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Peinture - Page 28

  • Peintre et modèle

    Peintre et modèle, dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, sont deux femmes, excellemment interprétées par Noémie Merlant et Adèle Haenel, j’en reparlerai. L’intrigue est mince et le rythme lent dans ce film avant tout centré sur le regard : celui des personnages les uns envers les autres, celui des spectateurs à qui chaque image offerte est comme un tableau. On aimerait voir parfois ce parti-pris esthétique contrecarré par un peu plus de vie, mais c’est de toute beauté, qu’il s’agisse des paysages, des intérieurs, des personnages surtout.

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    Héloïse (Adèle Haenel) et Marianne (Noémie Merlant) dans Portrait de la jeune fille en feu

    A la fin du dix-huitième siècle, une peintre prend la pose devant ses élèves qu’elle initie au portrait. A la fin de la leçon, l’une d’elles s’enquiert d’une toile de la maîtresse qu’elle a remarquée dans la pièce : c’est un portrait de la jeune fille en feu devant la mer. Flash-back. Marianne arrive dans un château près de la mer, en Bretagne, où une jeune servante la conduit à la grande chambre qui lui servira d’atelier. La comtesse l’a engagée pour peindre un portrait de sa fille, destiné à son fiancé milanais.

    Très vite, la difficulté de sa mission apparaît. Sortie du couvent où elle se plaisait, après le suicide de sa sœur aînée qui ne voulait pas se marier, Héloïse, la jeune fille en question, refuse de poser. Le peintre chargé en premier de faire son portrait a renoncé à sa tâche. Il faudra donc la peindre de mémoire, en une semaine, et sans que l’intéressée le sache ; Marianne est censée lui tenir simplement compagnie, l’accompagner dans ses promenades et veiller à ce qu’elle ne se jette pas de la falaise comme l’aînée.

    Un film de femmes donc : la peintre et son modèle, la mère, la servante – quatre actrices parfaites dans leur rôle. Marianne et Héloïse s’observent d’abord, très attentives l’une à l’autre pour des raisons différentes. Marianne veut mémoriser les traits du visage à peindre, en rendre l’expression ; Héloïse est heureuse de pouvoir à nouveau sortir, marcher près de la mer, et curieuse de la vie de Marianne, de son opinion sur le mariage, troublée par ses regards constamment tournés vers elle.

    Céline Sciamma alterne les scènes d’intérieur et d’extérieur. La caméra suit la lumière et l’ombre, et les moindres nuances des sentiments sur les visages. Chez Noémie Merlant-Marianne, ce sont les yeux qui parlent le plus. Chez Adèle Haenel-Héloïse, tout est d’une expressivité singulière : les inflexions du regard, les moues de la bouche, les frémissements de la peau, les gestes, l’immobilité même.

    « J’ai eu beaucoup de plaisir à regarder les comédiennes, à capter les moindres variations, à connaître leurs traits et voir comment la lumière et les angles de prise de vues les modifiaient », a confié la directrice de la photographie. La réalisatrice atteint un double objectif : d’abord, montrer ce qui se joue dans la relation entre l’artiste et son modèle, la quête du geste sur la toile – comme lorsque Marianne (par le pinceau d’Hélène Delmaire) pose la touche qui donnera à la robe, en plus de sa couleur, le mouvement et l’éclat de l’étoffe.

    Montrer aussi la naissance du désir. Deux femmes se découvrent, se plaisent, se révèlent l’une à l’autre. Portrait de la jeune fille en feu observe ce qui se passe entre deux êtres qui se rapprochent. Marianne arrivera-t-elle à réussir le portrait ? Le mariage d’Héloïse aura-t-il lieu ? Jusqu’où ira l’amour des deux femmes l’une pour l’autre ? La peinture cinématographique des sentiments prend le pas sur l’approche de l’art.

    Ce film dure deux heures et certaines scènes m’ont semblé trop appuyées, mais dans l’ensemble, il emporte l’adhésion, même s’il m’a laissée un peu à distance. Je ne vous dirai guère plus de l’intrigue (ne lisez pas Wikipedia qui la dévoile si vous comptez voir ce film) ni du titre, à prendre à la fois au sens propre et au sens figuré, sinon que la musique s’y invite d’une manière originale et marquante. La dernière séquence est extrêmement belle, inoubliable.

  • Deux paysages

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    En haut © René Schlosser / En bas © Mireille Veauvy 

    Pourquoi gardons-nous le souvenir d’une peinture en particulier ? Est-ce le temps que nous avons passé à la regarder ? L’émotion que nous avons ressentie ?
    En zoomant sur cette photo, j’ai trouvé la signature de René Schlosser (1933-2017), dont la galerie Duvert à Crest propose plusieurs toiles.

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    © René Schlosser (détail)

    Un article du Matin (2002) m’apprend que cet artiste « rattrape des fragments de matériaux pétris de vécu utilitaire ou de caprices de la nature, pour leur redonner une autre destinée dans l’œuvre d’art. » Lui-même, dans une vidéo tournée dans son atelier de Valence, dit sa passion de travailler sur des matériaux « pauvres », « qui appartiennent à la vie courante », « usés par le temps », plutôt que sur des matériaux « beaux-arts ».

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    © Mireille Veauvy (détail)

    Dans ces deux toiles presque carrées, qui semblent inspirées de paysages asiatiques, pour la première en tout cas, on distingue en se rapprochant des pièces rapportées : à peine visibles dans celle du haut, dans une toile plus épaisse qu’une bordure souligne dans celle du bas. Il s’en dégage quelque chose de mystérieux, d’attirant, un je ne sais quoi qui retient le regard et mène au rêve.

    Rectificatif (17/4/2021) :

    Erronément, j’ai attribué ces deux œuvres à René Schlosser.
    Toutes mes excuses à Mireille Veauvy, peintre et licière, qui a créé la tapisserie entourée d’une peinture, deux techniques qu’elle rapproche. Je vous invite à découvrir son travail sur son site.

  • Cubisme dans la Drôme

    En traversant le pont Mistral sur la Drôme, nous ne savions pas encore qu’il nous faudrait revenir sur nos pas pour visiter « Le Cubisme dans la Drôme », la belle exposition du Centre d’Art de Crest qui vient de se terminer. On y rappelait la formule de Cézanne : « Il faut traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône ».

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    Albert Gleizes (1881-1953), André Lhote (1885-1962) et Vanber (signature d’Albert Voisin, 1905-1994) sont les trois artistes phares d’un parcours qui montre « l’influence du mouvement cubiste sur les plus grands artistes de la région ». Martial Duvert, commissaire de l’exposition et antiquaire, retrace leurs itinéraires artistiques et aussi leur influence locale.

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     Composition cubiste attribuée à Albert Gleizes, annotée au dos AG 31. Collection particulière.
    (Mise à jour 9/10/2019)

    Il fallait se concentrer pour apprécier les œuvres – des écoliers d’abord assez sages s’amusant un peu trop ensuite à se poursuivre de salle en salle. De Gleizes, un des fondateurs du mouvement Abstraction-Création, j’ai aimé ce portrait cubiste dont je n’ai pas noté le titre (pas de catalogue, dommage). De nombreuses peintures provenaient de collections particulières.

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    © Guy Marandet, Campagne au printemps. Huile sur toile (collection particulière)

    Avant celles d’André Lhote, deux grandes huiles sur toile de Guy Marandet (1917–2011) attiraient le regard par leurs couleurs vives entre les fenêtres : Campagne au printemps et Noblesse de la vallée du Rhône. Elève et ami d’André Lhote, grâce à qui il a découvert Mirmande où il a fini par s’installer, il est très influencé, dans ces paysages stylisés, par la peinture de Jacques Villon.

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    © André Lhote, Vue de Crest. Huile sur toile (collection particulière)

    Cette jolie Vue de Crest signée Lhote exprime son attachement aux paysages locaux dont il vantait la beauté à ses élèves. Le cadre met cette toile particulièrement en valeur avec sa bordure qui fait penser à la génoise des toits provençaux. L’entrée du parc est un prêt du musée de Valence, partenaire de cette exposition.

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    Le nom de Vanber m’était inconnu, c’est une œuvre de lui qui figure à l’affiche de l’exposition. On aimerait comparer les dates du Corsage rouge, une grande huile où le rouge s’empare de toute la toile, jusqu’aux cheveux des personnages féminins, et de La sieste à Saint-Thomé (Ardèche), toute en volutes colorées. Comment ne pas penser à la petite chatte laissée à Bruxelles en regardant Le chat devant la cheminée ? Vanber s’est aussi impliqué dans la défense des quartiers anciens de Crest, dont on reconnaît bien la célèbre Tour sur certaines vues montrées ici.

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    © Vanber, Le Chat devant la cheminée, détail. Huile sur toile (collection particulière)

    « Le cubisme dans la Drôme » présentait autour de ces trois peintres des noms moins connus, comme ceux de Dimitri Varbanesco (1908-1963), d’origine roumaine, avec Plante grasse dans l’atelier ; de Madeleine Thery, peintre, céramiste et graveuse (épouse de Vanber) avec un Nu à l’horloge tout en puissance ; d’Alejandro Obregón (1920-1992), colombiano-espagnol, avec Fleur dans un vase.

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    © Dimitri Varbanesco, Plante grasse dans l’atelier. Huile sur papier marouflé sur isorel.
    Collection du Musée de Valence.

    De nombreuses céramiques étaient exposées dans des vitrines, signées entre autres Anne Dangar, qui a travaillé avec Gleizes. Le musée de Valence lui a consacré une exposition en 2016-2017. Si je ne me trompe, ce beau plat ovale au décor cubiste est de Dominique Baudart.

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    © Dominique Baudart, Céramique au décor cubiste

    A la sortie de l’exposition, qui valait à elle seule le détour, l’espace de la Galerie Duvert, juste en face, offre de quoi s’émerveiller. On y trouve des livres d’art, des meubles anciens, d’autres œuvres de ces peintres cubistes, des artistes contemporains – un bel ensemble. Je me serais volontiers attardée davantage, la conversation avec le galeriste à propos de Willy Eisenschitz, un peintre juif qui s’était caché à Dieulefit durant la seconde guerre mondiale, donnant un aperçu très intéressant de la Résistance dans la région.

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    Vue partielle de la Galerie Duvert

    Une adresse à recommander avant de quitter Crest ? La pâtisserie du Donjon : nous nous y sommes régalés de glaces artisanales, tout en admirant les tartes de saison.

  • Sur la terrasse

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    Le soleil sur ta peau joue à la marelle

    Je bois l’été et m’enivre des ombres
    tendres

    Nous danserons sur la terrasse d’un café
    improbable et je serai le badaud éternel
    du début des mondes

     

    Jean-Paul Schmitt, La pluie est amoureuse. Poèmes, 2019.
    © Jean-Paul Schmitt, Intérieur Café V (Péristyle de l’Opéra), huile sur toile, 116 x 89 cm

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  • Schmitt à Venterol

    Au sympathique Bistrot de Venterol (place du Château), l’invitation de la galerie Ombre & Lumière montrait de quoi attirer : Café III – Le Myrabelle à Amsterdam (quatre personnes attablées près d’un comptoir, une huile au couteau) et, au verso, une Nature morte aux pivoines (une toile carrée où les touches de bleu, pour l’ombre et pour souligner le petit verre aux pinceaux, capturent le regard après qu’il a glissé sur les fleurs dans leur vase).

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    Rendez-vous pour le vernissage à l'ombre du beau campanile de l'église de Venterol

    Le 7 septembre, il y avait déjà du monde à dix-huit heures au pied du très beau campanile en fer forgé pour le vernissage de Jean-Paul Schmitt : après quinze ans d’activités théâtrales, installé dans les Monts du Lyonnais, il peint depuis près de trente ans. Le Café de l’invitation est bien mis en valeur sur le mur blanc au-dessus des marches, juste en face de l’entrée.

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    © Jean-Paul Schmitt, Café III (Le Myrabelle à Amsterdam), huile sur toile, 116 x 89 cm

    Une autre scène de café où l’on retrouve un fort contraste entre lumière et ombre est accrochée dans la salle de droite, sous l’inscription « Soli Deo Gloria » calligraphiée sur la cheminée. On y voit une femme avec une fleur rouge dans ses cheveux blonds, sans doute la muse de l’artiste, qu’on a aperçue dehors en arrivant à la galerie. On la retrouvera sur d’autres toiles (Anne à la toque) et on verra d’autres belles ambiances de café plus loin, un sujet de prédilection de Jean-Paul Schmitt.

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    © Jean-Paul Schmitt, Pivoines, huile sur toile, 80 x 80 cm

    Le vase aux pivoines annonce un autre versant de sa peinture : la contemplation des choses, des jardins, des paysages. Un fin cyprès se dresse à l’avant d’un champ jaune pâle, à droite d’un chemin bordé d’arbres – contraste encore entre les aplats de couleur à droite et la partie gauche du tableau plus travaillée.

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    © Jean-Paul Schmitt, Brantes, acrylique sur toile, 46 x 55 cm

    Dans une niche, au-dessus de petits formats proposés sous marie-louise, une vue de Brantes, ce beau village de la Drôme provençale : ses façades blanchies par le soleil, ses arbres – du vert, du jaune, de l’orangé – font face au versant bleu du Ventoux. Schmitt rend bien l’impression qu’on ressent là devant la montagne dans l’ombre quand on la contemple d’une terrasse ensoleillée.

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    © Jean-Paul Schmitt, Les pots bleus de la Sablière (détail), huile sur toile, 90 x 90 cm

    A gauche de l’entrée, une salle plus grande. J’aime Les pots bleus de la Sablière, une autre toile carrée où un groupe de plantes en pots, lavandes, plantes grasses et autres, se tiennent compagnie près d’une boîte aux lettres. Et aussi la Nature morte à la boîte à sel (bleue) dont l’ombre (bleue) coule sous un vase de jonquilles. Sur le côté, une gravure très sobre – cafetière et plat de poires – repose des couleurs fortes.

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    © Jean-Paul Schmitt, Nature morte à la boîte à sel, huile sur toile, 50 x 50 cm

    La galeriste d’Ombre & Lumière a fait sortir tout le monde pour présenter Jean-Paul Schmitt et son œuvre consacrée à la « symphonie du quotidien » : conversations et bruits de café, musique, chaleur et silence des paysages, nus féminins. « Badaud éternel », Schmitt écrit aussi des textes, des poèmes. En la remerciant, le peintre rappelle que « la peinture, ça ne se parle pas ».

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    © Jean-Paul Schmitt, La Coise vers Vaudragon / Nénuphars et ponton / Dessert au jardin / Au bord de l'eau,
    huiles sur toiles (petits formats divers)

    Son goût des motifs de plein air apparaît aussi dans quatre petits formats assemblés : rivière teintée de rose, Nénuphars et ponton sous un ciel rouge, table dressée pour Dessert au jardin, groupe de baigneurs au bord de l’eau. L’atmosphère de l’exposition est épicurienne. La quarantaine de peintures et de dessins joliment accrochés, quelques gravures et livres permettent de faire connaissance avec ce peintre figuratif qui réussit à « amener le spectateur dans une image à lui ».

    A voir à la Galerie Ombre & Lumière, 12, rue du Goulet, à Venterol, jusqu’au 4 octobre 2019.