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écrits

  • A contre-courant

    fernandez,avec tolstoï,essai,littérature française,tolstoï,littérature russe,guerre et paix,iasnaïa poliana,vie,écrits,mariage,idées,culture« L’évolution même de Tolstoï est à contre-courant de ce qu’on observe chez les autres écrivains et artistes. Jeune, il adopte sans les discuter les coutumes et les conventions de sa classe : aristocrate campagnard, propriétaire terrien, seigneur local, officier, joueur, débauché, il entre facilement dans chacun de ces rôles. Peu à peu, il prend conscience de son erreur. De plus en plus insatisfait, il rompt avec ses habitudes, ses manières de penser. Et le voilà, dans son âge mûr, en pleine lutte intérieure contre lui-même, puis en pleine révolte contre son milieu ; en son grand âge enfin, il cherche décidément à déplaire, se dressant dans la posture magnifique de l’insurgé. »

    Dominique Fernandez, Avec Tolstoï

    Ilia Repine, Tolstoï à sa table de travail, 1891, Musée russe, Saint-Pétersbourg

     

  • Tolstoï et Fernandez

    Iasnaïa Poliana (« Clairière lumineuse ») a fêté cette année son centenaire : le domaine et la maison de Tolstoï ont été nationalisés le 10 juin 1921, le Comité Central leur a accordé un statut muséal. Restée en contact avec Olga, qui avait guidé notre petit groupe dans cette maison-musée en 2004, j’ai découvert grâce à elle un bel essai de Dominique Fernandez, Avec Tolstoï, publié en 2010.

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    Ivan Nikolaevich Kramskoï, Tolstoï, 1873 (Galerie Tretiakov, Moscou)

    L’entretien accordé cette année à notre charmante guide par l’auteur du Dictionnaire amoureux de la Russie, est disponible en vidéo sur YouTube : Интервью с писателем Домиником Фернандезом (l’introduction en russe est sous-titrée en français, langue de cet entretien d’une demi-heure). Olga y regrette que l’essai n’ait pas encore été traduit du français en russe.

    Avec Tolstoï n’est pas une biographie de l’écrivain (1828-1910), mais un cheminement en sa compagnie – la préposition l’annonce clairement. L’essayiste commence par situer celui que Nabokov place en premier dans son classement des écrivains russes, puis réfute deux images qui peuvent faire écran : « l’héritier » menant une vie de seigneur, la « gloire nationale et internationale » dont Iasnaïa Poliana est devenu « un lieu de pèlerinage ».

    « Tolstoï était un mécontent, mécontent de lui-même, mécontent des autres, un insoumis, en lutte contre les pouvoirs, contre l’Etat, contre l’Eglise, en lutte d’abord contre lui-même ; un homme assoiffé de perfectionnement intérieur ; un errant toujours en quête : l’opposé, en somme, du pontife assis, qui a trouvé. » Voilà le ton et le sujet. Fernandez a lu ses Journaux et carnets (trois tomes dans La Pléiade) : la question de rester soi-même tourmente Tolstoï continuellement, « se dégager des obstacles mis au perfectionnement intérieur par la naissance, la famille, la société, par sa propre lâcheté. »

    Le chapitre « Dostoïevski ou Tolstoï » met le premier du côté de la jeunesse et de son intransigeance – l’écrivain des états extrêmes, de la fébrilité, du tragique. Le second prend son temps pour montrer la vie « dans ses moindres manifestations », dans la ligne de l’épopée : « A Guerre et Paix, je ne peux comparer que l’Odyssée. » Tolstoï lui a fait découvrir le monde, il reste toujours « de plain-pied avec la vie, avec les choses, avec nous. » Quelle déception d’entendre un jour Nathalie Sarraute déclarer en privé : « Après Dostoïevski, on ne peut plus lire Tolstoï, c’est entièrement démodé. »

    Le parti de Fernandez étant pris, Avec Tolstoï examine ses nouvelles, ses romans, sa vie et son art, son mariage, ses idées – il y a tant d’entrées possibles. « Tolstoï est un œil. » Son réalisme le rapproche de Balzac, mais celui-ci commence par des descriptions, Tolstoï n’y recourt que dans le corps de la narration. Les exemples suivent. Sur le style, les idées de Tolstoï sont « très proches de celles de Stendhal », comme lui en quête avant tout de la justesse de l’expression. Pour bien écrire, ne pas ajouter mais supprimer.

    D’autres lieux tolstoïens sont à visiter en Russie. Un musée à Moscou, rue Prechistenka où il n’a jamais habité, expose des « portraits, photographies, autographes du maître ». Je n’y suis pas allée, mais bien à la maison personnelle de Tolstoï achetée en 1882, aujourd’hui rue Tolstoï. Avant de la décrire – quel bonheur de la revoir sous ses yeux – Dominique Fernandez explique que cette année-là, l’écrivain russe s’est porté « bénévole pour aider au recensement de la population de Moscou » : taudis, asiles, misère, « ce qu’il découvrit augmenta son horreur de la civilisation urbaine » qu’il dénonce dans plusieurs textes.

    Je ne me souvenais pas du buste d’Antinoüs sur le palier à l’étage – en 2004, nous n’avions pas pu prendre de photos à l’intérieur –, j’en ai trouvé une en ligne. « La perfection de la beauté masculine, et le symbole d’une sorte d’amour qui en principe répugnait à Tolstoï. » Fernandez reviendra sur le sujet de l’homosexualité abordé par Léon Tolstoï dans son Journal et en particulier sur une scène racontée dans Enfance. Sophie Tolstoï en parle aussi dans ses écrits.

    Fernandez offre dans le chapitre sur Iasnaïa Poliana une excellente visite guidée des lieux (en compagnie d’Olga) et rappelle comment ce domaine a nourri les descriptions que fait Tolstoï de la nature, arbres, flore et faune, prairies, rivières… Sur la situation des paysans et tout ce qu’il a entrepris en faveur du progrès social, l’auteur recommande de lire La matinée d’un gentilhomme rural, un texte devenu indisponible, mais republié l’an dernier en Folio classique.

    Si Avec Tolstoï est nourri de la lecture des grands romans, Guerre et Paix en premier, Anna Karénine où Fernandez signale le « premier monologue intérieur de l’histoire du roman » (le suicide d’Anna), l’essai rend aussi curieux d’autres textes moins connus. Merci encore à Olga de nous avoir donné envie d’ouvrir ce livre sur le grand écrivain de Iasnaïa Poliana. Dominique Fernandez l’a écrit en grand lecteur de Tolstoï et donne envie de le lire plus avant.

  • La question du jour

    Des cartes d’anniversaire, de vœux, de vacances,
    Des cartes postales, des reproductions,
    Des lettres et des dessins de ses enfants, d’enfants des autres,
    Du courrier en français, en néerlandais, en anglais, en allemand et même en espagnol,
    Des lettres d’indignation et parfois des réponses,
    Des années et des années de correspondance…

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    © Victor Abeloos, La rédaction de la lettre

    Pour les papiers administratifs, des recommandations existent : ce qu’il faut garder et combien de temps.

    Mais tous ces écrits personnels ? ces écritures ? Nous en conservons certains, d’autres vont à la corbeille à papier. Nous les trions parfois, pas toujours. Qui n’en a pas fourré dans l’une ou l’autre boite, dans un tiroir, un secrétaire, en remettant à demain une sélection plus drastique ? Qui ne s’est pas dit : un jour, je serai heureuse de la relire, cette carte, cette lettre ?

    Bref, la question du jour – que garder ? – rappelle la ribambelle scolaire : qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? pourquoi ?

  • Dessinez

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    « Dessinez sans intention particulière, griffonnez machinalement, il apparaît presque toujours sur le papier des visages. Menant une excessive vie faciale, on est aussi dans une perpétuelle fièvre de visages. Dès que je prends un crayon, un pinceau, il m’en vient sur le papier l’un après l’autre dix, quinze, vingt. Et sauvages la plupart. Est-ce moi tous ces visages ? Sont-ce d’autres ? De quels fonds venus ? »

    Henri Michaux, Peintures et dessins

    Henri Michaux Aquarelle 1981 Coll. privée
    © SABAM Belgium 2016

     

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    « Dans tous les inachèvements, je trouve des têtes. […] Tout ce qui est fluide une fois arrêté devient tête. Comme têtes je reconnais toutes les formes imprécises. »

    Henri Michaux, Emergences-Résurgences

    Henri Michaux Acrylique 1972 Coll. particulière
    © SABAM Belgium 2016

     

    Henri Michaux. Face à face, Bibliotheca Wittockiana, Bruxelles,
    2.03.2016 > 12.06.2016

    Rencontre autour de Michaux à la librairie Tropismes le 17.03.2016 à 19 h.

  • Michaux Face à face

    Henri Michaux (1899-1984), de son vivant, refusait toute représentation personnelle : déjà en 1927, quand la NRF édite Qui je fus, « avec un portrait de l’auteur gravé sur bois par G. Aubert », il refuse l’illustration, la barre d’une croix et signe par-dessous un « Non » péremptoire. C’est l’affiche de l’exposition qui vient de s’ouvrir à la Bibliotheca Wittockiana : « Henri Michaux Face à Face ».

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    Jacques Carion et Jean-Luc Outers sont allés chercher « ailleurs, entre écriture et peinture », le « vrai visage » de l’écrivain et du peintre, et c’est passionnant. L’exposition offre une porte d’entrée originale dans l’univers de Michaux, qu’on connaisse ou non son œuvre. L’auteur d’Un certain Plume (né à Namur) détestait sa « belgitude », il a obtenu la nationalité française en 1955.

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    Le parcours donne à voir et à lire. D’abord « quelques renseignements sur cinquante-neuf années d’existence », une notice rédigée par Michaux lui-même en 1957. Puis, en première partie : « Henri Michaux face à ce qu’il crée (des mots pour se dire, des images pour se trouver) ». Près de deux petites gouaches bleues (de 1925, alors que sa première exposition date de 1937), une huile sur bois de 1982 (Michaux ne voulait pas de titre pour ses peintures) – et des extraits en regard : « Ce sont trois hommes sans doute ; le corps de chacun, le corps entier est embarrassé de visages ; ces visages s’épaulent et des épaules maladives tendent à la vie cérébrale et sensible. » (La nuit remue)

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    Henri Michaux Gouache sur papier ca. 1925 Coll. privée © SABAM Belgium 2016

    L’obsession des têtes, du visage (brouillé, caché) apparaît comme un leitmotiv aussi bien dans la peinture de Michaux que dans ses écrits. Citations et extraits nombreux dévoilent un palimpseste où l’écrivain qui ne voulait ni se montrer ni parler en public interroge sans cesse le sens ou non-sens de l’apparence. « J’ai cessé depuis vingt ans de me tenir sous mes traits. Je n’habite plus ces lieux. » (Passages)

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    Emergences-Résurgences, Genève, Skira, 1972

    Bien sûr, au Musée du Livre et de la reliure, les ouvrages de Michaux sont particulièrement mis à l’honneur : livres d’art, plaquettes, illustrations... « Henri Michaux face à d’autres œuvres, évocations, invocations », la deuxième partie, est consacrée à ses écrits sur d’autres peintres : Klee, Sima, Matta… 
    En rêvant à partir de peintures énigmatiques (1972) évoque des toiles de Magritte sans les nommer, comme In memoriam Mack Sennett, une huile prêtée pour l’occasion par La Louvière.

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    Henri Michaux Huile sur bois ca. 1982 Coll. particulière © SABAM Belgium 2016

    Michaux a beaucoup voyagé, en vrai et en rêve. Dans Arbres des tropiques (1942), entre autres dessins végétaux, voici un arbre à silhouette humaine, à moins que ce soit l’inverse – « Comme les arbres sont proches des hommes ! » « Lecture de huit lithographies de Zao Wou-ki » (1950), « En Occident le jardin d’une femme indienne » (1986), « Jeux d’encre. Trajet Zao Wou-ki » (1993) : autant de collaborations entre le poète et le grand peintre chinois (devenu Français, comme lui) publiées par de petites maisons d’édition.

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    Lecture par Henri Michaux de huit lithographies de Zao Wou-ki,
    Paris, Godet, 1950 Coll. particulière

    En appel de visages d’Yves Peyré a été une source d’inspiration pour ce « Henri Michaux Face à Face ». On découvre que Michaux aimait regarder des dessins d’enfants, d’handicapés mentaux, avant même qu’on parle d’art brut. En plus des huiles, aquarelles, encres, gouaches, « crayocolors », la plupart issus de collections privées, on peut voir aussi des dessins mescaliniens comme celui prêté par Alechinsky où aucune forme ne se distingue au premier regard mais où apparaissent, si on veut bien s’y plonger, des visages esquissés, encore et encore.

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    Henri Michaux Aquarelle sur papier 1981Coll. particulière © SABAM Belgium 2016

    Enfin, « Henri Michaux face aux autres et à lui-même : portraits » réunit des dédicaces et des correspondances. L’écrivain a multiplié les refus par rapport à toute sollicitation – entretien, émission, spectacle, colloque, prix littéraire, et même publication dans La Pléiade ! D’une indépendance farouche, il protégeait son intimité, sa liberté, lui qui était pourtant si curieux des autres.

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    A côté de dédicaces signées Michel Leiris, Jean Dubuffet, René Char… et de dédicaces de Michaux dans une petite écriture serrée pas toujours lisible, on montre quelques lettres – Michaux les brûlait et demandait qu’on les brûlât – « en tout cas ne les publiez pas » écrit-il à son ami Franz Hellens à qui il refuse « CATEGORIQUEMENT » (sic) de republier quoi que ce soit de lui paru au Disque vert – « cet haïssable passé ».

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    Henri Michaux 1953 © Photo Paul Facchetti

    Le parcours se termine sur un portrait peint par Jean Dubuffet et des photos de Michaux par Gisèle Freund, par Paul Facchetti, où paradoxalement l’homme qui s’effaçait prend la pose. Etonnantes, ses deux dernières peintures inspirées par la mer du Nord donnent une note joyeuse à cette fin de parcours. Dans une salle annexe, Michaux encore, sous de belles reliures très diverses. A l’étage sont exposés des dessins inspirés par ses textes (Serge Chamchinov, Roland Breucker).

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    Vous pourrez découvrir « Henri Michaux Face à face » jusqu’au 12 juin à la Bibliotheca Wittockiana (et l’an prochain au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris.) A la fin du catalogue, un beau texte de Jean-Luc Outers évoque la mort et l’incinération de Michaux au Père-Lachaise : « L’homme sans visage ».