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Au hasard des rues

La voici, cette autre déambulation contée par Virginia Woolf, que Mrs Dalloway dans Bond Street m’a donné envie de relire : Au hasard des rues. Une aventure londonienne. Cette nouvelle située au milieu du recueil La mort de la phalène (traduction d’Hélène Bokanowski), ce sont quatorze pages que je conseillerais de lire à qui n’a jamais rien lu de Virginia Woolf – la quintessence de son art. Commençons.

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« Personne sans doute n’a jamais éprouvé de passion pour un crayon à mine de plomb, mais il est des circonstances où nous désirons plus que tout en posséder un, des moments où nous sommes déterminés à trouver un objet, une excuse pour traverser la moitié de Londres à pied entre le thé et le dîner. Le chasseur de renards chasse pour conserver la race des renards, le joueur de golf joue au golf pour préserver des bâtisseurs les espaces libres et nous, quand le désir nous prend d’aller déambuler dans les rues, un crayon nous sert de prétexte et nous disons en nous levant : « Il faut vraiment que j’achète un crayon », comme si d’invoquer ce prétexte nous permettait de nous offrir en toute sécurité le plus grand agrément de la vie citadine en hiver : flâner dans les rues de Londres.

Le soir de préférence et en saison d’hiver : en hiver, l’air a le pétillant du champagne et les rues sont accueillantes, reconnaissantes. Nous ne sommes pas rappelés à l’ordre, comme en été, par la soif d’ombre, de solitude, et les doux effluves des foins. Les heures du soir nous donnent le détachement qui est le privilège de la pénombre et de la lumière des lampes. »

Ne la trouvez-vous pas allègre, ironique, sincère, poétique, la plume de Virginia Woolf ? Il vous en faut plus ? Ce qui se passe en nous – « nous dépouillons le moi que nos amis connaissent » – quand nous quittons la maison et « cette coupe sur la cheminée, achetée à Mantoue par un jour de grand vent », c’est que l’œil s’ouvre autrement : « L’œil n’est pas un mineur, un plongeur, un chercheur de trésors enfouis. Il nous porte doucement, au gré du courant ; l’esprit paresse et sommeille, mais il observe peut-être tout en dormant. »

« La beauté d’une rue de Londres », les lumières et les ombres… puis l’observation d’une naine au joli pied cambré qui essaie des chaussures dans un magasin, et le regard change tout à coup, s’arrête plus attentivement sur les « miséreux » qui vivent dans la rue et qui « considèrent sans haine les flâneurs heureux que nous sommes ». Plus loin, on examine d’autres devantures : magasin de meubles, bijoux anciens, bouquinistes – « Les livres d’occasion sont des sauvages, des vagabonds ; ce sont des troupeaux de tout poil rassemblés au hasard, leur charme fait défaut aux livres apprivoisés des libraires. »

La nouvelle de Virginia Woolf, parfaitement concentrée sur ce parcours dans Londres, est un feu d’artifice. « Où est le véritable moi ? » Il faut tout de même, ne l’oublions pas, trouver une boutique où acheter un crayon ! Je ne vous en dis pas plus, je vous laisse y entrer avec notre promeneuse : « Pénétrer dans un lieu étranger est toujours une aventure ; l’atmosphère y est parfumée par le caractère et la vie de ses habitants et dès l’entrée nous sommes assaillis par une vague d’émotions neuves. »

La lecture au long cours procède par bonds, ou plutôt jette sans cesse des ponts. Portée par cette magnifique conteuse, me voilà en train de chercher dans le Journal de Kafka, au génie si différent, cette merveilleuse page sur le bonheur de sortir : « Quand on semble définitivement décidé à rester chez soi pour la soirée, quand on a mis un veston d’intérieur, … » (page 206 si vous possédez ce Journal en Livre de Poche Biblio, 1982, dans la traduction de Marthe Robert). Un autre chef-d’oeuvre à relire.

Commentaires

  • Oh oui... Jamais rien lu d'elle, comme de tant d'autres d'ailleurs, et je ne prends pas de résolution solennelle car je ne cesse d'ajouter des livres à la liste de ceux que j'aimerais lire, mais je coince dans un coin de mon cerveau, et alors parfois le hasard s'en mêle...

  • C'est souvent une bonne façon de faire, laisser venir un livre à soi, à son heure.

  • on peut le lire en V.O. ici: https://www.bl.uk/collection-items/street-haunting-an-essay-by-virginia-woolf

  • (cliqué trop vite) et il y a une différence dans le texte, contrairement à la traduction et la version anglaise que tu donnes (As the foxhunter hunts in order to preserve the breed of foxes) celle que j'ai trouvée mentionne 'horses' au lieu du dernier 'foxes', ce qui me semble plus logique :-)

  • Merci pour cette autre source. J'ai trouvé "foxes" dans plusieurs extraits en ligne, que je ne trouve pas illogique : j'y ai vu une antiphrase, un des exemples ironiques de faux prétextes. A vérifier à mon prochain passage en librairie. Bonne journée, Adrienne, malgré la pluie.

  • Une belle écriture et une belle énergie aussi, je note le nom de cette nouvelle, quelle chance de savoir joliment écrire et décrire... Bises, douce soirée Tania. brigitte

  • De merveilleuses pages ! Bonne soirée, Brigitte.

  • Un style allègre, qui donne envie de la suivre en faisant de petits bonds...ce qui serait sans doute une mauvaise idée:-)
    Bonne soirée dame Tania

  • Heureuse que ce passage te plaise. Bon 8 mars, Colo.

  • J'ai déjà lu Virginia Woolf mais pas ce texte-là, que je découvrirai volontiers, c'est tellement agréable de flâner dans une ville, le soir.

  • Je préfère sortir le jour qu'en soirée, pour ma part, mais j'adore de telles balades littéraires à toute heure. Bonne lecture un jour ou l'autre, Aifelle.

  • Quelle belle promenade guidée par un oeil aussi vif ! C'est toute la différence entre ceux qui savent voir et les autres qui ne font que passer.

  • N'est-ce pas ? Bonne soirée, Annie.

  • Parfait pour moi alors (j'ai juste lu "La fascination de l'étang"). Et pourquoi pas enchaîner avec le journal de Kafka, le conseil me va.
    Il est prenant et confortable le loisir, petit luxe littéraire, d'aller vers une relecture qu'inspire un beau texte.

  • Bonne lecture, Christw. Je suis plongée dans le Journal de Kafka et c'est un contraste total d'humeur et d'écriture, loin des "épiphanies" woolfiennes. Quel engagement dans la littérature coûte que coûte.

  • "L'engagement dans la littérature",:il s'agit de la vraie, ces mots me réconfortent.
    Je vois régulièrement sur le site actu (en bref ) de la RTBF une rubrique intitulée "littérature". Hier, il s'agissait, sous ce vocable, de mentionner l'exposition Made in Asia (Brussels expo). Je ne vois pas en quoi c'est de la littérature..

  • Pour Kafka, un début de lecture demain, où je signale une nouvelle traduction très intéressante.
    Pour le reste, j'ignore de quelle exposition il s'agit, mais je suis comme vous régulièrement stupéfaite de ce qui entre aujourd'hui dans les pages culturelles ou littéraires.

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