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nature - Page 3

  • Un et double

    parc josaphat,schaerbeek,hêtres pourpres,printemps,nature,couleurs,arbres,ginkgo biloba,poésie,goetheLa feuille de cet arbre, qui, de l’Orient,
    Est confiée à mon jardin,
    Offre un sens caché
    Qui charme l’initié.

    Est-ce un être vivant,
    Qui s’est scindé en lui-même,
    Sont-ils deux qui se choisissent,
    Si bien qu’on les prend pour un seul ?

    Pour répondre à ces questions,
    Je crois avoir la vraie manière :
    Ne sens-tu pas, à mes chants,
    Que je suis à la fois un et double ?

    Johann Wolfgang von Goethe, Le Divan oriental-occidental

    (traduction de Henri Lichtenberger)

    Ginkgo biloba devant un "géant" pourpre du parc Josaphat

  • Nuances de pourpre

    Ils ne figurent pas dans la liste des arbres remarquables du parc Josaphat et pourtant, dimanche, en remontant de la place du Kiosque, je suis restée bouche bée devant les nouvelles parures des hêtres pourpres, qui donnent au parc un charme supplémentaire. Il s’y tenait un marché aux plantes avec quelques stands d’artisans (dont celui de Kriekebiche, que je suis bien contente de retrouver depuis que le magasin a dû fermer, bien que sa boutique en ligne soit ouverte à toute heure).

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    En début d’après-midi, le ciel était encore menaçant, mais c’était surtout le vent qui soufflait fort, ce qui ne se voit guère sur cette photo prise d’en bas de la plaine du Tir à l’arc. On y distingue à peine au sommet des arbres quelques mèches balayées vers la gauche au niveau du boulevard. De près, de loin, j'apprécie la variété des feuillages et des couleurs.

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    Peu de promeneurs dans le haut du parc en ce dimanche à la météo incertaine, mais beaucoup de monde dans son creux, à la terrasse de la Laiterie, aux tables qui entouraient le marché sur la place devant le Kiosque. Et là, plus aucun vent, un cadre accueillant pour ce rendez-vous printanier au cœur de l’ancienne vallée du Roodebeek, où le parc a été aménagé il y a un peu plus d’un siècle.

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    Le hêtre pourpre est la « vedette classique des grands parcs paysagés », selon Wikipedia : « Ses feuilles sont lisses à bord ondulé et présentent une couleur pourpre à cause d’une teneur élevée en anthocyanidine, mais selon les saisons elles peuvent varier avec du rose ou une forme de pourpre brillant qui masque la teinte verte de la chlorophylle. »

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    Voilà exactement ce qui m’a émerveillée en remontant vers le boulevard : ce brouillard coloré à travers lequel la ramure des grands hêtres reste visible en ce moment de l’année. Rien de tel qu’une silhouette humaine pour nous permettre d’apprécier leur taille. Voyez celui-ci au pied duquel un homme était assis dans l’ombre en compagnie de son chien.

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    Ou cet autre au feuillage plus rouge, vraiment royal, couronné lui aussi d’une trouée de ciel bleu. Ne dirait-on pas qu’autour de lui, de jeunes arbres reverdis de frais lui font la cour ?

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    Couleurs changeantes du temps, couleurs changeantes des arbres. Sous un autre angle, le feuillage des hêtres arborait encore d’autres teintes indéfinissables. A un distrait, ces nuances de pourpre pourraient évoquer l’automne, autre grande saison des hêtres, mais nul tapis de feuilles à présent sous les arbres dont l’ombre s’étend sur le velours vert des pelouses.

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    Au parc Josaphat, Schaerbeek, dimanche 28 avril 2024.

    C’est à regret que j’ai laissé derrière moi cette toile vivante du parc Josaphat que j’imaginais bien en touches vibrantes sur le chevalet d’un peintre. Le lendemain, la lumière avait changé, les hêtres pourpres ne portaient plus leurs habits brillants du dimanche. Ils n’avaient rien perdu de leur majesté.

  • Doux tumulte

    Charrel couverture.jpg« La pluie glisse sur les plumes des oiseaux mais imbibe le pelage des ours ; elle frappe la surface de la sœur rivière, cavalcade sur les sentes de terre comme une enfant furieuse avant de rire aux éclats dans les mares, de tournoyer farouchement dans les flaques opportunistes puis de s’en échapper. Sous le déluge, la plupart des mammifères poursuivent leur va-et-vient avec indifférence, s’abritent où ils peuvent, s’ébrouent ; les gouttelettes ainsi projetées rejoignent d’autres perles liquides, dessinant d’infimes rigoles sur le lichen, là où la vie microscopique de la forêt célèbre les torrents dont le ciel s’épanche. 
    Jack écoute l’eau frapper son corps devenu instrument. Le doux tumulte aquatique résonne dans sa boîte crânienne, dilate sa peau, râpe contre le cuir de sa veste. Les vibrations le parcourent comme des impulsions électriques, remontent ses muscles, l’apaisent. Il ne s’appartient plus complètement. Il n’a plus de passé, plus d’avenir : il est dans l’instant. »

    Marie Charrel, Les Mangeurs de nuit

  • Mangeurs de nuit

    Journaliste au Monde et romancière, Marie Charrel signe avec Les Mangeurs de nuit (2023) son huitième roman, dont l’intrigue se déroule au Canada, en Colombie-Britannique. Il s’ouvre sur une scène saisissante : « Elle lève les yeux et le nuage d’albâtre s’abat sur elle telle une tempête de neige. » L’animal qui emporte la fille dans la rivière, griffe sa peau, lui déchire la joue, est un ours blanc, comme dans la légende de l’ours-esprit. Sous l’eau, il plonge ses pupilles dans les siennes avant de remonter à la surface. Si la fille survit, elle ne sera plus la même, mais « une créature à mi-chemin, ni d’ici, ni d’ailleurs. Un pont entre les mondes. »

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    Photo Dorothea Lange (en couverture) : Un groupe de résidents de San Francisco d’origine
    japonaise attend pour s’inscrire à l’évacuation pendant la Seconde Guerre mondiale, avril 1942.
    Longtemps censurées, ces photos de la fameuse photographe américaine
    témoignent du sort réservé aux Japonais et à leurs enfants nés en Amérique.

    En octobre 1945, Jack, sur son bateau avec ses chiens (Buck à ses pieds et la vieille Astrée à l’arrière) regarde le lever du jour, à l’écoute de la forêt pluviale. En juillet 1956, Hannah, seule depuis dix ans dans la maison des hautes terres, verrouille sa porte en apercevant un inconnu qui s’en approche. Dans l’enveloppe qu’il a déposée devant sa porte, où il est écrit « Je reviendrai demain », elle trouve la photo d’une jeune Japonaise en kimono, sa mère Aika, à dix-sept ans. En 1926, celle-ci était une des « fiancées sur photo » qui allaient épouser un Japonais installé au Canada pour y vivre « une vie meilleure ».

    Marie Charrel décrit tour à tour la vie de Jack le « creekwalker », chargé de compter les saumons dans sa zone, qui veille à protéger la forêt des chasseurs et des pêcheurs avides, et celle de la Japonaise qui épouse à Victoria un homme bien plus vieux (45 ans) et plus pauvre que sur sa photo. Dès leur première nuit à l’hôtel, Kuma lui promet de travailler dur et révèle son talent de conteur : la première histoire qu’il lui raconte est celle des mangeurs de nuit, de gigantesques lucioles qui dansent dans les bois et se désaltèrent le jour de « la brume de beauté ». Un rêveur, pense Aika, une histoire « pour les enfants ».

    Jack et son demi-frère Mark, les fils de Robert et Ellen, ont aussi grandi avec les légendes, comme celle de Petit aigle et Aigle seul. Les Amérindiens de Hoon Bay, le village d’Ellen, n’ont pas compris qu’elle les quitte pour vivre avec un homme blanc. Après la mort de Robert, le départ de Mark, on dirait que le lien entre Ellen et Jack s’est dissous : « Rien de pire que perdre ceux que l’on aime car on ne sait plus comment leur dire l’essentiel. » Aussi Jack « préfère la solitude de la forêt à la compagnie des hommes. »

    En 1928, Aika, qui cuisine pour quinze Japonais immigrés dans le camp de bûcherons, perd les eaux. Les hommes sont au travail, elle est seule pour accoucher dans les bois d’une petite fille, que Kuma, son père, appellera Hannah Hoshiko, « enfant des étoiles ». Déçue que ce ne soit pas un garçon, sa mère lui accorde peu d’attention, la pense même attardée parce qu’elle ne parle pas, jusqu’au jour où, à quatre ans, la petite Hannah s’adresse à elle tour à tour dans un anglais parfait puis dans un japonais impeccable. « Un génie » pense son père, qui lui consacre tout son temps libre et lui raconte des histoires. « Chaque conte de son père était un voyage et un remède contre l’indifférence de sa mère. »

    Des années vingt aux années cinquante, sans ordre chronologique, on suit la vie de ces deux familles. Quand Kuma, très malade, meurt à Vancouver où il a dû être hospitalisé, Aika va devoir se reconstruire une autre vie et faire face à la brutalité raciste qu’elle découvre là-bas, ainsi que sa fille à l’école, où les enfants japonais sont harcelés. Les Japonais de la première immigration (Issei) et ceux nés au Canada (Nisei), bien que minoritaires, y deviennent des boucs émissaires. Après Pearl Harbor, considérés comme des ennemis, ils seront délogés, leurs biens saisis, les hommes envoyés dans un camp de travail, les femmes, les enfants et les vieillards dans un camp d’internement.

    Un jour, le chemin de Jack le taciturne croisera celui de la fille blessée par l’ours blanc, Hannah, la fille d’Aika. Lui qui est si attaché à sa solitude va accepter de la soigner et la protéger. Les silences, les histoires et les mots des uns et des autres finiront par se rencontrer. En plus de nous faire connaître ce qu’ont vécu les Japonais immigrés au Canada dans la première moitié du vingtième siècle, Marie Charrel nourrit les personnages et les lecteurs des Mangeurs de nuit d’histoires transmises de génération en génération, de mots qui comptent.

    La nature est très présente dans ce roman, observée, contemplée, et la volonté de la protéger des prédateurs. Malgré l’organisation séquentielle qui appelle à reconstituer la chronologie comme un puzzle – ce qui crée un certain suspense –, j’ai beaucoup aimé Les Mangeurs de nuit et la manière dont la magie s'y mêle quasi naturellement aux drames et aux rencontres.

  • Un skieur

    « Un peintre suisse du monde d’hier, Cunio Amiet, avait représenté, au début du XXe siècle, un skieur dans un paysage de neige : un point dans une nappe blanche, jaune plus exactement, enfin couleur de chair puisque la neige est la peau du ciel équarrie sur la Terre.

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    Cunio Amiet, Paysage de neige, 1904, huile sur toile, 178,5 x 236,2 cm, Paris, Musée d’Orsay.

    Je voulais devenir ce personnage : une présence sans valeur dans un monde sans contours. Le voyage deviendrait un déplacement dépourvu de finalité, suspendu dans le monochrome. Ce serait l’action pure, parfaitement réduite à son seul accomplissement. Il y aurait la sueur, le silence et la trace. Les portes s’ouvriraient. J’entrerais dans le vierge, dilué. »

    Sylvain Tesson, Blanc (Le cinquième jour)