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nature - Page 2

  • Poids plumes

    Il me faisait de l’œil à l’exposition namuroise, parmi quelques ouvrages à feuilleter, ce petit livre à quatre mains : Poids plumes de Nicole Malinconi, avec des gommes de Kikie Crêvecoeur. Comme suggéré au musée Rops, je suis allée à la librairie Point Virgule, qui proposait divers livres illustrés par la graveuse bruxelloise. A part l’un ou l’autre texte lu par ci par là, j’avais perdu de vue cette écrivaine belge après la lecture de son premier récit, Hôpital silence (1985).

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    Photo © Kikie Crêvecoeur, Poids plumes, 2019,
    Livre illustré sur des textes de Nicole Malinconi pour les éditions Esperluète, coll. L'Estran

    Poids plumes est dédié « A la Perdrix grise, à la Perdrix Rouge, à la Grive musicienne, au Bruant jaune, au Guillemot, à la Farlouse… » – une double page d’énumération où les oiseaux que je ne connais pas sont très nombreux. Je pense à Psychopompe, au Jardin nu. Dans de courts textes d’une à quelques pages, Nicole Malinconi observe des oiseaux de connaissance, ceux de nos villes et de nos campagnes, de nos jardins, de nos forêts : ramiers, pies, hirondelles…

    Chaque texte est d’accompagné d’une ou plusieurs gommes de Kikie Crêvecoeur, parfois rassemblées pour une illustration pleine page. En regard du Nid, feuillage, rameaux, nid, œufs répondent à la manière dont l’autrice suit la construction d’un nid de pies, brindille après brindille, dans un bouleau sans feuilles encore. « De jour en jour, il était devenu de plus en plus difficile de suivre ce qui se passait là-haut, dans ce vert qui n’en finissait pas de déborder, et finalement, le nid avait pour ainsi dire disparu. »

    Un caneton esseulé, des mésanges qui prennent leur temps avant de « faire honneur à vos nourritures », le passage des oies, un moineau qui se cogne à la vitre, le cormoran qui pêche ou fait sécher ses ailes « grandes ouvertes », ce sont des observations toutes simples que relate Nicole Malinconi, si bien rendues qu’on a l’impression de retenir son souffle en même temps qu’elle, comme à l’affût.

    De leur façon de voler aux plumes tombées dans l’herbe, les lecteurs et lectrices amoureux de la gent ailée feront leur miel. J’ignorais l’existence et les règles des concours de chant organisés par les pinsonneurs, attentifs au bon déroulement des syllabes « de l’aigu au grave » de leur pinson : « ruidju, ruhîdju, vidjudistroadju » !

    Quatrième de couverture de Poids plumes : « S’attarder à la pause et prendre des airs de philosophe, ce n’est pas votre affaire, quand vous êtes un poids plume ; vous voilà fait pour l’intranquillité. » Ce beau petit livre de Nicole Malinconi et Kikie Crêvecoeur édité par & m’a charmée par sa simplicité, sa justesse, son joli duo de mots et de gommes.

  • Vivre de rien

    chantal thomas,souvenirs de la marée basse,roman,littérature française,mère,fille,arcachon,plage,eau,nage,nature,culture« Et quand on décide, comme mes parents, de s’installer définitivement dans une ville de vacances, c’est pour se réfugier dans une forme de vide ou de vacuité. Cela implique que l’on sache vivre de rien, de presque rien, s’illuminer d’un détail, s’enchanter d’une nuance, devenir expert dans le modelage des marées, le tracé mouvant de l’écume, l’alchimie du bleu, le vol des hérons cendrés. Cela suppose que l’on réussisse à garder au fil des jours et des saisons l’insouciance des vacances, la capacité à jouir de l’instant. »

    Chantal Thomas, Souvenirs de la marée basse

  • Energie d'un sillage

    « L’enfant veut une vague salée, le sable. » Chantal Thomas cite Colette avant d’ouvrir ses Souvenirs de la marée basse (2017). L’amer, la mer, la mère. A Nice, en août 2015, le plaisir de nager sous la pluie, par un jour de mauvais temps, la ramène aux plages de sa mère âgée, à Nice ou à Villefranche-sur-Mer, où celle-ci allait régulièrement en train, jugeant sa baie plus protectrice.

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    « L’eau du ciel glisse sur mon front, mes yeux, se sale du sel de ma peau. Et moi qui ai toujours vu en ma mère une femme indifférente à la transmission et en moi-même un être surgi d’aucune sagesse précédente, il m’apparaît soudain qu’à son insu elle m’a transmis l’essentiel : l’énergie d’un sillage qui s’inscrit dans l’instant, la beauté d’un chemin d’oubli, et que, si j’avais quelque chose à célébrer à son sujet, quelque chose à tenter de retracer, c’était, paradoxalement, la figure d’une femme oublieuse. Insoucieuse, non ; mais oublieuse, oui. Était-ce de sa part une force ou une faiblesse ? » (Ouverture)

    Du temps d’Arcachon, sa ville d’enfance évoquée aussi dans De sable et de neige et dans Café Vivre, Chantal Thomas fait un rêve où elle déclare, du haut d’une dune : « Où c’est le plus beau, c’est là où j’habite. » Sa mère, Jackie, était une nageuse obsédée par le sport. Sa grand-mère lui a raconté comment, en juillet, quand ils habitaient près de Versailles, sa mère s’était jetée dans le Grand Canal pour nager, à seize ou dix-sept ans.

    Ses parents, Felix et Eugénie, avaient choisi Arcachon pour leurs vacances en famille, puis pour y vivre à l’âge de la retraite. Quand Jackie était enceinte de Chantal, ils avaient séjourné ensemble à Charavines où elle nageait tous les jours dans le lac de Paladru, « le lac bleu », en se disant « pourvu que les yeux de mon enfant soient de la couleur du lac ».

    Née à Lyon en 1945, Chantal Thomas est bientôt emmenée par ses grands-parents à Arcachon, ses parents n’étant pas vraiment prêts à s’occuper d’elle. Son père n’avait pas trop envie de quitter Lyon où il a participé à la Libération, mais sa mère sera très heureuse de s’installer au rez-de-chaussée de la maison de ses parents et de reprendre son entraînement de nageuse avec son père qui la chronomètre, toujours en compétition avec elle-même.

    Pendant que sa mère nage, sa fille rampe d’une tente à l’autre sur le sable, observe les gens, distingue « les enfants venus d’ailleurs » des « enfants de la plage » qui se mêlent pour jouer. Puis ils ont leur propre maison dans la Ville d’Automne, rue Nathaniel-Johnston. Chez elle, sa mère s’ennuie, elle n’a rien d’une femme d’intérieur. Seule la nage, plus précisément le crawl, la passionne.

    Petite, sa fille ne sait pas nager, n’arrive pas à suivre les leçons de sa mère, mais elle se débrouille, elle flotte très bien en faisant la planche. Elle adore entrer dans l’eau. Sur la plage, elle mesure à quel point sa famille est différente des autres, par exemple de la famille Leçon (!) avec villa blanche, véranda, tourelle et jardin, des gens très « comme il faut ». Ces enfants-là ne jouent pas avec les autres.

    Un jour, il lui vient tout de même une amie sur le sable : Lucile, une petite fille agenouillée dans une baïne, tient une étoile de mer dans la main et la lui offre : « C’est un cadeau de la princesse du Palais des Mers. » Fille d’un professeur de lettres, Lucile lui raconte la révolte de la princesse maltraitée par un géant, « le maître des dunes », la guerre puis la réconciliation entre le sable et la mer. Leur complicité est immédiate. Elles ne pensent qu’à se retrouver, gardent le secret sur leurs agissements, vont ensemble au club de natation et de gymnastique. Puis vient le temps de se dire : « A l’été prochain ! »

    Chantal Thomas, parlant de Jackie, ne disait pas « maman » mais « ma mère », ce que celle-ci regrettait ; elle-même disait « maman » à la sienne. Mais ce mot tendre ne convient pas à leurs rapports, toujours un peu distants. Ecolière, la petite Chantal a du mal à l’école, ce lieu « où il y a toujours quelqu’un pour vous dicter ce qu’il faut faire et ne pas faire. » L’uniforme la met « en nage », elle préfère de loin se déshabiller pour nager.

    Souvenirs de la marée basse, ce sont aussi les souvenirs de leurs failles : son père enfermé dans le silence, sa mère angoissée, dépressive, courant les médecins. Leur dernier été à Arcachon, sa fille l’entend dire qu’elle n’en peut plus. Puis, le 2 janvier, son père meurt soudain à quarante-trois ans. « C’est de cette matière mate et sourde, de ce tombeau d’avant l’heure, que je dois extraire mes propres mots, effectuer, homonymes et synonymes réunis, la lente percée de mon langage. C’est dans la ruine des sables et l’impossibilité à dire que je dois chercher ma force. »

    Dans « Autres rivages », on découvre comment sa mère réagit, revit en déménageant à Menton, puis à Nice, toujours à la recherche de « sport, vacances, joie, soleil », comme avait écrit le grand-père de Chantal Thomas sur l’album de famille. Comment, aussi, elle oublie.

  • Expo à la cathédrale

    Le nom d’Hildegard von Bingen (1098-1179) m’a attirée la semaine dernière à la cathédrale des Saints Michel & Gudule (elle porte les deux noms des saints patrons de Bruxelles). Je m’attendais à une exposition sur la célèbre « sainte du XIIe siècle, à la fois bénédictine, poétesse, musicienne, compositrice, botaniste, linguiste, tacticienne, herboriste », « figure marquante de la médecine monastique (à qui l’on doit même d’avoir inventé la bière !) », selon le feuillet de présentation.

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    En réalité, les deux expositions de mai annoncées par Ars in Cathedrali sont reliées aux seules études botaniques d’Hildegard, qui a observé et dessiné les plantes, étudié leur qualités nutritionnelles et médicinales. Ce sont des installations de Françoise Lesage sur « Hildegard et le règne végétal » et d’Anne Mortiaux, « Flore, terre et eau du marais Wiels ». L’hommage à Hildegard von Bingen comprendra aussi trois concerts et deux conférences (du 24 au 26 mai).

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    Bannières : plantes d'Hildegard von Bingen par Françoise Lesage

    En entrant dans la cathédrale, le regard est attiré par les bannières suspendues entre les colonnes : des dessins de plantes avec leurs racines (pastel gras sur toile de lin). Mis à l’échelle de l’espace d’exposition par Françoise Lesage, ces dessins de plantes d’Hildegard sont présentés dans un style majestueux.

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    Anne Mortiaux, installation dans le baptistère d'eaux puisées et mélangées. 

    L’allée latérale de gauche (côté nord) mène au baptistère, où l’on découvre une installation très particulière près des fonts baptismaux (ci-dessus) : Anne Mortiaux y a mis dans des jarres et clepsydres de l’eau puisée au marais Wiels (une zone humide près d’une ancienne brasserie bruxelloise), à la roselière de La Louvière (friche des faïenceries Boch) et à l’étang de Ladrée à Ohey (ancienne fosse d’extraction d’argile). Ce rapprochement entre l’eau du baptême et la défense de ces zones de biodiversité à protéger est pour le moins inattendu.

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    Le marais Wiels, de formation récente, est apparu au début du siècle en région bruxelloise dans la commune de Forest, quand un chantier préparatoire à la construction de bureaux (obsession immobilière) a percé la nappe phréatique, engendrant un étang de près de neuf mille mètres carrés, où la vie a peu à peu repris : son histoire et son importance sont parfaitement présentées sur le site de Natagora Bruxelles.

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    Herbier du marais Wiels (Anne Mortiaux)

    En continuant, on découvre sur le sol, dans le déambulatoire qui longe le Trésor de la cathédrale, les herbiers d’Anne Mortiaux : ce sont ses cueillettes entamées au marais Wiels en octobre, identifiées sur une liste. Disposées en accordéon, elles illustrent le passage des saisons : automne, hiver et printemps. Ces herbiers font écho à ceux d’Hildegard von Bingen, qui avait inventé une langue, « la lingua ignota », pour renommer les plantes (elle compte mille dix mots). A la fin de l’article en lien, vous trouverez quelques-uns des noms qu’elle leur a donnés.

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    Françoise Lesage, 182 plantes (n° 752 à 935 de la "lingua ignota"), 2024 (détail ci-dessous)

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    Françoise Lesage s’en est inspirée. Une longue bande de soie et chanvre présentée sur la dernière colonne de la nef, du même côté, un travail d’aquarelle et broderie, reprend « 182 plantes » inventoriées par Hildegard. L’artiste a brodé ton sur ton sur le bord inférieur l’alphabet qu’elle avait conçu. L’autre tissu suspendu sur la colonne de l’autre côté de la nef a été tissé à partir de laine teinte avec ces plantes. Les bandes colorées suivent l’ordre des plantes indiqué dans l’herbier d’Hildegard, chacune étiquetée avec son nom et son numéro.

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    Françoise Lesage, 182 plantes (n° 752 à 935 de la "lingua ignota"), 2024 - teintures (détail)

    Sur la bannière du chœur, d’après le feuillet explicatif de Françoise Lesage, la grande ortie symbolise la célèbre bénédictine. Cette femme puissante « piquait » les puissants de son époque en s’exprimant en public, ce qui était interdit aux femmes, comme cette plante qui repousse après avoir été coupée.

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    Bannière du choeur : la grande ortie pour symboliser Hildegard von Bingen

    D’abord déconcertée par l’absence d’un panneau explicatif ou d’un petit guide pour les visiteurs, j’étais tout de même heureuse de revisiter la belle cathédrale des Saints Michel & Gudule. Une rencontre providentielle nous a permis d’en apprendre un peu plus sur place et de mieux comprendre le sens de ces expositions. Merci à notre guide, grâce à qui mon compagnon de visite et moi avons fait une autre découverte. Je vous en parlerai la prochaine fois.

    P.-S. Ces deux expositions restent visibles à la cathédrale jusqu'au 27.06.2024 (entrée libre).

  • Un et double

    parc josaphat,schaerbeek,hêtres pourpres,printemps,nature,couleurs,arbres,ginkgo biloba,poésie,goetheLa feuille de cet arbre, qui, de l’Orient,
    Est confiée à mon jardin,
    Offre un sens caché
    Qui charme l’initié.

    Est-ce un être vivant,
    Qui s’est scindé en lui-même,
    Sont-ils deux qui se choisissent,
    Si bien qu’on les prend pour un seul ?

    Pour répondre à ces questions,
    Je crois avoir la vraie manière :
    Ne sens-tu pas, à mes chants,
    Que je suis à la fois un et double ?

    Johann Wolfgang von Goethe, Le Divan oriental-occidental

    (traduction de Henri Lichtenberger)

    Ginkgo biloba devant un "géant" pourpre du parc Josaphat