Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

virginia

  • Woolf au Times

    C’est toujours gai de recevoir des nouvelles de Virginia Woolf et voici un petit livre qui porte son nom. Le Paradis est une lecture continue reprend quatre articles écrits pour le Times Literary Supplement (1917-1919), revue hebdomadaire où elle tenait une chronique littéraire. Elle y parle de quatre écrivains américains du XIXe siècle : Thoreau, Melville, Whitman et « Poe’s Helen » (traduction de Cécile A. Hodban).

    woolf,virginia,le paradis est une lecture continue,articles,essai,littérature anglaise,écrivains américains,critique littéraire,thoreau,melville,whitman,sarah helen power whitman,poe,culture

    Dans Pourquoi écrire ?, Philip Roth exprime à plusieurs reprises son admiration pour Virginia : « Dans un court essai plein de mordant et d’élégance, Virginia Woolf suggère que le journalisme littéraire soit aboli (estimant qu’il est sans valeur à 95%) et que les critiques sérieux se mettent au service des romanciers, qui ont besoin de savoir ce qu’un lecteur honnête et intelligent pense de leur œuvre. »

    Pour le centenaire de sa naissance, elle fait le portrait de Henry David Thoreau et l’éloge de Walden ou La vie dans les bois. « Et à présent, nous avons la possibilité de parvenir à connaître Thoreau comme peu de personnes sont, y compris de leurs amis. Force est de dire que peu de gens s’intéressent à eux-mêmes autant que Thoreau s’intéressa à lui-même, car si nous sommes doués d’un intense égoïsme, nous faisons de notre mieux pour l’étouffer afin de vivre en bons termes avec nos voisins. » Grâce à lui, écrit-elle, « nous avons le sentiment de voir la vie à travers une loupe très puissante. » C’est aussi pour son centenaire qu’elle évoque les aventures d’Herman Melville aux Marquises et à Tahiti.

    Dans « Visites à Walt Whitman », Virginia Woolf reprend le titre d’un essai de J. Johnston et J. W. Wallace (Visits to Walt Whitman in 1890-1891) : « il est bon qu’il soit réimprimé [en 1917] pour l’éclairage qu’il apporte sur un nouveau type de héros et le genre de culte qui lui convenait. » Comparant la vieillesse de Carlyle et de Whitman, elle écrit qu’ils ont choisi « des chemins si différents, si bien que l’un ne voyait que de la tristesse dans la lumière des étoiles et que l’autre pouvait s’abîmer dans de merveilleuses rêveries grâce à l’arôme d’une orange. »

    Qui était « L’Helen de Poe », sur qui Caroline Ticknor a écrit en 1916 ? Sarah Helen Power Whitman était une poétesse américaine et, selon Virginia Woolf, « de toute évidence, indépendamment de Poe, une personne curieuse et intéressante. » Ecrivant de la poésie depuis l’enfance, elle s’était retrouvée veuve très jeune « et avait décidé de mener pour de bon une vie littéraire. » Les poètes de la région fréquentaient sa maison, « car elle était pleine d’esprit, charmante et enthousiaste. »

    A quarante-deux ans, en juillet 1845¸ « elle était en train de flâner dans son jardin au clair de lune quand Edgar Allan Poe, qui passait, la vit. « Dès cet instant, je vous ai aimée, lui écrivit-il plus tard. […] Votre cœur inconnu parut passer dans ma poitrine – où il demeure à jamais. » Le résultat fut les vers A Helen qu’il composa et lui envoya. » Virginia Woolf raconte la correspondance amoureuse qui s’ensuivit et son échec, Poe n’arrivant pas à sortir de sa « brume d’opium et d’alcool », et elle conclut : « Aussi cynique que cela paraisse, nous doutons que Mrs Whitman ait perdu autant que ce qu’elle a gagné avec la fin malheureuse de son histoire d’amour. »

    Qui connaît bien ces grands noms de la littérature américaine goûtera le sel de ces articles. Pour ma part, j’ai apprécié de retrouver la plume malicieuse de Virginia Woolf dans ce mince opus édité par La Part Commune.

  • Au hasard des rues

    La voici, cette autre déambulation contée par Virginia Woolf, que Mrs Dalloway dans Bond Street m’a donné envie de relire : Au hasard des rues. Une aventure londonienne. Cette nouvelle située au milieu du recueil La mort de la phalène (traduction d’Hélène Bokanowski), ce sont quatorze pages que je conseillerais de lire à qui n’a jamais rien lu de Virginia Woolf – la quintessence de son art. Commençons.

    woolf,virginia,au hasard des rues,une aventure londonienne,nouvelle,littérature anglaise,culture

    « Personne sans doute n’a jamais éprouvé de passion pour un crayon à mine de plomb, mais il est des circonstances où nous désirons plus que tout en posséder un, des moments où nous sommes déterminés à trouver un objet, une excuse pour traverser la moitié de Londres à pied entre le thé et le dîner. Le chasseur de renards chasse pour conserver la race des renards, le joueur de golf joue au golf pour préserver des bâtisseurs les espaces libres et nous, quand le désir nous prend d’aller déambuler dans les rues, un crayon nous sert de prétexte et nous disons en nous levant : « Il faut vraiment que j’achète un crayon », comme si d’invoquer ce prétexte nous permettait de nous offrir en toute sécurité le plus grand agrément de la vie citadine en hiver : flâner dans les rues de Londres.

    Le soir de préférence et en saison d’hiver : en hiver, l’air a le pétillant du champagne et les rues sont accueillantes, reconnaissantes. Nous ne sommes pas rappelés à l’ordre, comme en été, par la soif d’ombre, de solitude, et les doux effluves des foins. Les heures du soir nous donnent le détachement qui est le privilège de la pénombre et de la lumière des lampes. »

    Ne la trouvez-vous pas allègre, ironique, sincère, poétique, la plume de Virginia Woolf ? Il vous en faut plus ? Ce qui se passe en nous – « nous dépouillons le moi que nos amis connaissent » – quand nous quittons la maison et « cette coupe sur la cheminée, achetée à Mantoue par un jour de grand vent », c’est que l’œil s’ouvre autrement : « L’œil n’est pas un mineur, un plongeur, un chercheur de trésors enfouis. Il nous porte doucement, au gré du courant ; l’esprit paresse et sommeille, mais il observe peut-être tout en dormant. »

    « La beauté d’une rue de Londres », les lumières et les ombres… puis l’observation d’une naine au joli pied cambré qui essaie des chaussures dans un magasin, et le regard change tout à coup, s’arrête plus attentivement sur les « miséreux » qui vivent dans la rue et qui « considèrent sans haine les flâneurs heureux que nous sommes ». Plus loin, on examine d’autres devantures : magasin de meubles, bijoux anciens, bouquinistes – « Les livres d’occasion sont des sauvages, des vagabonds ; ce sont des troupeaux de tout poil rassemblés au hasard, leur charme fait défaut aux livres apprivoisés des libraires. »

    La nouvelle de Virginia Woolf, parfaitement concentrée sur ce parcours dans Londres, est un feu d’artifice. « Où est le véritable moi ? » Il faut tout de même, ne l’oublions pas, trouver une boutique où acheter un crayon ! Je ne vous en dis pas plus, je vous laisse y entrer avec notre promeneuse : « Pénétrer dans un lieu étranger est toujours une aventure ; l’atmosphère y est parfumée par le caractère et la vie de ses habitants et dès l’entrée nous sommes assaillis par une vague d’émotions neuves. »

    La lecture au long cours procède par bonds, ou plutôt jette sans cesse des ponts. Portée par cette magnifique conteuse, me voilà en train de chercher dans le Journal de Kafka, au génie si différent, cette merveilleuse page sur le bonheur de sortir : « Quand on semble définitivement décidé à rester chez soi pour la soirée, quand on a mis un veston d’intérieur, … » (page 206 si vous possédez ce Journal en Livre de Poche Biblio, 1982, dans la traduction de Marthe Robert). Un autre chef-d’oeuvre à relire.

  • Collision

    Woolf la soirée de Mrs D.jpg« – J’ai adoré Canterbury, dit-elle.
    Instantanément il s’alluma. Tel était son don, son destin.
    – Vous l’avez adoré, répéta-t-il. Je vois cela.
    Ses tentacules lui envoyèrent le message que Roderick Serle était sympathique.
    Leurs yeux se rencontrèrent, ou plutôt entrèrent en collision, car chacun sentait que l’être solitaire derrière les yeux, celui qui se cache dans le noir pendant que son acolyte agile et superficiel se démène et gesticule sur scène pour assurer la continuité du spectacle, venait de se lever, d’arracher sa cape et d’affronter l’autre. C’était inquiétant ; c’était magnifique. »

    Virginia Woolf, Ensemble et séparés (La soirée de Mrs Dalloway)

  • Autour de Mrs Dalloway

    Les sept textes de Virginia Woolf publiés dans La soirée de Mrs Dalloway, je les avais déjà lus dans d’autres recueils. Ils sont ici traduits par Nancy Huston qui introduit ce petit livre de façon convaincante, suivant Stella McNichol dans son initiative « de rassembler des nouvelles thématiquement et temporellement proches du roman » Mrs Dalloway.

    woolf,virginia,la soirée de mrs dalloway,nouvelles,littérature anglaise,traduction,culture

    Mrs Dalloway dans Bond Street, la première nouvelle, est la seule dont Clarissa Dalloway est l’héroïne principale. Le plaisir de relire cette déambulation londonienne dans le but de s’acheter des gants (à rapprocher d’une autre qu’elle m’a rappelée, à la recherche d’un crayon à mine de plomb) a redoublé en comparant cette traduction à celle de Josée Kamoun (dans le recueil La fascination de l’étang).

    Ce pourrait être le premier chapitre d’un roman, comme elle l’écrivait dans son Journal en 1922. Huit pages sur douze décrivent les impressions de Mrs Dalloway en chemin ; les suivantes, ce qui se passe dans la boutique. Un régal d’écriture du « flux de conscience » chez une femme « charmante, posée, ardente, aux cheveux étrangement blancs vu le rose de ses joues : c’est ainsi que la vit Scrope Purvis, C.B., qui se hâtait vers son bureau. » (N. H.) – « charmante, équilibrée, pleine de goût de vivre ; curieux ces cheveux blancs avec ces joues roses ; ainsi la voit Scope Purvis, compagnon de l’Ordre du Bain, qui court à son bureau. » (J. K.)

    Les temps changent, je m’en étonne. Big Ben « sonne » ou « sonnait », les passages du passé au présent varient d’une traduction à l’autre, le présent étant en principe réservé au monologue intérieur. On aimerait une édition bilingue pour voir ce qu’il en est dans le texte original.

    Les nouvelles suivantes se déroulent à la soirée : homme ou femme, les invités dont Virginia Woolf rapporte les états d’âme sont mal à l’aise. Un camarade d’école n’a pas osé décliner l’invitation de Richard Dalloway croisé dans le quartier de Westminster, qu’il n’avait plus vu depuis vingt ans. « Pas du tout son genre » de s’habiller pour une soirée, mais il ne veut pas être impoli. Il observe : « Oisifs, bavards et surhabillés, sans la moindre idée en tête, ces dames et ces messieurs continuaient de parler et de rire » (N. H.) – « Et tout ce beau monde de rire et de papoter, ces gens désœuvrés, bavards, trop élégants ! » (Hélène Bokanowski dans le recueil La Mort de la phalène)

    Il faudra bien qu’il joue le jeu lui aussi quand Dalloway lui présentera Miss O’Keefe, une trentenaire à l’air arrogant, avec qui il tiendra une conversation désaccordée après laquelle ces deux « amoureux du genre humain » se quitteront, « se détestant, détestant toute cette maisonnée qui leur avait fait vivre une soirée de douleur et de désillusion » (L’homme qui aimait le genre humain).

    Virginia Woolf aimait et craignait en même temps la vie mondaine, son Journal l’atteste. Nul doute qu’elle prête à Lily Everit ses propres sentiments quand elle écrit que sa vraie nature était « de faire de grandes promenades solitaires méditatives, d’escalader des portails, de patauger dans la boue, le brouillard, le rêve et l’extase de la solitude, d’admirer la roue du pluvier et de surprendre des lapins » etc. (Présentations)

    Ancêtres puis Ensemble et séparés illustrent à sa manière, subtile et ironique, les malentendus qui naissent de devoir converser aimablement avec des gens qu’on ne connaît pas et qui ne savent rien de votre vie. Faire bonne figure, écouter patiemment ceux qui ne s’intéressent aucunement à vous, tout peut être source d’irritation dans la grande comédie du paraître qu’est la vie mondaine. Même et parfois surtout, pour Mabel comme pour celle qui invente son histoire, la façon dont on est habillé (La nouvelle robe).

    La dernière nouvelle, Un bilan (chez Nancy Huston, Mise au point chez Hélène Bokanowski), en moins de six pages, emmène deux invités des Dalloway dans le jardin : un fonctionnaire « très estimé » (lui aussi compagnon de l’ordre de Bath) et Sasha Latham, « dame élancée et élégante aux mouvements quelque peu indolents », contente de prendre l’air en compagnie de cet homme « sur qui l’on pouvait compter, même dehors, pour parler sans arrêt », ce qui lui permet de marcher « majestueuse, silencieuse, tous les sens en éveil, les oreilles dressées, les narines humant l’air, telle une créature sauvage mais très contrôlée, qui prenait son plaisir la nuit. »

    Le génie de Virginia Woolf est d’enchaîner ainsi les situations, les sensations, les dialogues et le ressenti, l’ennui et l’émerveillement, donnant vie à ses personnages, avec admiration ou avec ironie, souvent avec empathie. « La soirée de Mrs Dalloway est aussi, sur le fond, une réflexion magistrale sur le thème de l’imperfection humaine. » (Nancy Huston)

    woolf,virginia,la soirée de mrs dalloway,nouvelles,littérature anglaise,traduction,culture
    Textes & prétextes, onze ans
    Merci pour vos visites & vos commentaires.

    Tania