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Ariah ou Les Chutes

Les Chutes de Joyce Carol Oates (2004, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban) s’ouvrent sur une scène dramatique, racontée par le gardien du pont suspendu de Goat Island : le 12 juin 1950, il a tenté d’arrêter un homme au visage « à la fois vieux et jeune » qui s’est jeté dans les eaux bouillonnantes de Niagara Falls.

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Comme beaucoup de jeunes mariés, Ariah Littrell et Gilbert Erskine ont passé leur nuit de noces dans un hôtel près des chutes du Niagara. Stupéfaite de se réveiller seule dans la suite nuptiale, Ariah, vingt-neuf ans, y découvre un mot d’adieu dont elle ne dit mot quand la police vient lui annoncer qu’un homme ressemblant à son époux a « disparu sans laisser de traces ». Déjà veuve ? Elle ne peut y croire.

Gilbert, vingt-sept ans, pasteur presbytérien comme son père, s’intéressait aux fossiles et avait choisi l’endroit de leur voyage de noces. Leur première nuit s’est mal passée. Chez sa femme rousse aux yeux vert galet, pianiste et chanteuse, professeur de musique, il avait cru trouver une sœur, quelqu’un qui lui ressemblait. Leurs parents avaient voulu ce mariage, plus qu’eux.

Alors commence la légende de la Veuve blanche des Chutes, cette rousse égarée qui a hanté les lieux pendant sept jours, tant que le cadavre n’avait pas été retrouvé. « Damnée », voilà ce que croit être l’éphémère Madame Erskine, dans la douleur et l’humiliation. Quand Colborne, le propriétaire de l’hôtel, y revient après une nuit de poker sur le yacht de son ami Dirk Burnaby, il l’accompagne au commissariat. Ariah n’admet pas le suicide. Colborne fait alors appel à son ami pour qu’il le conseille sur la marche à suivre.

Dirk Burnaby, trente-trois ans, avocat brillant et célibataire séduisant, connaît bien les chutes. Son grand-père funambule, après plusieurs traversées spectaculaires au-dessus des eaux, a fini par y tomber. Ariah l’impressionne dès leur première rencontre par son souci de rester digne, son regard intense et son obstination. « Pourquoi me suis-je intéressé à cette femme ? Elle est folle. » Dirk s’étonne qu’elle refuse d’appeler ses parents et ses beaux-parents. Quand il les rencontrera, il comprendra à leurs réactions égoïstes pourquoi elle les évite. Le corps du mari est repêché après sept jours.

Claudine Burnaby, la mère de Dirk, veuve obsédée par la perte de sa beauté depuis la cinquantaine, vit de plus en plus recluse. Elle ne s’occupe guère de ses deux filles, Dirk a toujours eu sa préférence, « un beau garçon vigoureux au caractère agréable ». Quand il lui annonce qu’il va peut-être se marier avec cette fille de pasteur pas du tout de leur milieu, elle n’y croit pas. Mais Burnaby se rend chez Ariah et la demande en mariage, l’embrasse. « Elle dirait oui. Oui avec son petit corps ardent de chat maigre épousant celui de l’homme. (…) Oui à l’homme qui lui faisait si agréablement l’amour, comblant son corps qui était à la fois petit et infini, inépuisable. »

Ils se marient fin juillet, à l’étonnement de tous. En plus de leur entente sexuelle, « chacun devint le meilleur ami de l’autre ». Dirk a installé un Steinway pour Ariah dans son appartement. Il a refusé d’aller vivre en couple dans la grande maison de sa mère qui menace de le déshériter, refuse de rencontrer son épouse. Dans leur milieu, les femmes ne travaillent pas ; Ariah donne des cours de piano, bien que son mari gagne très bien sa vie.

Quand naît Chandler, leur fils aîné, en qui Ariah craint de voir le fruit de sa seule nuit avec Erskine, malgré les dénégations du gynécologue, elle se jure d’abord de ne pas avoir d’autre enfant. Dans la crainte de voir à nouveau disparaître son époux, elle changera d’avis.  Et elle est heureuse de prendre soin de sa famille. Le bonheur semble au rendez-vous.

Joyce Carol Oates creuse pourtant les failles, les angoisses, la hantise de la perte (Ariah cache son passé à ses enfants), les tiraillements entre Dirk et sa mère. Une « femme en noir » se met à harceler les avocats, elle veut dénoncer la pollution chimique qui pourrit la vie dans un nouveau lotissement du côté de Love Canal. La bonne société ferme les yeux sur les activités des entreprises fautives. Dirk Burnaby aussi refuse de la recevoir. Mais un jour de grosse pluie, il invite une femme et une fillette à monter dans sa voiture sans savoir que c’est elle et il découvre où elle vit avec ses enfants. Il la défendra.

Le roman de Joyce Carol Oates (Prix Femina étranger en 2005) donne le vertige ; aux troubles personnels s’ajoutent les drames sociaux : inégalités, exploitation, profit, injustice, misère, déchéance… Le personnage d’Ariah déroute et fascine, celui de Burnaby aussi. Leur famille sera-t-elle à son tour maudite ? Lire Les Chutes est une plongée dans la face sombre de l’Amérique, où la lumière a bien du mal à se frayer un passage. Un drame passionnant et un suspense de bout en bout.

Commentaires

  • J'en ai lu de cet auteur; pas celui- là, alors je suis TRES intéressée. Des drames qui éclairent (ou mettent en lumière!) de vastes problèmes d'une Amérique en proie aux doutes...comme les sociétés occidentales le sont toutes.

  • Il m'avait été conseillé à plusieurs reprises, et c'était de bon conseil.

  • Un livre que je ne manquerai pas de dévorer. J'aime beaucoup la subtilité un brin vénéneuse de J-C Oates et ta description me donne envie de me plonger dans ces "Chutes".
    As-tu lu "Paysage perdu" le très beau recueil qu'elle consacre au récit de sa vie ? Passionnant autant du point de vue de l'histoire que de ce qu'elle dit de son écriture.
    Bonne journée, Tania.

    Anne

  • Oui, Anne. Tu peux trouver les titres que j'ai lus d'elle dans l'index des auteurs. Bonne lecture !

  • Aaah ! Je découvre ton index des auteurs ! Super, je vais explorer ça.
    Bon dimanche, Tania. Pour moi c'est un dimanche de... lecture !!!

  • Comme je l'avais perdu lors du déménagement du blog, je n'ai mis de lien que sur le nom de l'auteur ; il suffit de "dérouler" ensuite.
    En ce qui me concerne, ce sera du repassage, cela doit se faire aussi ;-).

  • J'ai lu récemment "le petit paradis" qui m'a franchement déçue (je n'ai pas fait de billet) mais là les thèmes abordés me paraissent nettement plus passionnants.

  • JCO peut décevoir. Je l'avais été par son "Valet de pique" qui me paraît inférieur à ce que j'ai lu d'elle jusqu'à présent. Ce roman-ci, au contraire, est très riche en thèmes de réflexion et très prenant.

  • Ce livre est le premier d'elle que j'ai lu et depuis je ne peux m'arrêter. Aria est son personnage préféré, a-t-elle dit. On ne peut oublier Aria, en effet. C'est dans ce livre aussi que j'ai découvert l'horreur de Love Canal...

  • Je suis allée voir les chutes du Niagara et je n'imaginais pas du tout cette pollution juste à côté. Une héroïne qui reste en tête, oui.

  • Cela nous arrive avec certains livres dont nous avons beaucoup entendu parler.

  • Quel roman, en effet , lu il y a trois ans environ j'avais trouvé la première partie extraordinaire. Aria est un personnage inoubliable.

    Ce fuf mon premier roman de Joyce Carol Oates.

  • Une première incursion qui en amènera d'autres, je suppose.

  • Merci, Edmée, pour ce reportage édifiant sur l'histoire de Love Canal, je vais ajouter ce lien au billet. Bon week-end.

  • C'est mon roman préféré de Joyce Caol Oates. Il y a, à la fois ,des personnages étonnants, forts et passionnants ; une dénonciation de la société, de l'hypocrisie religieuse qui présente la sexualité comme quelque chose de honteux, une critique de la grave pollution des quartiers habités par les familles défavorisées, avec la complicité des riches qui ferment les yeux puisque cela ne les touche pas directement et permet à certains d'entre eux de s'enrichir. Les rapports de hiérarchie sociale sont très bien vus aussi.

  • Merci pour ce complément auquel je souscris, Claudialucia, bonne après-midi.

  • Ce que vous en dites ici me rappelle pour la enième fois que je dois lire J.C. Oates. Les thèmes me conviennent, ne reste qu'à emprunter/acheter puis me faire un espace temps convenable. Dès Noël, quelques jours en villégiature – entre deux villages de noël ? – seront peut-être l'occasion.
    Merci pour le compte rendu, je vois qu'en commentaire, chacun et chacune, en général, apprécient ce roman.

  • Excellent choix pour découvrir cette romancière, Christw. En vacances, ce sera l'idéal pour ces 550 pages (coll. Points).

  • J'irai voir chez toi quels autres titres tu as lus de JCO.

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