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Passions - Page 229

  • A la Brafa 2019

    Pour commencer l’année en beauté à Bruxelles, rien de tel qu’un tour à la Brafa, au rendez-vous des merveilles des temps anciens et modernes, à profusion. La foire des antiquaires attire de plus en plus de monde à Tour & Taxis : objets de qualité, présentation recherchée, ambiance festive – de quoi s’en mettre plein la vue !

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    Outre le plaisir d’y retrouver des artistes que j’admire, j’apprécie d’y découvrir une signature que je ne connais pas, comme sur cette marine d’Amédée Marcel-Clément, Le canot s’éloigne (1938) – un peintre breton, m’indique la galeriste (Ary Jan) – ou sur un portrait art nouveau d’Elisabeth Sonrel, Beatrix au laurier d’or. Deux petits Fantin-Latour me retiennent là, tout au début du parcours, dont un merveilleux bouquet de roses.

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    Amédée Marcel-Clément, Le canot s’éloigne, 1938, huile sur toile, 60 x 92 cm
    (Galerie Ary Jan, Paris)
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    Fantin-Latour, Roses, 1879, huile sur toile, 27,5 x 35,5 cm  (Galerie Ary Jan, Paris)

    D’un stand à l’autre, on change complètement d’univers. Celui de la Galerie Mathivet, spécialisée dans l’art Déco, présente deux « salons » meublés et décorés d’objets d’art, de belles toiles aborigènes y attirent l’attention. Si j’en avais les moyens, j’acquerrais plutôt cette table basse de Diego Giacometti, avec ses hiboux et ses grenouilles.

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    Vue partielle du stand (Galerie Mathivet, Paris)Brafa 2019 (10).JPG
    Table basse de Diego Giacometti (Galerie Mathivet, Paris)

    Steinitz de Paris offre un décor à l’ancienne de toute beauté : lambris, tissus, meubles, porcelaines de premier choix. Je suis subjuguée par ce Bacchus en terre cuite de Lucas Faydherbe, une figure joviale comme en peignaient les maîtres du XVIIe siècle. Cet artiste malinois a travaillé dans l’atelier de Rubens avant de s’établir dans sa ville natale. Ce buste de sa collection personnelle provient de sa descendance. Quelle expression dans ce visage souriant, quelle souplesse dans le rendu de la chevelure et du drapé !

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    Lucas Faydherbe, Buste de Bacchus, vers 1645. Terre cuite. H 78 cm (Steinitz, Paris)

    L’artiste contemporain invité cette année est le duo des excentriques et inséparables Gilbert & George, avec plusieurs vitraux à leur double effigie. Les superbes décorations florales des allées (photo 1) leur volent la vedette. Des fleurs, on en trouve aussi sur un grand tapis d’Orient suspendu, sur un remarquable collier aux glycines de Philippe Wolfers. Bien sûr, les bouquets peints ne manquent pas : voyez ce Bouquet de branches de cerisier, signé Louis Valtat (vers 1928, galerie Bailly).

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    Philippe Wolfers, Collier aux glycines, art nouveau, vers 1901-1902
    (Epoque Fine Jewels, Kortrijk/Courtrai)

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    © Louis Valtat, Bouquet de branches de cerisier, vers 1928, 73 x 54 cm (Galerie Ary Jan, Paris)

    Chez Francis Maere, on retrouve chaque fois des peintres belges de la fin du XIXe ou du début du XXe. De Spilliaert, présent sur plusieurs stands (beau Parc d’Ostende, à la galerie Jamar), voici un magnifique Arbre en hiver (1919), non loin de Pêcheurs sur le quai d’Anto Carte. De ce peintre que j’aime, mon coup de cœur est Le petit Arlequin présenté à la galerie Lancz – quelle douceur chez cet artiste pour représenter la maternité !

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    Léon Spilliaert, Arbre en hiver, 1919, fusain et crayon sur papier (Francis Maere, Gand)

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    © Anto Carte, Le petit Arlequin, vers 1928, huile sur toile, 100 x 80 cm
    (Photo Lancz Gallery, Bruxelles)

    Oscar de Vos est un autre galeriste belge bien connu de Laethem-Saint-Martin. Il a joliment mis une scène champêtre d’Emile Claus en valeur, au centre du stand : Après la traversée (1899). On y remarque d’abord la vache, puis les canetons, la poule dans un panier près du chemin qui mène au pré. Dans cette composition très réussie, présentée comme une suite à ses Vaches traversant la Lys, la lumière enchante. Chez le même galeriste, on peut voir de grands paysages de Valérius de Saedeleer, des bronzes de Rik Wouters dont une splendide Contemplation, que je vous ai déjà montrée.

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    Emile Claus, Après la traversée, 1899 (Photo Galerie Oscar De Vos, Sint-Martens-Latem)Brafa 2019 (108).JPG
    Rik Wouters, Contemplation, 1911 (Galerie Oscar De Vos, Sint-Martens-Latem)

    Si je m’intéresse surtout aux peintures et aux sculptures, je me suis arrêtée aussi devant bien d’autres objets comme ce petit meuble marqueté, dont je n’ai malheureusement noté ni les références ni l’exposant. La galerie Claude Bernard offre tout son stand à l’orfèvre contemporain Goudji, que j’avais découvert lors d’une édition précédente de la Brafa : animaux, aiguières, plats d’argent sertis de pierres semi-précieuses, son univers est fascinant et intemporel.

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    Goudji à la Galerie Claude Bernard, Paris

    J’ai manqué le corset peint de Frida Kahlo, un grand bouquet de Chagall, une couronne aux épis en bronze doré pour un miroir de Coco Chanel et bien d’autres choses remarquables – l’an prochain, il faudra préparer une fiche ! J’ai bien vu l’épée de Rubens (Fondation Roi Baudouin), une grande encre de Chine de Fabienne Verdier à la Galerie Schifferli qui expose aussi une lumineuse Composition de Geneviève Asse (1968).

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    © Fabienne Verdier, Champs d’énergie, 2013, encre de Chine sur papier Japon
    (Galerie Schifferli, Genève)

    Tant à regarder ! Si cela vous tente, le catalogue de la Brafa 2019 peut être feuilleté sur son site, où certains exposants proposent un tour virtuel. La Brafa se visite à Bruxelles jusqu’à dimanche, ce 3 février 2019.

     

  • Claudinemania

    colette,film,wah westmoreland,keira knightley,dominic west,claudine,colette et willy,littérature française,bisexualité,paris,émancipation,culture« A travers la « Claudinemania » déferlant sur Paris comme un vent frais et libérateur, le film rappelle que les Beatles n’ont pas inventé l’hystérie collective : Claudine, l’écolière frondeuse, se décline en produits dérivés multiples tandis que les sosies prolifèrent à travers cette Belle Epoque dont on a oublié la liberté de mœurs. Fière, intense, vive, Keira Knightley, toujours à l’aise dans les rôles historiques, campe une Colette remarquable, tandis que Dominic West, massif, jovial et impérieux, est parfait en Willy. »

    Antoine Duplan, « Colette, femme de lettres, femme libérée » (Le Temps, 23/1/2019)

    Keira Knightley dans Colette de Wash Westmoreland (2018)

  • Colette s'émancipe

    Un chat roux fait posément sa toilette sur un lit, aux pieds d’une dormeuse. C’est la première séquence du film Colette, où le réalisateur britannique Wash Westmoreland raconte les premiers pas de Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954) dans sa vie de femme ou plutôt sa première expérience du mariage. Avec Henry Gauthier-Villars (1859-1931), connu sous le nom de Willy, la jeune campagnarde de vingt ans qui aime tant la nature, monte à Paris.

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    Keira Knightley, la séduisante Elizabeth d’Orgueil et préjugés (2005), incarne la jeune femme qui découvre la vie parisienne en même temps que la personnalité mondaine et séductrice de l’homme qu’elle a épousé. Willy, journaliste, critique musical et romancier, joué par Dominic West, aime se faire remarquer, flirter avec les jolies femmes, dépenser plus qu’il ne possède. Quand un huissier se présente à leur appartement pour saisir quelques meubles, leur situation apparaît bien précaire. Les avances de l’éditeur fondent avant que Willy n’honore ses engagements. Il fait travailler ses collaborateurs pour qu’ils écrivent d’après ses directives, mais il ne les paie pas et ils en ont assez.

    Dès le début du film, on voit Colette écrire des lettres. Découvrant son goût pour la correspondance, Willy lui suggère de contribuer à son entreprise littéraire en racontant ses souvenirs de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Mais le résultat ne convient pas à la publication, estime-t-il. Trop de descriptions, trop peu d’intrigue. Il faudrait mettre cela au goût du jour, ajouter du piquant à ses relations féminines. Qu’elle invente, qu’elle transforme ! Ce sera Claudine à l’école, signé Willy, tandis que Sidonie-Gabrielle décide d’abandonner son double prénom pour se faire appeler simplement Colette (le nom de son père).

    Le film montre cet apprentissage littéraire sous la coupe d’un mari très intéressé, qui n’hésite pas à enfermer sa femme pour qu’elle écrive, quand elle renâcle. Vu l’engouement des jeunes filles pour le personnage de Claudine, Willy veut qu’elle continue et raconte la vie de Claudine à Paris, puis en ménage, etc. Encore et toujours sous la seule signature de son mentor, qui lui fait garder le secret.

    Colette va peu à peu se rebeller, sur tous les plans. Découvrant les infidélités de Willy, elle rentre chez sa mère pour faire le point. Quand ils se réconcilient, il lui promet de ne plus lui mentir désormais. Colette, de son côté, ne passe pas inaperçue dans le monde et plaît aux femmes. Willy ne supporterait pas de rival, mais les amours féminines ne sont pas du même ordre à ses yeux, surtout quand ce sont des femmes en vue qui font des avances à sa jeune épouse.

    Le film de Wash Westmoreland montre comment Colette invente pas à pas sa façon de vivre à travers l’écriture, la bisexualité, la pantomime à laquelle l’initie Georges Wague. Elle va se produire au music-hall dans des pantomimes orientales, en tenue très légère – Willy ne craint pas le scandale, il y voit une publicité à bon compte. Ne va-t-il pas jusqu’à couper les longs cheveux de sa belle pour qu’elle ressemble à Polaire, l’actrice qui joue Claudine au théâtre avec succès, et à les faire photographier ensemble avec lui ?

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    Willy (Dominic West) et Colette (Keira Knightley)

    Mais Willy se trompe quand il s’octroie tous les droits sur les Claudine et refuse à Colette de joindre son nom au sien. La célèbre Missy (Mathilde de Morny), connue du Tout-Paris pour ses tenues masculines et ses relations homosexuelles, qui va même se produire avec Colette sur scène, l’admire et l’encourage à oser être elle-même.

    Colette s’émancipe, tel pourrait être le sous-titre de ce film sur les débuts de Colette dans le mariage et dans le monde, sur un couple hors du commun. Quand s’annonce la rupture avec Willy, quand on entend les premières phrases de La Vagabonde dont je vous ai parlé récemment – Renée Néré faisant le point devant son miroir –, le générique de fin est proche et on le regrette.

    Les acteurs sont excellents, l’époque bien rendue (décors et costumes de la Belle Epoque). Plus classique que fracassant dans la manière, Colette est un film très soigné qui réussit, grâce à la conviction de ses interprètes, à montrer l’audace de Colette dans ses choix. Le réalisateur restitue les faits sans forcer le jugement des spectateurs. J’ai préféré le voir en version française qu’en version originale.

    Vous souvenez-vous de Marie Trintignant incarnant Colette avec fougue dans le téléfilm de Nadine Trintignant en deux parties : Colette, une femme libre (2003) ? Ce fut, hélas, son dernier rôle. Pour ceux qui ne connaissent pas la femme de lettres, ce film-ci donnera envie, je l’espère, de découvrir plus avant, à travers le ravissant minois et le regard vif de Keira Knightley, la personnalité attachante de Colette. Et, ce serait encore mieux, envie de lire ou de relire cette femme passionnée d’exister.

  • J'aime tant vivre !

    camus,maria casarès,correspondance,amour,littérature française,théâtre,écriture,culture« Il y a d’autres joies aussi, plus raffinées, plus profondes, plus humaines ; celle de la fidélité par exemple ; celle de l’expérience, celle des riches souvenirs ; celle de la nostalgie ; celle du goût de l’effort toujours renouvelé ; celle de l’unité et de la promesse d’une existence qu’il faut créer jusqu’au bout dans un désintéressement sans égal ; celle de l’idée du retour de la douleur de chaque jour près d’un être si cher, qui tient dans sa main des bonheurs infinis, celle d’un amour, enfin, confirmé, vécu et à vivre encore et toujours. J’aime, j’aime cet âge nouveau ; j’aime découvrir ses plaisirs enfouis, mouillés, délicats, sombres et rayonnants à la fois. J’aime tant vivre ! »

    M. (21 août 1952)

    Albert Camus & Maria Casarès, Correspondance 1944-1959, Gallimard, 2017.

    Portrait de Maria Casarès par Leonor Fini, 1955

  • Camus à Casarès

    Une correspondance très intime, telle fut ma première impression en lisant la Correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès. De quel droit lire ces lettres d’amour, me suis-je demandé. La proximité dans le temps ? (Lui est mort en 1960, elle en 1996.) Cela ne m’était pas venu à l’esprit en lisant les Lettres de la duchesse de La Rochefoucauld à William Short ou la correspondance entre Camille Claudel et Rodin, Virginia Woolf et Vita Sackville-West, Marina Tsvetaïeva et Rilke, Tchekhov et Olga Knipper ou encore les Lettres à Milena de Kafka.

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    Catherine Camus, la fille de l’écrivain, rappelle dans l’Avant-propos qu’ils sont devenus amants « à Paris le 6 juin 1944, jour du débarquement allié ». L’actrice Maria Casarès, 21 ans, jouait Martha dans Le malentendu de Camus. Elle vivait à Paris depuis 1936, son père, « plusieurs fois ministre et chef du gouvernement de la Seconde République espagnole » ayant été contraint à l’exil par Franco. Camus, 30 ans, « séparé de sa femme Francine Faure par l’occupation allemande, était engagé dans la Résistance. »

    Ils se séparent quand Francine Faure peut rejoindre son mari, en octobre 1944. Le 6 juin 1948, Camus et Casarès « se croisent boulevard Saint-Germain, se retrouvent et ne se quittent plus », même si la vie, le théâtre les éloignent souvent l’un de l’autre. Cette correspondance révèle un amour « irrésistible », raconte la vie d’une « très grande actrice » et celle des comédiens à la Comédie-française, au TNP. Camus partage sa passion pour le théâtre. Malgré ses ennuis de santé, il poursuit son travail d’écrivain, se soucie de sa femme et de leurs deux enfants. En conclusion de l’avant-propos, sa fille, qui a « longuement résisté » à cette publication d’après Le Monde, conclut : « Merci à eux deux. Leurs lettres font que la terre est plus vaste, l’espace plus lumineux, l’air plus léger simplement parce qu’ils ont existé. »

    Ce sont des écrits vraiment très personnels, passionnés, sans pose. Les déclarations amoureuses sont ardentes, ils se sentent faits l’un pour l’autre : « Or ce que tu es, est ce que j’aurais rêvé d’être si j’étais née homme » (Maria à Albert, août 48). Après les épanchements des débuts, ils abordent aussi d’autres sujets. En particulier la littérature, il est vrai, à travers le théâtre, l’écriture, leurs lectures ; cette correspondance est un témoignage de premier plan sur les années qu’ils ont traversées ensemble.

    Je me suis souvent réjouie à la lecture des lettres de Maria Casarès, pleines de vitalité. Elle remonte régulièrement le moral d’Albert Camus, le rassure quand il s’inquiète après plusieurs jours sans nouvelles, raconte les succès et les fours, les tournées, les rencontres, les détails du quotidien à la rue de Vaugirard où elle vit avec son père (sa mère est décédée en 1946) et un couple de domestiques attentionnés. Maria Victoria, comme elle signe parfois, a son franc-parler, beaucoup d’humour et une certaine sagesse dans sa vie folle. « Quant à toi, en prenant le train, le bateau, pour revenir, laisse là tes inquiétudes. Arme-toi bien. Et reviens vite dans l’exigence pour toi, pour moi, à la rigueur ; mais dans l’indulgence totale pour les autres, ou dans l’humour. C’est la seule manière de vivre quand on est incapable d’adopter un destin de pierre. » (23 décembre 1952)

    Maria Casarès n’est pas tendre pour les Belges quand elle vient jouer en Belgique. Comme à Camus, il lui faut la lumière du Sud, du soleil pour renaître chaque jour. La personnalité de l’écrivain, quoique grand amoureux, apparaît plus sombre, plus tourmentée. « J’avais rêvé d’une vie plus simple et plus droite. Sur ce point, je dois m’en prendre à moi, c’est un échec. Mais je n’avais jamais rêvé que ma vie puisse être remplie par un être comme elle l’est par toi. C’est pourquoi je suis heureux de vivre, j’aime ma chance, je suis plein de gratitude. » (8 juillet 1955)

    Bien sûr, leur correspondance est si abondante (865 lettres) parce qu’ils vivaient souvent séparés. S’écrire, c’est leur manière de s’aimer, d’entretenir la flamme. Ce n’est pas toujours facile avec la vie qu’ils mènent, chacun de leur côté, engagés à fond dans leur carrière. Ils parlent beaucoup d’eux-mêmes, des personnes qu’ils côtoient dans leurs activités et leurs déplacements, de leurs amis, des endroits où ils mangent, où ils logent. De leur joie du temps qu’ils viennent de passer ensemble, de leur impatience à se retrouver.

    Ce tourbillon amoureux est brutalement interrompu par la mort accidentelle de Camus le 4 janvier 1960. Dans sa dernière lettre à Camus, datée du soir de Noël 1959, Maria Casarès écrivait : « Je t’attends. Je t’attends, ronde et souriante, la cuisse alourdie par l’absence des planches. Et en attendant, je t’embrasse à perdre haleine. » Le 30 décembre 1959, Albert Camus lui écrit pour annoncer son arrivée ; il lui donne rendez-vous pour dîner ensemble le mardi, « en principe, pour faire la part des hasards de la route ».