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musique

  • Marches

    tenenbaum,par la racine,roman,littérature française,deuil,famille,musique,rencontre,écriture,culture juive,culture« Emigré italien de longue date, maçon de formation, Giuseppe d’Alessi a été marbrier trente et quelques années. De l’atelier au cimetière, et du cimetière à l’atelier, il a travaillé pour établir les morts dans la maison du monde. Une fois à la retraite, il s’est senti une dette envers les vivants. Pour l’honorer, il n’avait que ses outils et ses mains. Sans rien demander à personne, il s’est attelé à la tâche de tailler des marches dans les rochers du bord de mer.
    – Combien d’escaliers nous avez-vous offerts ? a demandé Luce.
    – Je ne compte pas en escaliers, mais en marches. Chacune permet d’assurer le pied. Les dalles des pierres tombales pour le repos des disparus, et les degrés de mes marches pour la tranquillité de ceux qui vont vers la mer.
    – Alors, combien ?
    Il sourit à nouveau, découvrant une bouche en si mauvais état qu’on l’imagine contraint à une nourriture hachée ou moulinée.
    – Eh bien, depuis onze ans, j’ai taillé deux mille huit cent quatre-vingts marches. Vous êtes les premiers à le demander !
    Luce s’assied sur la sienne, et caresse la pierre :
    – Les promeneurs l’ignorent peut-être, mais les marches, elles, à n’en pas douter, se souviennent. »

    Gérald Tenenbaum, Par la racine

  • Par la racine

    Dans le dernier roman de Gérald Tenenbaum, Par la racine, Samuel Willar vient de perdre son père, Baruch, décédé dans une Ehpad en Lorraine. Si le titre évoque l’expression « manger les pissenlits par la racine », ce n’est donc pas incongru d’y penser, comme on le lira par la suite. Vingt ans plus tôt, les tempêtes Lothar et Martin soufflaient sur l’Europe ; le vent souffle aussi en ce dernier mois de 2019, mais la tempête, cette fois, « est dans sa tête ».

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    © Michel Seuphor, Petit spectacle (détail), 1952, encre sur papier, Anvers, KMSKA

    Appelé pour récupérer les affaires personnelles de son père, Samuel prend la route et écoute France Musique en pensant à lui : « Baruch était plus qu’un amateur, un résident de ce pays-là, un citoyen légitime puisqu’en transit permanent. » Neuf airs allemands de Haendel est le premier des airs de musique qui ponctueront tout le récit. Un personnage des Harmoniques (2017) s’appelle Samuel Willar, serait-il le Zuckerman de Gérald Tenenbaum ?

    Qui a vu sa mère ou son père terminer sa vie dans une maison de soins reconnaîtra ces jours sans nom, cette chambre désertée. Il reste à l’accueil un carton à emporter. Baruch n’appréciait pas le métier de son fils, « autobiographe pour autrui » : Samuel est payé pour écrire des biographies améliorées voire mensongères. Il avait tenté d’écrire un roman, mais au rendez-vous chez une éditrice qui lui signifiait un refus malgré son talent pour écrire, elle lui avait proposé du « story telling » : écrire pour quelqu’un d’autre une autre vie qui serait publiée sous la forme d’une autobiographie.

    Des années plus tôt, son père avait bien voulu l’accompagner pour des repérages à Lunéville, sa ville natale : il avait revu le théâtre où un soir, « un comédien immigré, jadis réfugié de Pologne pour échapper aux vingt ans de service militaire, fut pris de tremblements sur scène. […] Et Baruch interdit n’avait pas quitté son fauteuil  pour secourir son père. » Lors de ce pèlerinage vers son passé, Baruch avait raconté à Samuel l’histoire des deux Lina, « amies pour la vie » : Lina Denner et Lina Berg, filles de commerçants tout proches. « Des vies jumelles, c’est un bon point de départ pour des confessions imaginaires. »

    Les voici orphelins « à part entière », la sœur aînée Clara, son frère Jacques et le benjamin, Samuel ; leur mère s’était suicidée. Clara organise un goûter, met de la musique. « Reformer le triangle de l’enfance n’est pas si fréquent. Chacun y va de souvenirs consensuels en évitant les sujets de frictions. On passe du coq à l’âne, on dérive, et bientôt Baruch n’y est plus. »


    Dans la boîte en carton, Samuel découvre les papiers laissés par son père, les siens et ceux de son père Mathias Willar, une montre-bracelet, L’étranger de Camus, de la correspondance, des photos… Et, plus surprenant, les coordonnées d’une nouvelle cliente dont son père lui a laissé le numéro de téléphone sans rien d’autre, pour « quand le temps sera venu » : la bibliothécaire du centre Rachi à Troyes lui explique au téléphone avoir besoin « de récrire sa vie » pour décrocher un poste au Yivo, « l’institut pour la recherche juive installé depuis 1940 à Manhattan » et affirme n’avoir pas connu Baruch. Un mystère à éclaircir.

    Luce Halpern lui explique sa « commande », « il faudra tisser le faux pour le coudre avec le vrai sans que l’ourlet grigne » : « une enfance au kibboutz, un service militaire au Golan, et une formation complète à Vilnius ». « Tout était presque vrai. » Rendez-vous est pris à Troyes. Mais quand Samuel Willar se rend à la bibliothèque, Luce H. n’y est pas ; elle a préparé une invitation à son nom à l’entrée du Théâtre de Champagne, le soir même, où on joue Le Dibbouk d’Anski pour une représentation unique.

    Samuel est loin de se douter que celle qui le rejoindra à la fin du spectacle va le ramener trente-neuf ans plus tôt, à la soirée d’anniversaire de son père perturbée par un coup de téléphone. Et qu’il existe bel et bien un lien entre eux, mais lequel ? « L’authenticité est aussi rare pour les gens que pour les œuvres d’art. » Le « vrai roman » que Luce lui demande d’écrire pour elle va nécessiter un périple qui le mènera plus loin qu’il ne croit.

    Par la racine interroge des racines familiales et culturelles, plus multiples qu’on ne l’imagine. Luce n’est pas croyante, « ou plutôt si, elle croit en l’homme ; tous les chemins qu’il a empruntés pour se situer dans l’univers lui agréent et lui sont bons à suivre », y compris le Livre de la création, un ouvrage cabalistique du IIIe siècle qui « identifie les sphères de l’arbre de vie aux nombres primordiaux. »

    En suivant les lignes de vie de Luce Halpern, en écoutant ses compositeurs préférés, Samuel Willar retrouve aussi les traces de son père. Gérald Tenenbaum, romancier des rencontres, plus encore que dans L’affaire Pavel Stein ou Reflets des jours mauves, se tient près de ses personnages et rend avec une grande sensibilité les mouvements intérieurs qui les rapprochent peu à peu. Leurs passés, en fusionnant, vont permettre à une nouvelle histoire de prendre racine.

  • Images anciennes

    desarthe,l'éternel fiancé,roman,littérature française,famille,enfance,amour,musique,culture« Souvent, j’ai l’impression de n’avoir aucune mémoire, et cependant, la précision de certains souvenirs m’affole. Certaines images anciennes possèdent une consistance plus ferme, plus sûre que mes journées présentes. Durant mes moments de rêverie, alors que je parcours la ville, la rue disparaît, emportant le trottoir, les oiseaux se taisent, les arbres s’abattent, les voitures sont englouties par le caniveau. Ma mémoire n’établit pas les justes hiérarchies entre les choses, pas plus qu’entre les événements. Le passé m’apparaît comme un livre dont certaines pages demeurent collées entre elles, m’interdisant l’accès au texte, tandis que d’autres, détachées à la pliure du volume, se séparent d’elles-mêmes sans que je le veuille. »

    Agnès Desarthe, L’éternel fiancé

    © Jean-Michel Folon, La lecture

  • Tout pour la musique

    Le dernier roman d’Agnès Desarthe, L’éternel fiancé, débute comme une romance d’enfance et se termine sur des larmes silencieuses, bien des années plus tard. Chaque fois que sa vie a croisé celle d’Etienne (le fiancé de toujours), la narratrice en a été bouleversée.

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    La première rencontre a lieu lorsqu’elle a quatre ans : les enfants de l’école maternelle vont au concert de Noël, dans la salle des mariages de la mairie. « Chez elle, il y a toujours de la musique. Elle est contente d’en entendre. Elle se récite les noms des compositeurs que sa maman et son papa aiment. Il y a Beethoven. Mais maman préfère Brahms. Il y a Schubert que papa adore, mais Lise, la grande sœur, veut toujours du Chopin. »

    La mélodie s’élève quand soudain, le garçon devant elle se retourne et lui dit qu’il l’aime, parce qu’elle a les yeux ronds. Elle ne répond pas, la musique a commencé. Il insiste et pour le faire taire, elle rétorque : « Je ne t’aime pas. Parce que tu as les cheveux de travers. » Il pleure en silence, elle est sauvée. « Mais elle songe qu’ils sont à présent fiancés, à cause de la beauté de la musique ; officiellement fiancés, à cause de la salle des mariages. »

    Les trois sœurs, Lise l’aînée à l’alto, Dora la cadette au violoncelle et elle au violon, comme son père, ont répété des années le Quatuor en mi bémol majeur de Fanny Hensel-Mendelssohn. Elles jouaient faux et mal, mais Lise, la meilleure des quatre, les reprenait. Leur famille n’était pas « comme tout le monde » mais cela ne les gênait pas : « Nous étions le monde et mon regard demeurait myope au reste de l’univers. » L’éternel fiancé raconte la vie de famille, l’école, la vie sans télévision ; un passé dont certains pans semblent avoir quitté la mémoire alors que d’autres s’y sont gravés avec précision.

    Très vite, la voilà au lycée Gustave Courbet où elle reconnaît le garçon « intensément contemplatif » devant la fresque du hall, au rez-de-chaussée : « ses cheveux ne sont plus de travers ». Etienne est le frère de Martin Charvet, qui « capte la lumière » et réussit tout, « l’élu entre les élus », déjà en première. Elle l’adore, comme les autres, mais survient une grave maladie, l’hôpital, et elle doit redoubler la seconde. Fini le quatuor. Elle prend des cours de violon avec une dame qui répète « Eh ben, c’est pas brillant brillant » et lui conseille d’intégrer l’orchestre du lycée.

    C’est à la répétition qu’elle revoit Etienne, à présent en première, qui ne la reconnaît pas. Elle s’émerveille de distinguer si clairement « toutes les voix » des instruments – « la sensation d’un tissage dont j’aurais été simultanément le fil et la trame ». Etienne tient une espèce de râpe à fromage et un peigne en métal, sorte de « güiro ». Elle le trouve changé, plus lumineux – grâce à l’amour d’Antonia, qu’il a rencontrée pendant qu’elle gisait à l’hôpital. « Antonia danse comme personne. » Elle joue de l’euphonium et l’a convaincu de rejoindre l’orchestre.

    Etienne et Antonia deviennent le couple d’amoureux le plus admiré du lycée, un duo d’anticonformistes et lanceurs de modes. Tout le monde achète les bijoux qu’ils fabriquent pour les vendre aux terrasses des cafés. Le monde change. A la maison aussi, où la mère de la narratrice est tombée amoureuse du dentiste, son patron. Avec le temps, tout change. Elle-même sort à présent avec Martin, le grand frère, qui ne se doute de rien quand elle décide de l’accompagner à l’exposition d’Etienne et Antonia, pour le revoir, lui.

    Il en ira ainsi d’année en année. A la sortie d’une soirée, elle qui s’est entretemps mariée (avec un autre) rencontre son « fiancé » avec un bébé dans les bras, désespéré parce que sa fille n’arrête jamais de pleurer. Etienne est en perdition. Avec la musique, un temps abandonnée, mais pas pour toujours (la chanson de France Gall m’a trotté en tête en lisant, d’où le titre de cette lecture), il reste l’autre obsession de la narratrice. Comme si sa vie à lui était plus réelle, plus fascinante, comme s’il s’inscrivait davantage dans le monde qu’elle.

    L’éternel fiancé, « fausse autobiographie empreinte de merveilleux », conte une histoire douce-amère où l’on s’accorde et se désaccorde. Ce roman des sensations, des sentiments, des souvenirs épars est plein de changements de ton, de rêveries secrètes, d’images parfois floues parfois nettes, au fil d’une vie de femme. Agnès Desarthe y conjugue le récit d’une époque et une exploration de la mémoire intime.

  • Je Sais Pas Vous

    je sais pas vous,patrick leterme,étienne duval,musique,capsules vidéo,dessin,césar franckDe retour bientôt pour commenter la finale du concours Reine Elisabeth de piano 2021, le musicien Patrick Leterme est l’auteur de capsules vidéos présentant les « œuvres-clés du répertoire classique » en quelques minutes, avec la complicité du dessinateur Etienne Duval.

    Ces « Je Sais Pas Vous » didactiques et pleins d’humour, ont été diffusés dans plusieurs pays. Auvio propose les 99 épisodes parus, beaucoup sont disponibles sur YouTube. Le 100e, pour finir en beauté, sera une « vaste fresque qui retrace l'ensemble de l'histoire de la musique en 12 minutes » (Patrick Leterme).

    Je Sais Pas Vous : Franck, Sonate pour violon et piano  (26.04.21 - 2 min 37 sec)

    sur Auvio : https://www.rtbf.be/auvio/detail_je-sais-pas-vous?id=2761986

    sur RTS :  https://www.rts.ch/play/tv/je-sais-pas-vous/video/franck---sonate-pour-violon-et-piano?urn=urn:rts:video:11831367