpg« Et c’est cela qui est vrai… Et rien n’est vrai… Ce qui est vrai, c’est seulement qu’il faut se créer, créer ! Et c’est alors seulement, qu’on se trouve. »

    Donata Genzi

    dans Se trouver de Pirandello

    (Dernières phrases du monologue final de Donata)

    En couverture : Marta Abba (Donata Genzi) lors de la création de Trovarsi
    au Théâtre Fiorentini de Naples, le 4 novembre 1932.

     

  • Trovarsi

    Une amie m’a gentiment offert Se trouver de Pirandello, (Trovarsi, traduit de l’italien par Michel Arnaud), dans une collection précieuse pour les amateurs de théâtre, le Répertoire pour un théâtre populaire de l’Arche. La pièce est dédiée « A Marta Abba, pour que je ne meure pas » (L. P.) et son profil figure en couverture, lors de la création à Naples, en 1932, de la pièce que Pirandello (1867-1936) a écrite pour elle, « sa compagne et son inspiratrice ».

    pirandello,se trouver,théâtre,littérature italienne,vie d'actrice,vie de femme,amour,être soi
    Marta Abba (source)

    J’ai pris grand plaisir à la découverte de ce texte que je ne connaissais pas. Emmanuelle Béart a incarné cette « Donata Genzi, une comédienne qui se perd dans ses incertitudes de femme à la ville comme à la scène » (TNB, Rennes). Les deux premiers actes se déroulent sur la Riviera, le troisième dans une chambre « d’un luxueux hôtel de grande ville » (selon les didascalies).

    Dans la villa d’Elisa Acuri, qui a invité Donata à séjourner chez elle, des invités arrivent pour le dîner : Giviero (« jeune homme mûr, proche de la quarantaine »), un médecin fortuné qui n’exerce pas, la marquise Boveno (« une vraie dame ») et sa petite-fille Nina qui se chamaillent sur la nécessité de prendre un châle vu le temps très venteux, le comte Mola (la cinquantaine, très élégant).

    Nina commente le va-et-vient des invités qui montent ou descendent de la galerie. D’après elle, qui ose tout dire, tout le monde sait que Giviero a été l’amant de Donata. Comme Nina mais pour d’autres raisons, Mola redoute ce que va faire son neveu Ely, qu’il envoie chercher : celui-ci « s’est mis en tête de partir ce soir sur son bateau, et par une mer pareille ! »

    Avec Volpès et Salio, deux autres arrivants, les invités s’interrogent sur le genre de femme qu’est Donata Genzi, qu’on dit « tourmentée », « une femme difficile »… Pour Salio, c’est une erreur de vouloir savoir ce qu’elle est « comme femme » parce que Donata est une vraie actrice « qui « vit » quand elle est sur scène et non « qui joue la comédie » dans la vie ».

    Elisa, la trentaine, dit de Donata qu’elle est « l’être le plus simple et le plus gentil du monde ». Elles se sont connues à l’école, retrouvées récemment. Comme Donata a besoin de repos, Elisa l’a accueillie en « lui promettant que personne ne la verrait ». L’actrice vit seule. Et la conversation repart sur la vie de femme et la vie d’actrice, sur les mœurs supposées des gens de théâtre, sur l’expérience amoureuse…

    Le silence se fait quand Donata Genzi descend en robe du soir, « pâle, avec une expression de trouble sur le visage ». La Marquise lui dit la connaître « en tant qu’actrice et non en tant que femme ». Donata affirme être « sincère » dans chacun de ses rôles. Ses vies « fictives » permettent à une actrice de vivre toutes sortes de possibilités, de « se transfigurer ». Ce qu’ils voient sur la scène, c’est comment elle vit la vie de son personnage, non la sienne !

    Ils passent dans la salle à manger. Donata, fatiguée, remonte dans sa chambre. Ely arrive alors en vêtements de sport, il a déjà dîné et préfère prendre un livre. Nina lui propose une liqueur, il se dit qu’un jour ou l’autre, il l’attrapera… Puis Donata descend et l’interroge sur son oncle, sur son bateau, et tout à coup lui demande de l’emmener le soir même avec lui sur son voilier !

    L’acte II se déroule chez le comte Mola, dans une pièce aménagée en atelier de peintre pour Ely. Vingt jours plus tôt, « Donata a été transportée là, à moitié morte, par Ely, le soir du naufrage du voilier, et elle y est restée. » Le docteur vient de lui refaire un pansement à la nuque, Ely l’a mordue quand elle s’est agrippée à lui pour ne pas qu’ils se noient tous les deux. Ils sont amoureux et pour Donata, c’est l’occasion d’être vraiment elle-même. Ely voudrait qu’ils se marient, qu’elle casse tous ses contrats et renonce au théâtre. Elisa, en véritable amie, l’en dissuade.

    Au dernier acte, Ely a quitté le théâtre avant la fin de la représentation. Mola l’a suivi à son hôtel et l’enguirlande de s’être enfui ainsi. Mais son neveu n’en peut plus de voir Donata sur scène, il s’en va. Il l’attendra « quand elle aura retrouvé son vrai visage, quand elle aura fini d’étaler devant tout le monde… » Mola le traite de fou qui ne comprend rien à la vie d’actrice. Arrive Donata, qui avait faibli pendant le spectacle, s’est reprise ensuite et se sent libérée, ivre du bonheur d’avoir recouvré l’intégralité de son être d’actrice et de son être de femme – mais « L’Idiot ! Il est parti ! »

    « Bien qu’il s’agisse d’un portrait d’après nature et sur mesure, inspiré par la comédienne Marta Abba, la psychologie en parait un peu simpliste, démodée et rhétorique. Le personnage s’analyse un peu trop. Il ne fait même que cela » a écrit Poirot-Delpech dans Le Monde en 1966. Démodée ? La pièce me semble encore actuelle. Comment vivre sa vocation artistique sans renoncer à sa vie personnelle, comment vivre sa vie sans renoncer à vivre ses rôles ? Si cela vous intéresse, le programme du Théâtre de la Colline est en ligne, avec des textes éclairants sur Se trouver de Pirandello.

  • De petits cailloux

    zoë lucider,la voisine,roman,littérature française,vie de femme,mystère,rencontres,culture,extrait« Lire n’est pas une occupation défendable. Quand vous jardinez, cuisinez, musclez vos cuisses et vos pectoraux, vous agissez sur la matière, les plantes, les ingrédients, votre propre corps. On admirera vos plates-bandes, vos brouets, votre silhouette. Mais que pouvez-vous exhiber, si ce n’est en glissant des citations avec à-propos, de ce malaxage dont vous êtes le seul bénéficiaire ? La littérature transforme les vies en destins, en dessin et dessein d’un fatum. Toutes les péripéties sont des petits cailloux, dans une forêt plus ou moins vaste, qui conduisent l’égaré sur le chemin que lui prescrit le romancier. »

    Zoë Lucider, La voisine

  • La voisine, Zoë L.

    La couverture du premier roman de Zoë Lucider, La voisine, entre en résonance avec la citation d’Eric Chevillard en épigraphe : « Rares sont les belles femmes qui vivent comme si elles ne l’étaient pas, dans l’insouciance parfaite de cette beauté, exerçant des professions et se livrant à des activités où cette beauté n’est nullement engagée. » Tel est le cas de Suzanne, au centre de l’histoire qui aurait pu s’intituler « Recherche Suzanne désespérément » (ce titre, déjà pris, servira pour un chapitre).

    zoë lucider,la voisine,roman,littérature française,vie de femme,mystère,rencontres,culture
    Illustration de couverture : Olivia Combes

    La narratrice, une photographe lassée de sa vie nomade dans des pays en guerre, a acheté à Paris un appartement sous les toits « vendu en l’état », dont elle est tombée amoureuse à la première visite : « Ce lieu m’attendait. » Simple, confortable, « élégant de simplicité, luxuriant de sobriété ». C’est en y posant des provisions dans un placard qu’elle y a trouvé « un carton bourré d’aquarelles » et un cahier. Soucieuse de les restituer, elle se renseigne chez le notaire : il a réalisé la transaction avec un confrère qui s’est engagé à ne pas donner le nom du précédent occupant, excepté « une question de vie ou de mort ».

    D’abord, elle s’est gardée de lire le cahier, un journal. Quand elle a fini par l’ouvrir et le feuilleter grossièrement, elle est tombée sur une date « superlative » pour elle-même, celle du jour où elle a « jeté l’éponge » : après avoir rompu avec Harry, un reporter de guerre, elle a pris l’avion pour Paris, loué une mansarde et exploré le quartier avec son appareil photo, photographiant des gens joyeux, en train de rire. Elle repère en triant ses photos des « entractes » entre ses clichés de guerre, des images paisibles prises sans doute pour se réconforter. Quand elle en parle à Magda, son amie galeriste, celle-ci a tout de suite une idée d’expo : « Guerre et paix ».

    Le chapitre suivant, le plus long du roman, une cinquantaine de pages, reprend « Le Journal de Suzanne » qui va du 2 novembre au 21 décembre. Le premier jour, Suzanne y a noté une parole inattendue de son patron, Bertrand, qui s’en tient d’habitude au ton strictement neutre, courtois, adopté entre sa secrétaire et lui. Le même jour, elle a loué le petit studio à côté de son deux-pièces à une jeune femme qui partagera son palier au sixième sans ascenseur.

    Quelques jours plus tard, Bertrand s’absente et la laisse libre de ses journées. Suzanne en profite pour faire du ménage, trie ses affaires, va se faire couper les cheveux chez Marine, très bavarde, qui refuse de couper davantage que cinq centimètres de sa chevelure « somptueuse ». Elle repeint le studio en blanc et envisage d’y installer son atelier si sa locataire ne réapparaît pas. Quand elle la retrouve sur le palier en train d’explorer le sac de vêtements qu’elle comptait mettre sur le trottoir, intéressée, elles font connaissance autour d’une pizza réchauffée. Suzanne parle peu d’elle-même et ne se formalise pas quand Carole lui demande que son nom n’apparaisse pas : « Pour tout le monde, le studio n’est pas loué, il est occupé de temps en temps par une amie. »

    Suzanne évite les attaches. A part sa complicité facile avec Marine, elle fréquente le café d’Edgar, à quelques pas de l’immeuble. Carole l’invite à pendre la crémaillère en tête à tête. Quant à Bertrand, son patron qui l’a mise au chômage technique, sans perte de salaire, elle le tient à distance : il voulait son numéro de téléphone pour la contacter mais elle a répondu qu’il était sur liste rouge, qu’elle préférait un courrier. Quand elle le revoit, il n’a pas l’air bien – sa fille a disparu. Marjorie est majeure et lui a laissé un message où elle parle de « disparitions utiles », de sa peur du suicide. Il a perdu le contact avec sa mère, il se reproche d’avoir mis trop de pression sur sa fille. Suzanne fuit ces confidences et s’en débarrasse en les écrivant. Bertrand finira par cesser ses activités, en lui versant une indemnité très généreuse.

    La lecture du Journal de Suzanne a rendu la narratrice curieuse de cette femme qui comme elle s’est « retirée d’une vie antérieure » et a occupé « cette tanière où [elle] avait [elle]-même trouvé refuge. »  Quand elle pousse la porte du bar près de chez elle, on n’y connaît pas d’Edgar. La coiffeuse qui ne s’appelle pas Marine lui dit que le patron du bar s’appelle André et qu’elle n’a pas connu de Suzanne. Celle qui occupait son appartement, c’était Jeanne, sans doute un faux prénom, une femme à l’histoire compliquée dont elle ne lui racontera rien. André lui donne le vrai prénom de la coiffeuse, Amélie ; il n’a pas la nouvelle adresse de Jeanne qu’elle lui a demandée pour « une question de vie ou de mort ».

    En annonçant la publication de son premier roman sur son blog, L’arbre à palabres, Zoë Lucider notait que « La voisine n’est pas très activiste à rebours de son autrice, elle serait plutôt en retrait du monde, au point de disparaître après avoir changé d’identité. » J’ai repensé en lisant son roman à la question posée dans La carte des regrets de Nathalie Skowronek : « Que savons-nous de l’existence de ceux qui nous entourent ? » Zoë Lucider la pose à sa façon.

    Tour à tour, le récit sera porté par André/Edgar, par Amélie/Marine, par d’autres qui ont été mêlés un temps à la vie de Suzanne. Pour la narratrice, celle-ci est devenue « une sorte de sœur », l’objet d’une quête obsessionnelle : « Je n’aurais pas eu plus d’acharnement à rechercher ma mère naturelle si j’étais une enfant adoptée. » Tandis qu’elle la cherche, attirée par son choix du retrait qui rejoint son propre besoin de solitude, celle qui raconte devient elle-même une voisine, dont les autres observent l’apparence, les habitudes. Entrecroisant  les témoignages, l’autrice nous rend jusqu’au bout curieux de démêler le mystère de la disparue. Au fil du récit et des dialogues, La Voisine raconte aussi les péripéties d’une vie de femme en solo, la vie quotidienne et les rencontres. A découvrir.

  • Besoin d'exister

    nathalie skowronek,karen et moi,roman,biographie,autobiographie,littérature française,belgique,écrivain belge,karen blixen,vie de femme,écriture,culture« Je le porte en moi, ce livre que je voudrais écrire. Je voudrais raconter la vie de Karen Blixen. Cette femme me parle. Karen est ma sœur, son chemin est le mien. Je voudrais dire ses désirs, ses épreuves, son besoin d’exister. Tracer les contours de ce qui l’amène à créer. J’ai l’impression qu’en parlant d’elle j’arriverai à parler de moi. Je suis lasse, lasse de mentir. Et, comme Karen, j’ai l’espoir que l’écriture pourra me sauver. »

    Nathalie Skowronek, Karen et moi

    © Jan Goedhart, Portrait de femme écrivant, 1930