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Passions - Page 235

  • Plumasserie

    incas,inca dress code,exposition,cinquantenaire,bruxelles,mrah,amérique précolombienne,pérou,textiles,parures,couleurs,culture« En préambule, il est important de discuter du contexte dans lequel la grande majorité des textiles nous sont parvenus, celui des tombes où les défunts étaient vêtus ou emballés dans plusieurs couches de tissus. C’est aussi l’occasion de mettre en avant l’art de la plumasserie qui, grâce aux conditions de préservation de la côte du Pacifique, nous est parvenu avec toutes ses couleurs éclatantes. »

    Serge Lemaitre, Introduction du catalogue Inca Dress Code, Musée Art & Histoire, Bruxelles, 2018-2019.

    Figurine féminine habillée, Pérou, Culture Inca, 1450 – 1532 
    Argent, plumes, laine de camélidé, coton 14 x 8,5 cm
    © Coll. Janssen-Arts, Communauté flamande (MAS), Photo : Hugo Maertens

  • Parures des Incas

    La grande exposition « Inca Dress Code », au musée du Cinquantenaire, est consacrée en réalité aux « Textiles et parures des Andes » sur une période beaucoup plus large. D’autres cultures précolombiennes ont précédé les Incas (XIIIe-XVIe s.) dans la Cordillère des Andes (Pérou, Bolivie et Chili). L’art textile y occupait une grande place, à côté de l’orfèvrerie et de la céramique. L’exposition met en valeur environ 200 objets du Musée Art & Histoire de Bruxelles, du Linden-Museum de Stuttgart, du MAS d’Anvers et de collections privées belges.

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    Les tisserandes utilisaient les ressources locales, le coton et les laines de camélidés acclimatés à la haute montagne : le lama, l’alpaga et la vigogne, joliment présentés au début du parcours. On peut toucher ces trois sortes de laines pour comparer leur douceur, j’adore celle de l’alpaga. Métiers à tisser, fuseaux, aiguilles et leur étui, peignes, boîte à ouvrage en vannerie, tout un matériel ancien d’origine péruvienne est exposé en vitrine. Une vidéo montre les différentes étapes de la préparation des laines et des teintures naturelles.

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    Métier et accessoires, Pérou, 1100-1450.

    La finesse de fragments de textiles datés d’avant notre ère est stupéfiante, comme celle de gazes du premier millénaire. Ces tissus précolombiens sont décorés de motifs géométriques et aussi de formes animales ou humaines. Le textile « était considéré comme un bien extrêmement précieux : il servait non seulement à se vêtir, mais était aussi symbole de pouvoir et d’identité et pouvait servir comme offrande ou bien d’échange. » (MRAH)

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    Sac à coca, Pérou, Culture Inca, 1450-1532 ap. J.-C. Laine de camélidé, coton 81 x 89 cm
    © Linden-Museum Stuttgart. Photo. A. Dreyer

    Les parures sont aussi liées à l’art funéraire. On découvre dans la culture Paracas (300 av. J.-C. – 0) comment les corps étaient placés en position fœtale ou agenouillés, puis enveloppés de plusieurs couches de tissus peints ou brodés : le « fardo ». On y ajoutait parfois un masque ou une tête factice. La nécropole princière de Sipán recelait, en plus de poteries et céramiques, de nombreux objets en or, argent ou cuivre portés sur la tête ou sur le torse, de taille impressionnante.

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    Bordure de manteau à décor de félins (détail), Pérou, culture Paracas, 200 av. J.-C. - 100 ap. J.-C..

    La richesse d’un textile tenait à la qualité de la fibre, à l’ornementation et aux symboles repris dans les motifs, à la diversité des couleurs. Une bordure de manteau est décorée d’amusants félins dont les formes varient : les figures s’inversent et aussi les couleurs (ci-dessus). La plus belle pièce textile de l’exposition  est peut-être ce riche manteau bleu foncé à 53 motifs brodés, dix couleurs pour chacun, avec des orientations différentes (ci-dessous) – une merveille incroyablement bien conservée !

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    Manto (détail), Pérou, culture Paracas, 200 av. J.-C. - 100 après J.-C..

    Dans les vitrines latérales, accessoires en tissu, bijoux et céramiques sont regroupés de façon à illustrer comment on se parait : on peut le voir sur les personnages peints sur les vases ou sur des statuettes. Etonnant, ce « masque de bouche » aux motifs variés : de petites têtes sur les bords, quatre colibris au sommet et deux serpents.

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    Masque de bouche, or laminé et découpé, 27x17 cm, Pérou, culture Nasca, 100 - 600
    © Coll. Janssen-Arts, Communauté flamande (MAS), Photo : Hugo Maertens

    De culture Mochica (100-600 après J.-C.), un masque funéraire en alliage d’or et de cuivre, coquillage et pierre, est présenté dos à dos avec un sommet de masque ou de coiffe à tête d’animal, renard des Andes ou loup à crinière, retrouvés dans le tombeau d’un roi de la Huaca de la Luna. Une vidéo présente ce centre de cérémonie situé sur la côte nord du Pérou. L’or, précieux, ne servait pas de monnaie d’échange ; sa valeur symbolique tenait à son éclat et à sa couleur évoquant le soleil, comme l’argent la lune, et le cuivre, le sang ou la terre.

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    Sommet de masque ou de coiffe, alliage or argent cuivre, Pérou, culture Mochica, 100 - 600
    © Linden-Museum Stuttgart. Photo. A. Dreyer

    Après un autre manteau spectaculaire, de la même période mais de culture Nasca, au sud, brodé de figures mythologiques, de symboles de fertilité féminine et de quadrupèdes, viennent les fameuses parures de plumes – des plumes d’aras et d’autres oiseaux colorés : on donnait aux aras certaines nourritures pour diversifier encore leurs couleurs ! Les Waris (600-900 avant J.-C.) en faisaient des panneaux décoratifs ou des vêtements luxueux, ainsi que d’étonnants « tapis » géométriques présentant des rectangles de deux couleurs, dont la fonction n’est pas encore connue.

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    Poncho de plumes, Pérou, culture Wari, 600 - 900.

    Perruques, coiffes, sacs à coca, voici d’autres tissages ou broderies à admirer pour leurs formes, leurs couleurs, leurs motifs. Si le port du poncho traverse les siècles, vous verrez à cette exposition combien sa forme simple permet de variations dans les matières et l’ornementation. Ne manquez pas ce superbe « fragment de mante » Chancay (1000-1450) très raffiné.

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    Fragment de mante, Pérou, culture Chancay, 1000 - 1450.

    Et voici enfin les Incas, vers le milieu du XVe siècle, dont je ne vous montrerai que ce magnifique « unku » de plumes où s’affrontent deux félins au dos arqué. Oiseaux et félins ont beaucoup inspiré tisserandes et plumassières.

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    Unku de plumes, Pérou, culture Inca, 1450 -1532
    © Linden-Museum Stuttgart. Photo. A. Dreyer

    L’arrivée des conquistadores fera évoluer cet art majeur de l’Amérique précolombienne (entre autres conséquences et influences), qui reste bien présent à notre époque, comme le montre, à la fin de Inca Dress Code, un bel ensemble de textiles contemporains, festival de couleurs. A découvrir jusqu’au 24 mars 2019.

  • Silencieuse

    mansfield,katherine,l'aloès,récit,littérature anglaise,enfance,maison,jardin,famille,beauté,culture« La dernière à se coucher fut la Grand-Mère.
    « Quoi – pas encore endormie ? » « Non, je t’attendais », dit Kezia. La vieille dame soupira et s’allongea à côté d’elle. Kezia fourra sa tête sous le bras de la Grand-Mère. « Qui je suis ? » murmura-t-elle – c’était un solide vieux rite à honorer entre elles deux. « Tu es mon petit oiseau brun », dit la Grand-Mère. Kezia émit un petit gloussement confus. La Grand-Mère ôta ses dents, qu’elle déposa dans un verre d’eau à côté d’elle sur le plancher.
    Ensuite la maison fut silencieuse.


    mansfield,katherine,l'aloès,récit,littérature anglaise,enfance,maison,jardin,famille,beauté,cultureDans le jardin, de minuscules hiboux poussaient des cris – perchés sur les branches d’un rubanier. ‘Core du porc, ‘core du porc ; et de la brousse, là-bas au loin, surgissait un jacassement vif et criard – Ha Ha Ha
    Ha. Ha-Ha-Ha-Ha ! »

    Katherine Mansfield, L’Aloès

  • Maisonnée avec jardin

    Katherine Mansfield n’a vécu que trente-quatre ans. En retirant L’Aloès de ma bibliothèque, je m’attarde sur sa couverture qui m’a certainement poussée à l’acheter, une peinture de Bonnard avec une table à l’avant-plan et puis tous les verts, les bleus, du jaune et de l’orange sur la terre comme au ciel – il faut un moment pour remarquer, au pied de la terrasse, un couple qui s’affaire au jardin.

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    Portrait de Katherine Mansfield par Anne Estelle Rice (1918)

    Je l’ai relu en pensant à d’autres lectrices, l’une plongée dans la vie de Katherine Mansfield, pas très loin de Bandol où celle-ci l’écrivit en 1916, à la Villa Pauline, et l’autre qui m’a montré un jour dans son jardin un magnifique Aloé vera en fleurs. Cette longue nouvelle qu’est L’Aloès raconte d’abord un déménagement. On y fait connaissance avec les trois filles Burnell, leur mère, leur grand-mère avant de découvrir la maison spacieuse acquise par leur père.

    Le boghei est chargé au maximum : Pat a déjà aidé la mère, Linda, la grand-mère et la fille aînée à s’y installer, il ne reste plus de place pour les deux petites, Lottie et Kezia. On les confie à une voisine qui a proposé de les garder pour l’après-midi. Les petits voisins leur jouent des tours, Kezia a du répondant, puis elle retourne dans la chambre vide de ses parents, où elle est née.

    « En bas, dans la ravine, les arbres sauvages s’entre-cinglaient et de grosses mouettes tournoyaient en hurlant devant la fenêtre embrumée qu’elles effleuraient de leurs ailes. » La fillette reste à la fenêtre jusqu’à la tombée du soir qu’elle redoute, elle a peur du noir, mais le transporteur est là, pour les emmener, Lottie et elle, enveloppées dans un châle sur la charrette.

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    Aloe vera, Mallorca (Photo Colo, gracias)

    Kezia ne perd pas une miette du parcours, c’est une première pour sa sœur et elle d’être dehors si tard – « Tout avait l’air différent ». La nouvelle maison, « Tarana », est « une bâtisse longue et basse, avec une véranda à piliers et un balcon qui en faisait tout le tour – on accédait à la porte par de petites marches. Elle étalait sa douce masse blanche sur le jardin vert, tel un animal endormi – et tantôt l’une tantôt l’autre des fenêtres s’illuminait. »

    Stanley Burnell est content, persuadé d’avoir fait une bonne affaire. Les chambres et le repas du soir sont prêts, grâce à sa belle-soeur Beryl Fairfield, célibataire, qui s’est affairée toute la journée avec la bonne. Lottie dormira avec Isabelle, Kezia avec sa chère Bonne-Maman (sa grand-mère fut pour Katherine Mansfield aussi « le grand amour d’enfance » (La traductrice Magali Merle dans sa préface, Presses Pocket, 1987). Après la nuit vient l’aube, et aux premiers rayons du soleil, le chant des oiseaux.

    La grand-mère veille à tout dès le matin, on ne compte pas sur Linda, trop alanguie pour faire quoi que ce soit. Beryl aide à la décoration ; elle trouve la maison agréable, mais elle préférerait vivre en ville – qui viendra les voir ici ? Kezia explore le jardin, reconnaît les plantes et les fleurs, sauf celle qui domine un îlot au milieu de l’allée, « ronde avec d’épaisses feuilles épineuses gris-vert, avec une haute et robuste tige qui jaillissait de son centre ». Un « aloès », dira sa mère.

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    Première édition, Hogarth Press, 1918
    (Le dessin n'apparaît pas sur la couverture bleue originale, je suppose qu'il s'agit de la page de titre.)

    « A présent – à présent ce sont des réminiscences de mon pays à moi que je veux écrire. » (Journal, 1916) Katherine Mansfield se souvient ici de la Nouvelle-Zélande où elle est née en 1888 et que sa famille a quittée pour Londres en 1903. « Il faut qu’il soit mystérieux et comme suspendu sur les eaux. Il faut qu’il vous ôte le souffle. » (Après avoir parlé des heures de leur enfance avec son frère cadet arrivé en Angleterre en 1915 pour rejoindre l’armée, elle a décidé de rendre la vie telle qu’elle l’a vécue et sentie là-bas, et s’y est tenue malgré sa mort à la guerre un mois plus tard.) 

    L’Aloès est la première version de Prélude, publié par Leonard et Virginia Woolf à la Hogarth Press. On y découvre comment Katherine Mansfield recrée, à partir de petits riens de la vie quotidienne, une atmosphère, des sensations, une sorte de fusion avec la beauté du monde. Si Kezia (K comme Katherine, née Kathleen Beauchamp) est l’âme du récit, les autres personnages y acquièrent aussi présence et caractère, par petites touches, comme dans les merveilleuses évocations de la grand-mère ou à travers les rêveries des uns et des autres. L’Aloès ou les révélations, les émois de l’enfance.

  • Discrètement

    henry james,la bête dans la jungle,nouvelle,littérature anglaise,culture« Le temps aidant, il devait se rendre compte, petit à petit, qu’elle surveillait sans cesse son existence, la jaugeait et la mesurait à la lumière du secret qu’elle avait appris et qui, avec la consécration des années, finit par ne plus être évoqué entre eux que sous l’expression « ce mystère qui explique tout ». Cette expression était de lui mais May Bartram l’avait faite sienne si discrètement, qu’après quelque temps, il vit qu’il n’était plus possible de déterminer le moment où elle s’était réglée sur sa façon de voir, ou plutôt, le moment où elle avait troqué sa merveilleuse bienveillance contre une chose plus merveilleuse encore : sa foi en lui. »

    Henry James, La bête dans la jungle