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théâtre

  • Elan profond

    gérard depardieu,ca s'est fait comme ça,récit,autobiographie,littérature française,enfance,apprentissage,famille,théâtre,cinéma,rencontres,russie,france,culturegérard depardieu,ca s'est fait comme ça,récit,autobiographie,littérature française,enfance,apprentissage,famille,théâtre,cinéma,rencontres,russie,france,culture« On ne sait pas si demain on sera encore vivant. La surprise de la vie, de nouveau. Ça, c’est mon élan profond : ne pas savoir ce qui va arriver, ce que je voulais faire ou dire, mais marcher vers l’inconnu avec cet appétit pour la vie qui chaque instant me porte. Alors oui, je peux être Danton. »

     

    Gérard Depardieu, Ça s’est fait comme ça

    L'affiche du film de Wajda (1982) /  Un arbre qui me fait penser à Depardieu (parc Josaphat)

  • Un instinct inouï

    Dans Ça s’est fait comme ça (2014), récit autobiographique écrit avec Lionel Duroy, Gérard Depardieu n’enjolive pas son passé. Impressionnée par son passage à La Grande Librairie, j’avais envie d’en savoir plus sur ce comédien hors norme. « J’ai toujours été libre », répète-t-il, dès la première séquence : à Orly, où sa grand-mère était dame pipi, il aimait l’accompagner et observer les arrivées, les départs, rêver… 

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    « Dire qu’on a failli te tuer ! » Sa mère, la Lilette, lui a raconté avoir recouru aux aiguilles à tricoter pour se débarrasser de lui, troisième enfant qui tombait mal dans cette famille pauvre de Châteauroux. Son père, le Dédé, ne gagnait pas grand-chose et buvait trop. On ne mangeait pas ensemble dans leur deux-pièces, on ne se disait pas bonjour, « pas de mots, jamais ». Ses trois frères et ses deux sœurs sont « restés dans le moule », mais lui, peut-être à cause des aiguilles, était « à l’affût de la vie. »

    Son père, né en 1923 dans le Berry, ne s’exprime que par onomatopées. La Lilette, fille de pilote, d’une famille plus instruite et raffinée, l’épouse en 1944. A l’époque, elle est gracieuse – Gérard Depardieu enfant ne la voit que « grosse, enceinte ». Il a sept ans quand sa sœur Catherine naît chez eux en 1955 : il aide la sage-femme qui lui montre comment faire la prochaine fois ; il aidera sa mère à accoucher des deux suivants, en 1956 et 1957.

    « Sourire ». Son père lui a appris à toujours sourire, pour mettre en confiance. Mais ça se passe mal avec les profs et les curés, qui le poussent hors de l’école. Il se souvient de plus de bienveillance de la part des gendarmes quand il chaparde aux étalages ou qu’on l’accuse de vol. A onze ans, il souffre de son premier amour pour une blonde inaccessible. A treize, il en paraît dix-huit et réussit à se faire engager comme plagiste pour revoir la mer, qui l’a émerveillée à Monaco (quand il s’était glissé dans un car de supporters de foot).

    Puis c’est « l’Eldorado » de la base américaine à Châteauroux où il se fait des amis et entre comme chez lui pour acheter et revendre du « made in USA ». Des trafics en tous genres lui rapportent de quoi vivre. Du même coup, il apprend l’anglais, découvre le cinéma américain. Il fait la connaissance d’un des fils d’une famille cultivée, dont les parents artistes le reçoivent volontiers, avec gentillesse : une vie différente, où on mange et parle ensemble. A seize ans, il finit par se faire prendre et se retrouve en prison. Là, le psy lui voit des mains « de sculpteur » : ces mots le bouleversent, comme une révélation. Il ne sera pas voyou, mais artiste.

    Autre rencontre décisive, à la gare, lieu des « petites combines », celle de Michel Pilorgé. Ce fils de médecin, son premier véritable ami, veut faire du théâtre. Par curiosité, Depardieu se glisse un jour derrière une scène où se joue Dom Juan. « On ne m’avait jamais dit que des mots pouvait jaillir une musique et c’est une découverte qui me plonge dans des abîmes de réflexion. » Quand son ami prend le train pour Paris, à la fin de l’été 1965, il l’invite à venir le rejoindre là-bas, chez son frère.

    A l’école du TNP où Gérard accompagne Michel, le prof le remarque, lui propose d’étudier une fable de La Fontaine. Le lendemain, il ne connaît pas son texte, mais se met à rire si bien qu’il fait rire les autres. On lui trouve « de la présence ». Les étapes de l’apprentissage du jeune comédien, ses fréquentations, ses premiers cachets, c’est une aventure formidable à lire pour se rendre compte du parcours de celui qui est devenu, dixit Busnel, le dernier « monstre sacré » du théâtre et du cinéma.

    Comme son père, il ne sait pas parler au début, il bégaie, il manque d’instruction. Des personnes vont le faire progresser. De Jean-Laurent Cochet, ancien de la Comédie-Française, metteur en scène au théâtre Edouard VII, il écrit : « C’est cet homme qui va me révéler à moi-même et faire de moi un comédien, un artiste. » Il est le premier à déceler sa « part féminine », son « hypersensibilité ».

    Depardieu raconte les rencontres essentielles : Élisabeth Guignot épousée en 1970, Claude Régy qui l’envoie chez Marguerite Duras (pour Nathalie Granger), le succès des Valseuses qui lui permet d’obtenir un crédit pour une maison à Bougival, Handke… Ses enfants, Guillaume et Julie, d'abord, et lui qui ne sait pas être leur père. Ses joies et ses souffrances. Jouer, jouer surtout. Avec « un instinct inouï ».

    Si son amour de la Russie est sincère, il m’est impossible de le suivre dans ses jugements sur la France ou sur Poutine qu’il ne considère pas comme un dictateur le pense-t-il encore depuis l’entrée de l’armée russe en Ukraine ? « La Russie et l’Ukraine ont toujours été des pays frères. Je suis contre cette guerre fratricide. Je dis : Arrêtez les armes et négociez ! », a-t-il déclaré le 1er mars à l’AFP. Bluffant, cru, désarmant parfois, alternant brutalité et finesse, il parle franco, Depardieu. Un texte de Handke offert en héritage donne le mot de la fin : « Dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. »

  • Lumineuse

    NINA

    Nous allons nous séparer… peut-être pour toujours. Je vous en prie, acceptez ce petit médaillon en souvenir de moi. J’y ai fait graver vos initiales et, de l’autre côté, le titre de votre livre : Les Jours et les Nuits.

    TRIGORINE

    Comme c’est gracieux. (Il embrasse le médaillon.) Un charmant cadeau !...

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    NINA

    Pensez à moi quelquefois.

    TRIGORINE

    Je ne vous oublierai pas. Je me souviendrai de vous, en robe claire, par cette journée lumineuse – vous rappelez-vous ? – il y a une semaine. Nous bavardions… Une mouette blanche était posée sur un banc…

    NINA, pensive

    Oui, une mouette…

     

    Anton Tchekhov, La mouette (acte III)

  • Frankie

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    Penda Diouf, Pistes…

  • Penda Diouf, Pistes...

    « Te souviens-tu des dunes ? Te souviens-tu des dunes de Namibie ? Te souviens-tu des dunes de Namibie et du roulis du sable sur leur flanc ? De la mélodie de leur flanc ? De l’aine des dunes de Namibie d’où s’écoulent des grains de sable, égrainés un à un, roulant sur eux-mêmes. Précipités dans la chute de reins vertigineuse de la dune, ils brûlent d’impatience de rouler sur le sol, loin de leur point d’origine. » Ainsi commence le prologue de Pistes… (2017) suivi de Sutures, de Penda Diouf.

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    Penda Diouf, écrivaine et directrice d’une médiathèque en banlieue parisienne.
    © Damien Grenon pour Jeune Afrique

    Ce texte fort m’a fait découvrir une autrice de théâtre française, née à Dijon en 1981, sénégalaise par naturalisation. Elle l’a écrit pour la SACD dans le cadre du projet Les Intrépides sur le thème du courage. « You are a brave woman » lui disait-on souvent dix ans plus tôt en Namibie où elle voyageait seule : le « je » du texte est issu de cette expérience.

    Dès le prologue apparaît le thème de la colonisation allemande en Namibie (1884-1915) : « Et quand tu viens, touriste, dévaler Crazy Dune, batifoler sur les flancs rouges de Big Mama, surfer sur sa croupe rebondie, n’oublie pas le chant du grain de sable. N’oublie pas ce cri muet de l’abandon, de la tristesse et de l’oubli. Ce chant du siècle dernier qui résonne encore aujourd’hui. »

    Les textes de Pistes… sont reliés par des gestes de couture et de chirurgie : « Rassembler les tissus d’histoire épars, patchwork cousu d’intime. » Le fil du récit commence à la maternelle, quand la petite Penda, « différente », apprend à rester en marge, à ne pas briller surtout. Elle a cinq ans quand on choisit l’Afrique comme thème du carnaval et qu’on lui refuse coiffure et maquillage, seule privée de déguisement. « Mon corps ne sait pas ce que c’est être à l’aise. »

    Elle lit Jane Eyre : « Certains cœurs ne sont pas faits pour le bonheur. » A l’adolescence, fan d’athlétisme, elle se muscle, s’entraîne, suit les compétitions à la télévision. Lorsqu’elle voit Frankie Fredericks sur le podium du 200 mètres et pour la première fois le drapeau de la Namibie, quelque chose commence, un rêve de voyage. Bien que bonne élève en français, elle manque le bac à l’oral où on l’interroge sur sa naissance, ses tresses, perdant ses moyens pour commenter Baudelaire, son poète préféré.

    Et la voilà seule « personne noire de l’avion » au milieu de retraités allemands partant dans l’ancienne colonie qu’elle parcourt en voiture, à pied, seule. Elle y rencontre des Namibiens, parle anglais, visite le parc d’Etosha : près du point d’eau où viennent s’abreuver les animaux, un guide lui conseille en français d’attendre l’arrivée des lions. Là, elle se sent à sa place, sur la droite ligne de son « chemin de vie ».

    Penda Diouf rappelle la conférence de Berlin, « le découpage officialisé de l’Afrique ». Le billet namibien de dix dollars porte le visage d’Hendrik Witbooi (1825-1905), devenu chef Nama (du nord) après l’assassinat de son père. Il lit et écrit en plusieurs langues. Il se donne pour mission « de réunifier la tribu Nama et de combattre l’ennemi allemand présent sur le territoire namibien ». Quand il apprend la défaite des Hereros (du sud) qui ont fini par prendre les armes, Witbooi s’engage dans une guérilla de cinq ans.

    Il y perd la vie avant le génocide : hommes, femmes, enfants deviennent prisonniers des Allemands sur leur propre terre, tatoués, enfermés sur l’île de Shark Island. Ce « haut spot de plongée sous-marine ou de scooter des mers » a été « l’un des premiers camps de concentration de l’humanité ». On y mourait de faim, des coups, on y profanait les crânes des morts. Voyage en Namibie. Voyage dans l’histoire. Voyage pour se mettre debout et marcher…

    Sutures, un texte d’une dizaine de pages, complète le récit de vie de Penda Diouf. Elle y revient sur un voyage en Côte d’Ivoire qui lui a permis de mieux comprendre ses origines et de renouer avec une partie de sa famille. Comme l’écrit Myriam Saduis, qui a entendu Penda Diouf lors de la création de Pistes… à Avignon en 2017, « par la voix d’une seule, un chœur entier se lève, dévale les dunes, et déroule, sous nos yeux, une carte du monde oubliée, au tracé sensible et implacable. »