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eau

  • Le khejri

    Frain la_foret_des_29.jpg« Il voudrait être l’arbre qu’elle rejoint quand elle est fatiguée. Son tronc. Ses feuilles. Son ombre. Et cette écorce râpeuse qu’elle caresse toujours, d’un geste aussi rituel que fugace, avant d’aller s’asseoir à son pied. Karma ne choisit jamais un acacia ni un figuier, mais cet arbre-là, le khejri. « Les dieux se reposent sous ses feuilles, explique-t-elle en pointant son généreux cercle d’ombre. Même la terre, sous ses branches, reprend des forces, regarde comme elle est grasse ! Le khejri, c’est un arbre qui allaite le monde. »

    Irène Frain, La forêt des 29

  • Djambo et sa légende

    Il n’est pas écrit « roman » sous La forêt des 29 d’Irène Frain, un récit qui se lit comme un roman. Ce n’est pas un roman historique, bien qu’elle se soit très bien documentée sur la légende de Djambo, né en 1451 à Pipisar, dans le nord du Rajasthan, cette région d’Inde appelée alors « le Pays de la Mort »,  le désert du Thar, à cause des sécheresses à répétition. L’histoire de Djambo le sauveur y est colportée par les Charans, des vagabonds qu’elle appelle aussi « sourciers de la mémoire ». L’eau et la mémoire sont leurs biens les plus précieux.

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    Une femme Bishnoï arrose un arbre dans sa cour au Punjab. Les murs et le sol sont recouverts de bouse de vache et balayés deux fois par jour. La bouse est renouvelée deux fois par an.
    Photo par courtoisie de © Franck Vogel, Les Bishnoïs.

    Comment la vie d’un gamin devient-elle une « splendide rivière d’histoires » ? Quand sa mère Hansa avait accouché à presque quarante ans, alors qu’une tempête de sable se rapprochait, les anciens annonçaient la fin du monde en cette troisième année de sécheresse. Son arrivée ne suscite guère l’enthousiasme de sa mère, comblée par les jumeaux qui l’ont précédé, d’autant plus que Djambo naît avec six orteils dont trois palmés. Le bébé se nourrit à un autre sein. Mais son père, un éleveur de chevaux, lui a souri et s’est occupé des rites à accomplir. Peu après, ils ont une averse, quelques orages, les choses se mettent à aller mieux.

    A quatre ans, l’enfant qu’on croit mutique se met à parler aux animaux, aux arbres, et même sous l’arbre des anciens. Sa mère, devenue entre-temps la matriarche, le dit fou et monte ses frères contre lui, mais il échappe à tous les pièges, court comme une gazelle. Il cultive l’art de se faire oublier, d’être invisible. Quand on lui confie la garde des vaches, il les emmène dans une pâture éloignée à la lisière de la forêt. Il aime se cacher dans l’arbre des anciens pour apprendre le plus de choses sur le village et sur les gens.

    C’est de là qu’il entend son père décréter un jour que cela suffit de tolérer les excès des Bhils, leurs voisins chasseurs insatiables, qui se sont mis aussi à abattre des arbres pour satisfaire les caravaniers avides de bois à vendre ailleurs à ceux qui n’en ont plus, depuis que le village le leur refuse. A treize ans, quand sa nourrice meurt, Djambo ne trouve plus de petit bois pour le bûcher. Il en veut aux Bhils jusqu’à vouloir en tuer un en l’attirant dans un piège où il a planté un pieu sous une trappe. Il en repère un qui a abandonné une antilope blessée, mais le garçon est pris soudain dans un nuage de poussière.

    Quand il rouvre les yeux, c’est une scène-clé de sa vie qui se produit : un chef guerrier ne peut ranimer la femme couverte d’or et enceinte qui l’accompagne, mourante. Djambo donne sa gourde, elle n’arrive pas à boire. Désespéré, l’homme l’achève puis lui ôte tous ses bijoux. Il laisse une chaînette d’argent à Djambo pour l’enterrer. Le piège préparé pour le Bhil fera une tombe pour la femme et l’antilope, à l’abri des prédateurs.

    Ce guerrier fameux s’appelle Bika, il devient le « Rao », le roi des tribus de la région qui se soumettent à lui pour vivre en paix. Il parle peu, ne se confie à personne à part son masseur. Bika a été chassé par les siens, le clan des Rathores, qui ont rejeté sa femme, Noor, de basse extraction. Sa mort et celle de l’enfant qu’elle portait le hantent. Aussi s’est-il juré de construire un palais fabuleux dans le désert, malgré le désaccord de son oncle qui l’adjure de ne pas devenir l’ennemi de l’eau et de la forêt.

    Djambo, de son côté, devient à douze, treize ans le responsable des terres familiales. Ses frères jumeaux sont morts, sa mère est dévastée. Heureusement il peut compter sur sa jeune tante Karma dont la famille s’est réfugiée chez eux après avoir été volée et violée par des soldats de Bika. Elle apprend à son neveu tout ce qu’elle connaît du désert : le ciel, les vents, le sable, les arbres, les animaux.

    L’harmonie avec la nature sera à jamais, pour Djambo, liée aux femmes : tenir compte de la lumière et de l’ombre pour savoir où semer et quoi, recueillir les gouttes de rosée dans une gourde, respecter les insectes, les reptiles, élever une dune et la fixer par des buissons pour protéger le champ contre les poussiers, attirer les oiseaux avec des graines et un peu d’eau. L’arbre le plus utile à planter dans le désert, c’est le khejri. Par grande sécheresse, ses cosses donnent de quoi manger.

    Ce n’est qu’à quinze ans que le dernier fils d’Hansa et Lohat sera appelé Djambo, qui veut dire «  Merveille ». Sa mère continue à le maudire et il se décide à partir. Un vieux magicien au turban jaune vif, Sawant (« Soleilleux »), qui appartient au Peuple des Chemins, accepte de l’initier d’abord à son art de vivre, fait de discipline et d’exactitude, de parole aussi, puis à son art qui fascine ceux qui y assistent au crépuscule. Le jeune magicien fera plus tard une autre rencontre décisive, celle de Binji, une danseuse ambulante qui rêve de se produire devant le Rao de Bikaner, la cité fabuleuse de Bika que tout le monde vante sur les chemins.

    C’est dans les « Annales du désert » que les Charans content l’histoire de Djambo, entre réalité et légende, riche en rebondissements. En 1485, celui-ci, devenu prophète malgré lui, revient dans sa région natale. Il y ramène l’eau et les arbres, et fonde le mode de vie des Vingt-Neuf, appelés ainsi pour les 29 principes respectés dans ce village de cultivateurs d’un nouveau genre, sans castes, où les hommes sont tous habillés de blanc, les femmes de rouge. Ils plantent et protègent les arbres, ils vivent en bonne entente avec les animaux sauvages.

    Irène Frain conclut son récit romanesque en résumant les siècles qui ont suivi l’épopée de Djambo et en racontant l’incroyable « Massacre et Immolation de Khejarli » où 363 hommes, femmes et enfants ont donné leur vie pour protéger une forêt. Elle fait le point sur la situation actuelle des Bishnoïs (« 29 » en hindi), qui sont actuellement près de huit cent mille en Inde, principalement au Rajasthan, entre Jodhpur et Bikaner. Irène Frain s’est appuyée entre autres sur le travail de Franck Vogel qui leur a consacré un reportage photographique en 2009 et a fondé l’association « S’inspirer des Bishnoïs ».

  • Texture

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    « Il faut que les objets soient rendus avec leur texture propre. Il faut encore et surtout qu’ils soient enveloppés de lumière, comme ils le sont dans la nature. Voilà le progrès à faire. »

    Alfred Sisley à Adolphe Tavernier, 24 janvier 1892

    Catalogue Sisley l’impressionniste, Hôtel de Caumont Centre d’art, Aix-en-Provence, 2017.

     

    Sisley, Printemps aux environs de Paris : pommiers en fleurs, 1879,
    Musée Marmottan Monet, Paris (détail)

  • Sisley à Aix

    L’exposition Sisley l’impressionniste est un excellent prétexte (s’il en faut) pour se rendre à Aix-en-Provence. C’est la première fois que je découvrais rassemblées d’aussi nombreuses toiles de cet artiste moins connu que Monet, resté fidèle toute sa vie à la peinture en plein air – un peintre de paysages et « un impressionniste très personnel », comme l’écrit MaryAnne Stevens, commissaire de l’exposition.

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    Alfred Sisley (1839-1899), né à Paris de parents anglais, a peint Paris et ses environs, la forêt de Fontainebleau, puis Argenteuil, Bougival, les endroits près desquels il demeurait. Le parcours chronologique, repris dans le catalogue, le suit de lieu en lieu, en France et en Angleterre, depuis ses années de formation jusqu’aux années de maturité à Moret-sur-Loing où il est décédé.

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    Alfred Sisley, Vue de Montmartre depuis la Cité des Fleurs aux Batignolles, 1869, musée de Grenoble

    Dès cette Vue de Montmartre depuis la Cité des Fleurs aux Batignolles, on le voit animer ses paysages de quelques silhouettes, mais donner plus d’importance au ciel, aux nuages, à l’atmosphère. Ses petits personnages se déplacent, travaillent, se promènent souvent sans lever les yeux vers le ciel ; certains s’arrêtent en regardant vers le peintre à son chevalet. Lui veut montrer ce qu’il capte dans la lumière du jour, tout ce qui englobe les humains. « Je commence toujours une toile par le ciel » écrit-il à Alfred Tavernier en 1892.

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    Alfred Sisley, L'Inondation à Port-Marly, 1872, National Gallery of Art, Washington

    Chaque saison offre des lumières intéressantes à peindre. Vincent Noce a écrit Monet, l’eau et la lumière ; ce titre conviendrait également à son ami Sisley, qui a tant de fois peint la Seine, les bords de Seine. A Port-Marly, il peint L’Inondation, spectaculaire, une de ses œuvres les plus fameuses.

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    Alfred Sisley, Bougival, 1876, Cincinnatti Art Museum

    L’été éclate dans Bougival où il pose toute la gamme des bleus dans le ciel, dans l’eau, dans l’ombre du chemin. Vers les nuages monte en diagonale la fumée grise d’un bateau et ce mouvement introduit ainsi dans cette scène la vie, le naturel. Sisley aime rendre les effets lumineux de la neige qui modifie notre perception des lieux, même familiers. L’exposition en offre de nombreuses illustrations, de Route de Louveciennes – effet de neige à L’Abreuvoir de Marly-le-Roy.

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    Alfred Sisley, Route de Louveciennes : effet de neige, 1874, Museum Barberini, Postdam

    Des arbres feuillus ou dégarnis, des allées d’arbres le long d’une route, sur une rive, assurent l’équilibre de la composition, avec leurs reflets ou leurs ombres. Quelle grâce et quelle lumière sur ces pommiers en fleurs ! J’ai particulièrement aimé une toile intitulée Les Petits Prés au printemps, By, où le personnage en bleu et blanc à l’avant-plan reprend sur la terre les couleurs de l’eau et du ciel (ci-dessous). Le jaune de son chapeau s’harmonise aux premières touches printanières sur les arbres. Tout se répond.

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    Alfred Sisley, Les Petits Prés au printemps, By, vers 1880-1881, Tate, Londres

    Je n’ai rien dit de l’automne ? Sisley n’a pas manqué d’explorer cette saison des couleurs chaudes dont j’ai pu admirer les débuts sur les arbres et les vignes dans le pays de Nyons, avant de retrouver chez moi le ginkgo biloba dans son habit d’or pâle que je voudrais tant voir résister quelques jours de plus à la pluie et au vent.

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    Alfred Sisley, Sous le pont de Hampton Court, 1874, Winterthur, Kunstmuseum.

    S’il admire et fait admirer la nature, le peintre s’est souvent attaché à montrer les maisons, les rues, les ponts, les constructions des hommes qui structurent l’espace où ils vivent et où notre regard s’appuie : aqueduc de Marly, pont de Hampton Court, lavoir, églises… Bref, l’exposition montre à la fois la constance de l’artiste dans sa recherche de rendre avec justesse son impression visuelle et la variété des points de vue dans l’approche de son sujet.

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    Alfred Sisley, Le pont de Moret, 1888, Minneapolis Institute of Art

    Le catalogue, pas encore lu, généreux en illustrations pleine page, fournit certainement des clés pour mieux comprendre la peinture d’Alfred Sisley. Mais je voulais simplement partager avec vous cette beauté (l’art et la beauté sont à la une de Beaux Arts Magazine ce mois-ci) et ces quelques photos prises à l’exposition, visible jusqu’au 15 octobre à l’Hôtel de Caumont.

  • Fenêtres

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    Dedans, dehors.

    Les fenêtres sont à la fois frontières et passerelles.

    Elles laissent entrer la lumière.

    Elles ouvrent l’espace.

     

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    Quelqu’un m’a dit un jour :

    un tableau doit être une fenêtre,

    le regard doit pouvoir y entrer.

    Parfois la fenêtre est un tableau.

      

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    Près de la fenêtre, on écrit, on coud,

    on travaille, on lit

    – ou bien sous la lampe.

    Lumière du jour.

    Lumière du soir.

     

     

     

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    Je lève les yeux vers la fenêtre :

    je suis ici,

    je suis ailleurs.

     

    Photos prises à La Granja (mai 2016)