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culture - Page 295

  • Rester fortes

    Toranian affiche expo.jpg« Toute la nuit, Aravni reste au chevet de sa mère. Quand son corps commence à refroidir, elle se blottit contre elle, comme une petite fille. Au matin, Méliné la relève doucement et la prend dans ses bras.
    – Si j’étais morte à la place de Maral, maman serait restée en vie, murmure Aravni, fixant l’aube violette qui s’étire à l’horizon.
    – Je t’interdis de dire ça. Ta mère est morte d’épuisement et de chagrin. Les vivants ne doivent pas se reprocher d’être vivants. Sinon les Turcs nous auront tout pris. La vie et la raison. Le convoi est plein de femmes à moitié folles. Ecoute-moi bien, Aravni, nous allons rester en vie et rester fortes.
    Elle ajoute, par pure superstition :
    – Si Dieu le veut. Et elle crache en l’air.
    Pour que le mauvais œil comprenne à qui il a affaire. »

    Valérie Toranian, L’étrangère

  • Nani d'Arménie

    Un bandeau au bas de la couverture : « Ma grand-mère s’appelait Aravni et ne parlait jamais de son passé. » L’étrangère de Valérie Toranian, son premier roman, rend hommage à cette grand-mère et brise le silence autour du génocide arménien. La mère de son père, elle (la narratrice) la voyait comme une femme pas belle mais respectable à qui elle ressemblait, et non à sa mère blonde aux yeux bleus : « Je suis de la lignée des boucles drues, des yeux sombres et des paupières qui tombent. » Sa sœur aînée a les cheveux lisses, son frère aussi. « Je me reconnais dans le camp des bouclés par dépit, mais je reconnais qu’il a du panache. »

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    Valérie s’appelle Astrig en arménien, « petite étoile ». Elle cherche à séduire son père, plutôt sévère, et perçoit des tensions dans l’histoire familiale liée à sa grand-mère arménienne, « rescapée du génocide ». Comme celle-ci ne parle que sa langue, même si elle prononce « quelques phrases rudimentaires » en français, elles ne se comprennent pas. Mais, installée dans l’appartement parisien au-dessus du leur, sa grand-mère a « l’obsession orientale du gavage d’enfant » et l’attire par la gourmandise : elle fabrique de délicieux « tire-bouchons », des biscuits salés en forme de tresse que son frère et elle ont baptisés ainsi à cause de leur forme.

    « Amassia. Juillet 1915 » : le jour de Varvatar, « la fête de l’eau », pas de messe, le prêtre a été arrêté, et tous les hommes entre 18 et 50 ans, le père et le mari d’Aravni aussi. Sa mère, l’élégante Anna Messerlian (leur mercerie est un des plus beaux magasins de la ville), a décidé de quitter la maison avec ses deux filles, Aravni, seize ans, mariée à un cousin éloigné, « un homme raffiné, instruit, passionné par les progrès de la science, doué pour le piano », et Maral, dix ans. Alors qu’elles terminent d’emballer leurs affaires, le jardinier turc, sa femme et leur fille, sont déjà dans la maison à vider leur penderie – « Bientôt, toutes les maisons arméniennes seront pillées, livrées aux vautours. » Parmi les documents éparpillés, Aravni aperçoit le diplôme de son mari, le plie et le glisse contre son ventre. Elles seront du premier convoi, avec la tante Méliné, qui leur a annoncé qu’elles ne reverront plus ni père, ni mari. « D’ici dix jours, Amassia sera vidée de ses treize mille sujets arméniens. »

    Alternant avec la vie au présent à Paris, le récit des démêlés familiaux, Valérie Toranian raconte le terrible exode de sa grand-mère dans le convoi d’Amassia. Après quelques jours, les réserves de nourriture et d’eau sont épuisées ; dans les villages traversés, l’afflux de réfugiés arméniens encourage le marché noir, et malheureusement les rapines. Des Kurdes, des Turcs, des Tcherkesses font main basse sur le contenu des chariots et, pire, « les convois sont devenus d’immenses foires aux esclaves ». Femmes et enfants sont emmenés pour devenir des domestiques, voire des épouses « éduquées, vaillantes » ; seules les familles qui ont de quoi payer y échappent. Les bijoux cachés dans des pochettes cousues à l’intérieur des vêtements ne feront pas long feu lors des fouilles au corps, jusque dans les parties intimes. La petite Maral et Anna, sa mère, n’y survivront pas – Aravni, « si Dieu le veut ».

    Valérie aime sa grand-mère mais a honte de cette femme « trop grosse, trop bizarre, trop étrangère, trop susceptible, trop paranoïaque, trop tout. » Elles regardent la télévision ensemble, adorent suivre les mimiques de « Ma Sorcière bien-aimée ». Aravni, pour sa petite-fille, c’est « Nani » ; « Mamie », c’est la mère de sa mère, « l’exact opposé » de celle de son père. Elle ignore encore comment Aravni a échappé aux enlèvements, grâce aux conseils de sa marraine Méliné : prendre un air abruti, se mettre de la terre sur la figure, se pisser dessus pour sentir mauvais… Celle-ci la prétendra très malade lors d’une épidémie de dysenterie pour éloigner un de ces prédateurs.

    Avec son physique, son nom exotique et aux sonorités malheureuses autant que ses initiales (V. C.), sa jupe tricotée par sa grand-mère, Valérie est le bouc émissaire de ses camarades de classe. Ce qui la sauve, c’est l’un ou l’autre professeur attentif et la lecture. Dès six ans, elle est une dévoreuse de livres. « La lecture ne comble pas ma solitude, elle me bouleverse. J’accède à l’immense famille humaine. » Les Misérables deviennent le livre de sa vie, Victor Hugo, le « maître vénéré » dont un alexandrin l’a pétrifiée, au début de L’enfant, lu en classe : « Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil. »

    En quelque deux cents pages, Valérie Toranian réussit à nous captiver et pour ce qu’a vécu Aravni, survivante du génocide arménien, avant d’arriver à Paris (convoi d’Amassia, Alep, Constantinople, Marseille) et pour sa propre enfance au croisement des cultures paternelle et maternelle. « L’histoire d’Aravni est une reconstitution romancée » à partir des notes que l’auteure a prises auprès de sa grand-mère à la fin de sa vie, précise-t-elle au début de ses remerciements, suivis d’une importante bibliographie. Un roman de reconnaissance.

  • Cavalier

    21 max-liebermann-reiter-am-strand.jpg« L’un des plus grands peintres impressionnistes allemands, Max Liebermann, naît en 1847 à Berlin. Il sera le peintre par excellence de la transition entre les anciens et les modernes. (...) Les nazis hésitent avant de qualifier ses œuvres « d’art dégénéré ». En effet, celles-ci restent figuratives et, en dépit de leur facture impressionniste, relèvent d’un certain classicisme. Mais le fait que Liebermann soit juif et libéral, défauts majeurs aux yeux des nazis, décide de leur sort ; elles sont finalement qualifiées « d’art dégénéré ». Pourtant seules six toiles sont retirées des musées allemands.
    Parmi elles, Reiter am Strand, saisie à la Bayerisches Staatsgemälde-Sammlung de Munich en 1937 et vendue en 1939 par la galerie Fischer au Musée des Beaux-Arts de Liège pour 3200 CHF. Liebermann est rapidement réhabilité après la guerre en Allemagne. »

    Catalogue 21 rue La Boétie, La Boverie / Tempora, Liège, 2016.

    Max Liebermann, Reiter am Strand (Le Cavalier sur la plage), 1904, Musée des Beaux-Arts, Liège.

  • Galerie P. Rosenberg

    21 rue La Boétie : le titre du récit d’Anne Sinclair (pas encore lu) est celui de la belle exposition que je viens de visiter à Liège, au musée de la Boverie (jusqu’au 29 janvier 2017). L’histoire d’un grand-père juif, Paul Rosenberg (1881-1959), et de sa galerie d’art parisienne emportée dans la tourmente du nazisme. S’il n’y a aucune commune mesure entre la « solution finale » et le pillage des œuvres d’art pendant la seconde guerre mondiale, c’est néanmoins une très intéressante période de l’histoire de l’art et de l’histoire tout court qui se déroule là.

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    La galerie Paul Rosenberg s’ouvre à Paris en 1910, quand les galeries marchandes se multiplient dans la capitale française et inventent une autre façon de présenter les œuvres d’art que celle des « salons » traditionnels. La reproduction en grand de l’enseigne publicitaire peinte par Watteau pour Gersaint, marchand d’art, forme un beau portail au seuil de l’exposition. De nombreux textes (en français, néerlandais, allemand, anglais) jalonnent ce parcours très didactique dans l’histoire de la galerie Paul Rosenberg.

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    Watteau, L'Enseigne de Gersaint (1720)

    On y découvre une affaire de famille, du commerce d’art et d’antiquités d’Alexandre Rosenberg avenue de l’Opéra (le père venu de Slovaquie en 1878) aux galeries fondées par ses fils. Léonce Rosenberg, l’aîné, défend les cubistes à L’Effort moderne, puis son frère ouvre au 21, rue La Boétie la galerie Paul Rosenberg, avant Londres (1936) et New-York (1941). Une vidéo sur écran panoramique raconte cet essor des galeries d’art à Paris et « le système Rosenberg », à savoir les méthodes qui ont permis au galeriste un tel succès.

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    Paul Rosenberg en 1914, au 21 rue La Boétie © Archives Paul Rosenberg.

    En plus des expositions périodiques de qualité qu’il organise et fait connaître par le biais d’affiches, de catalogues, d’annonces dans la presse, Paul Rosenberg présente chez lui des ensembles décoratifs mêlant œuvres d’art et meubles d’antiquaires : ainsi, il donne à ses clients une idée de l’effet d’un tableau dans un intérieur. En accrochant à l’étage des toiles de maîtres du XIXe siècle, il rassure ceux qui hésitent encore devant la peinture moderne.

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    Picasso, Etudes pour du papier à lettres pour la galerie Paul Rosenberg

    A la demande du galeriste, Picasso dessine une vue pour son papier à lettres : on peut voir dans une vitrine diverses études d’une vue sur mer par une fenêtre ouverte où les lettres « P » et « R » s’arrondissent dans le fer forgé du balcon. Puis un portrait de Paul Rosenberg qu’il a dessiné à la mine d’un plomb, près d’une grande photographie. « Picasso, Matisse, Braque, Léger… » annonce l’affiche de « 21 rue La Boétie » ; il manque à cette liste des artistes phares de la galerie le nom de Marie Laurencin, la première artiste vivante à être promue par Paul Rosenberg, dès 1913. 

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    Marie Laurencin, Les deux Espagnoles, 1915, collection particulière

    Il est vrai qu’avec Picasso, le plus célèbre, qui le rejoint en 1918, se noue une véritable complicité : Paul Rosenberg l’installe dans un atelier confortable au 23, rue La Boétie, à côté de chez lui. Cette année-là, Picasso, en pleine période cubiste, peint dans une facture classique le portrait de Mme Rosenberg et de sa fille Micheline (grand-mère et mère d’Anne Sinclair) en voisin et ami de la famille – la petite l’appelait « Casso ».

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    Fernand Léger, Le déjeuner (Le grand déjeuner), 1921-1922, MOMA, New York

    Magnifique grand Déjeuner de Fernand Léger (1921-1922), un prêt du MOMA, où le peintre installe trois femmes « post-cubistes » aux longs cheveux noirs rassemblés d’un côté du visage, un livre, du thé, un chat, dans un décor tout en rythme géométrique, droites et courbes : du rouge, du jaune, des aplats de couleurs pures animent cette composition qui évoque à la fois la vie moderne et le quotidien. Près d’une grande photo de la cage d’escalier du 21, rue La Boétie dans les années 30, une visionneuse permet de voir d’autres photos N/B de la galerie et de de la manière d’y présenter les œuvres.

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    Corot, La liseuse, ca. 1845-1850, Collection Fondation E.G. Bürhle, Zurich

    Des documents d’époque rendent compte des activités de la galerie Paul Rosenberg : feuillets d’expositions, lettres, et c’est un formidable inventaire de peintres qui ont marqué l’histoire de l’art au XIXe siècle et dans la première partie du XXe. Si La route de Versailles de Sisley est un prêt du musée d’Orsay, Sur la route de Versailles à Louveciennes (La Conversation) par Pissarro, Avant le départ (sur un champ de courses) et un portrait du vicomte Lepic par Degas viennent de la Fondation Bührle à Zurich. De même, une belle Liseuse de Corot : en montrant des peintres dont la réputation ne laisse aucun doute, Paul Rosenberg rassurait sa clientèle fortunée sur la valeur des peintres contemporains.

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    Georges Braque, Femme à la mandoline, 1937, MOMA, New York

    Que les admirateurs de Georges Braque ne manquent pas cette exposition, notamment pour Femme à la mandoline et Le Duo, deux superbes compositions. De Braque, on découvre une nature morte en mosaïque de marbre dans une table basse, une des quatre tables où Paul Rosenberg, avant de vendre sa maison parisienne après la guerre, a fait poser les mosaïques qui ornaient les murs de sa salle à manger (le « Quartet Rosenberg »). Une très belle nature morte de Picasso, toute en nuances de gris avec un accent rouge, Pichet et coupe de fruits (1931), est restée longtemps dans la famille Rosenberg. J’ai aussi aimé sa Nature morte à la tête antique (1925, Centre Pompidou), un des dons de P. Rosenberg à la France en 1946.

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    Picasso, Pichet et coupe de fruits, 1931, Collection David Nahmad, Monaco

    De Marie Laurencin, on expose de belles toiles comme Les deux Espagnoles (1915, collection particulière) et La Répétition, un groupe de jeunes femmes avec un chien, entre autres. Mariée à un baron allemand, elle avait dû s’exiler en Espagne durant la Grande Guerre. Matisse, qui a longtemps vendu ses œuvres en toute indépendance, rejoint Paul Rosenberg en 1936. Leçon de piano, Robe rayée, de beaux Matisse figurent à l’exposition. On y montre aussi le côté souvent méconnu ou caché du marché de l’art : Paul Rosenberg était connu pour bien payer les artistes et on affiche le barème qu’il utilisait en 1936 pour fixer la valeur des toiles qu’on lui confiait, selon leur format et leur sujet (figure, paysage, marine).

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    Matisse, La Leçon de piano, 1923, Collection particulière

    Si l’entre-deux-guerres est une période féconde, les années 1940 voient s’effondrer tout un univers. De façon très pertinente, l’exposition de Liège montre la rupture idéologique créée par les nazis entre l’art « allemand » et l’art « dégénéré » : une large section de 21, rue La Boétie explique et illustre cet épisode de notre histoire de façon très intéressante, avec des films d’archives, des photos, des affiches des expositions organisées à ce sujet en Allemagne. Et des tableaux deux par deux, un même sujet peint tantôt de façon réaliste ou académique, tantôt de façon moderne. Ainsi peut-on apprécier à quel point par exemple Gauguin, avec Le sorcier d’Hiva Da (1902), ou Picasso, avec La famille Soler (1903, acquis par la ville de Liège à la vente « de Lucerne » en 1939), créaient au début du XXe siècle un art absolument nouveau.

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    Entrée de l'exposition "Art dégénéré"
    https://www.welt.de/kultur/gallery1020894/Die-Diffamierungs-Ausstellung-der-Nazis.html

    On peut même y écouter de la musique « dégénérée ». Tout ce qui touchait de près ou de loin à ce que les nazis appelaient la « juiverie » était visé par ces odieuses campagnes de propagande. J’ai été frappée, en regardant un film, par les visages impassibles des gens qui se pressaient à l’exposition d’art dit « Entartete kunst », comme s’ils évitaient à tout prix de manifester leur sentiment. Le comble, c’est que cette exposition tournante montrée dans les grandes villes allemandes a été vue par plus de trois millions de visiteurs, le record pour une exposition d’art moderne à cette époque !

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    Galerie Paul Rosenberg, New York

    Ce sont des années fatidiques pour la galerie Paul Rosenberg à Paris. C’est même dans sa propre maison, au 21, rue La Boétie, que s’installe en 1941 « l’infâmant Institut d’Etude des Questions Juives ». Heureusement Rosenberg avait des œuvres à l’étranger, à New York ; les nazis ont fini par s’emparer de celles qui avaient été cachées à Bordeaux ou dans un coffre à la banque. Le pillage des œuvres d’art par l’occupant allemand, aidé de collaborateurs – près de 22000 objets d’art, dans plus de 200 collections privées ! – est un autre chapitre très bien montré à l’exposition, ainsi que tout le travail d’après-guerre pour faire restituer les œuvres à leur propriétaire légal. L’organisation impeccable de Paul Rosenberg a été très précieuse pour permettre cette récupération : chaque œuvre qui passait par sa galerie était photographiée et soigneusement fichée, on peut en voir des exemples à l’exposition. L’itinéraire d’un tableau de Matisse, Profil bleu devant la cheminée, est raconté, étape par étape, depuis sa création à Nice en 1937 jusqu’à son retour dans la famille Rosenberg en 2014 !

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    Anne Sinclair près de son portrait (1952) par Marie Laurencin 

    Anne Sinclair, au début du catalogue, remercie tous ceux qui ont réussi à rendre compte de ce destin de galeriste dans « l’aventure que fut l’art moderne » en rassemblant quelque 60 toiles passées par la galerie de son grand-père, et en particulier Benoît Remiche et Elie Barnavi, commissaires de cette exposition originale et très bien montée, alliant l’art et l’histoire. Celle-ci se termine sur un joli petit portrait d’Anne Sinclair à quatre ans par Marie Laurencin.

  • Heures

    woolf,virginia,journal,tome 3,1928-1930,littérature anglaise,culture« Pendant ma promenade, je me suis dit que je commencerais par le commencement. Je me lève à huit heures et demie et traverse le jardin. Ce matin, le temps était à la brume, et j’avais rêvé d’Edith Sitwell. Je me débarbouille et je vais m’attaquer au petit déjeuner qui est servi sur la nappe à carreaux. La chance aidant, j’aurais peut-être une lettre intéressante ; aujourd’hui, il n’y en avait aucune. Ensuite je prends un bain et je m’habille, puis je viens ici pour écrire ou corriger pendant trois heures, étant interrompue à onze heures par Leonard qui m’apporte du lait et parfois les journaux. A une heure, déjeuner (aujourd’hui petits pâtés rissolés et flan au chocolat.) Après déjeuner, court moment de lecture et cigarette et vers deux heures je chausse de gros souliers, je prends Pinker en laisse et je sors. Cet après-midi j’ai gravi la colline d’Asheham pour m’asseoir une minute ou deux au sommet et puis je suis rentrée en longeant la rivière. Thé à quatre heures environ. Puis je viens écrire quelques lettres ici, suis interrompue par le courrier (qui contient une nouvelle proposition pour des conférences) ; ensuite je lis un livre du Prélude et la cloche ne tardera pas à sonner. Nous dînerons et puis nous écouterons de la musique ; je fumerai un cigare ; nous lirons (du La Fontaine, ce soir, je pense), puis les journaux… Ensuite, au lit ! »

    Virginia Woolf, Journal (Jeudi 22 août 1929)