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Passions - Page 232

  • Speedy Graphito

    A l’Hôtel des Arts de Toulon, Speedy Graphito présente son « musée imaginaire » : cet artiste populaire de l’art urbain en occupe tous les espaces, aménagés par lui. Le visiteur est accueilli avec humour (remarquez le cadre noir inachevé) : « Bonjour je m’appelle Speedy Graphito et je fais ce qui me plait. »

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    © Speedy Graphito

    L’accrochage est thématique, un in-folio intitulé « Le musée imaginaire de Speedy Graphito par Speedy Graphito » présente chacune des salles du rez-de-chaussée et du premier étage, du « Naturalisme » au « Street art ». Le sujet ou les éléments représentés dans ses peintures sont issus de la culture populaire ou inspirés par des œuvres connues de grands peintres, dans un mélange coloré qui ne laisse aucune place au blanc, au vide.

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    © Speedy Graphito (Naturalisme)

    Fuyant Paris, Speedy Graphito s’est installé en Normandie dans les années 1980 et s’y est laissé inspirer par la nature, ses couleurs, une atmosphère de « temps retrouvé ». Puis l’isolement et « l’abandon du marché de l’art » l’ont ramené, écrit-il, « à la raison de la civilisation ». A chaque peinture son clin d’œil, comme avec cette irruption numérique dans un paysage de montagne : « Do you want to save ? » J’ai aimé l’œuvre la plus récente présentée dans la première salle, une étonnante Diane végétale (2018).

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    © Speedy Graphito, Diane, 2018 (acrylique sur toile)

    L’hommage au surréalisme moderne est explicite : atmosphère à la De Chirico où un petit chien de Jeff Koons tient compagnie à un torse antique, personnages de bandes dessinées mêlés aux figures de Picasso, Matisse ou Dali… Sur un mur couvert de motifs bleus et blancs, Le baiser (2018), avec l’oiseau de Twitter et d’autres emprunts divers et variés, dans les tons pastel, reprend une scène de Magritte – la pipe souligne la référence. L’artiste considère les surréalistes comme ses ancêtres, exemplaires de liberté créatrice.

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    © Speedy Graphito, Le baiser, 2018 (acrylique sur toile)

    Les calembours ne sont pas seulement visuels : dans le couloir, Le Saint Dessin (1988) décline en triptyque des volumes dessinés dans les gris et bruns des cubistes. Speedy Graphito a peint la cage d’escalier in situ, un peu à la Keith Haring : « L’abandon de la couleur concentre l’attention sur le geste. » Avant de monter à l’étage, il est intéressant de l’écouter expliquer sa façon de travailler dans une vidéo – dans la salle sont exposées ses « ressources », des photos de toiles d’artistes qu’il admire et dont il s’est inspiré.

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    Vidéo YouTube : Art Is Life, Speedy Graphito (2014)

    A l’étage, le thème des « Nouvelles technologies » est décliné dans des peintures ersatz : ici un écran de téléphone, là une simulation d’image numérique en grand format à l’aide de couvercles de bocaux en guise de pixels – à regarder à travers son appareil photo, signale le gardien, et en effet, le recul décode de façon surprenante l’image inspirée par une star de la téléréalité (pour ceux qui la connaissent).

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    © Speedy Graphito (Nouvelles technologies)

    Après « Sur le chemin de l’abstraction », la salle intitulée « Mon histoire de l’art » comporte une étonnante Annonciation (2018) dont les figures sont très reconnaissables et détournées – voyez l’ange devenu petit diable se détacher sur le pont japonais du jardin de Monet ! Les autres peintures s’inspirent à la fois du pop art et de l’art moderne.  

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    © Speedy Graphito, L'annonciation, 2018

    L’exposition de Speedy Graphito est très variée. Son parti pris ludique prend différentes formes : des motifs « internet » repris en bleu et blanc sur des assiettes, des sculptures-jouets, une série de clichés où une question se pose aux gens qui se photographient devant des sites célèbres – Voulez-vous vraiment prendre cette photo ? Devant l’usage qu’il fait des images connues dans un incessant recyclage, il y a dans ce musée imaginaire comme une fuite en avant : tout a-t-il été montré ? ne peut-on que répéter, à la manière du matraquage publicitaire ?

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    © Speedy Graphito (Société)

    Le parcours se termine sur le thème du « Street art », présenté « comme le dernier mouvement artistique populaire », favorisé par les réseaux sociaux, « nouveau marché financier » plus accessible que celui de l’art contemporain plus hermétique. La bombe de peinture géante (ci-dessous, à gauche) est-elle peinture ou bombe ?

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    © Speedy Graphito (Street Art)

    Personnages de dessins animés, logos commerciaux, tags et graffiti prennent possession de tout l’espace disponible. De quoi se sentir finalement dans l’espace urbain, comme Bambi, pris au piège dans une forêt de signes : les motifs surabondent, comme les mots-clés sur le mur qui sert de fond à cette toile. Ce joyeux détournement égalise en même temps qu’il rend hommage.

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    © Speedy Graphito (Street Art)

    Merci à Brigitte (Plumes d’anges) de m’avoir signalé cette exposition toulonnaise, installée à l’Hôtel des Arts jusqu’au 2 juin prochain (entrée libre), je ne m’y serais peut-être pas arrêtée. Speedy Graphito s’y révèle passionné d’art, avec un regard décalé, débordant d’énergie, et un sens certain de la composition, voire de la mise en scène.

  • Hesse en curiste

    Le curiste de Hermann Hesse (1925, traduit de l’allemand par Alexandra Cade), suivi de « Souvenirs d’une cure à Baden » (1949) est un récit autobiographique inspiré par sa première cure à Baden pour soigner une sciatique. (Comme on disait « prendre des bains (Baden) à Baden », la ville thermale a pris en 1931 le nom de Baden-Baden.)  

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    Friedrichsbad à Baden Baden

    En disant « Nous, les curistes de Baden » dans l’avant-propos, le narrateur est conscient de faire comme s’il ne parlait pas en son nom propre, « mais au nom de toute une catégorie de personnes, de toute une classe d’âge » (« quarante-cinq ans révolus »), sans doute une illusion, voire une erreur. Le récit est à la première personne du singulier.

    Arrivé à Baden en train, le futur curiste est « immédiatement saisi par la magie de l’endroit ». Remarquant à la gare d’autres voyageurs souffrant comme lui de sciatique, il observe leur allure, les « mimiques » personnelles de chacun, et reconnaît des « compagnons d’infortune ». Il leur trouve l’air plus contrarié que lui et se réjouit d’être moins atteint, un sentiment qui grandit encore en descendant vers les bains : comparé aux autres malades, il se trouve « l’air jeune et bien portant ».

    Une voix intérieure qu’il s’efforce de ne pas écouter contredit cette « douce euphorie » : il boite légèrement sur sa « canne de Malaca » et ne remarque pas les individus plus jeunes et plus droits que lui. A l’hôtel Heilingenhof arrive le moment délicat pour « un homme à la fois ermite et écrivain » de choisir la chambre « la plus calme », la difficulté venant souvent de la porte de communication vers une chambre voisine ou du plafond qui résonne sous les pas.

    Hesse adopte dès le début un point de vue ironique pour décrire sa situation et son état d’esprit : il veut faire preuve d’optimisme, y compris en ce qui concerne le médecin qui va diriger sa cure. Il attend de lui « qu’il possède une forme de savoir humaniste » et se réjouit de découvrir sur son visage « une expression intelligente qui laissait supposer un esprit ouvert. » Bref, tout lui semble réconfortant.

    Chaque journée de cure commence par un matin – pour lui, de manière générale, le moment le plus pénible de la journée, celui où il est de mauvaise humeur, sous le poids des problèmes « qui empoisonnent et compliquent [son] existence » ; ce n’est qu’à partir de midi que « les choses redeviennent supportables et agréables » ; le soir est son moment préféré. Il est insomniaque, d’où cette détresse matinale. Mais il arrive tout de même à suivre l’horaire des curistes, ravi de prendre un bain chaud matinal au sous-sol où le décor est magnifique, de boire un verre d’eau à la source et puis de retourner au lit, sur prescription médicale.

    S’il détaille ses réactions, Hesse décrit aussi les autres curistes, leur mode de vie, leurs loisirs – « nos déjeuners sont de véritables représentations théâtrales ». Il mange seul à une petite table ronde et prend plaisir à observer les autres convives, une séance d’observation mutuelle en quelque sorte. D’abord méprisant pour les amusements habituels des curistes, au fur et à mesure que la cure le fatigue (beaucoup plus qu’il ne le croyait au début), il va lui aussi se relâcher et trouver du plaisir à manger plus qu’il ne faudrait, à écouter de la musique de second plan.

    Tout un chapitre est consacré au Hollandais qui occupe la chambre voisine avec sa femme. Alors que lui-même offre à ses voisins un silence parfait, la porte de communication ne lui épargne ni les bavardages ni les rires de ces personnes qui restent le plus souvent dans leur chambre et y reçoivent des visites, ne lui offrant du répit qu’entre minuit et six heures du matin.

    Bref, bientôt, il ne lui reste plus grand-chose de l’optimisme du début. Il lui faudra tout un travail sur lui-même pour accepter la cure et son environnement. Dans le dernier chapitre, « Rétrospection », qui commence par « Ces pages n’ont pas été rédigées à Baden », il avoue avoir « en vérité, (…) éprouvé bien du mal à quitter Baden. »

    Avez-vous déjà fait l’expérience d’une cure thermale ? Cela m’est arrivé il y a longtemps. Le récit de Hermann Hesse m’en a rappelé certains aspects, agréables ou non. J’ai lu Le curiste avec grand plaisir : l’écrivain y a mis beaucoup de vie, de fine observation des autres et de lui-même, avec une bonne dose d’ironie qui incline à sourire. Se moquer de soi-même s’avère au fond assez reconstituant.

    * * *

    Merci beaucoup pour vos commentaires et vos visites en mon absence.
    Je vais les découvrir avec grand plaisir dès mes rangements terminés.
    A bientôt.

    Tania

  • Dans la glace

    Kafka_1917.jpg« Il y a un instant, je me suis attentivement regardé dans la glace et, même en m’examinant de près, je me suis trouvé mieux de visage – il est vrai que c’était à la lumière du soir et que j’avais la source de lumière derrière moi, de sorte que seul le duvet qui couvre l’ourlet de mes oreilles était vraiment éclairé – que je ne le suis à ma propre connaissance. C’est un visage pur, harmonieusement modelé, presque beau de contours. Le noir des cheveux, des sourcils et des orbites jaillit comme une chose vivante de la masse du viasage qui est das l’expectative. Le regard n’est nullement dévasté, il n’y a pas trace de cela, mais il n’est pas non plus enfantin, il serait plutôt incroyablement énergique, à moins qu’il n’ait été tout somplement observateur, puisque j’étais justement en train de m’observer et que je voulais me faire peur. »

    Kafka, Journal (1913, 12 décembre)

    Photo de Franz Kafka en 1917

  • Kafka chez le docteur

    Kafka dessin Le penseur.jpg« Quand j’arrivai aujourd’hui chez le Dr F., j’eus l’impression, bien que la rencontre se fît avec une lenteur délibérée, que nous nous heurtions comme des balles qu’on se renvoie de l’un à l’autre et qui se perdent, parce qu’elles sont elles-mêmes incapables de se contrôler. Je lui demandai s’il était fatigué. Pourquoi posais-je cette question ? Moi, je suis fatigué, répondis-je, et je m’assis. »

    Kafka, Journal (1912, lundi 5 février)

    Dessin de Franz Kafka, Le penseur (source)

  • Du bruit

    Kafka dessin grille.jpg« Et je veux écrire, avec un tremblement perpétuel sur le front. Je suis assis dans ma chambre, c’est-à-dire au quartier général du bruit de tout l’appartement. J’entends claquer toutes les portes, grâce à quoi seuls les pas des gens qui courent entre deux portes me sont épargnés, j’entends même le bruit du fourneau dont on ferme la porte dans la cuisine. Mon père enfonce les portes de ma chambre et passe, vêtu d’une robe de chambre qui traîne sur ses talons, on gratte les cendres du poêle dans la chambre d’à côté, Valli demande à tout hasard, criant à travers l’antichambre comme dans une rue de Paris, si le chapeau de mon père a été bien brossé, un chut ! qui se veut mon allié soulève les cris d’une voix en train de répondre. La porte de l’appartement est déclenchée et fait un bruit qui semble sortir d’une gorge enrhumée, puis elle s’ouvre un peu plus en produisant une note brève comme celle d’une voix de femme et se ferme sur une secousse sourde et virile qui est du plus brutal effet pour l’oreille. Mon père est parti, maintenant commence un bruit plus fin, plus dispersé, plus désespérant encore et dirigé par la voix des deux canaris. Je me suis déjà demandé, mais cela me revient en entendant les canaris, si je ne devrais pas entrebâiller la porte, ramper comme un serpent dans la chambre d’à côté et, une fois là, supplier mes sœurs et leur bonne de se tenir tranquilles. »

    Kafka, Journal (1910, 5 novembre)

    Dessin de Kafka, Homme entre des grilles (source)